Ainsi envisagé, sous ses diverses faces, le xviiie siècle apparaît semblable à la petite statue que le philosophe Babouc présenta au génie Ituriel, pour lui faire entendre ce qu’il pensait de la ville de Persépolis : elle était composée « des terres et des pierres les plus précieuses et les plus viles. » Si l’on représentait par un de ces graphiques, qui sont aujourd’hui d’usage courant, les différentes vertus et le niveau moyen que le xviiie siècle a atteints dans chacune d’elles, c’est une ligne montant très haut et descendant très bas qu’on obtiendrait de la sorte. […] Il voit essentiellement dans l’homme un être qui pense. « Ô pur esprit », lui écrira Gassendi, adversaire railleur, mais d’abord impuissant, de sa doctrine. […] Assez souvent la liaison entre certains livres et certaines façons de penser, de sentir et d’agir s’impose d’elle-même à l’attention.
C’est beaucoup plus tard, dans son Epître à Huet, qu’il nous fait cette petite confidence sur son éducation littéraire : Je pris certain auteur autrefois pour mon maître : Il pensa me gâter. […] Là-dessus Descartes est d’une précision à laquelle il n’y a rien à désirer, qui ne laisse certainement rien à désirer. « Au reste, je me suis étendu ici sur le sujet de l’âme à cause qu’il était plus important ; car après l’erreur de ceux qui nient Dieu, laquelle je pense avoir ci-dessus assez réfutée, il n’y en a point qui éloigne plus tôt les esprits faibles du droit chemin de la vertu que d’imaginer que l’âme des bêtes soit de même nature que la nôtre, et que, par conséquent, nous n’avons rien à craindre ni à espérer après cette vie, non plus que les mouches et les fourmis. […] Napoléon Ier pensait de même avec une petite nuance.
Ces deux amis, qui prirent alors l’engagement, avec les admirateurs de Maurice de Guérin, de publier prochainement tout ce qui est sorti de sa plume, pensèrent à faire précéder leur publication d’un petit volume et eurent à cœur d’en bien déterminer le caractère. […] Pour contre-balancer, du reste, le mépris des forts qui nous menace, imaginons ce que penserait Pascal, entre les écrits d’Eugénie de Guérin et la vie qu’elle a menée, — lui qui disait que toutes les conquêtes, révolutions et remuements de l’histoire viennent « de cela que certains hommes n’ont pas su rester assis tranquillement dans une chambre », et qui en riait comme il savait rire, ce formidable plaisant ! […] Sans doute elle pensait à, la gloire de son frère, et elle l’avait sacrifiée !
Et nous-mêmes, pouvons-nous penser le contraire, lorsque nous nous intéressons à tout ce qui peut relever la condition matérielle et morale du peuple, lorsque nous multiplions les écoles, les bibliothèques, les cours d’adultes, les conférences, lorsque nous préparons l’avènement d’un quatrième État, aussi bien par nos défauts et nos négligences, que par nos efforts directs ? […] Je ne le pense pas. Et d’autres, fort heureusement, pensent comme moi.
. — Ma foi, non ; je n’y pensais pas, puisque je n’avais pas peur pour moi. […] En Italie, il n’avait que peu d’hommes presque sans armes, sans pain, sans souliers, sans argent, sans administration ; point de secours de personne ; l’anarchie dans le gouvernement ; une petite mine ; une réputation de mathématicien et de rêveur ; point encore d’actions pour lui ; pas un ami ; regardé comme un ours, parce qu’il était toujours seul à penser.
Mais y pense-t-on bien ? […] Il ne s’en ennuie pas, c’est son goût et son mérite ; et chaque fois que l’occasion s’en présente, il y rentre avec ardeur et verve ; il redit ce qu’il ne rougit pas de penser avec tous les maîtres ses prédécesseurs, mais il le redit bien comme le pensant lui-même et comme venant de se retremper vivement au bouillon de la source.
