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1780. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIVe entretien. Épopée. Homère. — L’Odyssée » pp. 445-524

Ainsi rien ne manquait à cette existence de la famille agricole, pas même l’élévation de la pensée au-dessus de cette terre, pas même ce sursum corda qui manque à toute chose quand on ne la relie pas avec l’infini, l’horizon de l’âme. […] Le poète, avec la rapidité du vol de la pensée, qui ne connaît point de distance, plane tantôt sur un lieu, tantôt sur un autre ; maintenant avec Ulysse, tout à l’heure avec Pénélope ; aujourd’hui à Troie ou à Argos, demain à Ithaque. […] C’est là qu’il va chercher le repos, roulant dans sa tête une foule de pensées. […] D’ailleurs vous avez cinq fils dans vos demeures : deux sont mariés, mais les trois plus jeunes ne le sont pas encore, et ceux-là veulent toujours des vêtements nouvellement blanchis quand ils se rendent aux assemblées où l’on danse, et c’est sur moi que ces soins reposent… Par pudeur elle ne parla pas à son père du doux mariage ; mais Alcinoüs, pénétrant toute la pensée de sa fille, lui répondit : Mon enfant, je ne vous refuserai ni mes mules ni autre chose. […] Depuis je l’ai relu cent fois à voix basse, en mettant au récit, dans ma pensée, les inflexions de voix de cette femme antique plus naïve que Nausicaa, plus laborieuse qu’Euryclée, plus reine, plus femme, plus mère que Pénélope !

1781. (1889) Essai sur les données immédiates de la conscience « Chapitre I. De l’intensité des états psychologiques »

Même, si elle s’arrête un instant, notre main impatientée ne peut s’empêcher de se mouvoir comme pour la pousser, comme pour la replacer au sein de ce mouvement dont le rythme est devenu toute notre pensée et toute notre volonté. […] En analysant ce dernier concept, on verra que les sentiments et les pensées que l’artiste nous suggère expriment et résument une partie plus moins considérable de son histoire. […] Elle consiste d’abord à se mettre par la pensée à la place des autres, à souffrir de leur souffrance. […] Cette aspiration douloureuse a d’ailleurs son charme, parce qu’elle nous grandit dans notre propre estime, et fait que nous nous sentons supérieurs à ces biens sensibles dont notre pensée se détache momentanément. […] Et que sera donc le passage du premier état au second, sinon un acte de votre pensée, qui assimile arbitrairement, et pour le besoin de la cause, une succession de deux états à une différenciation de deux grandeurs ?

1782. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXVe entretien. J.-J. Rousseau. Son faux Contrat social et le vrai contrat social (1re partie) » pp. 337-416

Rousseau fût ce qu’on appelle une belle âme, une âme plus riche que les autres ; loin de nous cette pensée. […] Rousseau est parvenu à se faire regarder ; c’est un sauvage sublime, un ilote de la pensée, que la société admet dans ses salons pour le voir avec curiosité et pour l’entendre avec complaisance blasphémer avec un éloquent délire contre la pensée même qui fait son existence, sa force et sa gloire. […] Une seule page de ce livre est d’un philosophe, d’un poète et d’un sage ; c’est celle où, au commencement d’un chapitre, véritable vestibule d’un panthéon moderne, Rousseau décrit l’horizon, la vie, la pensée d’un pauvre prêtre chrétien enseignant à un village, où il est exilé, le culte et la charité d’une communion universelle. […] Nous allons procéder dans cet examen axiome par axiome, afin d’en mettre en relief la fausseté radicale, et, quand nous aurons entassé sous vos yeux assez de ces simulacres de pensées, assez de ces cadavres vides, pour vous convaincre que ce ne sont là que les sophismes d’un rêveur éveillé qui se moque de lui-même et des peuples, nous en démontrerons le néant. […] Voilà un homme fait qui, voyant la fortune de cette femme baisser, épuise sa pauvre bourse pour aller à Paris chercher quelque autre fortune de hasard, sans se retourner seulement d’une pensée vers celle qui fut sa providence, de peur d’avoir pitié de sa dégradation !

