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1080. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Histoire de la littérature anglaise par M. Taine. »

Tel professeur de nos amis, à l’œil mi-clos et au fin sourire, un demi-Gaulois homme de goût15, trouvait moyen de la sorte d’être à la fois légèrement paresseux et avec cela excitateur. […] A côté du bien et de l’excellent, quelques inconvénients sautent aux yeux et se font aussitôt sentir : on n’est pas impunément élevé dans les cris de l’École ; on y prend le goût de l’hyperbole, comme disait Boileau. […] De cent lieues en cent lieues le terrain change : ici, des montagnes brisées et toute la poésie de la nature sauvage ; plus loin, de longues colonnades d’arbres puissants qui enfoncent leur pied dans l’eau violente ; là-bas, de grandes plaines régulières et de nobles horizons disposés comme pour le plaisir des yeux ; ici la fourmilière bruyante des villes pressées, avec la beauté du travail fructueux et des arts utiles. Le voyageur qui glisse sur cette eau changeante a tort de regretter ou de mépriser les spectacles qu’il quitte, et doit s’attendre à voir disparaître en quelques heures ceux qui passent en ce moment sous ses yeux. » Admirable et agréable page !

1081. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Essai sur Talleyrand (suite.) »

Une femme célèbre, déterminée à lutter avec le vainqueur d’Italie, l’interpella au milieu d’un grand cercle, lui demandant quelle était, à ses yeux, la première femme du monde, morte ou vivante : « Celle qui a fait le plus d’enfants », lui répondit-il en souriant. » C’est là le lieu de ce fameux mot en réponse à Mme de Staël, et qui a tant couru : elle voyait également pour la première fois le général Bonaparte, elle essayait d’emblée sur lui la fascination de son éloquence. […] Mais un nouvel intérêt commun fait passer aisément l’éponge sur d’anciens griefs et rapproche vite les politiques ; on ferma les yeux des deux côtés : « Talleyrand craignait d’être mal reçu de Napoléon. […] Un honnête homme bien informé, Meneval, affirme le fait du conseil donné, et il avait vu de ses yeux une lettre accusatrice qui aurait échappé aux précautions du coupable. […] Cela deviendra plus sensible lorsqu’on aura sous les yeux les fameux Mémoires.

1082. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre V. La littérature et le milieu terrestre et cosmique » pp. 139-154

elle ne le fait pas penser seulement à un sol repu de cadavres ; c’est, à ses yeux, le royaume de la force, de l’injustice, l’impitoyable cirque où les faibles sont dévorés par les forts. […]   Il apprend que sa face, ou riante ou chagrine, N’est qu’un spectre menteur ; tendre fils, il apprend Qu’elle offre sans tendresse à ses fils sa poitrine, Et berce leur sommeil d’un pied indifférent ;   Que c’est pour elle et non pour eux qu’elle travaille ; Que son grand œil d’azur leur sourit sans regard ; Que l’homme dans ses bras meurt sans qu’elle en tressaille, Né de père inconnu dans un lit de hasard. […] Tournée vers le couchant, elle semble suivre des yeux et du cœur le soleil qui plonge dans les abîmes de la mer et les vieilles choses qui s’enfoncent dans la nuit du passé. […] N’est-ce pas lui qui s’écrie (octobre 1847)  : « Penser que peut-être jamais je ne verrai la Chine ; que jamais je ne m’endormirai au pas cadencé des chameaux ; que jamais peut-être je ne verrai dans les forêts luire les yeux d’un tigre accroupi dans les bambous !

1083. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Bain — Chapitre III : Les Émotions »

Ces émotions relâchent les muscles, affaiblissent les fonctions digestives, agissent sur la peau, les yeux, les cheveux. […] Physiquement, le système n’est ouvert qu’à une seule chose ; nous sommes « tout yeux ou tout oreille. » Psychologiquement, tout autre plaisir, toute peine étrangère sont suspendus ; nous sommes entièrement à l’objet que nous poursuivons, les préoccupations objectives étant anesthésiques par nature. […] Pour que des sensations aient le caractère esthétique, il faut donc qu’elles ne soient pas la simple propriété de l’individu ; c’est ce qui fait que l’œil et l’oreille sont les sens esthétiques par excellence. […] Le sentiment de notre propre pouvoir se déploie en ce moment par sympathie avec le pouvoir qui se déploie à nos yeux. » L’Océan, un volcan en éruption, les cimes alpestres, un ouragan, nous causent l’émotion idéale d’un pouvoir transcendant.

1084. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre VI. Pour clientèle catholique »

Ses explications gourdes ne persuadent jamais et leur fausseté avocassière est visible aux yeux les plus naïfs. […] Savez-vous ce qu’avaient fait les yeux d’Antoinette ? […] J’aime d’admiration l’écrivain paradoxal et vigoureux, le métaphysicien qui prolonge parfois le dogme catholique en des profondeurs de vertige et de ténèbres ; mais on sent soudain une main rude et forte vous soutenir et, brusques éclairs qui traversent l’abîme, des images inattendues fulgurent devant vos yeux de la menace et de la clarté. […] Toutes les tendances combattaient et hurlaient dans ces fournaises et ceux qui aimaient l’auteur, fermant les yeux aux raisons de craindre, criaient à eux-mêmes et aux autres les raisons d’espérer.

