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895. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre quatrième »

« Illustre, généreuse et héroïque ame, dit Rabelais parlant de sa mort, tout parfait et nécessaire chevalier à la gloire et protection de la France, que les cieuxrepetoient comme à eux deu par propriété naturelle. » L’amour des lettres et les talents se transmettaient alors du père au fils, comme un héritage, le plus souvent augmenté et amélioré par le fils. […] Toutes les tendances de l’esprit français, tous les progrès que la poésie avait encore à faire, sont exprimés dans ce manifeste, excellent écrit où, malgré une certaine exagération de jeunesse, quelques contradictions, trop peu d’ordre, la langue est ferme, le tour vif et naturel les expressions durables, suscitées par les bonnes raisons. […] Les paroles de Du Bellay sont du plus grand prix : « Si deux peintres, dit-il, s’efforcent de représenter au naturel quelque vifpourtrait, il est impossible qu’ils ne se rencontrent pas en mesmes traits et linéaments, ayantmesmeexemplairedevantlesyeux. » Rien de plus élevé et de plus juste, mais il y faut une condition : c’est que les deux peintres soient supérieurs. […] Il dit à son luth : Pour te monter de cordes et d’un fust Voire d’un son qui naturel te fust, Je pillai Thebe et saccageai la Pouille T’enrichissant de leur belle despouille90. […] La mode était plus forte que sa répugnance, et il n’avait ni assez de génie pour avoir un naturel à lui, ni assez d’indépendance pour n’être pas courtisan.

896. (1892) La vie littéraire. Quatrième série pp. -362

Cette modestie était profonde et naturelle. […] Je m’en excusai sur ma frivolité naturelle. […] Les sentiments naturels éclatent en eux avec violence. […] Elle est naturelle. […] Cela est bien naturel.

897. (1887) Essais sur l’école romantique

L’originalité, qui est la forme naturelle et première de l’inspiration, ne lui est pas contestée ; sur ce point même, il a l’aveu public ; ses ennemis disent comme tout le monde, sauf qu’ils appellent celle originalité : barbarie. […] Ce qu’on pourrait lui demander, ce serait de produire, de se donner carrière, de déborder, sauf à rentrer après dans les limites du naturel et du vrai. […] Le caractère de ce Phœbus est plein de naturel et de vérité ; c’est une critique fine et amère de l’homme tout physique, par l’homme qui est toute intelligence et tout talent. […] Mais, vues de trop près, dans le livre même, elles choquent le lecteur délicat par cette gourme de détails faux, exagérés, ridicules, où sont noyés les traits naturels. […] Ce qui fait le génie, c’est une raison supérieure, double fruit de l’instinct et de l’expérience, du naturel et du travail, des choses devinées et des choses apprises.

898. (1906) Propos de théâtre. Troisième série

Rien de plus naturel. […] C’est le revirement naturel. […] Je tendrais à croire sa réponse irréfléchie et d’autant plus naturelle. […] Il y a chez lui un seul vice de cœur, penchant naturel peut-être et hypertrophié. […] Prince qui joue vraiment bien, avec aisance, avec naturel et dans le ton.

899. (1716) Réflexions sur la critique pp. 1-296

je réponds déja que cette fatalité dont on aime tant à s’étonner, est fondée sur une raison bien naturelle. […] Je regarde donc ces critiques comme une suite naturelle de l’établissement de l’academie françoise, et comme le signal de la liberté académique, si nécessaire aux progrès de la raison et du bon goût. […] Si l’on abandonnoit Homere à son sens naturel et litteral, ses absurditez fréquentes troubleroient ses adorateurs. […] Il envelope la maxime sous un sentiment direct ; ce qui sans rien faire perdre au lecteur de la vérité générale, à l’air plus naturel et plus animé. […] Je me repens bien de n’avoir pas été encore plus docile à cet instinct naturel qui m’avertissoit des fautes.

900. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « PARNY. » pp. 423-470

Si Parny n’avait continué que sur ce ton, écrivant vers et prose mélangés comme dans ses lettres de 1773 et de 1775 à son frère et à Bertin, il aurait été plus naturel encore que Dorat et Pezai, mais il ne se serait guère distingué des Bouflers et des Bonnard ; il n’aurait point mérité la louange que lui décernent unanimement tous les critiques de l’époque, d’avoir ramené, introduit l’émotion simple et vraie dans la poésie amoureuse. […] Cette portion d’art et de réflexion, appliquée à des souvenirs encore tout brûlants et à des émotions toutes naturelles, est ce qui a fait de ce dernier livre de Parny son chef-d’œuvre, la production qu’il n’a plus jamais surpassée ni égalée. […] Si touchés que les contemporains aient pu être des grâces vives et naturelles de Parny, et de ses traits de passion, il ne faudrait pas croire que certains défauts essentiels leur aient entièrement échappé. […] Parny sut se préserver mieux qu’aucun autre de la contagion, il sut s’en préserver à sa manière tout autant que Fontanes ; il ramena et observa suffisamment le goût et le naturel dans l’élégie, mais il ne créa pas le style : Or, il aurait fallu le retremper alors tout entier. […] Pour apprécier autant qu’il convient le mérite naturel et touchant des élégies de Parny, il suffit de lire celles qu’a essayées Le Brun, si sèches, si fatiguées et si voulues.

