Le paganisme, dans son plus haut point de perfection morale, a produit le stoïcisme, espèce d’innocence orgueilleuse et stérile. […] Mignet, que Calvin fit une doctrine exagérée de logiciens un culte et une morale de puritains, et un gouvernement de démocrates… Il prépara dans Genève une croyance et un gouvernement à tous ceux en Europe qui rejetteraient la croyance et s’insurgeraient contre le gouvernement de leur pays. […] Les additions ne contredisent pas la louange que lui a donnée Théodore de Bèze, de n’avoir rien changé ni ajouté à sa doctrine, si ce n’est plutôt marque de médiocrité que titre de gloire pour un homme, d’avoir été immuable, en tout ce qui ne regarde pas la conduite morale. […] Il faut comprendre dans ce mot la science des rapports de l’homme avec Dieu dans la religion, de l’homme avec son semblable dans la société chrétienne ; l’étude des sources mêmes de cette science, les livres saints, pénétrés par le plus subtil des docteurs, et interprétés par le plus clair des écrivains ; tant d’explications si hautes de la parole de Dieu, de ses prophètes, de la doctrine des Pères ; toute l’antiquité chrétienne rendue familière à tout le monde, dans son histoire que Calvin raconte avec un détail plein d’intérêt, dans sa morale dont il sonde la profondeur ; enfin, la suite de l’histoire de l’Église, d’après les autorités, toujours bien connues, lors même qu’elles sont interprétées faussement ; et toutes ces critiques, souvent éloquentes, toujours vives et précises, des abus de l’Église d’alors, que Calvin étale sans charité, mais qu’il sait exagérer sans déclamation.
Débité en scène, le morceau a paru sec et bizarre, alambiqué et sophistiqué, sans vérité morale et sans exactitude scientifique. C’est le fond, de plus en plus mélangé, du panier où l’auteur entasse ses aphorismes de morale sociale, et dont les pêches à quinze sous du Demi-Monde offraient la primeur. […] La pudeur, chez la femme, n’est pas seulement morale, elle est dramatique ; elle seule peut poétiser ses chutes et relever ses écarts. […] Ici a lieu la grande scène du drame, très violente et très émouvante, mais d’une morale inacceptable, et qui ne résiste pas à la réflexion.
Le clerc garde pourtant la meilleure part, le dogme, la morale, la chronique : il ne laisse au chanteur mondain que d’assez frivoles poésies, encore lui en dispute-t-il souvent le privilège. […] Le goût n’aura pas moins à perdre que la morale. […] Elle renferme dans son sein toute vérité connue de l’homme ; toutes les découvertes de la science, tous les faits constatés par l’observation des sens ou par l’instinct du cœur, tous les axiomes de la raison et de la morale sont les dogmes bienfaisants qu’elle nous propose. […] Qu’il soit vrai, qu’il soit grand ; qu’il comprenne son siècle et l’exprime ; que, pareil aux végétaux du globe, il aspire l’atmosphère et la respire purifiée ; qu’il s’élève à toutes les hauteurs de l’art, il atteindra en même temps à celles de la morale.
Malgré le grand creux qu’il trouvait, dit-il quelque part, dans l’antiquité profane, il était en intelligence, en harmonie de l’âme avec cette poésie morale venue de Pythagore et déclarée sainte par Platon, toute pleine d’éclatantes peintures et de graves pensées, et souvent si chaste et si haute, que les premiers pères de l’Église l’accusaient d’avoir dérobé la parole de Dieu, comme Israël les vases d’Égypte, et que Clément d’Alexandrie en particulier prétendait noter dans Pindare bien des traits empruntés aux chants de David et à la sagesse de Salomon. […] Car ce poëte, ce musicien, est un sage, un disciple immédiat de l’école philosophique la plus pure avant Socrate et Platon, de cette école pythagoricienne qui, mêlant l’ardeur ascétique à la science, inspira les premiers martyrs de la vérité morale et forma plus tard le héros le plus honnête homme de l’antiquité, Épaminondas, élève du chanteur Olympiodore et du philosophe Lysis, en même temps que le plus agile coureur de la lice thébaine8, Épaminondas, grand homme, sans les vices trop fréquents des héros antiques et les défauts ordinaires des hommes. […] On sent la foi candide d’une imagination pieuse éclairée par une sublime morale ; c’est Pythagore épurant Homère. […] » Ce n’est rien moins que le fait d’une morale primitive, d’une vérité absolue, c’est-à-dire la base même de tout droit.
