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887. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 35, de la mécanique de la poësie qui ne regarde les mots que comme de simples sons. Avantages des poetes qui ont composé en latin sur ceux qui composent en françois » pp. 296-339

fingere… etc. or les sons que ces mots imitent se trouvent être des signes instituez par la nature même, pour signifier les passions et les autres choses dont ils sont les signes. […] C’est, s’il est permis d’user ici de cette expression, une monnoïe frappée au coin de la nature, et qui a cours parmi tout le genre humain. […] Le signe qui tient de la nature même une partie de sa force et de sa signification, est plus puissant et agit plus efficacement sur nous que le signe qui doit au hazard ou au caprice de l’instituteur toute son énergie. […] La poësie comme les autres arts n’est donc qu’un assemblage méthodique de principes arrêtez d’un consentement general, en conséquence des observations faites sur les effets de la nature. […] Les hommes en qui la nature n’a point été redressée, les sauvages et le bas peuple se servent fréquemment durant toute leur vie de ces sons inarticulez.

888. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre X. Première partie. Théorie de la parole » pp. 268-299

Il y a deux sortes de compositions originales : l’une, puisée en soi, produit l’imitation de la nature ; l’autre, puisée hors de soi, produit l’imitation des modèles anciens. L’imitation de la nature consiste à faire éprouver aux autres l’impression reçue par le spectacle de la nature. […] Il en est de même pour la peinture d’une bataille, d’une tempête, d’une sédition populaire, d’une révolution politique, d’un bouleversement dans le globe, d’une vue quelconque de la nature, du tableau d’une nation, de celui d’un âge de l’esprit humain. […] L’autre imitation, qui est celle que nous faisons des anciens, devrait consister non point à les copier, non point à imiter leur manière la forme de leur style, la tournure de leurs phrases, leur système de composition, mais à imiter la nature, comme ils l’ont imitée, c’est-à-dire à peindre les objets par l’impression reçue. […] De là ce quelque chose de factice et d’artificiel, qui vient frapper de froideur même l’expression des sentiments vrais ; de là cette nature et ces mœurs convenues, qui ne sont ni dans la vérité ni dans l’idéal ; de là enfin cette perfection de détails, ce fini d’exécution, qui annoncent le travail et non l’inspiration.

889. (1868) Curiosités esthétiques « VII. Quelques caricaturistes français » pp. 389-419

La plupart de ses tableaux ont été pris sur nature. […] Toujours ronds et frais comme des pommes d’api, le cœur sur la main, l’œil clair et souriant à la nature. […] Comme il aime très-passionnément et très-naturellement la nature, il s’élèverait difficilement au comique absolu. […] Comédien, il était exact et froid ; écrivain, vétilleux ; artiste, il avait trouvé le moyen de faire du chic d’après nature. […] Il la prenait dans ses mains, la tordait, la rarrangeait, l’expliquait, la commentait ; et la nature se transformait en apocalypse.

890. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Alfred de Vigny. »

Il est des sources dites autrefois merveilleuses, dans lesquelles si l’on plonge une baguette, un rameau vert, on ne les retire que chargés de sels brillants et à facettes, d’aiguilles diamantées, d’incrustations élégantes et bizarres : c’est à croire à une magie, à un jeu de la nature. […] Il aurait volontiers senti par l’imagination, et aussi par aristocratie de nature, comme Joseph de Maistre, et il n’avait pas même au fond la religion de Voltaire ; il n’avait le plus souvent, en présence de l’univers et de la nature, que le regard silencieux de Lucrèce, avec l’agonie et le dédain de plus. […] De tous ces éléments contradictoires combinés et pétris ensemble, et de bien d’autres que j’ignore, il était résulté à la longue dans cette nature poétique et fine une infiltration sensible, une ironie particulière qui n’était qu’à lui, — l’ironie de l’ange dont la lèvre a bu à l’éponge imbibée de vinaigre et de fiel. […] Molé et de ses amis, tant il est faux de dire qu’il y ait eu de ce côté hostilité d’école ou de principes littéraires contre lui et contre la nature de son talent. […] Il est un feu sacré d’une nature particulière qui, chez quelques mortels privilégiés, accompagne et rehausse l’étincelle commune de la vie.

