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549. (1714) Discours sur Homère pp. 1-137

Je n’ai que deux mots à opposer à ce parallele : je ferois scrupule de m’y arrêter plus long-tems. […] Ulysse fait en cet endroit le détail de ces offres, et il répéte mot pour mot, trois longues pages qu’on vient de lire un instant auparavant. […] Il n’y a point de synonimes parfaits dans les langues ; un mot ne renferme point précisement, et dans toutes ses circonstances, le sens d’un autre mot ; chaque tour même exprime une maniere particuliére de sentir et d’envisager les choses. […] Est-ce par la disette de mots qu’elle péche ? […] Si quelquefois elle est obligée d’employer plusieurs mots, pour rendre ce qu’un seul exprime en grec, quelquefois en revanche, elle sera assez heureuse pour renfermer dans un seul mot le sens de plusieurs expressions grecques.

550. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Histoire littéraire de la France. Ouvrage commencé par les Bénédictins et continué par des membres de l’Institut. (Tome XII, 1853.) » pp. 273-290

Dom Rivet n’était pas, on peut le conjecturer d’avance, un esprit de ceux qu’on appelle philosophiques ; il n’était même pas de ceux qu’on peut appeler éclairés dans le sens le plus chrétien du mot : il avait ses préventions, son coin de secte. […] En un mot, pour la gloire de notre nation, recueillir en un corps d’histoire tout ce qui concerne la littérature française, c’est ce que personne n’avait encore exécuté et ce qu’entreprit le courageux solitaire. […] Un simple mot d’un biographe de dom Rivet nous ouvre un jour au passage sur cette vie mortifiée, dont la flamme intérieure nous est inconnue. […] Mais partout c’est la gausserie de la nature humaine, la fable de ce bas monde, l’esprit de renardie opposé à celui de chevalerie et le plus souvent parvenant à en triompher ; en un mot, c’est la parodie de la nature humaine prise dans tous ses vices. […] [NdA] Glaine, gallina, geline ; le mot est resté en picard.

551. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « La Grèce en 1863 par M. A. Grenier. »

« Les mots, comme disait Byron, sont des choses. » Peu à peu, du moins, ils le deviennent. […] About applique la remarque d’Hippocrate en courant : « La race grecque, dit-il, est sèche, nerveuse et fine comme le pays qui la nourrit. » Il a de ces mots exquis, définitifs. […] C’est là l’expression dernière et le dernier mot de l’admiration, de la dévotion classique et consacrée. […] En un mot, pour faire un État il faut un homme d’État, comme pour faire un poème il faut un poète. […] Le mot est de M. 

552. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Racine — II »

En un mot, c’était la disposition lyrique qui prévalait évidemment dans le poëte, et qui le plus souvent, au défaut d’épanchement convenable, débordait dans ces larmes dont nous avons parlé. […] Hier, aujourd’hui, demain, sont des mots très-significatifs pour eux. […] comme le mot propre est habilement évincé ! […] Térence dit en quatre mots, avec la plus élégante simplicité, ce que celui-ci ne dit qu’avec une multitude de métaphores qui approchent du galimatias. […] Nul n’a su mieux que lui la valeur des mots, le pouvoir de leur position et de leurs alliances, l’art des transitions, ce chef-d’œuvre le plus difficile de la poésie, comme lui disait Boileau ; on peut voir là-dessus leur correspondance.

553. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Alphonse Daudet  »

Daudet traîne tous les cœurs après lui ; car il a le charme, aussi indéfinissable dans une œuvre d’art que dans un visage féminin, et qui pourtant n’est pas un vain mot puisque de très grands écrivains ne l’ont pas. […] Peu d’esprit de « mots », mais un comique de verve, d’imagination, d’hyperboles, et plus souvent encore un comique de situations et de caractères. […] » les « doubles muscles » du même Tartarin, et presque tous ses mots : « Qu’ils y viennent   Ça, c’est une chasse   Des coups d’épée, messieurs, mais pas de coups d’épingle   C’est mon chameau ! […] Ainsi nous revenons, après un long détour et sans nulle préméditation, au mot qui nous était naturellement venu en commençant l’examen des Contes. Pourtant le mot ne dit pas tout.