901. (1831) Discours aux artistes. De la poésie de notre époque pp. 60-88

La plupart de nos artistes, suivant capricieusement la pente naturelle de leur génie qui les porte à observer, à peindre, s’abreuvent à ces deux grandes sources de l’art, la nature et l’histoire, tandis que les plus rêveurs d’entre eux, les plus métaphysiciens, cherchent appui et consolation, inspiration et lumière, dans la religion éternelle, la religion du Christ ! […] C’est ainsi que le monde tout entier, en y comprenant l’art, qui en fait partie au même titre que les monuments naturels auxquels il s’ajoute, devient symbolique. […] Je regarde donc Scott et Cooper comme des produits naturels de l’art de notre époque ; leurs œuvres rentrent tout à fait dans le principe du développement de l’art. […] Quand le poète s’est une fois rapproché du Christianisme par le sentiment religieux, il lui est assez naturel de se croire Chrétien, et il se fait un point d’honneur et une gloire de le paraître. […] Les êtres que nous appelons vivants et ceux que nous regardons comme inanimés, les édifices naturels que la terre présente à nos regards et les édifices que l’homme y a ajoutés, seront les miroirs où il lira et fera lire sa pensée.

902. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre I — Chapitre deuxième »

Ce sont ensuite beaucoup de tours propres à cet esprit, où se peignent ses mouvements les plus naturels, et qui lui sont venus du sol même, de l’auteur de toutes les variétés du monde physique et moral de Dieu. […] De là cette franchise de langage, ce cours naturel de son style, selon l’expression si juste de M.  […] Cette curiosité sans confusion cette imagination facile et heureuse, cet arrangement naturel et sans effort, sont les seules qualités du genre, et Froissart les possède en perfection. […] Le récit, dans certains endroits de ses chroniques, n’a pas été surpassé ; et cette partie de l’art, si difficile pour l’historien moderne, au milieu de tant de faits divers qu’il faut, à la fois, classer, raconter et juger, est l’habitude et comme le tour d’esprit naturel de ce chroniqueur. […] Elle est restée aussi loin de la grâce et du naturel d’une femme, que de la force de pensée d’un homme.

903. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre cinquième. De l’influence de certaines institutions sur le perfectionnement de l’esprit français et sur la langue. »

Sa mère voulait lui faire quitter les livres de droit pour les romans de d’Urfé ; son excellent naturel résista. […] Le correctif le plus naturel du purisme était d’appliquer l’esprit de choix, dont le purisme n’est que l’exagération, à des ouvrages d’un fond assez attachant pour que le lecteur y fût plus occupé des choses que des mots. […] Tel d’entre eux n’est dans son naturel que quand il faut combattre. […] Plus tard, à mesure qu’on avance dans la vie, on aime de plus en plus les vérités familières qui se présentent avec un air naturel, et l’on préfère les auteurs qui ne sont que des gens de bien faisant voir leurs sentiments, aux écrivains qui étalent leur dextérité. […] A partir de cette époque, il fut d’obligation, dans les ouvrages de l’esprit, d’être vrai, solide, naturel ; de chercher la vérité ; de donner le dessus à la raison sur l’imagination, à l’homme sur l’individu.

904. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « Introduction »

