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586. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « M. Émile de Girardin. »

La Presse était devenue, comme on l’appelait, « le journal conservateur de la République. » Pour être conservateur dans un ordre de choses qui allait si vite et qui se déplaçait à chaque moment, il fallait se mettre au pas et se multiplier : c’est alors que M. de Girardin prit cette fameuse devise : Une idée par jour ! […] ici nous sommes prêts à reconnaître, nonobstant toutes les exceptions flagrantes, une tendance générale de la société et de la civilisation vers l’ordre d’idées pacifiques et économiques prêchées par M. de Girardin ; et c’est ce qui a fait dire de lui à M. de Lamartine en une parole heureuse et magnifique comme toutes ses paroles : « Chez Girardin le paradoxe, c’est la vérité vue à distance. » Mais à quelle distance ? […] Il y a mieux : ce parfait état de société, cet ordre idéal et simple que M. de Girardin a en vue, je le suppose acquis et obtenu, je l’admets tout formé comme par miracle : on a un pouvoir qui réalise le vœu du théoricien ; qui ne se charge que de ce que l’individu lui laisse et de ce que lui seul peut faire : l’armée n’est plus qu’une force publique pour la bonne police ; l’impôt n’est qu’une assurance consentie, réclamée par l’assuré ; l’individu est libre de se développer en tous sens, d’oser, de tenter, de se réunir par groupes et pelotons, de s’associer sous toutes les formes, de se cotiser, d’imprimer, de se choisir des juges pour le juger (ainsi que cela se pratique pour les tribunaux de commerce), d’élire et d’entretenir des ministres du culte pour l’évangéliser ou le mormoniser… ; enfin, on est plus Américain en Europe que la libre Amérique elle-même, on peut être blanc ou noir impunément. […] car la liberté, ce n’est que le moyen auquel on avait droit : la liberté ne dispense pas d’être habile, et cette habileté, dans un tel ordre de société, est encore plus nécessaire aux gouvernés qu’aux gouvernants.

587. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Jean-Bon Saint-André, sa vie et ses écrits. par M. Michel Nicolas. »

La prudence est encore plus nécessaire aux princes qu’aux simples particuliers… » Et il parlait avec sensibilité de la prochaine réunion des États Généraux, exhortant chacun de ceux qui y étalent appelés à faire effort pour le bien dans sa ligne et dans sa mesure, à concourir au règlement de la chose publique, au rétablissement de l’ordre dans les diverses parties de l’administration, « afin de redonner à notre bon roi, disait-il, la tranquillité et le bonheur qu’il a perdus et dont il est si digne. » Celui qui lui aurait prédit alors, et ce jour-là, que trois ans et demi après, nommé membre d’une Convention avec mandat de juger ce même roi, il aurait hâte d’en finir au plus tôt avec lui et de faire le plus sommairement tomber sa tête, — celui qui lui aurait prédit que son premier discours à cette Convention nationale serait non plus pour louer ce bon roi, mais pour célébrer « le bon peuple » qui l’y avait porté et qui venait de lui conférer à ses collègues et à lui une mission terrible, souveraine, une mission de nivellement estimée par lui légitime, irrésistible et régénératrice, l’aurait certainement bien étonné. […] Homme obscur, ignoré dans la république des lettres ; jeté, par cette force invisible qui maîtrise nos destinées, dans les agitations d’une vie errante et toujours malheureuse ; appelé, par un concours de circonstances extraordinaires, à des emplois redoutables, où le moment de la réflexion était sans cesse absorbé par la nécessité d’agir ; remplissant encore aujourd’hui des fonctions administratives, bien plus par l’amour de la justice et l’instinct du devoir que par la connaissance approfondie des principes sur lesquels nos grands maîtres ont établi l’art si difficile de l’administration publique ; demeuré, par une captivité longue et douloureuse, presque entièrement étranger aux nouveaux progrès que des savants recommandables ont fait faire à la science, mon premier devoir, Citoyens, est de faire ici l’aveu public de mon insuffisance, et de vous déclarer que tout ce que je puis offrir à cette Société respectable est l’hommage sincère, mais sans doute impuissant, de ma bonne volonté… » Et se voyant amené, par l’ordre des idées qu’il développait dans ce discours, à parler de la Révolution française, explosion et couronnement du xviiie  siècle, de « cette Révolution à jamais étonnante qui, déplaçant tout, renversant tout, après des essais pénibles, souvent infructueux, quelquefois opposés, avait fini par tout remettre à sa véritable place », il s’écriait, cette fois avec le plein sentiment de son sujet et avec une véritable éloquence : « La Révolution ! […] Les illusions théoriques dont il était nourri se montrent et s’étalent avec naïveté dans une Opinion sur l’Éducation nationale qui fut imprimée par ordre de la Convention. […] Sept de ces vaisseaux étaient pour le moment rentrés à Portsmouth sous les ordres de l’amiral Montagu ; il en restait vingt-six avec les douze frégates dans les eaux de Brest.

588. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Méditations sur l’essence de la religion chrétienne, par M. Guizot. »

Il a en lui certainement un principe de foi ; il a sucé dès l’enfance une croyance, il ne s’en est jamais complètement sevré ou guéri ; il y revient avec bonheur, et il aime, comme Royer-Collard, à rentrer plus strictement dans l’ordre et dans la règle en vieillissant. […] C’est pourtant là ce qui serait, si toute foi au surnaturel s’éteignait dans les âmes, si les hommes n’avaient plus, dans l’ordre surnaturel, ni confiance ni espérance… « L’histoire naturelle, dit-il encore, est toute la science des époques matérialistes et, pour le dire en passant, c’est là que nous en sommes. […] Aussi le répéterai-je encore, il vit pour le mieux en dehors des liens, exempt et affranchi de ce qu’entraînent à leur suite les relations de famille, les devoirs de société, les convenances publiques et oratoires : dès qu’on entre dans cet ordre mixte, le point de vue change ; il y a lieu de payer tribut, plus ou moins, au décorum de l’humanité, à ses désirs, à ses préjugés et à ses conventions honorables, aux bienfaits immédiats et à l’utilité pratique qui en découlent. […] Cet esprit vigoureux et net aime l’ordre en tout, il le veut, il le fait ; il désire l’accommoder avec une certaine liberté sans doute, mais avec une liberté limitée.

589. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Histoire des cabinets de l’Europe pendant le Consulat et l’Empire, par M. Armand Lefebvre (suite et fin.) »

Le service inappréciable que rendit alors l’historien du Consulat et de l’Empire fut d’apporter de l’ordre dans cette confusion, de nous développer avec étendue et clarté les motifs de son admiration et de la nôtre, au triple point de vue militaire, administratif, civil. […] Quand la nature crée un homme supérieur et d’une supériorité de premier ordre, quand elle l’a fondu et coulé tout d’un jet dans un de ses plus beaux moules humains, si cet homme, après avoir fourni sa grande carrière, tombe ou sort de la scène dans la plénitude de la vie et de ses facultés, sans que la maladie ou l’âge soit venu l’altérer ou l’affaiblir, il est bien clair qu’il est et qu’il a dû rester le même pendant toute cette durée de son rôle actif, que les événements n’ont fait que le produire, un peu plus tôt ; un peu plus tard, sous ses aspects différents, le montrer et le développer plus ou moins dans quelques-unes de ses dispositions naturelles et donner occasion à ses qualités ou à ses défauts primitifs de se manifester dans tout leur relief ou même dans leur exagération ; mais il y avait en lui, dès le principe, le germe et remboîtement de tout ce qui est sorti. […] Mais aussi, dans l’autre supposition, vous avez un grand homme raisonnable, un de ceux qui n’en prennent pas plus qu’ils n’en peuvent garder : dans l’ordre de la guerre, vous avez un Turenne, un Wellington ; dans l’ordre politique, un Washington ou même, entre les plus audacieux, un Cromwell, ou parmi les rois conquérants un Frédéric, et non un de ceux qui, s’élançant hors des orbites connues, agissent puissamment à distance sur l’imagination des hommes et qui hâtent, qui précipitent en quelques années les destins de l’univers.

590. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Mémoires de Malouet »

. — Puis, la Terreur passée, il y a eu les hommes fermes, modérés, honorables, qui ont essayé de fonder l’ordre et le régime républicain en dépit des réactions, les hommes de l’an iii, Thibaudeau, Daunou, La Revellière-Lépeaux… — Je compterai ensuite une autre génération d’hommes politiques, ceux de 1797, de la veille de Fructidor, très honnêtes gens d’intention, un peu prématurés d’action et d’initiative, qui voulaient bien peut-être du régime légalement institué, mais qui le voulaient avec une justice de plus en plus étendue et sans les lois d’exception : les Barbé-Marbois, les Portalis, les Camille Jordan. — Enfin il y eut, à la dernière heure du Directoire, les hommes qui en étaient las avec toute la France, qui avaient soif d’en sortir et qui entrèrent avec patriotisme dans la pensée et l’accomplissement du 18 brumaire : Rœderer, Volney, Cabanis… Je crois que je n’ai rien omis, que tous les moments essentiels de la Révolution sont représentés, et que chacun de ces principaux courants d’opinion vient, en effet, livrer à son tour au jugement de l’histoire des chefs de file en renom, des hommes sui generis qui ont le droit d’être jugés selon leurs convictions, selon leur formule, et eu égard aux graves et périlleuses circonstances où ils intervinrent. […] La nécessité d’une bonne contenance, d’une conduite mesurée et d’une circonspection habituelle dans une société d’un ordre supérieur, redressa tous mes écarts d’imagination et calma une vivacité de caractère qui, sans ce secours, m’eût conduit fréquemment à l’étourderie. […] Je tire d’un des premiers mémoires qu’il composa pour un des comités de l’Assemblée cette page curieuse, qui se rapporte à son intendance de Toulon, et qui achève de nous édifier sur ce que c’était que l’ancien régime, confié même aux meilleures mains : « J’ai quatre-vingts commis sous mes ordres qui travaillent du matin au soir ; ils expédient annuellement pour le ministre plus de vingt rames de papier ; ils tiennent plus de quatre cents registres et plus de huit cents rôles. […] « Cependant, dans cette surabondance de moyens, il me manque ceux de rendre des comptes et de m’en faire rendre ; d’assurer les approvisionnements, de pourvoir aux besoins pressants, de régler les dépenses, de résister aux consommations, de m’occuper efficacement de ce qui est nécessaire et de proscrire ce qui est inutile ou nuisible, c’est-à-dire que ce que je ne fais pas constitue l’administration, et ce que je fais pourrait en être retranché, ainsi que ma place et une grande partie des papiers et des commis. » Quand on en est là dans tous les ordres, les réformes graduées, telles que les concevait Malouet et qu’il les provoquait de ses conseils comme de ses vœux, sont-elles possibles, et n’en est-on pas venu, bon gré, mal gré, à ce point extrême où, à moins d’un génie au sommet, il n’y a d’issue qu’une révolution ?

591. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « DIX ANS APRÈS EN LITTÉRATURE. » pp. 472-494

Certes, s’il ne s’agit que d’apprécier les ressources et la portée du génie individuel, l’étendue de ressort qu’on lui pouvait supposer, les applications plus ou moins larges qui s’en pouvaient faire, nous dirons que M. de La Mennais dans son ordre, et M. de Lamartine dans le sien, ont témoigné une flexibilité, une vigueur ou une grâce, une amplitude en divers sens, que leurs premières œuvres ne démontraient pas. […] Il s’en est produit très-peu de nouveaux et d’entièrement nets au soleil : dans l’ordre de l’imagination, M. de Balzac, George Sand ; dans l’ordre politique, M. de Tocqueville. […] Décidément, la littérature qui a suivi l’ordre de choses du 8 août144 ne paraît pas, non plus que la politique, devoir se marquer par quelques grandes influences centrales, glorieuses, qui dominent le reste, et autour desquelles tout se subordonne avec plus ou moins d’harmonie en monument.

592. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre VI, « Le Mariage de Figaro » »

« Le roi ne veut pas qu’on la joue, disait-il, donc on la jouera. » On va la jouer sur le théâtre des Menus, quand un ordre du roi l’interdit. […] Il y avait dans le Barbier quelques épigrammes : mais ici toute la comédie est une effrontée dérision  de l’ordre établi. […] En vérité, ce que représente Figaro, c’est le monde des faiseurs de tout ordre, hommes d’État, littérateurs ou financiers, ambitieux, intelligents, effrontés, qui courent à l’assaut des places et à la conquête de l’argent : je ne vois pas qu’il travaille véritablement pour le peuple. […] Outre l’importance que lui donne sa signification politique, la pièce a encore par sa forme un intérêt d’un autre genre, et de premier ordre.

593. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre II : La littérature — Chapitre III : La littérature du xviiie et du xixe  siècle »

Enfin il nous dit que « Montesquieu a paru plus près de vouloir le maintien des abus que le renversement de l’ordre établi ». […] On peut discuter dans la pratique sur le plus ou moins d’opportunité de cette liberté, sur les conditions plus ou moins larges qui lui seront faites ; mais, dans l’ordre spéculatif, philosophique et moral, qui oserait nier que le principe de la liberté politique ne soit au nombre des quatre ou cinq plus grandes idées de l’esprit humain ? […] Maintenant, l’expérience et la réflexion nous apprennent que ce siècle ne se suffit pas à lui-même, qu’il n’a pas en lui un principe d’ordre et de durée, que parmi les pensées du siècle précédent, s’il y en a qui ont pu disparaître avec le temps, il en est d’autres qui sont éternelles, et sans lesquelles aucun ordre de société ne peut durer.

594. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre V. Seconde partie. Des mœurs et des opinions » pp. 114-142

Les ordres sont donnés, les dépêches sont expédiées, les affaires sont finies ; il ne lui reste plus qu’à être Français aimable, à causer dans la chambre des dames. […] La couronne, protectrice de tous les ordres d’un état, favorisait cette marche progressive : c’était son devoir. […] Quoi qu’on dise contre l’ordre de choses qui existait autrefois, il n’en est pas moins vrai qu’il résultera un grand inconvénient de cette ambition sans mesure, fruit de l’ordre de choses actuel.

595. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Philarète Chasles » pp. 111-136

J’ai ouï dire que ce fut assez tard que Philarète Chasles reçut le baptême ; mais le baptême n’efface que le péché originel dans l’homme, il ne remplace pas l’éducation chrétienne qui fait les seuls forts dans l’ordre moral comme les seuls voyants dans l’ordre intellectuel. […] Il y trouva Jacques II (Histoire de Guillaume III), Jacques II, aussi absolu dans l’ordre de l’action que J. de Maistre dans l’ordre de la pensée, et voilà qu’après avoir reconnu la grandeur de l’un, il méconnaît inconséquemment la grandeur de l’autre.

596. (1901) Des réputations littéraires. Essais de morale et d’histoire. Deuxième série

L’explication que nous cherchons se trouve toute dans un ordre de faits bien moins relevé. […] Fermons maintenant les compartiments, et qu’on ne dérange plus ce bel ordre ! […] Cet ardent souci du souvenir des hommes, au moment de périr par une mort violente, a déjà son ordre de grandeur. […] Gazier95, dans quel ordre ils se présenteraient. […] Mais, en somme, on ne s’y dispute guère, et ce qui me frappe beaucoup plus que quelques cris discordants, c’est l’ordre et le silence.

597. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome IV pp. 5-

Sur l’exorde, l’invocation, l’ordre des chants, et la conclusion ou dénouement. […] L’ordre des chants. […] Nous sentirons mieux quel préjudice un malheureux ordre des chants apporte à la fable. […] Cet ordre de chants totalement graves y fait régner l’ennui, malgré les beautés majeures qui prédominent par intervalles. […] On eût souhaité que l’ordre de ses chants eût été vraiment épique et non historique.

598. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre premier. Impossibilité de s’en tenir à l’étude de quelques grandes œuvres » pp. 108-111

Suffit-il de mettre côte à côte ces études particulières, de présenter dans un ordre vaguement chronologique un monceau de vérités de détail sans lien entre elles ? […] Sans doute un homme peut être un esprit de premier ordre et, malgré cela ou quelquefois par cela même, être en lutte avec le courant dominant.

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