En ce moment, les mots de liaison, d’attache, d’entraînement, de provocation, d’exigence, ne sont pour nous que des métaphores abréviatives. […] Chez l’enfant, grâce aux noms appris et compris, la même perception évoque en outre le mot eau ; la même image évoque en outre le mot froid, et les deux mots eau, froid, associés entre eux par contagion, font un second couple surajouté. Or plus tard, quand l’enfant repasse et insiste sur ces deux mots, il trouve que le premier évoque en lui une série indéfinie d’expériences antérieures, celle de la carafe, du puits, de la fontaine, de la pluie, de la rivière, et que dans chacune de ces représentations le mot froid est évoqué aussi bien que le mot eau. […] Remarquez ce mot il suffit. […] Sous le mot égal réside le mot même ; voilà le mot essentiel ; telle est l’idée latente incluse dans l’idée d’égalité.
J’avais dessein de dire quelques mots de ces Mémoires avant les dernières élections : et avant tout le bruit qui s’est fait autour du nom de l’auteur165 ; je voudrais faire aujourd’hui l’article que je projetais auparavant : je ne pourrai m’empêcher toutefois d’accentuer davantage quelques traits. […] Cependant un sentiment de solidarité s’y développe chez lui ; opprimé, il prendra aussitôt parti pour les opprimés : « Ces souffrances de l’éducation universitaire ont laissé dans mon âme des traces ineffaçables ; elles y ont développé de bonne heure les instincts de solidarité au point que je n’ai jamais été témoin, que jamais je n’ai entendu le simple récit d’une injustice sans en ressentir le contre-coup ; je leur dois encore d’avoir été, dans toute l’étendue du mot, un excellent camarade. » La lecture de Gibbon commença de bonne heure son émancipation en matière de croyances. […] Il en avait une pour le prince Belgoijoso, à ce mot, le consul se récria : « Jeune homme, gardez-vous bien de faire une connaissance aussi dangereuse ; le prince est un don Juan. » En conséquence, dès le lendemain matin, M. d’Alton-Shée courait au palais Belgiojoso. […] Dufaure se permettent de pareilles accusations et assertions calomnieuses (il n’y a pas d’autre mot), que sera-ce des autres ?
Quel autre qu’un poète en effet aurait pu, dans un mot échappé à l’histoire, retrouver le chant de Néron à la vue de Rome en flammes ? […] Hugo n’a songé que plus tard à lui rappeler, au lieu de ces descriptions un peu superficielles de flammes ondoyantes, de fleuves de bronze, etc., etc., où l’auteur a pris insensiblement la place de son personnage, c’était l’âme du tyran qu’il s’agissait surtout de nous révéler dans toutes ses profondeurs, avec ses joies dépravées et ses cuisantes tortures, telle en un mot que l’éclairait l’incendie criminel où elle trouvait à la fois un supplice et une fête. […] Hugo et quelquefois un peu redondante, non pas cette harmonie attentive qui lie habilement les mots entre eux, mais celle qui marque le mouvement de la pensée et cadence la période. […] Son style pourtant ne blesse jamais la grammaire ni le vocabulaire de la langue, et ne présente ni mots ni tours inusités.
., en un mot tout ce qui se rapporte aux compositions et représentations dramatiques de ces temps. […] On trouve des mots français intercalés dans des sermons latins dès le xiie siècle, et sans doute auparavant. Presque toutes les liturgies relatives aux événements de la famille, au baptême, au mariage, etc., contiennent des mots ou même des portions de dialogue en langue vulgaire dont il faudrait faire le relevé. […] En général, la recherche des écrits latins du moyen âge se lie de près, non seulement à la connaissance du fonds littéraire commun de ces temps, mais aussi à l’étude philologique de notre langue, beaucoup de mots français, d’expressions françaises, plus ou moins altérés de l’ancien latin, ayant contracté cette altération dans leur forme de basse latinité.