1783. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIIe entretien. L’Imitation de Jésus-Christ » pp. 97-176

Il devint saint en s’exerçant et en vieillissant, mais ses pensées répondaient toutes et toujours à la magnanimité de son âme ; rien de ce qui était petit n’allait à ses proportions. […] Il condense en quelques pages la philosophie pratique des hommes de tous les climats et de tous les pays, qui ont cherché, souffert, conclu et prié dans leurs larmes depuis que la chair souffre et que la pensée réfléchit. […] Et, parce qu’ils aiment mieux être grands que d’être humbles, ils s’évanouissent dans leurs pensées. […] Lorsque, avec une volonté droite, l’homme est troublé, tenté, affligé de mauvaises pensées, il reconnaît alors combien Dieu lui est nécessaire, et qu’il n’est capable d’aucun bien sans lui. […] Dans toutes vos actions, dans toutes vos pensées, vous devriez être tel que vous seriez s’il vous fallait mourir aujourd’hui.

1784. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIIIe entretien. Fior d’Aliza » pp. 177-256

Cet état, sans ivresse, n’est cependant pas sans douceur ; c’est le recueillement du soir dans le demi-jour d’une triste enceinte ; c’est la mélancolie qui n’espère plus, mais qui n’aura plus à désespérer ; c’est ce qu’on appelle la résignation précoce, où les pensées religieuses surgissent en nous après les tempêtes, comme ces rayons calmants de l’astre nocturne qui se glissent entre deux nuages sur les dernières ondulations de l’Océan qui se tait. […] Son sourire bienveillant donnait de la grâce au sérieux de ses pensées, et ses mots fins et à deux sens portaient d’eux-mêmes et touchaient avec justesse à leur double but, comme deux traits partis à la fois d’un même arc : l’un pour faire sourire, l’autre pour faire penser. […] Nous n’eûmes pas deux pensées, M. de Fontenay et moi ; il m’associa à tout, nous agîmes en commun sous l’inspiration de son grand sens et de son expérience. […] Mais la mort même ne put séparer les pensées. […] Quand lord Byron faisait parler Manfred, le Corsaire ou Lara ; quand il mettait dans leur bouche les imprécations les plus affreuses contre l’homme, contre les institutions sociales, contre la Divinité ; quand ils riaient de la vertu et divinisaient le crime, a-t-on jamais confondu la pensée du poète et celle du brigand ?

1785. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 juin 1885. »

Arrivant à des esprits préparés, cette doctrine fut, bientôt, l’universelle croyance ; elle habitua chacun à voir, seulement, dans les âmes, la pure Pensée, indépendante de toute influence sensible, et, dans les corps, la pure Ligne, abstraite. […] Si vous ouvrez dans cette pensée une seule partition de Richard Wagner — fût-ce Lohengrin, fût-ce le Vaisseau fantôme, — vous êtes perdu pour la musique française. […] Et ce n’est point les pensées exprimées en les vers de Schiller qui nous occupent surtout, mais ce son familier du chant choral dans lequel nous mêmes nous sentons invités à chanter notre partie, pour nous mêler à la communion du service divin idéal, comme le faisaient, réellement, les fidèles pour la grande musique de la Passion de Sébastien Bach, à l’entrée du Choral. […]   En préparation : Les Pensées de Pascal, 6 planches. […] Edouard Sans : Richard Wagner et la pensée schopenhauerienne, Paris : C.

1786. (1857) Cours familier de littérature. III « XVIIIe entretien. Littérature légère. Alfred de Musset » pp. 409-488

