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1673. (1892) Les idées morales du temps présent (3e éd.)

Le Chatterton d’Alfred de Vigny définit ainsi la fonction du poète : « Le poète montre aux étoiles la route que trace le doigt du Seigneur. » Cela ne veut peut-être rien dire ; mais c’est superbe quand même, parce que ces quelques mois suffisent à évoquer l’image d’une belle nuit sereine, où la pensée, dégagée de ses terrestres entraves, s’élève dans la paix du ciel étoilé, très vague, très pure, libre et souveraine. […] Ils ressemblent à des voyageurs égarés dans la nuit, qui voient loin devant eux briller des lumières. […] Chaque soir, en quelque coin de la terre, la nuit tombe sur un drame qu’il faudrait applaudir à genoux. » Dans sa pensée, il s’agit d’un de ccs drames publics dont les nations sont les protagonistes : c’est le drame interminable — mêlé parfois d’un peu de comédie — qui, depuis plus de mille ans, se joue à Rome, aux pieds du trône pontifical ; c’est celui qui a fixé l’attention du monde sur la double agonie des deux premiers empereurs d’Allemagne ; ou, celui qui ballotte à travers ses péripéties les destinées de l’Asie ou celles de l’Afrique ; et d’autres encore, qui rappellent d’illustres scènes du passé, qui évoquent de grandioses ou tragiques figures. […] Emile Vitta, dont le ton jure si fort avec celui des vers qu’on applaudissait, il y a dix ans, dans les cénacles : … Ô vous, derniers enfants d’un siècle qui décline, Nés dans un crépuscule où tout semblait finir, Vous qui sentez, comme eux, par-delà la colline, Fraîchir le vent du soir, tressaillir l’avenir, Vous qui sentez comme eux, malgré votre ignorance, Dans la brise des nuits passer des mots troublants, Et la terre et le ciel frissonner d’espérance, Dans l’humide brouillard dressez vos fronts tremblants ! […] Malgré le froid, malgré le vent, malgré la nuit, Vous sentirez bientôt, récompense première, Le lourd piétinement du troupeau qui vous suit.

1674. (1898) Manuel de l’histoire de la littérature française « Livre II. L’Âge classique (1498-1801) — Chapitre II. La Nationalisation de la Littérature (1610-1722) » pp. 107-277

Vous aurez beau leur dire que les couleurs sont dans les yeux de ceux qui les regardent et non dans les objets ; les dames ne veulent point dépendre des yeux d’autrui pour leur teint ; elles veulent l’avoir à elles en propre, et s’il n’y a point de couleur la nuit, M. de M… est donc bien attrappé, qui est devenu amoureux de Mlle D.  […] Mais maintenant que le vieux roi ne se soucie plus d’elles, en attendant que le régent les traite comme on sait qu’il fera, leur naturelle influence renaît, et pour préluder aux « grandes nuits de Sceaux », voici briller chez Mme de Lambert les beaux jours, qu’on croyait évanouis, de l’hôtel de Rambouillet. […] — Son inquiétude habituelle ; — ses distractions ; — ses changements de lieux ; — sa vie cachée ; — ses manies. — Curieux fragments de son Journal ; — ses illuminations et ses songes ; — la mémorable nuit du 10 novembre 1619, où « il lui sembla que du haut du ciel l’esprit de vérité descendit sur lui pour le posséder ». — On ne trouve point de semblables traits dans la vie de Corneille ; — et encore moins dans celle de Malherbe. — Qu’il serait temps de les faire entrer dans la composition du caractère historique de Descartes, — et dans les considérants du jugement à porter sur sa philosophie. […] Que cette manière d’écrire est précisément l’inverse de celle des précieux ; — qui disent des choses fort simples d’une manière très compliquée. — 3º Que d’ailleurs cette simplicité ne nuit ni à l’élégance, ni surtout à la hardiesse ; — et que Racine est l’un des écrivains les plus audacieux qu’il y ait ; — ses alliances de mots ; — ses « raccourcis » d’idées [Cf.  […] — La traduction des Mille et Une Nuits, 1704-1708. — Si les Contes de Perrault méritent les éloges qu’on en a fait ?