Voilà deux cents ans que l’on fait des plaisanteries en France ; il faut donc que la plaisanterie soit très fine, autrement on l’entend dès le premier mot, partant plus d’imprévu. […] Remarquez que très souvent le narrateur répète deux fois les cinq ou six mots qui font le dénouement de son histoire ; et, s’il sait son métier, s’il a l’art charmant de n’être ni obscur ni trop clair, la moisson de rire est beaucoup plus considérable à la seconde répétition qu’à la première. […] L’on rit par exemple quand un acteur prononce le mot de lavement ou de mari trompé ; mais c’est le rire par scandale ; ce n’est pas celui que Laharpe nous annonce. […] Ce seul mot de Sainte-Pélagie, pour un homme titré, vieillit Molière.
C’est surtout en démocratie que se vérifie le mot connu : « Je suis leur chef ; il faut bien que je les suive ». […] Après avoir considéré les principes généraux de l’idéologie politique, disons un mot des formes politiques (État, Gouvernement, corps de l’État, dans lesquelles s’incarne la prétendue volonté générale). […] Le mot de Vigny est éternellement vrai : « Toutes les associations ont les défauts des couvents ». […] Parlant d’un récent « Congrès de la libre pensée », un publiciste écrivait récemment : « Ces mots hurlent de se trouver ensemble.
Elle savait huit langues, c’est-à-dire qu’elle avait huit mots pour une idée, aurait dit encore Rivarol, qui n’en eût pas été si fier pour elle que M. de Falloux. […] Cicéron et Sénèque et tous les autres, avec leurs Traités sur la vieillesse, orgueilleux et impuissants, qui, quand on les a lus, ne rendent que plus folles les âmes ardentes, les voilà effacés par quelques mots, écrits au crayon, sur son papier à papillotes, par une main de vieille femme, qui, ce soir-là, peut-être encore avait la goutte ! […] III Je n’hésite point à l’affirmer, c’est ce fragment sur la vieillesse (je n’écrirai jamais ce mot pédantesque de Traité, à propos des échappements de cœur de Mme Swetchine), c’est ce fragment que je préfère, lui, à tout dans ce livre, qu’on a fait pour elle, avec ces petits morceaux de papier qu’elle jetait dans sa corbeille, comme des chiffons de plus ! […] Et qu’on me le pardonne, je n’ai pas écrit ce mot de griffonneries sans dessein.
Rien de plus odieux, de plus abominable, et disons le mot, de plus assassin, que la conduite des philosophes du xviiie siècle contre Fréron. […] Au sens strict et métaphysiquement exact des mots, il n’y a pas d’impersonnalité. […] Il a cité l’ingénieuse Lettre sur Saadi à M. de Voltaire, qui raconte à Voltaire, sous le nom de Saadi, sa propre histoire ; et enfin le jugement sur Voltaire, qui n’a pas bougé depuis qu’il fut écrit, et que les admirateurs de Voltaire lui-même sont obligés d’accepter comme le dernier mot sur un homme qui, à force d’esprit, s’est fait prendre frauduleusement pour un génie. […] On a dit que ce régicide ne le devint que parce qu’on avait tué son père, en supprimant son Année littéraire au nom du roi, rendant ainsi, coup pour coup, à la royauté, le coup qu’il avait reçu d’elle… Crime plus grand que dans un autre, dans le fils d’un homme comme Fréron, qui dérogea si épouvantablement à sa naissance et aux vertus de son père, et à qui on pourrait appliquer le mot grandiose et terrifiant de Chateaubriand, parlant d’un autre fils coupable : « Si son père l’eût su dans sa tombe, il serait revenu lui casser la tête avec son cercueil !
Ce n’est pas de l’action, ce sont des mots qui ont tué Rome et la Grèce ! […] Pendant qu’il était en train de si bien faire en nous montrant l’antiquité, cette vaine parolière, descendant du sophiste au rhéteur et du rhéteur au grammairien, ces trois marches qui l’ont conduite au gouffre, je souhaitais que l’esprit qui voyait si clair en histoire tirât des faits, si curieux et si nombreux qu’il avait colligés, des conséquences plus circonstanciées et plus hardies, et qu’il osât des rapprochements entre des époques de décadence dont il est impossible de ne pas voir l’analogie… À certaines pages du livre en question, la décadence de l’antiquité, livrée à la phrase et aux mots pour les mots, rappelait à l’auteur d’autres décadences ; des rhéteurs grecs lui mettaient en mémoire d’autres rhéteurs, qui n’étaient pas grecs. […] Mais ce rapprochement m’en faisait espérer de plus grands… non plus entre deux rhéteurs isolés, mais entre l’antiquité et la France moderne, par exemple, — la France, qui commence d’avoir le mal des Grecs et des Romains, et qui, si ce mal oratoire, sophistique et cabotin, dont elle est la proie, continue, périra par les mots, comme l’antiquité !