Il avait beaucoup médité sur la langue poétique, et pensait qu’elle devait être radicalement distincte de la prose. […] On souffre à penser quel refroidissement, sans doute même quelle aigreur, dut succéder à l’amitié fraternelle des premiers temps.
vous n’avez pas tout le monde pour vous ; bien des fractions de l’opinion vous échappent ; la jeunesse des Écoles, par exemple, est demeurée récalcitrante et rebelle ; à trois cents pas du Louvre, vous ne régnez pas ; les hautes Écoles ne sont pas du tout pour vous : et c’est dans ces générations de 20 à 25 ans que se forme en grande partie l’avenir d’un pays, on répondait (combien de fois ne l’ai-je pas entendu :) : « Ah : les Écoles ont toujours été ainsi : ces mêmes jeunes gens dans quelques années penseront autrement ; et puis, ce n’est qu’une infiniment petite partie de la nation : nous avons pour nous la masse, les ouvriers des villes et des campagnes. — Les Écoles, le quartier Latin, qu’est-ce que cela nous fait ? […] Ce n’est pas que je ne pense que le pays, de son côté, n’ait à faire aussi sa petite éducation comme l’administration aura à faire la sienne ; cardans ce pays-ci, on demande beaucoup à l’administration ; on lui demande trop, on se plaint à elle et d’elle à tout propos.
Il n’ignore rien de ce que tous les esprits originaux de ce siècle ont pensé et senti ; il le repense avec une hardiesse légère, il le ressent avec une vivacité d’impression jamais émoussée. […] Il pense que l’intérêt même et les nécessités de leur profession imposent aux actrices une vie à part, sur la marge de la société régulière.
Je pense qu’il a la foi. […] Voici, je pense, les raisons de ce goût singulier.
Je dis symphonie, parce que ce poème me fait quelquefois penser à Beethoven. […] Sur ton muet sépulcre et tes os consumés Qu’un autre verse ou non les pleurs accoutumés ; Que ton siècle banal l’oublie ou te renomme ; Moi, je t’envie, au fond du tombeau calme et noir, D’être affranchi de vivre, et de ne plus savoir La honte de penser et l’horreur d’être un homme.
Rien ne lui est étranger, tout ce que l’esprit humain a pensé vient se peindre à son esprit, son gout en devient plus étendu, & plus sûr, son intelligence plus nerveuse. […] L’expression naïve de leurs sentimens vole sans effort sur leurs lévres, ils osent se montrer tels qu’ils sont ; la confiance s’établit, le rapport de goût se fortifie, l’amitié les unit à jamais, ils pensent ensemble, & ils n’ont point à craindre que la cupidité vienne briser des nœuds dont le charme fait toute la force.
. — Un homme ne peut voir le monde, un homme ne peut penser exactement comme un autre homme ; de là un individualisme intellectuel. — Un homme ne peut sentir exactement comme un autre ; de là un individualisme sentimental. — Un homme ne peut avoir exactement les mêmes raisons d’agir qu’un autre ; de là un individualisme moral. — Un homme ne peut avoir exactement la même manière de sentir la beauté qu’un autre ; de là un individualisme esthétique. — Un homme ne peut avoir exactement les mêmes intérêts qu’un autre ; de là un individualisme économique. — Un homme ne peut avoir exactement la même puissance, ni par conséquent le même droit qu’un autre ; de là un individualisme juridique ou antijuridique, comme on voudra. — Ainsi dans les différents ordres de pensée et d’activité, l’individualisme uniciste nie tout idéal collectif : idéal intellectuel, sentimental, moral, esthétique, économique, juridique, politique. […] À cause que je ne voyais au monde aucune chose qui demeurât toujours en même état, j’eusse pensé commettre une grande faute contre le bon sens si, pour ce que j’approuvais alors quelque chose, je me fusse obligé de la prendre pour bonne encore après, lorsqu’elle aurait peut-être cessé de l’être ou que j’aurais cessé de l’estimer telle. » (Discours de la méthode, 3e partie.)