Sans cette alternative de la peine et du plaisir dans notre existence, l’homme succomberait comme le trappiste à l’obsession et à la fixité d’une seule pensée, toujours en haut, jamais en bas ; la démence ou la mort puniraient bientôt le contresens aux lois intermittentes de notre nature. […] Dirai-je ici toute ma pensée ? Il m’est arrivé souvent, en fermant avec humeur le volume de Don Juan de Byron, les facéties presque toujours sacrilèges de Heine, et quelquefois les poésies trop juvéniles et trop rabelaisiennes de Musset, il m’est arrivé, dis-je, de comparer l’impression que j’avais reçue dans ces volumes léthifères à une Morgue de la pensée où l’on va, pour les reconnaître, contempler avec répugnance et dégoût les choses mortes et décomposées du cœur humain ! […] Ne sens-tu pas qu’un pareil système n’est propre qu’à dégrader d’autant la pensée dans le monde ? […] Si tu laisses diminuer dans ton enseignement la part immense et principale qui doit appartenir à la pensée dans l’homme, c’est ton âme elle-même que tu diminues pour toi et pour les générations qui naîtront de toi ; et quand on aura diminué ainsi l’âme de cette grande nation intellectuelle, c’est sa place dans le monde et dans les siècles que vous aurez faite plus petite avec votre propre compas !

1787. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XIV » pp. 126-174

Ses yeux ont des rayons de lumière qui pénètrent jusqu’aux pensées et jusqu’aux secrets des cœurs. […] Ces mots qui naissaient du travail de la pensée et du mouvement de la conversation, n’étaient sûrement pas les plus mauvais. […] Elle donne force à la loi, à la foi, au roi, à cet autre mot qui est l’abrégé de toutes nos pensées, le mot moi ; enfin elle donne sa force à la voix. […] Mais comme l’approbation des yeux est d’un ordre inférieur au mérite de ces belles, elles s’élèvent par la raison et par l’esprit, et tâchent de fonder en droit les passions qu’elles peuvent faire naître Il y a les beautés fières et les beautés sévères : les premières souffrent les désirs accompagnés de respect : le respect n’adoucit pas les sévères ; ni les unes ni les autres ne sont invincibles. » De Pure ajoute qu’elles font solennellement vœu de subtilité dans les pensées, et de méthode dans les désirs. […] Elles les font travailler tout leur soûl, sur toutes les pensées qui leur tombent dans l’esprit.

1788. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre premier. Des principes — Chapitre II. Axiomes » pp. 24-74

Fable, convenance, pensée, expression, etc. […] Cet axiome nous explique la formation des pensées poétiques. Elles sont l’expression des passions et des sentiments, à la différence des pensées philosophiques qui sont le produit de la réflexion et du raisonnement. […] Ils se trouvèrent ainsi épais sur toute la terre, lorsque le tonnerre se faisant entendre pour la première fois depuis le déluge, les ramena à des pensées religieuses, et leur fit concevoir un Dieu, un Jupiter ; principe uniforme des sociétés païennes qui eurent chacune leur Jupiter. […] Elle est digne de nos méditations, cette pensée de Dion Cassius : la coutume est semblable à un roi, la loi à un tyran  : ce qui doit s’entendre de la coutume raisonnable, et de la loi qui n’est point animée de l’esprit de la raison naturelle.

1789. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Le général Jomini. [IV] »

Il se croyait plus résolu intérieurement qu’il ne l’était : il eût suffi jusqu’au dernier moment sans doute d’un retour de justice pour l’arrêter et faire rebrousser le cours de ses pensées. […] Cette « démarche violente », comme lui-même la qualifie, coïncidait avec l’arrivée de Moreau au quartier général des Alliés : elles se lièrent et se confondirent dans la pensée des contemporains. […] Jomini, tel que je me le figure alors, assez grand, mince, distingué de physionomie, à la fois vif et réservé sous sa fine moustache brune, n’avait point assurément la mine d’un sabreur ; il n’avait pas l’air de vouloir tout pourfendre amour de lui ; il était, en son temps, du petit nombre des militaires qui avaient, comme on dit, leur pensée de derrière, qui raisonnaient et critiquaient (Saint-Cyr, Dessolle, Haxo, Campredon…). […] M. de Senfït, qui n’était coupable que d’avoir trop obéi à la pensée confidentielle de M. de Metternich, fut rappelé le 1er janvier 1814.