des mots comme Pascal en laisserait tomber de son âme sombre : « L’ennui, c’est l’hydre de la vie. […] Malgré le bruit qu’on a fait de cette duchesse de Choiseul nouvellement découverte, la marquise Du Deffand, notre ancienne connaissance, lui est de beaucoup supérieure par l’esprit, le naturel, l’abandon, le tour original, et enfin l’ennui, cet ennui inconnu au xviiie siècle, qui prend tout dans son empâtement noir et fait briller les mots brillants bien davantage, comme un crêpe qu’on étendrait sur des diamants. […] Je n’aime point qu’une femme se tortille dans des mots comme celui-ci : « Je monte à cheval pour me faire peur », ou qu’elle joue à la froideur — cette fureur des hypocrites ou ce cynisme des impuissantes ! — dans cet autre mot, qui n’est pas le seul de l’espèce : « Il me suffit d’être contente pour être heureuse. » Je n’aime point qu’elle écrive à toute page des phrases dans ce genre affreux : « La nature est le seul tyran dont il ne faille pas secouer le joug.
Enfin, qu’on me passe le mot ! […] Et cela est évident, malgré la bonne contenance des mots et les ressources de la phrase, l’enthousiasme de l’éditeur, ce pompon qu’on se met sur l’oreille d’un autre, M. […] Sans amour-propre aucun, juste pour le plaisir d’être juste, désintéressé de lui-même, quand il se trompe, ce qui est très rare, sur le fond d’une chose ou d’un homme, il le dit et il ne s’épargne pas le mot meurtrissant. […] Collé est un Mentor aimable et un Machiavel sans inconvénient, mais parce qu’il donne ses leçons de séduction le rire de Démocrite aux lèvres il n’en est pas moins un moraliste dans le sens le plus réfléchi et le plus méprisant du mot.
Je crois bien qu’il se doutait un peu qu’il était le cadet, car dans toute cette correspondance, qui est l’histoire littéraire du temps de la découverte de Joubert, il n’est pas dit un mot de ce livre, qui fit un bruit si doux quand il parut, dont la gloire fut comme mélodieuse, et qui dut le ravir, — je n’en doute pas ! […] Quand on a tant de talent, on doit avoir une conscience qui vous dit que vous en avez… Doudan a porté dans autre chose que dans ses lettres les facultés délicates et poétiques (et pour moi ce mot-là dit tout !) […] Dans ses lettres, il y a deux mots de détestation sur eux et il passe… Et Lamennais ? […] Il n’a pas l’air de se douter de la supériorité de pareils hommes… Stendhal, qui publiait alors des choses aussi neuves que profondes, Stendhal, l’original auteur de Rouge et Noir, n’a qu’un mot, à propos de sa Chartreuse, et il est de mépris, — et du plus ignorant des mépris !
L’auteur de ce travail, M. l’abbé Sauveur Gorini, ne peut pas passer pour un écrivain dans le sens littéraire du mot, quoiqu’il ait souvent ce qui fait le fond de l’écrivain, — une manière de dire personnelle, — mais c’est un érudit, et un érudit d’une nouvelle espèce, venu en pleine terre, à la campagne, comme une fleur sauvage ou comme un poëte… Jusqu’ici vous aviez cru, n’est-ce pas ? […] qu’il nous passe le mot, c’est presque un phénomène. […] Cette critique, qui s’en prend aux textes et qui s’est faite aussi fine aussi déliée, aussi imperceptible à l’œil nu ou inattentif, que ce tas d’erreurs, qui, pour peu qu’on les voie, nous aveuglent bien souvent comme la poussière, cette critique aiguë, suraiguë, à mille coups d’aiguille qui percent et déchiquètent à force de percer, l’Histoire contemporaine n’en a soufflé mot. […] et elle qui, comme lui, en a souffert sans mot dire, plus tard, — dans l’avenir, — elle en souffrira bien davantage !