Nul doute que, dans cette sève brûlante d’Eschyle, dans cette lave tragique coulant à pleins bords, la puissance lyrique ne dominât toujours, et sous les deux formes les plus naturelles, l’imagination et la morale, la description et la maxime. […] Mais, après lui, la gravité morale du Chœur paraîtra plus majestueuse encore, plus calme, plus rapprochée de la hauteur des cieux qu’elle invoquait, moins menaçante enfin et plus instructive pour tes humains, dont elle plaignait les maux et les fautes. […] » Ainsi, la pensée morale du poëte, le vœu de la paix, l’horreur de la guerre, l’amour de la patrie se fait jour, à travers les crises sanglantes du drame ; et l’éclat du génie lyrique adoucit, en s’y mêlant, les terreurs de la scène. […] Apollon ne se reconnaît plus à ses honneurs : les Dieux s’en vont. » Cette invocation devant le peuple d’Athènes, cet appel à l’éternité de la loi morale, cette demande aux Dieux de manifester leur justice, n’était-ce pas l’hymne sacré dans toute sa puissance, transporté sur le théâtre et y continuant l’instruction commencée dans les temples ?
Turretin sut intervertir habilement l’ordre calviniste, en faisant passer la morale avant le dogme, en posant en principe « qu’on ne doit jamais porter en chaire ces questions qui sont controversées entre les protestants : d’un côté parce qu’elles surpassent la portée du peuple, et de l’autre parce qu’elles ne contribuent en rien à avancer la sanctification des âmes ». […] À défaut d’une grande originalité, Turretin eut donc de l’à-propos, de la sagesse pratique, de la persuasion, une influence salutaire, et il contribua à fixer pour un long temps cette température religieuse et morale dans laquelle on respira désormais plus librement, et qui permettait d’être à la fois, dans une certaine mesure, chrétien, philosophe, géomètre et physicien, homme d’expérience, d’examen, de doute respectueux et de foi. […] En un mot, malgré l’extension morale et la tolérance relative, due à l’influence de Turretin, la cité intellectuelle génévoise restait, à quelques égards, fermée comme la cité politique.
Il y a une morale humaine supérieure même à la morale légale, là où celle-ci ferait défaut. […] La femme elle-même, souvent si légère ailleurs, y est dépourvue de toute coquetterie, ce vain masque d’amour et de toute inconstance… Les liaisons sont des serments tacites que la morale peut désapprouver, mais que l’usage excuse et que la fidélité justifie. » Stendhal, de même, qui savait si bien sa Rome et sa Florence, n’a cessé de nous montrer l’amour italien, exempt de toute coquetterie et de toute lutte maniérée et vaniteuse.
Ils sont misérablement superstitieux dans les pratiques du catholicisme ; mais ils ne croient point à l’indissoluble alliance de la morale et de la religion. […] Dans l’Orient, le despotisme tourna les esprits vers les jeux de l’imagination ; on était contraint à ne risquer aucune vérité morale que sous la forme de l’apologue. […] C’est que, dans leur situation politique et morale, l’âme ne peut avoir son entier développement ; leur sensibilité n’est pas sérieuse, leur grandeur n’est pas imposante, leur tristesse n’est pas sombre.
Du jour où son esprit au-dessus du sentiment, conçoit la loi morale, elle est chrétienne. […] Elle « ne pense pas que ce grand œuvre de la nature morale ait été jamais abandonné ; dans les périodes lumineuses, comme dans les siècles de ténèbres, la marche graduelle de l’esprit humain n’a jamais été interrompue ». […] Il se divise en quatre parties : 1° De l’Allemagne et des mœurs des Allemands ; 2° De la littérature et des arts ; 3° La philosophie et la morale ; 4° La religion de l’enthousiasme.