1675. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « L’abbé Fléchier » pp. 383-416

[NdA] À la date de 1682, Fléchier écrivait encore à Mlle des Houlières dans le style de l’hôtel Rambouillet : « J’aurais assez bien reposé la nuit, si je n’avais eu aucune inquiétude de votre mal, et je sens bien que la joie de vous voir achèvera de me guérir.

1676. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « M. DE LA ROCHEFOUCAULD » pp. 288-321

Un peu de sottise avec beaucoup de mérite ne nuit pas : cela fait levain.

1677. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXIVe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (5e partie) » pp. 65-128

Voilà comment me la dépeignait un des rares témoins de ses derniers moments : XXVI « Deux prêtres, l’abbé Lambert et l’abbé Lothringer, les mêmes qui avaient entretenu les Girondins pendant la dernière nuit, attendaient au coin du feu, dans le grand cachot, en causant avec les porte-clefs et les gendarmes, l’heure où les accusés redescendraient du tribunal.

1678. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLIIe entretien. Madame de Staël »

La femme doit porter neuf mois son fruit dans son sein, l’enfanter dans la douleur, remplir pour lui ses mamelles du lait, premier aliment de l’homme ; approcher à toute heure du jour ou de la nuit cette source de vie des lèvres de son enfant, le porter dans ses bras pendant cette longue période de mois et d’années où le sein de la mère n’est pour ainsi dire qu’une seconde gestation de l’homme, lui apprendre à connaître, à balbutier, à aimer, à répondre à son sourire.

1679. (1828) Préface des Études françaises et étrangères pp. -

Racine et Corneille ont exploité magnifiquement ces trois antiquités, en les arrangeant, sans les dénaturer, selon le goût de leur siècle ; car les poètes dramatiques (et c’est ce qui nuit beaucoup à la durée de leurs ouvrages) ne peuvent pas toujours pousser très loin la fidélité des mœurs et la vérité du langage ; ils sont obligés, pour être entendus et goûtés, de prendre, dans leur style et dans leurs caractères, une moyenne proportionnelle entre le siècle qu’ils mettent sur la scène et le siècle dans lequel ils vivent.

1680. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Alphonse Daudet »

Sur le fond de l’immense pièce noyée d’ombre et ne recevant presque de clarté que par le vitrage arrondi, où la lune montait dans un ciel lavé, bleu de nuit, un vrai ciel d’opéra, la silhouette de la célèbre danseuse se détachait toute blanche, comme une petite ombre falotte, légère, impondérée, volant bien plus qu’elle ne bondissait ; puis debout, sur ses pointes fines, soutenue dans l’air seulement par ses bras étendus, le visage levé dans une attitude fuyante où rien n’était visible que le sourire, elle s’avançait vivement vers la lumière, ou s’éloignait en petites saccades si rapides qu’on s’attendait toujours à entendre un léger bris de vitre et à la voir ainsi monter à reculons la pente du grand rayon de lune jeté en biais dans l’atelier… Ce qui ajoutait un charme, une poésie singulière à ce ballet fantastique, c’était l’absence de musique, le seul bruit du rhythme, dont la demi-obscurité augmentait la puissance, de ce taqueté vif et léger, pas plus fort sur le parquet que la chute, pétale par pétale, d’un dahlia qui s’effeuille..

1681. (1927) Approximations. Deuxième série

Son travail, pour lequel en ses dernières années il finit par témoigner d’un appétit presque morbide, le soulageait, ne le guérissait point ; tel un dragon, son déplaisir dévorait avec une sombre satisfaction le tribut toujours grossissant des jours et des nuits laborieuses, mais sans que sa faim en fût assouvie. […] De retour en France, c’est Shakespeare encore que je retrouve avec Le Songe d’une Nuit d’été et Mesure pour mesure. Sur Le Songe d’une Nuit d’été, après le passage de Gérard d’Houville, il y aurait inconvenance et plus encore imprudence à revenir ici43. […] Les sources égouttées dans le silence de l’aurore et le réveil de la rainette égaient le pèlerin, mais plus encore au foyer de l’auberge assis, d’entendre dans la nuit craquer la neige sur les cèdres et la lointaine voix au loin de ces oiseaux mystérieux qu’enfante le courroux de la merbu. […] Il n’a pas épargné sa peine ; jusqu’à la nuit il a donné le même effort, et chaque minute lui semblait emplie à en déborder de sa besogne.

