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868. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1860 » pp. 303-358

mais personne n’a lu les classiques ! […] On y prononçait les plus cocasses défenses d’accusés, des oraisons funèbres de personnes vivantes, des plaidoiries grasses qui duraient trois heures. […] Il n’y a personne chez nous pour se mettre à la tête de l’opposition !  […] Le roi de Prusse ne communiquait les dépêches de M. de Munster à personne, pas même à son chef de cabinet, M. du Manteuffel. […] J’ai lu quelque part que les personnes qui soignaient les malades étaient plus portées vers les plaisirs des sens que les autres.

869. (1894) Journal des Goncourt. Tome VII (1885-1888) « Année 1886 » pp. 101-162

Drumont arrive nerveux, surexcité, drolatiquement guilleret : « Aujourd’hui, s’écrie-t-il, cinquante-cinq personnes… la sonnette ne cesse pas… on commence à s’arrêter dans la rue, devant la maison, en voyant tous ces gens qui entrent… des gens qui viennent me dire : « Ah ! […] Ce soir, ma filleule Edmée m’est présentée en grande toilette par la garde, qui me rabroue un peu, comme je me permets de m’étonner de sa petitesse, quand la mère me jette gaiement de son lit : « Mais elle est très grande, elle pèse sept livres et demie… le poids d’un gigot pour douze personnes !  […] Ce soir, il nous entretenait du discours de Gambetta à l’École polytechnique de Bordeaux, de son discours au Mans applaudi par deux larmes coulant sur la figure de l’amiral Jauréguiberry, de ses speach, à la portière des chemins de fer, où soudainement réveillé, il trouvait des paroles superbes pour les vingt ou trente personnes, réunies sur la voie. […] Mais personne ne connaît le nom de Chateaubriand, et même le chemin de Henri IV est oublié dans le pays. […] Ainsi il aura, pour le mouvement moral d’une personne, qui se retire d’une combinaison, dont on l’entretient, la formule : « Vous êtes dans de la fumée de tabac, n’est-ce pas… et vous cherchez à respirer au dehors ? 

870. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Charles Dickens »

Il ignore certes le merveilleux et singulier et ondoyant faisceau de forces spirituelles qui font de toute personne à la fois un individu par leur combinaison et leur équilibre, un homme par leur nature, un animal et une chose parleur origine, qui déterminent par leur évolution les phases variables d’une vie et par leur permanence celle de l’être. […] Mme Dorrit a suivi son pauvre homme de mari à la prison pour dettes ; elle est sur le point d’accoucher, il lui faut une garde, celle-ci se présente et le discours graphique par lequel elle débute montre tout entière cette singulière personne bavarde, niaisement serviable et toute prête à se consoler la première par ses bonnes paroles. […] Que l’on prenne dans Martin Chuzzlewitt les filandreux bavardages que profère cette merveilleuse garde-malade, ivrognesse, larmoyante et digne, Mme Gamp ; que ce soit dans David Copperfield la grand ’tante Betsy Trotwood qui aligne ses phrases raides, sèches et remuantes comme toute sa maigre et décidée et dégingandée personne, c’est par la drôlerie de leurs paroles, la syntaxe étrange de leurs phrases et de leurs idées que se marquent tous ces types. […] Tous ces êtres, pareils aux personnages d’une comédie, sont essentiellement des causeurs, des personnes dont on ne sait que ce que donnent à conclure leurs dires, leurs réflexions, leurs digressions, les propos qu’ils se tiennent et qu’ils répliquent, la manière dont ils parlent, leur énonciation, leurs gestes, leurs débats, et parfois quelques actes bien moins significatifs que leurs paroles. […] Pas un mot qui ne soit plus à l’adresse du lecteur que des personnes en présence, et il en est de même de tous ces tableaux du grand monde, ces extraordinaires dîners de cérémonie où de vieux roquentins élimés ou d’énormes apoplectiques échangent avec leurs voisines en turban des propos si prétentieusement vides.

871. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Nouveaux voyages en zigzag, par Töpffer. (1853.) » pp. 413-430

Personne ne fait mieux comprendre que Töpffer comment, sans avoir rien des procédés convenus et artificiels, on parvient à épeler, à bégayer, puis à parler, chacun selon sa mesure et avec son accent, la langue du pittoresque. […] À force de croquis manqués, on arrivera à en produire un passable, puis un parlant, et, à la fin, l’on se sera fait sa petite manière à soi de ne s’y prendre pas trop mal, et cela en ne poursuivant que la nature et sans imiter personne. […] De bonne heure j’ai voulu écrire, et j’ai écrit ; mais sans me faire illusion sur ma médiocrité et mon impuissance, uniquement pour ce charme de composer, d’exprimer, de chercher aux sentiments, aux pensers, aux rêves de choses ou de personnes, une façon de les dire à mon gré, de leur trouver une figure selon mon cœur. […] le pittoresque spectacle, s’écrie-t-il à la vue de l’évêque de Sion officiant en personne et de sept cents fidèles environ accourus d’Aoste, du Valais, de Fribourg, priant debout, agenouillés, ou assis par rangées sur les degrés et refluant jusque dans l’étage supérieur !

872. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Fénelon. Sa correspondance spirituelle et politique. — I. » pp. 19-35

Ce recueil, si répandu et si estimé qu’il soit, n’est pas celui de Fénelon que je conseillerais aux personnes du monde ni que je préfère. On y a trop exclusivement rassemblé ce qui tient aux choses intérieures, en retranchant des lettres ce qui s’y mêlait d’accidentel, de relatif au monde, aux personnes, ce qui y donnait de la réalité. […] Saint-Simon et Mme de Caylus nous apprennent tout cela, et ne nous laissent pas ignorer non plus les variations d’humeur et de caractère qui faisaient d’elle une personne encore plus agréable qu’aimable. […] À cette modification de famille et d’orgueil, il s’en joignait en ce temps-là une autre pour Mme de Grammont, une mortification plus intime et plus secrète, qui tenait à la personne et à la beauté.

873. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Bossuet. Lettres sur Bossuet à un homme d’État, par M. Poujoulat, 1854. — Portrait de Bossuet, par M. de Lamartine, dans Le Civilisateur, 1854. — I. » pp. 180-197

En se prêtant à ces singuliers exercices et à ces tournois où l’on mettait au défi sa personne et son talent, traité comme un virtuose d’esprit dans les salons de l’hôtel de Rambouillet et de celui de Nevers, il ne paraît pas que Bossuet en ait été atteint en rien dans sa vanité, et il n’y a pas d’exemple d’un génie précoce ainsi loué, caressé du monde, et demeuré aussi parfaitement exempt de tout amour-propre et de toute coquetterie. […] Ce n’est point personnalité ni arrogance chez Bossuet, c’est que sa personne propre est absorbée et se confond dans la personne publique du lévite et du prêtre. […] Comment était-il de sa personne dans sa jeunesse, à l’âge où il prononçait ces discours, déjà si puissants, avec une autorité précoce qui rayonnait d’une inspiration visible et qui s’embellissait, pour ainsi dire, d’un reste de naïveté ?

874. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « L’abbé de Marolles ou le curieux — I » pp. 107-125

L’abbé de Marolles se vit donc naturellement introduit à l’hôtel de Nevers, et il y fut très favorablement accueilli de l’aînée des filles, la princesse Marie de Gonzague, la future reine de Pologne, « qui se pouvait dès lors appeler la gloire des princesses de son âge par la beauté de sa personne et par les excellentes qualités de son esprit ». […] Il s’offrit, un jour, pour travailler à dresser un inventaire général de tous les titres de la maison de Nevers, comptant par là faire sa cour à la princesse Marie, et aussi découvrir toutes sortes de belles choses ignorées : « Je m’appliquai à cet ouvrage quatre ou cinq mois durant avec tant d’assiduité que j’en vins à bout, ayant sans mentir dicté les extraits et marqué de ma main plus de dix-neuf mille titres rédigés en six gros volumes, avec les tables d’une invention toute nouvelle : ce que j’aurais de la peine à croire d’un autre si je n’en avais moi-même fait l’expérience et si je ne voyais encore entre mes mains les marques d’un labeur si prodigieux, pour la seule satisfaction de ma curiosité, quoiqu’il a bien pu servir à des choses plus importantes. » C’est à Nevers qu’il était allé faire ce rude et, pour lui, délicieux travail : il y avait fait venir quelques personnes de son choix pour l’aider, entre autres le prieur d’une de ses abbayes. […] Un autre jour, comme on débitait la prodigieuse nouvelle qu’un impie ayant tiré un coup de pistolet sur une enseigne de la Vierge au pont Notre-Dame, l’image s’était mise aussitôt à saigner, la princesse Marie, « dont le naturel doux avait toujours été facile à croire aux miracles », pria Marolles d’aller sur les lieux s’informer de la vérité du fait, dont quantité de personnes étaient venues lui parler, se donnant pour témoins oculaires. […] Au moment de ces noces et de ce couronnement de la reine de Pologne, il n’eut rien pour lui ; elle n’employa pas son crédit à lui procurer quelque charge ou emploi considérable (et il lui en fait un léger reproche), mais elle lui accorda avec une parfaite douceur et bienveillance tout ce qu’il demanda pour ses amis, et il obtint d’elle la permission qu’il réclamait comme une faveur, de faire graver son portrait par le burin de Mellan, satisfaisant ainsi à la fois sa double passion et de la personne et des images.

875. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Charles-Victor de Bonstetten. Étude biographique et littéraire, par M. Aimé Steinlen. — I » pp. 417-434

J’étais très souvent invité, dit-il, chez Voltaire, chez lord Stanhope, chez la duchesse d’Anville (cette grande dame française qui, pour changer, allait de temps à autre se faire un salon sérieux à Genève)… Je visitai le sage Abauzit dont l’heureuse pauvreté et l’âme sereine me remplissaient d’enthousiasme ; il avait trente louis de revenu ; avec cela il vivait plus heureux qu’un roi… Je n’ai point oublié le sentiment de gloire que j’éprouvai quand lui, qui ne faisait de visite à personne, vint me voir dans ma pension… Le syndic Jalabert eut la bonté de me donner des leçons de physique ; j’étais lié avec Moultou, l’ami intime de Rousseau ; mes véritables maîtres étaient ces hommes distingués. […] Il avait vingt-quatre ans, d’aimables dehors, de la naissance ; il parlait l’anglais avec facilité et aimait même à l’écrire : « Car cette langue, disait-il, se prête à tout, au lieu qu’en français il faut toujours rejeter dix pensées avant d’en rencontrer une qu’on puisse bien habiller. » Il y contracta tout d’abord d’étroites amitiés, y vit le grand monde, fut présenté à la cour, et, ce qui nous intéresse davantage, fut admis, à Cambridge, dans l’intimité du charmant poète Gray. « Jamais, disait-il, je n’ai vu personne qui donnât autant que Gray l’idée d’un gentleman accompli. » Nous avons un récit de ces mois de séjour à Cambridge, par Bonstetten, qui s’est plu à mettre en contraste le caractère mélancolique de Gray avec la sérénité d’âme de son autre ami, le poète allemand Matthisson, qu’il posséda plus tard chez lui comme hôte en son château de Nyon, dans le temps qu’il y était bailli. […] Le poète ne s’explique pas là-dessus très nettement ; si Bonstetten croyait à un mystère pour la tristesse de Gray, celui-ci en retour paraît avoir cherché avec quelque anxiété le secret de la bizarrerie de Bonstetten, qui est, dit-il, « la personne la plus extraordinaire qu’il ait jamais rencontrée ». […] La dernière fois qu’il est question de Bonstetten dans une lettre de Gray (3 mai 1771), c’est avec un sentiment d’inquiétude bien légitime ; Bonstetten était alors retourné dans son enfer de Berne : Il y a trois jours j’ai reçu une si étrange lettre de Bonstetten, que je ne sais comment vous en rendre compte, et je désire que vous n’en parliez à personne.

876. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Louis XIV et le duc de Bourg, par M. Michelet. (suite.) »

