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685. (1860) Cours familier de littérature. IX « XLIXe entretien. Les salons littéraires. Souvenirs de madame Récamier » pp. 6-80

La première duchesse mourut sans révéler le secret ; le vieux duc épousa la mère de son fils, en sorte que l’enfant supposé était en réalité le fils du vieux duc et de la nouvelle duchesse de Devonshire ; seulement cette naissance était anticipée et illégitime. […] Le vieux duc mourut en se taisant encore ; le jeune duc, fils présumé de la belle Élisabeth, avait une délicatesse de conscience et d’honneur qui ne lui permettait pas de se substituer sciemment aux droits des héritiers légitimes. […] Il touchait à ses années de grâce ; on ne lui demandait pas d’expliquer ces trois rôles contradictoires ; on était convenu de le laisser mourir en sphinx sans lui demander son mot. […] Nous allons vous le dire, non pas seulement d’après les souvenirs un peu trop sobres et un peu trop voilés d’esprit de famille de sa nièce, madame Lenormant, mais d’après les souvenirs de tout un demi-siècle qui a vu éclore, briller, mûrir, mourir cette éclatante et étrange célébrité du charme immortel sur un visage féminin. […] Madame Récamier n’y perd pas, et M. de Chateaubriand y gagne ; on voit combien l’une était digne d’être aimée, indépendamment de sa beauté déjà pâlie ; on voit combien l’autre sut aimer, indépendamment de sa jeunesse morte et du désintéressement de toute espérance.

686. (1860) Cours familier de littérature. X « LVIe entretien. L’Arioste (2e partie) » pp. 81-160

Toi, demeure ici, afin que, s’il est écrit dans le ciel que je doive mourir, tu puisses raconter ma mort...” […] Il s’efforce, tant il lui porte de tendresse, de le faire renoncer à cette entreprise ; mais Médor était déterminé ou à mourir ou à recouvrir d’un peu de terre la tombe de son seigneur. […] Il vaut mille fois mieux mourir les armes à la main avec toi, que de mourir de mon chagrin si tu étais enlevé à mon amitié ! […] « Si elle ne veut pas mourir de son amour, il est temps qu’elle prenne sur elle de le révéler, car il n’est pas à espérer que Médor ose l’encourager à un tel aveu. […] Il se résout à mourir de sa propre main dans la forêt ; il desselle Frontin et l’abandonne à lui-même, après l’avoir embrassé comme ayant été si cher à sa Bradamante.

687. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. DE VIGNY (Servitude et Grandeur militaires.) » pp. 52-90

Nisard a dit récemment, en parlant d’Érasme : « Dans ce temps-là on ne connaissait pas le poëte, cet être tombé du ciel et qui meurt sans enfants, et pour qui le monde contemporain n’est qu’un piédestal d’où il s’élance, et où il vient replier de temps en temps ses ailes fatiguées. » Or c’est précisément ce poëte, contesté par l’homme de lettres et par le mondain, que M. de Vigny a voulu, non pas justifier dans des actes de frénésie28, mais plaindre, expliquer et venger aussi d’une oppression que peut-être la défense exagère. […] « Mercredi, 17, à sept heures et demie précises du soir, le More de Venise vivra et mourra par-devant vous, mon ami ; si vous voulez faire asseoir l’Ombre de Joseph Delorme à ce banquet funèbre, sa place est réservée comme celle de Banquo. […] Quand j’ai le malheur d’analyser ainsi les cœurs de ceux qui m’entourent, je me sens prêt à mourir de désespoir ; l’effroi me prend comme si j’étais seul au monde, comme le dernier homme ; et c’est donc là ce que vous souffrez et ce que nous vous faisons souffrir ? […] Ce fut pour Boivin un coup de foudre, il faillit en mourir. […] Cela n’allait pas encore au suicide ; on ne se tuait pas, on priait Dieu qu’il vous fit mourir.

688. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. LEBRUN (Reprise de Marie Stuart.) » pp. 146-189

Quand Lebrun-Pindare mourut en 1807, le nôtre ne se vengea de lui qu’en déplorant cette perte dans une ode élevée qui justifiait le uno avulso non deficit alter…, et qui rappelle celle de Le Franc de Pompignan sur la mort de Jean-Baptiste Rousseau, la plus belle pièce encore qu’on doive à celui-ci, a dit dans le temps un méchant. […] Les souvenirs d’Homère se combinent, se croisent vers cette fin, avec ceux de Virgile, et sans s’y affaiblir : on sait le pallida morte futura de Didon. […] La Marie Stuart de Brantôme, celle qui mourut sur l’échafaud et qui fit ses adieux à la France, était restée dans toutes les imaginations, victime intéressante, victime embellie : Coupable seulement des erreurs d’une femme, Vos fautes dans le ciel ne suivront pas votre âme ! […] je meurs) devenait dans sa bouche un Han ! […] Puis Talma mourut.

689. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « M. DE LA ROCHEFOUCAULD » pp. 288-321

« On a bien de la peine à rompre, quand on ne s’aime plus. » On en était à ce point de difficulté : M. de Nemours le trancha, et M. de La Rochefoucauld saisit avec joie une occasion d’être libre, en faisant l’offensé : « Quand nous sommes las d’aimer, nous sommes bien aises qu’on nous devienne infidèle pour nous dégager de notre fidélité. » Il fut donc bien aise, mais non pas sans mélange ni sans des retours amers : « La jalousie, il l’a dit, naît avec l’amour ; mais elle ne meurt pas toujours avec lui. » Le châtiment de ces sortes de liaisons, c’est qu’on souffre également de les porter et de les rompre. […] Sa mère ne mourut qu’en 1672 : « Je l’en ai vu pleurer, écrit Mme de Sévigné, avec une tendresse qui me le faisoit adorer. » Sa grande douleur, on le sait, fut à ce coup de grêle du passage du Rhin. […] Il mourut le 17 mars 1680, avant ses soixante-sept ans accomplis. […] Vinet, qu’il mourut, comme on l’a dit plus tard, avec bienséance. […] Combien de gens meurent avant d’avoir fait le tour d’eux-mêmes !

690. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Note I. De l’acquisition du langage chez les enfants et dans l’espèce humaine » pp. 357-395

Un jour, sa grand’mère lui dit : « Je suis vieille, je ne serai pas toujours avec toi, je mourrai. — Alors, tu auras la tête cassée ? » — Elle a répété cette idée à plusieurs reprises ; maintenant encore (trois ans un mois), pour elle, être morte, c’est avoir la tête cassée. — Avant-hier, une pie tuée par le jardinier a été pendue par la patte au bout d’une perche, en guise d’épouvantail ; on lui a dit que la pie était morte ; elle a voulu la voir : « Qu’est-ce qu’elle fait, la pie ? — Elle ne fait rien, elle ne remue plus, elle est morte. — Ah !  […] L’homme a trois noms : on l’appelle celui qui est fait de terre (homo), celui qui meurt (marta), celui qui pense (manu)183.

691. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXVe entretien. La Science ou Le Cosmos, par M. de Humboldt (4e partie) » pp. 429-500

La brise de mer, qui s’est levée vers dix heures et qui a fraîchi à mesure que le soleil devenait plus fort, tombe et meurt. […] Des milliers de bêtes fauves de tous les déserts soumis à l’empire y furent amenés pour y mourir pendant une représentation qui dura cent jours ! […] Le sable renouvelé buvait les flots de sang, pour préparer à d’autres victimes une autre place pour mourir ! […] Deux moines espagnols, qui se trouvèrent dans la boule de Saint-Pierre lors de la secousse de 1730, eurent une telle peur, que l’un d’eux mourut sur la place. […] L’horizon de Rome avec sa mer, ses montagnes, ses lacs, ses forêts, ses déserts, tremble sous vos pieds ; le moindre souffle du vent de mer, en se résumant de cette élévation et en heurtant ses ailes contre cet écueil isolé des cieux, résonne comme un tonnerre et semble prêt à enlever comme une feuille morte le dôme colossal qui tremble sous vos pieds.

692. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLVe entretien. Vie de Michel-Ange (Buonarroti) »

La mort, ajoutèrent-ils, n’y fut jamais aussi morte ! […] La grâce de Dieu a été que, puisqu’il veut que je vive encore ici-bas, il m’a enseigné par cette mort à mourir moi-même non-seulement sans regret, mais encore avec un immense désir de mourir. J’ai eu chez moi Urbin pendant vingt-sept ans, et je l’ai toujours éprouvé fidèle et admirable serviteur ; et maintenant que je l’avais fait riche et que je comptais sur lui comme sur le bâton et le repos de ma vieillesse qui s’approche, il m’est enlevé, et il ne m’est resté d’autre espérance que de le revoir en paradis ; et ainsi Dieu m’a fait entendre par la bienheureuse mort qu’Urbin a faite que ce véritable ami regrettait bien moins de mourir que de me laisser en proie à tant d’angoisse dans ce monde traître et pervers, bien que la meilleure part de moi-même s’en soit allée avec lui et qu’il ne me reste qu’une misère infinie. […] Pour moi, je ne désire point être la femme d’un roi, mais de ce grand capitaine qui avait su vaincre, non-seulement par sa valeur pendant la guerre, mais dans la paix, par sa magnanimité, les plus grands rois. » Blessé à la bataille de Pavie en 1525, le marquis de Pescaire mourut de ses blessures à Milan.

693. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre I. Littérature héroïque et chevaleresque — Chapitre I. Les chansons de geste »

La bataille où mourut Raoul de Cambrai est de 942. […] A l’accent dont Turpin exhorte, bénit et absout les soldats martyrs qui meurent avec Roland, on sent que les temps sont proches où l’Occident lancera ses barons contre les infidèles gardiens des Lieux-Saints. […] Et jamais la force de l’honneur et du serinent féodal n’a plus fortement apparu qu’en ce Bernier : quand, sa mère morte, blessé lui-même, il a renoncé l’hommage, si, dans le premier moment de colère, il refuse la réparation que Raoul offre une fois revenu à lui, jamais cependant il n’aura le cœur en paix : il combattra Raoul de tout son courage, il le tuera, mais toujours l’idée de son serment violé le tourmentera : toujours il rappellera ses griefs, sa mère « arse », sa tête cassée ; il maintiendra « son droit », mais il sera inquiet. […] Mais la mort de Bègue est un récit d’un grand effet dans sa couleur grise, avec cette accumulation rapide de petits détails pressés d’une si exacte et précise notation : la vie paisible de Bègue dans son château de Belin, entre sa femme et ses enfants, l’ennui qui prend à la fin ce grand batailleur, sourde inquiétude, désir de voir son frère Garin qu’il n’a pas vu depuis longtemps, et son neveu Girbert qu’il n’a jamais vu, désir aussi de chasser un fort sanglier, fameux dans la contrée du Nord ; la tristesse et la soumission douce de la femme ; le départ, le voyage, la chasse si réelle avec toutes ses circonstances, l’aboi des chiens, le son des cors, la fuite de la bête, l’éparpillement des chasseurs, qui renoncent ; Bègue seul âpre à la poursuite, dévorant les lieues, traversant plaines et forêts et marais, prenant ses chiens par moments sur ses bras pour les reposer, jusqu’à ce qu’il se trouve seul, à côté de la bête morte, ses chiens éventrés, en une forêt inconnue, sous la pluie froide de la nuit tombante : il s’abrite sous un tremble, allume un grand feu, prend son cor et en sonne trois fois, pour appeler les siens. […] Ou verrait la légendaire figure de ce comte Guillaume qui en 793 arrêta les Sarrasins sur les bords de l’Orbieu et mourut moine au monastère de Gellone qu’il avait fondé, on la verrait attirer à elle tous les vainqueurs régionaux des guerres musulmanes, et se constituer ainsi six frères avec un père ; on la verrait absorber tous les Guillaume du Nord, l’un comte de Montreuil-sur-Mer, un autre possesseur de ce surnom de Court-Nez qui nécessitera le coup d’épée du géant Corsolt, un troisième qui n’était pas un Guillaume, défenseur hautain du faible Louis ; pour s’assimiler ce dernier, elle est obligée d’émigrer, avec tout son cortège d’hommes et de faits, du règne de Charlemagne au règne de son successeur.

694. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « M. Paul Verlaine et les poètes « symbolistes » & « décadents ». »

On sentait que la douceur des u et la tristesse des é prolongés par des muettes contribuaient au charme de ces vers de Racine : Ariane, ma sœur, de quelle amour blessée Vous mourûtes aux bords où vous fûtes laissée ! […] Et je m’en vais Au vent mauvais   Qui m’emporte De çà, de là, Pareil à la   Feuille morte. […] On conçoit qu’il y ait un rapport, une ressemblance entre le souvenir et le crépuscule, entre la mélancolie du couchant, du jour qui se meurt, et la tristesse qu’on éprouve à se rappeler le passé mort. […] » Et elle meurt, et son âme monte au ciel  Une femme est amoureuse d’un homme qui est le diable. […] Ce sera si fatal qu’on en croira mourir… Vraiment, ce sont là des séries de mots comme on en forme en rêve… Vous avez dû remarquer ?