Le travail lent et continu de la vie, une tendance naturelle vers le progrès, fera sortir de la philosophie les sciences, de l’embryon les organes. […] L’expression naturelle des passions, la variété des langues et des événements de l’histoire sont autant de faits qui permettent de remonter jusqu’aux causes mentales qui les ont produits : les dérangements morbides de l’organisme qui entraînent des désordres intellectuels ; les anomalies, les monstres dans l’ordre psychologique, sont pour nous comme des expériences préparées par la nature et d’autant plus précieuses qu’ici l’expérimentation est plus rare. […] L’idée de progrès, d’évolution ou de développement, qui est devenue prépondérante de nos jours dans toutes les sciences qui ont un objet vivant, a été suggérée par la double étude des sciences naturelles et de l’histoire. […] Comme par la célébrité des noms qui la représentent, par son accord avec les tendances générales du siècle, par sa mise en harmonie avec les découvertes les plus récentes des sciences physiques et naturelles, par l’originalité de ses recherches et de ses résultats, elle semble tenir le premier rang, et qu’en France d’ailleurs elle est ignorée, ou à peu près, il nous a semblé qu’il ne serait pas inutile d’essayer d’en faire connaître les doctrines ; et que ce travail de pure exposition ne déplairait ni à ceux qui les repoussent ni à ceux qui les acceptent. […] Je pense que l’importance acquise par la psychologie, spécialement dans ce qui traite de l’origine et du but des facultés humaines, a été le résultat naturel de la même tendance objective qui a rendu prépondérante la méthode inductive. » (Lewes, History of Philosophy, t. 

905. (1888) La critique scientifique « La critique scientifique — Analyse sociologique »

Taine essaye de prouver par un nombre considérable de faits, deux sortes de causes sont assignées plus ou moins explicitement : l’hérédité (préface et début de l’Histoire de la littérature anglaise) qui fait participer tout homme aux caractères de ses ascendants, ceux-ci à ceux des leurs, et ainsi de suite à travers toute l’étendue de la race ; la sélection naturelle (dans le 2e chapitre de la Philosophie de l’art) qui s’opère entre les artistes et entre les facultés de l’artiste, grâce à sa participation à toute la situation sociale, grâce à son imitation de l’état d’âme de ses contemporains, à la malléabilité particulière de son esprit, aux conseils qu’il reçoit et à accueil qui est fait à ses œuvres. […] Pour quiconque reporte sur les temps passés son expérience de ce qui a lieu de nos jours, cette diversité paraîtra toute naturelle ; il lui semblera au contraire surprenant qu’on l’ait oubliée au point de croire, en vertu sans doute de l’éloignement qui brouille tout et de certaines déclamations qu’on a prises au mot, qu’il ait existé autrefois des nations homogènes. […] C’est ainsi que la plupart de ses inventions primitives, celles de l’habillement, celles qui touchent à l’alimentation, ont eu pour but, par des modifications artificielles des circonstances ambiantes, de lui permettre de conserver ses dispositions organiques, son aspect, ses habitudes, en dépit de certaines variations contraires naturelles des mêmes circonstances14. […] Le principe de tout organisme est au contraire de maintenir jusqu’à sa destruction sa conformation particulière, de résister à l’action des forces naturelles, d’être un agrégat spécial de molécules qu’une force propre soustrait à l’action des autres forces naturelles. […] Ribot cite ces mots de M. de Quatrefages [Armand de Quatrefages (1810-1892), naturaliste, anthropologue, membre de l’Académie des Sciences, fut titulaire à partir de 1855 d’une chaire d’anatomie et d’ethnologie au Muséum d’histoire naturelle.

906. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre V. Le souvenir du présent et la fausse reconnaissance »

Certes, il est naturel que le théoricien soit frappé du caractère sui generis des faits morbides. […] Et il est naturel que nous pensions ainsi, parce que l’état de veille est celui qui nous importe pratiquement, tandis que le rêve est ce qu’il y a au monde de plus étranger à l’action, de plus inutile. […] En un sens, la perception et la mémoire qui s’exercent dans le rêve sont plus naturelles que celles de la veille : la conscience s’y amuse à percevoir pour percevoir, à se souvenir pour se souvenir, sans aucun souci de la vie, je veux dire de l’action à accomplir. […] Elle tient à un affaiblissement temporaire de l’attention générale à la vie : le regard de la conscience, ne se maintenant plus alors dans sa direction naturelle, se laisse distraire à considérer ce qu’il n’a aucun intérêt à apercevoir. […] La fausse reconnaissance résulte du fonctionnement naturel de ces deux facultés livrées à leurs propres forces.

907. (1864) Corneille, Shakespeare et Goethe : étude sur l’influence anglo-germanique en France au XIXe siècle pp. -311

On la reconnaît en ce qu’elle est “l’alliée naturelle de toutes les bonnes causes. […] Préoccupé avant tout du naturel de l’expression, il ne recula pas devant les tours familiers, les images risquées, les disharmonies de style. […] Il aspira à élever la tragédie à la véritable grandeur en la ramenant au naturel et en rejetant la déclamation ampoulée des anciens comédiens. […] Il y avait déjà dans le style de Lebrun un grand progrès quant à la simplicité et au naturel. […] mais variés comme la nature et d’autant plus poignants qu’on passait plus rapidement d’une situation naturelle à une scène pathétique, sous l’influence d’un événement inattendu.

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