1085. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre XIV : De la méthode (Suite) »

Paul a cinquante ans environ ; il est un peu courbé, maladif et maigre ; ses traits sont amincis, et tirés par l’habitude de la réflexion, et ses beaux yeux noirs, pleins de pénétration et d’ardeur, semblent ordinairement voir autre chose que ce qu’il regarde. […] Il y a un rongeur nommé mus typhlus dont l’œil est couvert d’une peau opaque et poilue, en sorte qu’il est aveugle. […] Nous attachons nos yeux sur ces définitions souveraines ; nous contemplons ces créatrices immortelles, seules stables à travers l’infinité du temps qui déploie et détruit leurs œuvres, seules indivisibles à travers l’infinité de l’étendue qui disperse et multiplie leurs effets. […] Ils se sont envolés d’un bond dans la loi première, et, fermant les yeux sur la nature, ils ont tenté de retrouver, par une déduction géométrique, le monde qu’ils n’avaient pas regardé.

1086. (1910) Études littéraires : dix-huitième siècle

Il voit passer l’homme, et il a l’œil bon, et cela lui suffit très bien. […] Ils se meuvent devant ses yeux ; il les voit circuler et se promener par le monde. […] Le philosophe de 1715 épuise ses yeux à disséquer un insecte. […] En voulez-vous une preuve qui saute aux yeux ? […] Et encore on sent bien qu’il y a là insuffisance de nos yeux et non des siens.

1087. (1895) Les confessions littéraires : le vers libre et les poètes. Figaro pp. 101-162

Il faudrait faire comprendre au poète que la rime est faite pour l’oreille et non pour l’œil. […] nous ne serons plus obsédés de leur rareté, et leurs maîtresses — ce sera suffisant — les goûteront fort, pourvu qu’il leur soit dit qu’elles ont des yeux de bleuets, la taille des déesses, le cœur paradisiaque ! […] Amère, ô mes yeux, est votre onde Pour Aphrodite et la Joconde ! […] Amère, ô mes yeux, est votre onde Pour Aphrodite et la Joconde ! […] Ce sera de la musique pour les yeux.

1088. (1864) Corneille, Shakespeare et Goethe : étude sur l’influence anglo-germanique en France au XIXe siècle pp. -311

Plus d’un avait tourné les yeux vers ce pays de la méditation solitaire, à la suite des guerres des bords du Rhin. […] Quels sont ces nouveaux types du beau qu’il met sous nos yeux ? […] Or René se dessine à nos yeux dans son type et se dresse comme une statue. […] Elle n’a, comme l’œil, qu’un étroit horizon. […] Et le père, à mes yeux, quand voudra-t-il paraître Le père !

1089. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Lettre sur l’orthographe » pp. 427-431

L’idée donc me paraît excellente ; et je me figure très bien une personne, une femme élégante, qui fait son courrier dans son boudoir devant témoins, pendant qu’on jase autour d’elle, et qui ne serait pas fâchée de pouvoir se fixer sur l’exacte orthographe d’un mot, sans se lever toutefois et se déranger, sans déceler son doute, sans avoir recours même au plus portatif et au plus maniable des dictionnaires : elle n’a, maintenant, qu’à tourner d’une main négligente et comme par distraction son papier ; elle a l’air, tout au plus, de chercher le quantième du mois, et son œil est tombé précisément sur le mot qui faisait doute et qu’elle avait mal mis. […] Rien, à mes yeux, ne trahit son homme comme une faute d’orthographe.

1090. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Rêves et réalités, par Mme M. B. (Blanchecotte), ouvrière et poète. » pp. 327-332

Si l’on voit dans mon œil quelque larme furtive, Si l’on sent dans ma voix quelqu’écho déchirant, Chantez, amis ! […] Une jeune Espagnole aux grands yeux pénétrants ; Et sa voix se mêlait à la voix des rafales Qu’on entendait mugir au-dessus des torrents… Si j’osais conjecturer, je dirais que par toutes ces figures diverses qu’a évoquées autour d’elle l’imagination de l’ouvrière-poète, elle s’est plu à multiplier, comme dans un miroir légèrement enchanté, des images d’elle-même, et elle n’a changé que juste ce qu’il fallait pour pouvoir dire : Ce n’est pas moi !

1091. (1874) Premiers lundis. Tome I « Dumouriez et la Révolution française, par M. Ledieu. »

Tel Dumouriez se dessine à nos yeux dans l’histoire, tel il ne se reproduit point dans l’ouvrage de M.  […] C’est sur ces entrefaites que Louis XVIII, retiré à Mittau, jeta les yeux sur Dumouriez.

1092. (1874) Premiers lundis. Tome I « Fenimore Cooper : Le Corsaire Rouge »

Le bon Richard Fid ne peut s’empêcher de comparer la minceur élégante de ses haubans et de ses étais à la taille de Nelle Dalle, quand les cordages du corset ont été bien serrés, et, selon lui, toutes ces poulies, placées juste à la distance convenable les unes des autres, sont comme les yeux de la chère enfant sur un visage qui fait plaisir à voir. […] Un galion espagnol tout chargé d’or, ou une riche cargaison hollandaise ne vaut pas à ses yeux l’honneur d’humilier l’Allemand qui siège au trône d’Angleterre, le plaisir de faire couler Saint-George au fond de l’eau.

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