891. (1859) Cours familier de littérature. VII « XXXVIIe entretien. La littérature des sens. La peinture. Léopold Robert (2e partie) » pp. 5-80

Telle inspiration, tel effet ; voilà le secret de l’impression qu’on produit dans tous les arts, soit avec la parole écrite, soit avec les notes, soit avec le pinceau ; car l’art, au fond, ne vous y trompez pas, ce n’est que la nature. […] Ceux de ses enfants que j’ai connus par elle avaient une empreinte de son énergie : Romains, Corses, Toscans, natures granitiques. […] Ce prince, fils d’Hortense (nous parlons de celui qui n’est plus), était un des hommes que les dons de la nature et les perfectionnements de l’éducation avaient façonnés pour toutes les fortunes. […] Silencieux, réservé, susceptible, comme toutes les délicates natures, il intéressait vivement par son silence même. […] Cette terre est majestueuse de naissance ; la nature humaine y porte la couronne, une empreinte de dignité et de noblesse qu’aucune profession ne fait déroger.

892. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXIIe entretien. Cicéron » pp. 81-159

On ne mutilait pas arbitrairement la nature, au grand détriment de la grandeur de la patrie et de l’espèce humaine. […] En remontant de quelques générations dans une race, on reconnaît à des symptômes précurseurs le grand homme que la nature semble y préparer par degrés. […] La nature élabore longtemps ses chefs-d’œuvre dans les minéraux comme dans les végétaux. […] Ils étudiaient ensemble : l’acteur, à imiter les intonations, les attitudes et les gestes que la nature inspirait d’elle-même à Cicéron ; l’orateur, à imiter l’action que l’art enseignait à Roscius ; et, de cette lutte entre la nature qui imite et l’art qui achève, résultait, pour l’acteur et pour l’orateur, la perfection, qui consiste, pour l’acteur, à ne rien feindre au théâtre qui ne jaillisse de la nature, et, pour l’orateur, à ne rien professer à la tribune qui ne soit avoué par l’art et conforme à la suprême convenance des choses, qu’on nomme le beau. […] Le temps diminue le sentiment des autres malheurs ; mais les miens sont de telle nature qu’ils s’aggravent continuellement par le sentiment de la misère présente comparée avec la félicité perdue !

893. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre IX : Insuffisance des documents géologiques »

De la nature des variétés intermédiaires éteintes et de leur nombre. — III. […] Si l’on ne rencontre pas partout et toujours dans la nature d’innombrables formes de transition, cela dépend donc principalement du procédé même de sélection naturelle, en vertu duquel les variétés nouvelles tendent constamment à supplanter et à exterminer leurs souches mères. […] De la nature des variétés intermédiaires éteintes et de leur nombre. […] On peut donc dire que la nature elle-même a mis les plus invincibles obstacles à ce que nous puissions fréquemment découvrir les formes de transition insensiblement graduées au moyen desquelles elle crée les types les plus persistants. […] Nous avons vu autre part qu’un changement de composition minéralogique, dans une même formation, peut dépendre d’un changement dans la nature des terrains dénudés, sans qu’aucun changement géographique de quelque importance survienne dans la contrée, soit sur les terres, soit dans les mers.

894. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. Ernest Renan »

C’est donc, je le maintiens, indépendamment des résultats particuliers auxquels il a pu arriver dans son examen critique, c’est par nature un esprit religieux que M.  […] « L’homme qui prend la vie au sérieux, a-t-il dit, et emploie son activité à la poursuite d’une fin généreuse, voilà l’homme religieux ; l’homme frivole, superficiel, sans haute moralité, voilà l’impie. » — « L’humanité est de nature transcendante, a-t-il dit encore, quis Deus incertum est, habitat Deus (quel Dieu habite en elle ? […] Renan me paraît le plus certainement atteint et convaincu de déisme latent, quoi qu’on en dise, c’est qu’il conçoit l’œuvre de l’humanité comme sainte et sacrée, qu’il y admire et y respecte, dans la suite des développements historiques, un ordre excellent, — non pas cet ordre tel quel, qui résulte nécessairement, fût-ce après coup, des rapports et de la nature des événements en cours et des éléments en présence, mais un ordre préétabli, et qui a tout l’air d’avoir été conçu quelque part dans un dessein supérieur et suprême. […] les mots les plus secrets de son cœur, les notes qui donnent la clef de sa nature morale, lui sont échappés dans cette page mouillée d’une larme : « Nous autres Bretons, ceux surtout d’entre nous qui tiennent de près à la terre et ne sont éloignés de la vie cachée en la nature que d’une ou deux générations, nous croyons que l’homme doit plus à son sang qu’à lui-même, et notre premier culte est pour nos pères. […] Renan, dans ses diversions vers l’Art, n’a rien écrit de plus fin, de plus pénétrant, de plus touchant, que ce qu’il a donné sur la Tentation du Christ, d’Ary Scheffer ; c’est dans ce morceau d’une parfaite élégance et d’un exquis raffinement moral qu’il nous a peut-être livré le plus à nu le secret de son procédé, la nature et la qualité de son âme, et la visée de son aspiration dernière : « Toute philosophie, dit-il, est nécessairement imparfaite, puisqu’elle aspire à renfermer l’infini dans un cadre limité… L’Art seul est infini… C’est ainsi que l’Art nous apparaît comme le plus haut degré de la critique ; on y arrive le jour où, convaincu de l’insuffisance de tous les systèmes, on arrive à la sagesse… » Ceux qui craignaient d’abord que, malgré les précautions sincères de M. 

895. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Réception de M. le Cte Alfred de Vigny à l’Académie française. M. Étienne. »

Le fameux discours de Buffon lui-même, qui fut une sorte d’innovation par la nature du sujet, n’excéda en rien les bornes habituelles. […] Étienne fut de ne pas avouer tout franchement la nature de ce secours qu’il avait reçu, et de compter sur la discrétion de Lebrun-Tossa, dont l’amour-propre était mis en jeu : « Quoi ! […] Il rédigeait le Constitutionnel, et se laissa vivre de ce train d’improvisation facile et de paresse occupée qui semble avoir été le fond de ses goûts et de sa nature. […] M. de Vigny, tel que nous avons l’honneur de le connaître, nous paraît une nature très-capable d’admiration, comme toutes les natures élevées, comme les natures véritablement poétiques.

896. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre II. Du goût, de l’urbanité des mœurs, et de leur influence littéraire et politique » pp. 414-442

Chaque jour on mettait plus de subtilité dans les règles de la politesse et du goût ; on s’éloignait toujours plus dans les mœurs des impressions de la nature. […] La nature a créé des remèdes aux grandes douleurs de l’homme ; le génie est de force avec l’adversité, l’ambition avec les périls ; la vertu avec la calomnie ; mais le ridicule peut s’insinuer dans la vie, s’attacher aux qualités même, et les miner sourdement à leur insu. L’insouciance dédaigneuse exerce un grand pouvoir sur l’enthousiasme le plus pur ; la douleur même perd jusqu’à l’éloquence dont la nature l’a douée, lorsqu’elle rencontre un esprit moqueur ; l’expression énergique, l’accent abandonné, l’action même, l’action généreuse est inspirée par une sorte de confiance dans les sentiments de ceux qui nous environnent ; une froide plaisanterie peut la glacer. […] Les préceptes du goût, dans leur application à la littérature républicaine, sont d’une nature plus simple, mais non moins rigoureuse que les préceptes du goût adoptés par les écrivains du siècle de Louis XIV. Sous la monarchie, une foule d’usages substituaient quelquefois le ton de la convenance à celui de la raison, les égards de la société aux sentiments du cœur ; mais dans une république, le goût ne devant consister que dans la connaissance parfaite de tous les rapports vrais et durables, manquer aux principes de ce goût, ce serait ignorer la véritable nature des choses.

897. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre I. La littérature pendant la Révolution et l’Empire — Chapitre II. L’éloquence politique »

Ces Riquetti, transplantés de Florence en France au xiiie  siècle, intelligents, énergiques, peu maniables, de bon service et d’indépendante humeur, ennemis-nés des commis, des courtisans et des ministres, nous expliquent la monstrueuse nature de leur dernier descendant. […] Mais le monde ne pardonna pas à Mirabeau cette sorte de férocité, d’exaspération physique qui remplaçait chez lui la légèreté du libertinage à la mode : une fougueuse nature éclatait dans ses vices, au lieu de la gracieuse corruption qu’on était accoutumé à admirer. […] Nature généreuse et sensible, passionné pour la tolérance, l’humanité, la liberté, il avait adopté une éloquence nette, sobre, sévère, volontairement un peu froide. […] Il se fit une forme courte, brusque, tendue, nerveuse, admirablement expressive et de sa nature réelle et de l’idée qu’il voulait donner de lui, admirablement adaptée à l’âme élémentaire des foules ou des armées. […] Parfois, au lieu des images banales du répertoire commun, la nature originale de l’individu éclate.

898. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Pierre Loti »

Les hommes du moyen âge découvrent l’Orient, c’est-à-dire une nature, une humanité et un art très différents des leurs, et ils paraissent à peine s’en douter ; presque rien de cette étrangeté ni de ce pittoresque n’a passé dans les chansons de geste postérieures aux croisades ni dans les fabliaux. […] Et c’est la nouveauté d’une région étrangère qui lui a dessillé les yeux, qui lui a permis de les ouvrir ensuite sur la nature de chez nous ; et ainsi c’est l’exotisme qui a définitivement introduit le pittoresque dans notre littérature. […] Vous êtes une nature très avide des jouissances artistiques et intellectuelles et vous ne pouvez être heureux qu’au milieu de tout ce qui peut satisfaire vos besoins sympathiques, qui sont immenses. […] L’influence de la terre, la douceur des choses, les parfums, la beauté de la nature et la beauté des corps, les brises attiédies du soir y conseillent si clairement et si invinciblement l’amour qu’elles l’absolvent par là même et qu’on ne songe point à y attacher une idée de souillure. […] Du reste, il n’y en a pas tant  Ou bien : « La nature, dans ces romans, n’accable-t elle pas un peu l’homme ?

899. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Jean Richepin »

Le poète mêle la bonne nature à la vie de ses gueux, qui prennent ainsi des airs de faunes autant que de « mendigots ». […] Pas de Dieu, pas de loi morale, pas même de lois physiques : ce qu’on appelle ainsi, ce sont les habitudes des choses (ce qui revient d’ailleurs au même) : tout est gouverné par le hasard ; la Raison même, la Nature et le Progrès sont des idoles qu’il faut renverser comme les autres. […] Et c’est tout le temps comme cela, Il traite à chaque instant la Nature de catin, et de pis encore, et il développe en images ignobles le contenu de ces mots. Et il ne s’aperçoit pas, lui, le pourfendeur des dieux, que, tandis qu’il symbolise aussi malproprement la Nature et lui adresse des discours, il obéit à l’éternel instinct qui a créé les dieux. […] La Nature, la Mer et la Nuit ne sont plus des déesses, mais des Macettes, des « gueuses » encore, dont il nous décrit l’anatomie de vieilles et l’abominable pantomime.

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