Au nom de Dieu, qu’il ne se laisse gouverner ni par vous (le duc de Chevreuse), ni par moi, ni par aucune personne du monde. […] Je lis, dans les Recueils divers que des témoins dignes de foi et amis du prince ont publiés de ses vertus, des détails tels que ceux-ci : « Ce grand prince ne faisait pas seulement sacrifice de son argent, mais encore de sa personne, particulièrement les jours de jeûne qu’il observait dans la dernière exactitude. […] Mais quand j’ai payé ces hommages aux individus et aux personnes, je me hâte d’ajouter que, eût-on réussi pour un temps en quelqu’un de ces biais et de ces remèdes palliatifs de l’ancien régime, on ne serait parvenu après tout qu’à faire ce qu’on appelle une cote mal taillée, rien de nettement tranché ni de décisif, et qu’il est mieux (puisqu’enfin les choses sont accomplies et consommées) qu’on en soit venu à cette extrémité dernière de n’avoir eu qu’un seul et grand parti à prendre, le parti à la Mirabeau et à la Sieyès : la France, en un mot, n’a pas perdu pour attendre ; et quand tout récemment, dans le compte rendu des séances du Sénat, je lisais ces déclarations spontanées d’un duc de La Force et d’un cardinal Donnet, si empressés à se replacer dans les rangs de tous, lorsqu’une parole inexacte avait paru un moment les en vouloir séparer, je pensais qu’au milieu de nos divisions mêmes d’opinions, il était consolant qu’on en fût venu à ce grand et magnifique résultat, aussi clair que le jour, à savoir qu’il n’y a plus en France qu’un seul ordre, une seule classe, un seul peuple. […] Mémoire des principaux actes de vertu qu’une personne de probité a remarqués en feu Monseigneur le Dauphin (1712).

877. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Souvenirs de soixante années, par M. Etienne-Jean Delécluze »

Delécluze, mais dont l’esprit ferme et sain ne demande grâce à personne et peut supporter la contradiction. […] a exercé et exerce encore cette sorte de magistrature au Journal des Débats ; qui y a défendu les traditions de l’École de David contre toutes les tentatives d’innovation et tous les assauts du romantisme ; qui est un ennemi déclaré du gothique qui est très-consciencieux, assez bienveillant pour les personnes, sans quartier sur les principes ; qui a beaucoup causé de toutes choses autres encore que beaux-arts ; qui a eu de bonne heure l’habitude d’écrire les conversations des gens d’esprit qui venaient chez lui ou qu’il rencontrait dans le monde ; qui a des masses de ces procès-verbaux et de ces minutes d’entretiens qui seront, un jour plus intéressants pour nos neveux que les plus élégants rapports académiques, et où les pauvres d’idées en quête d’érudition facile iront puiser comme dans les papiers de Conrart. — M.  […] C’en est déjà une preuve que de s’être avisé de se raconter à la troisième personne et de s’être mis en scène continuellement sous le nom d’Étienne, qui est un de ses prénoms. […] Si c’est être romantique que d’écrire incorrectement, personne n’a plus droit à ce titre que lui.

878. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Les Saints Évangiles, traduction par Le Maistre de Saci. Paris, Imprimerie Impériale, 1862 »

Sans entrer ici (ce qui me conviendrait moins qu’à personne) dans aucune des questions controversées entre les savants et les théologiens des diverses communions et en me gardant pour vingt raisons excellentes d’aller m’y heurter, il est bien clair à mes yeux, comme aux yeux de tout le monde, que puisqu’il y a quatre Évangiles canoniques et non pas un seul, il y a des différences, au moins apparentes, entre ces Évangiles également reçus, et il a été de tout temps réputé utile de s’en rendre compte pour se former une idée plus exacte, plus suivie et mieux ordonnée, de la vie et de la prédication de Jésus. […] Ce serait moins que jamais aujourd’hui le moyen de se débarrasser des difficultés, puisqu’elles ont surgi et qu’elles ont éclaté ; de toutes parts puisque des attaques, des négations philosophiques radicales ont eu lieu, telles que celle de Strauss en première ligne ; la meilleure manière pour se retracer l’image de la personne réelle et vivante de celui dont la venue a changé le monde est d’en revenir avec bonne foi et réflexion aux récits originaux qui nous ont conservé la suite de ses actes et de ses paroles. […] Et c’est cet idéal délicat de dévouement, de purification morale, d’abandon et de sacrifice continuel de soi, respirant dans les paroles et se vérifiant dans la personne et la vie du Christ, qui fait l’entière nouveauté comme la sublimité du christianisme pris à sa source. Un homme estimable et savant, qui a récemment travaillé sur les Évangiles, et qui n’a porté dans cet examen, quoi qu’on en ait dit, aucune idée maligne de négation, aucune arrière-pensée de destruction, qui les a étudiés de bonne foi, d’une manière que je n’ai pas qualité pour juger, mais certainement avec « une science amoureuse de la vérité », a qualifié heureusement en ces termes la mission et le caractère de Jésus, de la personne unique en qui s’est accomplie la conciliation la plus harmonieuse de l’humanité avec Dieu : « Celui qui a dit : Soyez parfaits comme Dieu, et qui l’a dit non pas comme le résultat abstrait d’une recherche métaphysique, mais comme l’expression pure et simple de son état intérieur, comme la leçon que donnent le soleil et la pluie : celui qui a parlé de la sainteté supérieure qu’il exigeait des siens comme d’un “fardeau doux et léger” ; celui qui, révélant à nos yeux une pureté sans tache, a dit que “par elle on voyait Dieu…”, celui qui, enfin, renonçant à la perspective du trône du monde, a senti qu’il y avait plus de bonheur à souffrir en faisant la volonté de Dieu qu’à jouir en s’en séparant… celui-là, c’est Jésus de Nazareth. » Lui seul, et pas un autre au monde42 !

879. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Histoire des cabinets de l’Europe pendant le Consulat et l’Empire, par M. Armand Lefebvre. »

Celui-ci, interpellé soudainement sur un sujet aussi délicat, répondit avec un peu d’embarras qu’aucune instruction de sa Cour ne l’autorisait à traiter d’un mariage entre une princesse de Naples et le fils de l’Impératrice : « Il ne pouvait donc soumettre à la reine que ses opinions personnelles ; il lui semblait que, dans l’intérêt de sa maison et de ses peuples, elle devrait favoriser une semblable union ; Eugène de Beauharnais avait toute l’affection de l’Empereur, et de grandes destinées semblaient promises à ce jeune homme. » La reine demeura quelque temps sans répondre : un sourire amer parut un moment sur ses lèvres ; elle semblait agitée intérieurement par des réflexions pénibles ; enfin elle rompit le silence et dit, comme avec effort, qu’elle n’avait aucune objection à élever contre la personne du jeune Beauharnais : « Mais il n’avait pas encore de rang dans le monde ; si, plus tard, la Providence l’élevait à la dignité de prince, les obstacles qui s’opposaient aujourd’hui à une pareille alliance pourraient être écartés. » Le moment une fois manqué ne revint pas. […] Edouard Lefebvre put étudier de près le mouvement qui souleva et arma contre nous toute l’Allemagne, et dont le foyer s’alluma surtout en Prusse ; il fit plus que l’étudier, il en fut victime : au moment où le roi de Prusse, après bien des tergiversations et des anxiétés, se décida à faire signer à Kalish par son plénipotentiaire le traité qui le liait à la Russie, le même jour (28 février 1813), un piquet de Cosaques entrait à toute bride dans Berlin, cernait l’hôtel de M. de Saint-Marsan, ambassadeur de France, et « sous les yeux des autorités, au mépris du droit des gens et de tous les usages pratiqués entre nations policées, enlevait la personne du premier secrétaire de légation, M. Edouard Lefebvre, s’emparait de tous ses papiers et le faisait conduire en Russie, où il fut détenu prisonnier jusqu’à la paix. » C’est cet homme capable, instruit de tant de choses, les ayant observées dans l’une de ces situations secondaires où, moins engagé de sa personne, on garde une plus parfaite clairvoyance, que la Restauration et le ministre qui en était le plus noble représentant dans la sphère diplomatique avaient su apprécier à sa valeur : le duc de Richelieu l’avait invité à écrire l’Histoire de la diplomatie française pendant les quinze premières années du siècle. […] Sa personne même et le choix d’un tel représentant étaient bien faits pour rassurer la société européenne réfugiée à Bade pendant l’été de 1848.

880. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLXe Entretien. Souvenirs de jeunesse. La marquise de Raigecourt »

L’aînée de ses filles, jeune personne très-jolie et très-intéressante, avait été demandée en mariage par un vieux gentilhomme riche de l’Est de la France. […] Elle charmait tout le monde, mais elle n’eut de faiblesse pour personne. […] Cazalès, après 1830, hésita longtemps entre le mariage avec une jeune personne très-aimable, mais très-indécise comme lui, et l’Église, à laquelle ses mœurs pures et ses principes le disposaient. […] Quelque temps après, Charles X nomma M. de Montmorency gouverneur du duc de Bordeaux, emploi qui lui convenait parfaitement, qui honorait son royalisme et qui unissait dans sa personne la fidélité aux Bourbons et la haute intelligence de la Charte.

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