Janet dégage de son théâtre la plus saine morale et la plus correcte ; écoutez M. […] S’est-on assez extasié sur les femmes de Molière, Éliante, Elmire, Henriette, sur leur bon sens, leur franchise, leur belle santé morale ! […] Il s’insurge à la fois contre leur observation sans entrailles et contre l’immoralité de leur morale qui inflige au vice, froidement et sans un mot de plainte, un châtiment fatal comme lui.
Le raisonnement, par lequel on peut résoudre cette question, conclure d’une particularité esthétique d’une œuvre à une particularité morale de son auteur, est fort simple. […] Ici, l’étude des relations entre les sentiments de l’œuvre et la nature morale de l’auteur demande plus de soins. […] Les âmes de Flaubert et de Leconte de l’Isle nous sont connues ; le pessimisme ironique de l’un, hautain de l’autre, leur amour d’une sorte de beauté opulente, barbare et dure, leur fuite vers les époques lointaines qui la réalisent et leur mépris tacite ou haineusement exprimé pour les temps modernes qui la nient, sont autant de traits aisément discernables de leur physionomie morale, que leur œuvre cache mais moule.
Le type du prince Valkowski dans Humiliés révèle quelques-unes des fanges dormantes de l’humanité, et dessine surtout dans cette conversation serpentine et gratuitement insultante où il parle avec des crudités canailles de la liaison de son fils avec une jeune femme, devant celui qui l’eut pour fiancée, « pour, dit-il, baver sur votre amour. » Et comme le romancier mesure l’odieux de certains actes, il sait aussi décrire l’agonie morale qu’ils infligent aux âmes délicates et froissées. […] Le lent et sourd accroissement de l’angoisse morale de Raskolnikoff, le vertige et l’oppression de son projet, qu’il apercevait vague et cependant fatal dans le délabrement de ses forces, son sourd malaise une fois le sang versé, et l’étrange sensation de retranchement qui le prend, le lâche et le tient quand il revoit sa mère et sa sœur, la cruauté de se sentir interdit à leurs caresses et de ne pouvoir leur parler que les yeux détournés vers l’ombre ; puis la terreur croissante et une sorte d’ironique rudesse s’installant dans son âme, qui l’introduisent à revisiter le lieu du crime, et à machiner de singulières mystifications qui le terrifient tout à coup lui-même — ces choses lacèrent son âme et rompent sa volonté ; ainsi abattu et ulcéré, il est amené d’instinct à visiter Sonia, et à s’entretenir avec elle en phrases dures, qu’arrête tout à coup le sanglot de sa pitié pour elle, pour lui et pour tous, en une crise où il sent à la fois l’effondrement de son orgueil et la douceur de n’être plus hostile ; des retours de dureté, la sombre rage de ses premières années de bague, l’angoisse amère d’un cœur vide et murmurant, conduisent à la fin de ce sombre livre, jusqu’à ce qu’en une matinée de printemps, au bord des eaux passantes d’un fleuve, que continue au loin la fuite indécise de la steppe, il sente, avec la force d’eaux jaillissantes, l’amour sourdre en lui, et l’abattre aux pieds de celle qui l’avait soulagé du faix de sa haine. […] Par une autre conséquence du même principe, le spectacle de la souffrance humaine, physique et morale, perçue d’ailleurs dans un milieu où l’homme pâtit plus qu’ailleurs, l’affligeait d’un choc plus violent que cela n’a lieu pour le commun de hommes ; car il ne pouvait réfléchir combien les malheureux sont détestables parfois, ni mesurer exactement le degré de leur infortune, qui prend une intensité entièrement différente, selon qu’on néglige ou qu’on compte le fait de l’accoutumance.
L’individu les trouve toutes formées et il ne peut pas faire qu’elles ne soient pas ou qu’elles soient autrement qu’elles ne sont ; il est donc bien obligé d’en tenir compte et il lui est d’autant plus difficile (nous ne disons pas impossible) de les modifier que, à des degrés divers, elles participent de la suprématie matérielle et morale que la société a sur ses membres. […] Cette antithèse est celle que les moralistes ont souvent signalée entre les deux notions du bien et du devoir qui expriment deux aspects différents, mais également réels, de la vie morale. […] C’est pourquoi chacun de nous se fait, dans une certaine mesure, sa morale, sa religion, sa technique.