/ 3692
980. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Crétineau-Joly »

L’Ordre de Jésus, frappé d’une abolition qui fut un coup de foudre contre le principe du catholicisme, n’est pas mort du coup et ne pouvait pas mourir. […] Un an après la mort de Léon, l’ordre des Camaldules fut ramené à des observances plus sévères. […] ce n’était pas pour les morts ! […] Elle frappa un ennemi à terre, ce qui est la lâcheté des lâchetés, et elle attribua au poison vengeur des Jésuites la mort d’un Pape que ses gouvernements avaient tué. […] Son récit, commencé avec les événements du Portugal, va plus loin que la mort de Clément XIV.

981. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Gustave Flaubert »

Par exemple, s’il s’avise de penser à la vieillesse fut turc de sa maîtresse, il la décrira ride par ride, cheveu blanc par cheveu blanc, et de la vieillesse passant à la mort, il décrira, une fois en train, l’enterrement, les croque-morts, le nasillement des prêtres, et jusqu’à la fumée de la mèche des cierges qui s’éteignent. […] Mais, en attendant, la Critique, qui dès Salammbô avait prévu son épuisement définitif, peut écrire, de ses mains tranquilles, l’épitaphe de cet homme mort : « Ci-gît qui sut faire un livre, mais qui ne sut pas en faire deux !  […] À partir de Madame Bovary, qui fut son premier mot, sur lequel il a vécu toute sa vie, jusqu’à Bouvard et Pécuchet, qui a été son dernier, sur lequel il est mort, Gustave Flaubert (rendons-lui cette justice !) […] Déception que la mort lui a épargnée ! […] Cet implacable et indomptable Flaubert, ce maniaque qui avait toujours sur le nez à califourchon un bourgeois, comme Michelet y avait un jésuite, cet homme de tempérament sanguin et romantique, qui respirait la guerre contre le bourgeois depuis 1830, est mort de ce bourgeois descendu de son nez dans son ventre, et qui était en lui comme un choléra perpétuel… Et c’est ce choléra du bourgeois qui a fini par l’emporter.

982. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Étude sur la vie et les écrits de l’abbé de Saint-Pierre, par M. Édouard Goumy. L’abbé de Saint-Pierre, sa vie et ses œuvres, par M. de Molinari. — II » pp. 261-274

L’abbé de Saint-Pierre fit peu parler de lui pendant vingt ans, jusqu’à la mort de Louis XIV ; il était occupé en silence, et avec une bonne fois parfaite, du perfectionnement de ses idées et de l’accroissement graduel de sa raison. […] Le second acte, possible seulement au lendemain de sa mort, était d’écrire contre le despotisme et le gouvernement personnel d’un seul. […] » — On sait son mot à Mme Geoffrin qui, après une soirée passée entre eux deux en tête-à-tête, et où elle avait tiré de lui tout le parti possible, lui faisait compliment : « Je suis un mauvais instrument dont vous avez bien joué. » — Âgé de quatre-vingt-cinq ans et près de sa fin, il répondit à Voltaire qui lui demandait comment il considérait ce passage de la vie à la mort : « Comme un voyage à la campagne. » — Avec une suite de ces mots-là on ferait de lui un portrait agréable et un peu menteur. […] Il était à l’article de la mort (1743) et venait de remplir ses devoirs de chrétien, en présence de sa famille et de ses domestiques.

983. (1874) Premiers lundis. Tome II « Mémoires de Casanova de Seingalt. Écrits par lui-même. »