1682. (1939) Réflexions sur la critique (2e éd.) pp. 7-263

Mais injustice qui nuit (et Platon triompherait) à celui-là seul qui la commet. […] La phrase naît, fleurit, s’éclaire, par le même acte de splendeur native qui fait éclore de la nuit l’Acropole. « Des fleurs et des fruits humides de rosée sont moins suaves et moins frais que le paysage de Naples sortant des ombres de la nuit. » Je ne dirai pas qu’un paysage de la Méditerranée au lever du soleil est moins beau que les phrases de Chateaubriand. […] Elles aussi ont déraciné des chênes, elles se sont battues, non pas quatre jours et quatre nuits, mais des années, toute leur vie, et toujours avec grandeur, et toujours avec loyauté, toujours avec générosité.

1683. (1891) Politiques et moralistes du dix-neuvième siècle. Première série

Comme toute loi est nulle dont on coudoie les auteurs, toute race gouvernante est caduque dont on connaît l’origine ; il faut que ses commencements se perdent, au moins pour la foule, dans la nuit des légendes. […] Cela lui nuit. […] La nature, que les anciens avaient peuplée d’êtres protecteurs qui habitaient les forêts et les fleuves et présidaient à la nuit comme au jour, la nature est rentrée dans la solitude, et l’effroi de l’homme s’en est accru. » Si l’on s’écarte des théories pour ne regarder, en ce livre, qu’à l’impression d’ensemble et aux jugements auxquels l’esprit de système paraît étranger, ce qui frappe, c’est le goût de Mme de Staël pour toute la littérature à idées, et son intelligence moindre, il faut le dire, de tout ce qui, dans les lettres, est art pur. […] La nuit du 4 août a été une révolution littéraire très considérable, et la postérité dira peut-être que ce que 89 a le plus affranchi, c’est encore la littérature. […] « Et il voit ce qui l’entoure, la terre douce, le ciel serein, la paix silencieuse et calmante des choses : « Les ombres de la nuit s’épaississaient à chaque instant, le vaste silence qui m’environnait n’était interrompu que par des bruits rares et lointains… Je promenais mes regards sur l’horizon grisâtre dont je n’apercevais plus les limites, et qui, par là même, me donnait en quelque sorte le sentiment de l’immensité… La nuit presque tout entière s’écoula ainsi.

1684. (1891) Lettres de Marie Bashkirtseff

Chère tante, Enfin je suis à Rome, après une nuit exécrable, passée dans un compartiment plein, sur des coussins durs comme du bois, c’était une horreur, mais c’est fini et nous sommes à l’hôtel de Londres, place d’Espagne. […] Il nous est arrivé un bien grand malheur, notre cher docteur Wolitski, que vous avez vu chez nous, est mort vendredi dernier, à deux heures de la nuit. […] Et l’attitude du prince pendant la nuit du coup d’État et sa politique est-elle assez en opposition avec celle de son cousin !

1685. (1911) Nos directions

Et le son pathétique de la rêverie de Phocas creusant sa tombe avant l’aurore : Comme la nuit est calme et sans émoi. […] Et la nuit ramène la volupté. […] On l’a vu djinn, ganté de la tête aux pieds de ténèbres, la poitrine moulée de paillettes feu, bleu et vert : il traversait la nuit d’un bond comme un mauvais songe et croulait en boule, comme un déchu. […] Ecoutez : En robe de pâle clarté Douce comme la nuit d’été Soyeuse et blonde, Des fleurs de l’autre monde En sa chevelure d’or, Celui qui est l’Ange en voyage Descend l’escalier des nuages Et vient vers celle qui dort.

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