554. (1785) De la vie et des poëmes de Dante pp. 19-42

C’est avec aussi peu de succès qu’il eut recours aux supplications, comme on le voit par une lettre au peuple de Florence, qui commence par ces mots : popule mee, quid feci tibi ? […] De la traduction. — Comme on a beaucoup parlé des traductions, je n’en dirai qu’un mot en finissant, pour ne pas paraître mépriser ce genre de travail, ou l’estimer plus qu’il ne vaut. […] Puisqu’on va parcourir des lieux peuplés d’ombres, de mânes et de fantômes, il est bon de dire un mot sur ce que les anciens entendaient par ces expressions. […] Dante se sert partout, comme les anciens, des mots de spectres, de mânes, d’ombres, de fantômes, d’âmes et de simulacres, pour désigner les morts. […] Tels sont sans doute aussi les beaux vers de Virgile et d’Homère ; ils offrent à la fois la pensée, l’image et le sentiment : ce sont de vrais polypes, vivants dans le tout, et vivants dans chaque partie ; et dans cette plénitude de poésie, il ne peut se trouver un mot qui n’ait une grande intention.

555. (1887) La banqueroute du naturalisme

Oui ; si l’on savait peut-être que le commencement et la fin de son naturalisme, que sa principale ou son unique originalité n’avait guère consisté qu’à imprimer tout crus dans ses romans des mots dont je gagerais qu’à peine ose-t-il se servir dans la liberté de la conversation, jamais pourtant il n’en avait encore imprimé de tels, ni rendu le nom même de naturalisme synonyme à ce point de ceux d’impudence et de grossièreté. […] Ils n’en ont vu que le contour, ils n’en ont su fixer que la silhouette ; et, pour cette raison, s’ils doivent durer quelque temps, si les générations qui viennent les lisent encore, ce ne sera pas comme naturalistes, ce ne sera pas non plus comme pessimistes, — un autre mot qu’ils compromettent par l’usage qu’ils en font, — ce sera comme vaudevillistes. […] Zola, qui n’en connaît le sens que tout juste, n’a évidemment jamais connu la valeur ni le pouvoir des mots. […] Je ne dirai point qu’aux faubourgs et dans les campagnes, il y a des termes d’ignominie qui s’échangent de bonne amitié et presque comme des caresses ; mais un gros mot, dans la bouche d’un homme du peuple, n’en dit pas plus qu’un mot beaucoup moins gros dans celle d’un bourgeois. […] Zola, comme il en a bien l’air, croyait peut-être qu’il n’y a rien de plus dans La Terre, que ni les mots n’y sont plus gros, ni les choses plus énormes que dans ses précédens romans, j’ose bien l’assurer qu’il se trompe, mais il ne se trompe, assurément aussi, que d’une nuance ou d’un degré.

556. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre II. Filles à soldats »

Cet Arlequin fait de bile verte et de jalousie jaune ne trouve, pour crier sa haine, que des mots abstraits et gris. […] Ce vantard de raffinements pense, devant la réussite, aussi grossièrement que feu Sarcey et — selon le mot que je citais tout à l’heure, mais qu’on ne saurait trop répéter — il se garde bien de « méconnaître que, sous un succès, il y a toujours une vertu ». […] Ensuite l’écriture, grise, quelconque, ne se fait plus remarquer, sauf à longs intervalles par quelque gauche impropriété, trop souvent aussi par l’équivoque d’un même mot prononcé une seule fois et étourdiment employé dans deux significations voisines. […] vains mots qui n’existiez pas il y a deux mille ans et qui, dans deux mille ans ; ne serez plus que des noms historiques : les vents de folie qui soulèvent ici ou là votre poussière d’une heure ne peuvent faire douter du soleil moral que ceux qui sont esclaves de leur temps et des mouvements de foule ou eux chez qui les persistants instincts de la brute triomphent de l’homme à peine commencé. […] Sur la différence de sens qu’il convient d’établir entre les mots style et écriture voir, au chapitre XI, la fin de l’étude consacrée à Rem y de Gourmont.