1790. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. EUGÈNE SUE (Jean Cavalier). » pp. 87-117

A ce moment une fatale pensée traverse l’âme d’Arthur ; les avis funèbres de son père se réveillent, le germe de méfiance remue en lui : n’est-il pas dupe d’une feinte intéressée ? […] Sue me pardonnera de lui proposer toute ma pensée. […] Il nous a permis au reste de suivre les diverses transformations de sa pensée sur cette question même. […]  — Il y a quelqu’un de très-connu qui a dit : « Quand je vois un tas de boue, j’y vas, et je crois que tout le monde est comme moi. » C’est là un bien vilain mot et une bien diabolique pensée ; je ne serais pourtant pas étonné du tout (et j’en pourrais donner au besoin plus d’une raison) que l’auteur, osant tout ce qu’il savait, se fût dit ce mot-là pour article premier de sa poétique, lorsqu’il transporta d’abord ses lecteurs dans la rue aux Fèves.

1791. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « L’abbé Prévost »

Mais ce qui nous donne à songer plus particulièrement et ce qui suggère à notre esprit mille pensées d’une morale pénétrante, c’est quand il s’agit d’un de ces hommes en partie célèbres et en partie oubliés, dans la mémoire desquels, pour ainsi dire, la lumière et l’ombre se joignent ; dont quelque production toujours debout reçoit encore un vif rayon qui semble mieux éclairer la poussière et l’obscurité de tout le reste ; c’est quand nous touchons à l’une de ces renommées recommandables et jadis brillantes, comme il s’en est vu beaucoup sur la terre, belles aujourd’hui, dans leur silence, de la beauté d’un cloître qui tombe, et à demi couchées, désertes et en ruine. […] On l’occupa successivement dans les diverses maisons de l’Ordre à Saint-Ouen de Rouen, où il eut une polémique à son avantage avec un jésuite appelé Le Brun ; à l’abbaye du Bec, où, tout en approfondissant la théologie, il fit connaissance d’un grand seigneur retiré de la cour qui lui donna peut-être la pensée de son premier roman ; à Saint-Germer, où il professa les humanités ; à Évreux et aux Blancs-Manteaux de Paris, où il prêcha avec une vogue merveilleuse ; enfin à Saint-Germain-des-Prés, espèce de capitale de l’Ordre, où on l’appliqua en dernier lieu au Gallia Christiana, dont un volume presque entier, dit-on, est de lui. […] Ceux qui m’accusent, comme ce léger M. de Loménie (qui n’est qu’un écho de son monde), d’avoir attendu la mort de M. de Chateaubriand pour laisser voir ma pensée à son sujet, ne m’ont pas bien lu. […] Le biographe de l’édition de 1810, qui est le même que celui de l’édition de 1783, a copié sur ce point le biographe qui a publié les Pensées de l’abbé Prévost en 1764, et qui lui-même s’en était tenu aux explications insérées dans le nombre 47 du Pour et Contre. — On a imprimé dans je ne sais quel livre d’Ana, que Prévost étant tombé amoureux d’une dame, à Hesdin probablement, son père, qui voyait cette intrigue de mauvais œil, alla un soir à la porte de la dame pour morigéner son fils au passage, et que celui-ci, dans la rapidité du mouvement qu’il fit pour s’échapper, heurta si violemment son père que le vieillard mourut des suites du coup.

1792. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLIXe entretien. De la monarchie littéraire & artistique ou les Médicis (suite) »

Il faisait cependant des allusions obscures à la pensée qui le dominait en présence d’Alexandre lui-même. […] Lorenzino se sauva jusqu’à Constantinople, revint ensuite à Venise, y vécut onze ans et mourut assassiné par deux soldats florentins, laissant une renommée équivoque entre l’héroïsme et la folie, juste punition d’un forfait plus semblable à un caprice qu’à une pensée. […] Se secouant aussitôt, il s’écria : « Loin, bien loin de ma pensée de souffrir que mon Jésus qui m’a créé et qui m’a racheté vienne jusqu’à mon lit. […] Par le mouvement de ses lèvres, par ses yeux vers le ciel, par l’agitation de ses doigts, il montrait qu’il en savait par cœur toutes les pensées et tous les mots.

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