Ce Vénitien, issu de sang espagnol, qui compte dans sa généalogie force bâtards, religieuses enlevées, poètes latins satiriques, compagnons de Christophe Colomb, secrétaires de cardinaux, et une mère comédienne ; ce jeune abbé, qui débute fraîchement comme Faublas et Chérubin, mais qui bientôt sent l’humeur croisée de Lazarille et de Pantalon bouillonner dans sa veine, qui tente tous les métiers et parle toutes les langues comme Panurge ; dont la vie ressemble à une comédie mi-partie burlesque et mi-partie amoureuse, à un carnaval de son pays qu’interrompt une atroce captivité ; qui va un jour visiter M. de Bonneval à Constantinople, et vient à Paris connaître en passant Voisenon, Fontenelle, Carlin, et être l’écolier du vieux Crébillon ; ce coureur, échappé des Plombs, mort bibliothécaire en un vieux château de Bohême, y a écrit, vers 1797, à l’âge de soixante et douze ans, ses Mémoires en français, et dans le meilleur et le plus facile, dans un français qu’on dirait naturellement contemporain de celui de Bussy. […] Son père était mort le laissant en bas âge. […] « Son vice, comme tous les miens, dit l’auteur des Mémoires, doit aujourd’hui être mort de vieillesse. » Élevé d’abord chez sa grand-mère maternelle, qui s’appelait Marzia, soumis par elle, dans une maladie qu’il fit, à toutes les superstitions populaires et aux pratiques occultes de la magie, il y prit, sans trop y croire, un avant-goût de cette disposition à la cabale et aux enchantements, qui fut quelquefois une de ses ressources en ce siècle de Cagliostro. […] Le grand a Frédéric l’a conservé jusqu’à sa mort. » Nous avons voulu citer la peinture de cet iris, pour montrer avec quelle facilité lumineuse écrit notre Vénitien, et comme je ne sais quelle grâce des Sévigné, des Choisy et des Bussy a passé par là et voltige sous cette plume d’au-delà des monts.

984. (1858) Cours familier de littérature. V « Préambule de l’année 1858. À mes lecteurs » pp. 5-29

Le bonheur de la mort, c’est d’être enseveli. […] Enfin te souviens-tu de ces jours où l’orage À la hauteur du flux fit monter ton courage, Prompt à tout, prêt à tout, à la mort, à l’exil, Quand il fallait conduire un peuple avec un fil, Et que tu traversais la grande Olympiade, Aristippe masqué du front d’Alcibiade ? […] J’ai toujours envié la mort de ce grand homme, Esprit athénien dans un consul de Rome, Doué de tous les dons parfaits, quoique divers, Fulminant dans sa prose et rêveur dans ses vers, Cicéron en un mot, âme encyclopédique, Digne de gouverner la saine république, Si Rome, riche en maître et pauvre en citoyen, Avait pu supporter l’œil d’un homme de bien ! […] Le jardin qu’il aimait but le sang de son maître… De son bouquet sanglant ardente à se repaître, Fulvie, en recevant la tête dans son sein, Passa sa bague au doigt du tribun assassin ; Puis, dans l’organe mort pour punir la harangue, De son épingle d’or elle perça la langue, Et sur les Rostres sourds fit clouer les deux mains Qui répandaient le geste et le verbe aux Romains !

985. (1861) Cours familier de littérature. XI « Atlas Dufour, publié par Armand Le Chevalier. » pp. 489-512

Pourquoi prêtons-nous une main complaisante, et peut-être meurtrière, à l’Angleterre, qui va chercher des consommateurs d’opium de plus dans ces régions, vendre la mort, en vendant des vices, et se préparer des sujets de plus dans l’extrême Orient ? […] Mais si l’on considère de l’humanité son âme, son intelligence, sa moralité, sa destinée évidemment supérieure à cette vie et à cette mort entre lesquelles elle s’agite, sa connaissance de Dieu, l’hommage qu’elle rend à ce maître suprême de ses destinées individuelles ou collectives, la transition entre le fini et l’infini dont elle paraît être le nœud par sa double nature de corps et de pensée, sa conscience, faculté involontaire, révélation, non de la vérité, mais de la justice, son instinct évidemment religieux, son inquiétude sacrée qui lui fait chercher son Dieu, avant tout créature sacerdotale, chargée spécialement par l’Auteur des êtres de lui rapporter en holocauste les prémices de ce globe, la dîme de l’intelligence, la gerbe de l’autel, l’encens des choses créées, la foi, l’amour, l’hymne des créations muettes, la parole qui révèle, le cri qui implore, l’obéissance qui anéantit le néant devant l’Être unique, le chant intérieur qui célèbre l’enthousiasme, qui soulève comme une aile divine l’humanité alourdie par le poids de la matière, et qui la précipite dans le foyer de sa spiritualité pour y déposer son principe de mort et pour y revêtir d’échelons en échelons sa vraie vie, son immortalité dans son union à son principe immortel ! […] Si j’étais père de famille, au lieu d’être un solitaire de l’existence entre deux générations tranchées par la mort, du passé et de l’avenir de ce globe, qui n’a plus pour moi que le tendre et triste intérêt du tombeau ; ou si j’étais un instituteur de la jeunesse, chargé de lui enseigner le plus rapidement et le plus éloquemment possible ce que tout homme doit savoir du globe et de la race à laquelle il appartient, pour être vraiment intelligent de lui-même, je suspendrais un globe terrestre au plancher de ma modeste école, et j’expliquerais, avec ce miraculeux démonstrateur de l’astronomie, le second Herschel, la place et le mouvement de notre globule au milieu des espaces et des mouvements de cette armée des astres, qui exécutent, chacun à son rang et à son heure, la divine stratégie des mondes.

986. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre IV. La littérature et le milieu psycho-physiologique » pp. 126-137

» Un jour, il accompagne Mme d’Épinay dans une visite qu’elle rend au précepteur de son fils, et, comme on cause de la manière dont l’enfant doit être élevé, Duclos, avec sa brusquerie habituelle, lance tout à coup ces paroles : « N’allez pas faire la bêtise de lui dire du mal des passions et des plaisirs ; j’aimerais autant qu’il fût mort que condamné à n’en pas avoir. » Rousseau va plus loin encore. […] Préoccupation de l’au-delà et jouissance affolée du présent peur de la Mort et fougueux élan vers l’Amour, son frère ennemi voilà ce qu’inspire d’ordinaire une de ces calamités où l’homme se sent à la merci d’un mal mystérieux et implacable. […] Paris avait vu des milliers d’êtres humains emportés par une maladie inconnue et foudroyante ; des rues entières dépeuplées, au point que les fabricants de cercueils ne suffisaient plus à la consommation ; des cadavres empilés nus, pêle-mêle, à ciel ouvert, dans des charrettes quelconques ; des terreurs paniques, où la foule avait mis en pièces des hommes accusés d’empoisonner le vin et les fontaines ; le plaisir côtoyant la mort ; des mascarades plus folles que jamais ; et dans les théâtres mêmes des sachets de camphre, des seaux d’eau chlorurée destinés à conjurer le péril toujours invisible et présent. […] La plaisanterie devient âcre, mordante, la passion convulsive ; l’outrance fait partout irruption ; et, au milieu de rires éclatants et saccadés, on voit grimacer la mort qui obsède les imaginations, on entend un long gémissement qui monte du fond des âmes et qui révèle la fatigue, la souffrance d’une société anémique et hystérique.

987. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. de Lacretelle » pp. 341-357

Henri de Lacretelle a suspendu une histoire apologétique de la République de 1848 et de ceux-là, ses amis, morts ou vivants encore, — c’est comme s’ils étaient morts ! […] Et il faut bien le dire, à ceux qui ont l’orgueil de leur prose : quand les criailleries de la politique contemporaine seront mortes, ce qui vivra encore, et toujours, de Lamartine, ce sera… ses vers ! […] Et si, dans ses autres poésies, — Les Recueillements, Jocelyn, La Chute d’un ange, où le poète fut l’ange même dans sa chute, le Dernier chant de Child-Harold, dans lequel il lutta avec ce Byron qui avait affecté de ne pas l’entendre, quand il avait parlé de lui en termes dont une fierté si royale et si satanique même qu’elle fût, aurait dû être reconnaissante, La Mort de Socrate, où la beauté du texte de Platon est vaincue et divinisée par une forme inconnue aux Grecs, — si enfin partout, dans tous ses poèmes, Lamartine se sentit au niveau du poète des premières Méditations, jamais il ne monta plus haut que dans les Harmonies.

988. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Goethe »

» Mais, pour cela, il n’attendit pas que ses larmes — s’il en versa — fussent essuyées, et que la Volonté, cette lente conquérante, eût fait la paix, la paix de la mort, sur les ruines de son cœur dévasté. […] En vain il souffre par Charlotte, ce jeune homme de vingt-trois ans, qui ne souffrira plus demain, mais il n’oublie pas, à chacun de ces coups qui font pousser aux hommes le cri vrai, de pousser le cri de la rhétorique et d’invoquer les dieux immortels, les génies, les forces, les tourbillons, et toute cette mythologie panthéiste d’un paganisme renouvelé, qui seront un jour les causes de mort de ses écrits et les rendront insupportables. […] Ainsi, après la mort, le bonheur de cet homme ne cesse pas. […] Ce que ne pourrait faire Goethe, puisqu’il est mort, les Allemands qui l’admirent le feront pour lui.

989. (1860) Cours familier de littérature. IX « Le entretien. Les salons littéraires. Souvenirs de madame Récamier (2e partie) » pp. 81-159

Quant à lui, plus mort que vif, il allait partir pour la campagne, où il resterait jusqu’à ce que la réponse de l’Empereur fut connue. […] Ballanche n’avait rien de ce qui distrait une pensée d’une idole ; aussitôt après la mort de son père, Ballanche, comme l’homme de l’Évangile, vendit tout pour s’attacher comme une ombre aux pas et au sort de sa belle compatriote. […] Un jeune et noble admirateur, le prince de Rohan (depuis archevêque de Besançon, mort de ses aspirations vers le ciel), la fréquenta assidûment à Rome. […] La Providence lui renvoya Ballanche, affranchi de ses devoirs par la mort de son père. […] Elle y retrouva la duchesse de Devonshire, autre amie inconsolable, qui venait de perdre le cardinal Consalvi, mort de douleur de la perte de Pie VII.

990. (1896) Les origines du romantisme : étude critique sur la période révolutionnaire pp. 577-607

Quelquefois je rougissais subitement et je sentais couler dans mon cœur, comme des ruisseaux d’une lave ardente ; quelquefois je poussais des cris involontaires et la nuit était également troublée de mes songes et de mes veilles. » Il appela la mort. […] Il s’excusa en prétendant que la mort de sa mère avait été son chemin de Damas : « J’ai pleuré et j’ai cru », fut sa réponse. Le même accident arriva à Mme de Staël : mais dans son cas ce fut la mort du père qui, de la philosophe, fit une chrétienne romantique ; changez le sexe du néophyte et du coup vous changez celui du convertisseur. […] Ce n’est pas tant à braver la mort, qu’à braver la douleur qu’il faudrait accoutumer les hommes. […] Histoire d’un moine Espagnol, beau garçon et éloquent orateur ; il s’énamoure d’une religieuse, la débauche ; subit la torture, est enfermé dans un in pace, évoque Satan, ressuscite des morts, parcourt la terre, comme le Juif errant, pourchassé par des diables.

991. (1904) En lisant Nietzsche pp. 1-362

Mais, ô mort, où est ta victoire ? […] À la mort, d’abord, à la mort actuelle, condition nécessaire et condition adorée de la vie réelle. « À la mort ! […] À la gloire par la mort, c’est la devise même du chrétien. […] Au fond le chrétien est homme de mort, d’ombre sépulcrale, amant de la mort.

992. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — C — article » pp. 2-5

COLARDEAU, [Julien] Procureur du Roi à Fontenai-le-Comte en Poitou, mort en 1641 ; Poëte qui ne mérite point assurément l’obscurité où il est aujourd’hui. […] Après avoir fait voir les deux armées aux prises, & avoir peint d’une maniere énergique la défaite du Duc, il lui adresse ainsi la parole : Grand Héros, qu’un excès d’amour & de valeur Engage aveuglément dans le dernier malheur, Tous tes autres exploits ont mérité de vivre ; Ils vivront à jamais sur le marbre & le cuivre : Tes sublimes vertus, dignes d’un meilleur sort, Effacent, à nos yeux, la honte de ta mort ; Et les siecles futurs, francs de haine & d’envie, Ne doivent pas juger de l’état de ta vie, Par l’instant malheureux qui surprit tes beaux jours D’une éclipse fatale au milieu de leur cours.

/ 3692