695. (1890) L’avenir de la science « XXIII »

Le grand sens scientifique et religieux ne renaîtra que quand on reviendra à une conception de la vie aussi vraie et aussi peu mêlée de factice que celle qu’on doit se faire, ce me semble, seul au milieu des forêts de l’Amérique, ou que celle du brahmane, quand, trouvant qu’il a assez vécu, il se dispose au grand départ, jette son pagne, remonte le Gange et va mourir sur les sommets de l’Himalaya. […] Voilà pourquoi une religion morte et dépassée est encore plus efficace que toutes les institutions purement profanes ; voilà pourquoi le christianisme est encore plus créateur, soulage plus de souffrances, agit plus vigoureusement sur l’humanité que tous les principes acquis des temps modernes. […] Il répugne de passer sa vie comme la brute, de naître, de contracter mariage, de mourir sans que quelque cérémonie religieuse vienne consacrer ces actes saints. […] Il me semble bien en ce moment que je mourrais content dans la communion de l’humanité et dans la religion de l’avenir. […] L’athée, c’est l’homme frivole ; les impies, les païens, ce sont les profanes, les égoïstes, ceux qui n’entendent rien aux choses de Dieu ; âmes flétries qui affectent la finesse et rient de ceux qui croient ; âmes basses et terrestres, destinées à jaunir d’égoïsme et à mourir de nullité.

696. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Charles-Victor de Bonstetten. Étude biographique et littéraire, par M. Aimé Steinlen. — III » pp. 455-479

En ces années où Bonstetten prend décidément son parti et où, faisant une bonne fois son deuil de tous les regrets, le rajeunissement pour lui commence, Genève offrait la réunion la plus complète d’esprits éclairés et distingués : Mme de Staël encore, qui allait trop tôt disparaître ; Dumont, l’interprète de Bentham, l’ancien ami de Mirabeau ; le médecin Butini ; l’illustre naturaliste de Candolle, « l’homme parfait, qui avait un aussi bon esprit pour les affaires du monde que pour les végétaux, et le cœur comme s’il n’avait que cela » ; les savants Pictet ; l’érudit Favre ; bientôt Rossi, dont l’esprit fin et l’habile carrière devaient aboutir à la grandeur ; Sismondi, droit, loyal, instruit, mais qui se trompait à coup sûr quand il croyait voir en Bonstetten « un débris de la secte de Voltaire » ; bien d’autres que j’omets, et jusqu’à cet aimable Diodati, qui m’a entretenu d’eux autrefois, et qui, le dernier de tous, vient tout récemment de mourir. […] C’est avec ce cortège de douleurs qu’on avance vers la mort sans aucun courage ni pour vivre ni pour mourir. […] Il mourut le 3 février 1832, dans sa quatre-vingt-septième année. […] [NdA] Une amie russe qui venait de mourir en Italie.

697. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Corneille. Le Cid, (suite.) »

C’est alors que Rodrigue, l’exilé de Castille, commença à mener sa vie de condottiere et d’aventurier qui lui valut tant de renom, et où il finit par s’acquérir, à force de bravoure et de ruse, une belle souveraineté dont il était investi quand il mourut, celle de Valence. […] Il mourut cinq ans après, en 1099, et de colère et de douleur sur un échec éprouvé par son armée dans une expédition contre la ville de Xativa. […] « Mais quand il vint à Rodrigue, l’espérance du succès qu’il attendait étant presque morte dans son sein, — on trouve souvent là où l’on ne songeait pas, — les yeux enflammés, tel qu’un tigre furieux d’Hyrcanie, plein de rage et d’audace, Rodrigue dit ces paroles : « Lâchez-moi, mon père, dans cette mauvaise heure, lâchez-moi dans cette heure mauvaise ; car, si vous n’étiez mon père, il n’y aurait pas entre nous une satisfaction en paroles. […] On meurt de douleur et de honte si l’on n’a pas reçu la seule satisfaction appropriée.

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