Rien ne se perd du détail et de la continuité des souffrances. […] À un moment, les restes de son régiment, à l’arrière-garde de Ney, se trouvent coupés et perdus de nuit dans un bois de sapins. […] Il fallait marcher assez rapidement pour réparer le temps perdu, et assez en ordre pour résister aux attaques des Cosaques. […] Il tomba à côté de moi, en disant froidement à ses camarades : « Voilà un homme perdu ; prenez mon sac, vous en profiterez. » On prit son sac, et nous l’abandonnâmes en silence. […] Mais le récit de M. de Fezensac, en devenant un peu moins particulier, ne perd pas pour cela en intérêt.
Flourens, on peut enlever à un animal, soit par devant, soit par derrière, soit par côté, soit par en haut, une portion assez étendue de son cerveau sans qu’il perde aucune de ses facultés. […] On sait que les amputés souffrent dans les organes qu’ils ont perdus ; on sait que les lésions des centres nerveux se font sentir surtout aux extrémités. […] Flourens, on peut enlever dans un animal une partie considérable du cerveau sans qu’aucune faculté soit perdue ; mais, au-delà d’une certaine limite, si l’une disparaît, toutes disparaissent. […] Tout se perd, tout renaît à la fois. […] Ainsi un même organe peut perdre tel de ses modes d’action sans qu’on ait le droit de mettre en doute son unité.
… » Elle avait alors soixante ans ; et il est vrai qu’elle venait de perdre une de ses filles. — Elle lui écrit, le 27 décembre 1852 : « Bon jour et amour, cher mari à moi ! […] Elle perd sa voix à la suite de ses couches. […] Elle perd sa fille Inès, de la phtisie, à vingt et un ans ; elle perd son frère, ses sœurs, sa plus chère amie Caroline Branchu, sa fille Ondine. […] Apparemment, c’est un allègement moral que de n’avoir plus rien à perdre. […] La Voix perdue est un des souvenirs de ces veilles poignantes. » (Œuvres de Marceline Desbordes-Valmore, III, p. 251.)
C’est un esprit d’après la Révolution française, sans hostilité (du moins montrée) contre le catholicisme, mais parfaitement indifférent à sa destinée et trouvant même bon, dans les intérêts de la civilisation comme il la comprend, qu’il ait perdu la partie au temps de Philippe II ; car, il faut bien le dire, nous, les vaincus, il l’a perdue !… Forneron croit justement qu’il l’a perdue par la faute des hommes, — par ce que nous nommons, nous autres catholiques, le Péché, et ce que les mondains appellent seulement des fautes, — et c’est la vérité ! […] Elle y a perdu également de sa justice et de sa beauté. […] Son talent, s’il en avait eu, aurait bénéficié du malheur auguste et mystérieux de la Cause de Dieu, perdue par les hommes, au XVIe siècle ; car c’est presque une loi de l’histoire, avec la mélancolie naturelle à l’âme humaine, que les causes perdues nous prennent plus fortement le cœur que les causes triomphantes et soient plus belles à raconter !
Si tout subsistait sans altération ni perte, de ces innombrables conquêtes, l’esprit humain s’y perdrait ! […] La Chine et le Japon, en nous initiant à leur génie, l’ont perdu. […] Ils ont perdu Hokusaï et ils imitent M. […] Nos maisons, nos habits et tous les accessoires de la vie quotidienne ont perdu le sens caractéristique. […] quand les idées perdent leurs forces de cohésion, les hommes perdent leurs facultés d’association.
Faisons quelques projets d’offensive ; car de parer toujours à la muraille, c’est le moyen de ne jamais rien gagner, et de perdre tous les jours peu ou beaucoup… S’il faut désespérer de la paix, espérons tout d’une guerre hardie : aussi bien on périt à la fin par la défensive. […] Il y a peu d’exemples de ce qui m’arrive, et que l’on perde dans la même semaine son petit-fils, sa petite-belle-fille et leur fils, tous de très grande espérance et très tendrement aimés. […] S’il avait, dis-je, marché en avant, toute l’armée française était perdue, parce qu’elle prêtait le flanc et qu’une grande partie avait déjà passé l’Escaut. […] Il était encore temps de marcher ; et, si on l’eût fait, un grand tiers de l’armée française était perdu. […] Enfin il l’aperçoit, et lui voit faire sa disposition pour l’attaquer ; et dans le moment, il jugea le retranchement perdu et forcé.