557. (1889) La critique scientifique. Revue philosophique pp. 83-89

Elle n’a pas pour objet d’envisager l’œuvre d’art dans son essence, son but, son évolution, en elle-même ; mais uniquement au point de vue des relations qui unissent ses particularités à certaines particularités psychologiques et sociales, comme révélatrices de certaines âmes ; l’esthopsychologie est la science de l’œuvre d’art en tant que signe. » Ce dernier mot annonce déjà quelle sera la méthode. […] Dans les produits simples de l’art plastique, dans la poésie de mots, le plaisir paraît dépendre immédiatement de l’excitation ; seules les œuvres dramatiques, parce que leur matériel est l’action humaine, appellent nécessairement un cortège d’émotions ordinaires, pénibles ou joyeuses, qui n’y prennent cependant, pour parler la langue de M.  […] Ici encore il faut distinguer, comme je l’ai fait plus haut, une règle méthodique, laquelle consiste à passer de la psychologie des plus géniaux à ceux qui le sont au degré moindre, et une doctrine, qui peut tenir en deux mots. […] Un plan d’étude ne saurait, d’ailleurs, constituer une science nouvelle, au vrai sens du mot, et M.  […] Saisie dans le jour blanc d’un musée ou fixée aux panneaux futilement ornés d’un salon, la toile dont les pigments réfléchissent les diaprures incluses du rayonnement solaire, refleurira par les mots, dans l’accord heurté ou doux à l’œil de ses nuances stridentes ou tragiquement mortes, etc. » J’aurais honte de citer ce morceau pour le vain plaisir de le déclarer mauvais ; mais il est bon d’aviser les jeunes écrivains et de s’avertir soi-même du danger où l’on est d’écrire en style décadent, lorsque, fût-on un maître, on cède à l’illusion d’enrichir le sens par la bigarrure des mots.

558. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Les Femmes de la Révolution » pp. 73-87

mais que ce mot de femmes miroite dans le titre du livre qu’on publie, et les hommes s’y jetteront… quittes à être attrapés. […] Selon Michelet, c’est la masse acéphale, c’est le peuple obscur, qui l’emporte sur tous les états-majors de la Révolution, en instincts, en vertus, en dévouements, et, qu’on nous passe le mot ! […] et ce fut ainsi que se réalisa une fois de plus le beau mot de Balzac l’ancien sur la France : « La France est un vaisseau qui a pour pilote la tempête. » Évidemment, en présence de ces événements et de ces immensités, l’écrivain peut se tenir dispensé du maigre travail des biographies, ou, s’il lui plaît d’en faire encore, ce ne doit pas être pour mesurer la grandeur des hommes, mais pour montrer leur petitesse, et la montrer avec l’implacable exactitude d’un niveau. […] Vous les retrouveriez, trait pour trait et presque mot pour mot, dans cette Histoire de la Révolution française maintenant terminée, si vous vouliez les y chercher… et telle est la première sensation désagréable que nous cause ce livre, fait avec un autre livre, dans lequel la pensée, devenue inféconde, se reprend à couver la coquille vidée d’un œuf éclos. […] Ainsi Théroigne de Méricourt, Théroigne, à propos de laquelle Michelet ne craint pas de dire, page 113 : « Entourée d’amants en Angleterre, elle leur préférait un chanteur de chapelle italienne, laid et vieux, qui la pillait et vendait ses diamants, et en France… » Nous ne pouvons achever la citation sur cette touchante Théroigne, la meurtrière de Suleau, et qu’on pourrait appeler aussi l’ange de l’assassinat, puisque le mot est consacré !

559. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Introduction »

En un mot, notre estimation des différentes tendances égalitaires dépend de nos convictions principales sur le souverain bien. […] En un mot, si l’on veut obéir aux prescriptions égalitaires, suivant quels types façonner les institutions civiles et juridiques, politiques et économiques ? […] En, un mot la solution que je donne aux problèmes techniques de l’égalitarisme dépend de la conception que je me suis faite tant des fins les plus dignes de la société, que des moyens les plus aptes à les réaliser. […] Pour que cette science fût totale, il y aurait lieu de chercher dans les sens les plus différents les antécédents de l’égalitarisme : seules des recherches multiples, poussées de tous les côtés, nous en livreraient l’explication « exhaustive » ; toutes les sciences qui, directement ou indirectement, touchent aux phénomènes sociaux auraient sans doute leur mot à dire. […] En un mot, indépendamment de leur matière, il y a lieu de classer les formes des sociétés, de déterminer les relations qu’elles peuvent soutenir avec les différents ordres de phénomènes historiques, de fixer ainsi les faits qui les précèdent ou ceux qui les suivent régulièrement : c’est-à-dire qu’il, y a place, à côté des différentes sciences sociales, pour une science de ce qui est spécialement social, la sociologie proprement dite.

560. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXX. De Fléchier. »

L’âme qui est fortement émue, s’attache tout entière à son objet, et ne va point s’écarter de sa route pour faire contraster ensemble des mots ou des idées. […] Enfin il a le mérite de la double harmonie, soit de celle qui, par le mélange et l’heureux enchaînement des mots, n’est destinée qu’à flatter et à séduire l’oreille ; soit de celle qui saisit l’analogie des nombres avec le caractère des idées, et qui, par la douceur ou la force, la lenteur ou la rapidité des sons, peint à l’oreille en même temps que l’image peint à l’esprit. […] Il y a des mots qui disent plus que vingt pages, et des faits qui sont au-dessus de l’art de tous les orateurs ; par exemple, le mot de Saint-Hilaire à son fils : Ce n’est pas moi qu’il faut pleurer, c’est ce grand homme  ; et ce trait du fermier de Champagne qui vint demander la résiliation de son bail, parce que, Turenne mort, il croyait qu’on ne pouvait plus ni semer, ni moissonner en sûreté ; et cette réponse, si grande et si simple, à un homme qui lui demandait comment il avait perdu la bataille de Rhétel, par ma faute  ; et cette lettre qu’il écrivit au sortir d’une victoire : « Les ennemis sont venus nous attaquer, nous les avons battus ; Dieu en soit loué. […] Ne pouvant encore s’autoriser contre l’usage, il fit connaître à ses amis qu’il allait à l’armée faire sa cour qu’il lui coûtait moins d’exposer sa vie que de dissimuler ses sentiments, et qu’il n’achèterait jamais ni de faveurs, ni de fortune aux dépens de sa probité. » Je pourrais encore citer d’autres endroits qui ont une beauté réelle ; mais le discours en général est au-dessous de son sujet ; on y trouve plus d’esprit que de force et de mouvement ; on s’attendait du moins à trouver quelques idées vraiment éloquentes sur l’éducation d’un dauphin, sur la nécessité de former une âme d’où peut naître un jour le bonheur et la gloire d’une nation ; sur l’art d’y faire germer les passions utiles, d’y étouffer les passions dangereuses, de lui inspirer de la sensibilité sans faiblesse, de la justice sans dureté, de l’élévation sans orgueil, de tirer parti de l’orgueil même quand il est né, et d’en faire un instrument de grandeur ; sur l’art de créer une morale à un jeune prince et de lui apprendre à rougir ; sur l’art de graver dans son cœur ces trois mots, Dieu, l’univers et la postérité, pour que ces mots lui servent de frein quand il aura le malheur de pouvoir tout ; sur l’art de faire disparaître l’intervalle qui est entre les hommes ; de lui montrer à côté de l’inégalité de pouvoir, l’humiliante égalité d’imperfection et de faiblesse ; de l’instruire par ses erreurs, par ses besoins, par ses douleurs même ; de lui faire sentir la main de la nature qui le rabaisse et le tire vers les autres hommes, tandis que l’orgueil fait effort pour le relever et l’agrandir ; sur l’art de le rendre compatissant au milieu de tout ce qui étouffe la pitié, de transporter dans son âme des maux que ses sens n’éprouveront point, de suppléer au malheur qu’il aura de ne jamais sentir l’infortune ; de l’accoutumer à lier toujours ensemble l’idée du faste qui se montre, avec l’idée de la misère et de la honte qui sont au-delà et qui se cachent ; enfin, sur l’art plus difficile encore de fortifier toutes ces leçons contre le spectacle habituel de la grandeur, contre les hommages et des serviteurs et des courtisans, c’est-à-dire contre la bassesse muette et la bassesse plus dangereuse encore qui flatte.

561. (1900) Molière pp. -283

C’est le dernier mot de cette délirante bouffonnerie. […] Je vais, en deux mots, lui donner son compte et celui de Basile. […] ALCIBIADE Je ne suis donc pas plus sage, Aspasie ; car sur un mot de ta bouche je conçois mille espérances ou mille craintes, mon cœur s’agite des émotions les plus diverses ; d’un mot tu me ravis, d’un mot tu me désoles. […] Comme tu es froide en disant ce mot ! […] Ce mot sur Molière, mot risqué et bien sévère, avait trait à son rôle de poète amuseur du roi Louis XIV et de la cour.

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