Et d’abord, comme premier élément, je rappellerai cette sorte de désaccord entre le moral de l’armée et ses chefs, le soldat ayant la disposition à se croire trahi et perdu, du moment qu’il ne voyait pas Napoléon. […] « Le caractère de plusieurs généraux, a dit Napoléon, avait été détrempé par les événements de 18H ; ils avaient perdu quelque chose de cette audace, de cette résolution et de cette confiance qui leur avaient valu tant de gloire et avaient tant contribué aux succès des campagnes passées. » À tous ces éléments humains de fatalité s’ajouta, la veille du dernier jour, un orage du ciel, un obstacle matériel considérable et imprévu. […] Mais Napoléon lui-même ne commençait-il pas trop tard sajournée, et n’avait-il point perdu de temps en demeurant à Charleroi jusqu’à près de onze heures du matin ? […] L’armée prussienne est perdue si vous agissez vigoureusement : le sort de la France est entre vos mains ! […] Car, avant de rétrograder vers Ney, et lorsqu’il était en marche sur Bry, vers cinq heures, aperçu de loin par Vandamme et mal reconnu par l’un des officiers de ce dernier général, il avait donné des inquiétudes aux nôtres à un moment décisif, et avait contribué à suspendre un mouvement victorieux jusqu’à ce qu’on fut revenu d’une première erreur ; on y perdit près de deux heures bien précieuses.
Telle est la vie secrète d’un esprit curieux, tourné au raisonnement, qui se possède par méthode philosophique, et qui veut posséder de même tout ce qui l’environne… Qui voudrait à tout moment s’assurer qu’il agit par raison, et non par passion et par humeur, perdrait le temps d’agir, passerait sa vie à anatomiser son cœur, et ne viendrait jamais à bout de ce qu’il chercherait. […] Le vidame d’Amiens était un peu comme son père et avait du penchant à se perdre dans le détail, à s’ensevelir dans les papiers : « Prenez sobrement les affaires, lui dit sans cesse Fénelon ; embrassez-les avec ordre, sans vous noyer dans les détails, et coupant court avec une décision précise et tranchante sur chaque article. » Il le lui redit non moins vivement qu’à son père : « Point d’amusements de curiosité. […] À mesure qu’il vieillit, les causes de tristesse augmentent ; il perd tous ses amis. […] Il perd le duc de Chevreuse ; il se plaît à garder autour de lui, à Cambrai, les petits-enfants de ce seigneur, les fils du duc de Chaulnes, à s’entourer de toute cette petite jeunesse. Il perd le duc de Beauvilliers : Pour moi qui étais privé de le voir depuis tant d’années, écrit-il à la duchesse sa veuve, je lui parle, je lui ouvre mon cœur, je crois le trouver devant Dieu ; et, quoique je l’aie pleuré amèrement, je ne puis croire que je l’aie perdu, qu’il y a de réalité dans cette société intime !
Jusqu’ici Montluc n’a pris les choses que de son côté, militairement ; il arrive pourtant à toucher à la question politique : « À ce que j’ai entendu, Sire, tout ce qui émeut messieurs qui ont opiné devant Votre Majesté est la crainte d’une perte ; ils ne disent autre chose, si ce n’est : Si nous perdons, si nous perdons ! […] » Le roi était plus qu’à demi gagné ; M. de Saint-Pol, lisant cela dans ses yeux, essaya de le retenir : « Sire, voudriez-vous bien changer d’opinion pour le dire de ce fou qui ne se soucie que de combattre, et n’a nulle considération du malheur que ce vous serait si perdions la bataille ? […] Les Romains pouvaient faire cela, ajoute Montluc, mais non pas les chrétiens. » C’est dans cet état qu’on vint apprendre à M. d’Enghien que cette victoire qu’il tenait pour perdue était à lui et aux siens. […] C’est au retour seulement de cette poursuite qu’il apprit à combien peu il avait tenu que la bataille ne se perdît ; il ne s’en était pas douté jusque-là. […] le maréchal de Brissac, qui l’estimait et l’aimait on ne saurait plus, mais qui craignait de le perdre comme l’un de ses capitaines et auxiliaires essentiels, s’il allait à Sienne, écrivit au roi pour établir dans son esprit (à côté de beaucoup d’éloges) cette fâcheuse réputation de quinteux qu’avait Montluc ; et en même temps il écrivait à celui-ci pour le dissuader d’accepter.
Le signe des belles et tout à fait grandes âmes est de n’en jamais perdre la conscience ni l’habitude aux heures de la force et de la prospérité. […] Vous sentez tous les ménagements dont j’ai besoin dans celle affaire, et combien peu j’y dois paraître ; le moindre vent qu’on en aurait en Angleterre pourrait tout perdre. […] Un grand génie comme le vôtre trouve des ressources quand même tout est perdu… Voltaire écrivait à Frédéric dans le même sens, et rachetait tous ses torts passés par le bon sens et la franchise de ses remontrances. […] Nous pensons de même, et je ne saurais condamner en vous les sentiments que j’éprouve tous les jours… Il ne me reste que vous seule dans l’univers, qui m’y attachiez encore ; mes amis, mes plus chers parents sont au tombeau ; enfin, j’ai tout perdu. […] Les lettres de la margrave et de son frère dans les premiers mois de 1758 sont assez rares, soit qu’on en ait perdu ou supprimé un bon nombre, soit que la maladie de la margrave les ait rendues moins fréquentes.
Celui-ci osa tout pour retrouver la vérité perdue ; il entreprit de construire une philosophie seul, sans maître, avec toutes les précautions de la méthode et tous les scrupules du doute, sur un terrain obstrué, inconnu, périlleux, hérissé d’obstacles qu’il avait et qu’il comptait. […] « Je perdis le goût d’aller chercher et emprunter ailleurs ce que je pouvais trouver et acquérir par moi-même. […] J’en vins même à me convaincre que je ne comprenais véritablement que ce que j’avais trouvé moi-même ; je perdis toute foi à l’instruction transmise ; et dès lors je n’ai point changé d’opinion. […] On se dissipe, on s’occupe, on oublie, on rit : bonheur léger et passager qu’il faut prendre ou perdre, sans beaucoup le regretter ni l’attendre, et sur lequel il ne faut pas réfléchir. […] On le juge aussi soigneux dans ses fautes que dans ses réussites ; lorsqu’il se trompe, il est exempt de reproche ; il a employé toute sa force ; ce sont les circonstances ou quelque invincible illusion philosophique qui l’ont perdu.
Ce n’est en effet qu’aux écarts d’une raison troublée que l’on peut attribuer la triste extravagance de plusieurs peintures du Paradis perdu. […] Le Paradis perdu fut long-tems négligé à Londres ; & Milton mourut sans se douter qu’il auroit un jour de la réputation. […] Ils firent faire une belle édition du Paradis perdu. […] Cet ouvrage est bien inférieur au Paradis perdu. […] Une Dame a donné parmi nous une imitation en vers de son Paradis perdu, c’est Madame du Bocage connue avantageusement sur notre Parnasse.
Mais à cette heure, Bonaparte, exilé dans sa conquête d’Égypte, semblait perdu pour la France. […] Joubert se laissa faire ; il était amoureux, il se maria, perdit quelques semaines à jouir d’une félicité fugitive, et partit à la fin de juillet 1799 pour prendre le commandement en chef de l’armée d’Italie. […] Moreau prit le commandement, repoussa pendant tout le jour les efforts de Souvarof et perdit la bataille le moins possible. […] Il défaillait dans son for intérieur, il avait perdu l’espérance ; l’homme de cœur et le héros en lui se revancha du moins, se releva tout d’un bond. […] [NdA] C’est une allusion probablement à quelqu’une des chansons qui avaient couru contre Joubert lorsqu’on l’avait cru perdu dans le Tyrol.