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1092. (1895) Journal des Goncourt. Tome VIII (1889-1891) « Année 1889 » pp. 3-111

Je ne crois pas cependant avoir de petits Goncourt de par le monde. […] Le monde des petites places est également très impressionné par la pièce, et M.  […] Dans ce monde des bibliophiles, dans ce monde de domestiques du vieil imprimé, c’est vraiment un révolutionnaire que ce Gallimard, qui va dépenser 5 000 francs, pour se donner, à l’instar d’un fermier général, pour se donner à lui seul, une édition de luxe moderne, et d’un livre tel que Germinie Lacerteux. […] La scène du barbotage de la toilette, montrant le boucher dans l’homme du monde, avant qu’il ait endossé le plastron de soirée, c’est vraiment pas mal. […] Enfin il ne voit plus âme au monde, mange chez lui, se couche à neuf heures, affirmant qu’il n’a pas de maîtresse.

1093. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « George Sand — George Sand, Valentine (1832) »

Mais, de là au don créateur et magique des Le Sage, des Fielding, des Prévost, des Walter Scott, il y a évidemment une distance infinie : d’un côté, le fait réel, le cas particulier, l’historien encore rempli de lui-même, qui intéresse par une reproduction animée et fidèle ; de l’autre la diversité des combinaisons, la fécondité des sentiments, tout un monde de créatures pour les revêtir et les exprimer ; la réalité à la fois transformée et partout reconnaissable ; l’univers, en un mot, et l’homme, aux mains de l’art et du génie. […] Une fois dans ce riant paysage du Berry, sous les érables si frais de la Vallée noire, à deux pas de l’Indre qui n’est là qu’un joli ruisseau, après le premier regard de connaissance jeté à la famille Lhéry et aux jeunes habitants de la ferme Grangeneuve, j’oubliai tout le reste, je me laissai vivre et aller au cours des choses ; je me sentais introduit dès l’abord dans un monde facile et nouveau. […] Sand cachait un de ces maîtres à qui la baguette et le miroir d’enchanteur ont été donnés, à qui le monde est ouvert pour qu’ils s’y promènent, et qui, s’ils veulent faire de leur art un juste emploi, peuvent nous entraîner sur leurs traces et nous retenir longtemps. […] Après l’intérieur de la ferme et le bal champêtre qu’un critique très-spirituel, dans la Revue des deux Mondes, a comparés à quelque tableau malicieux et tendre de Wilkie, on a, au retour, cette nature si fleurie et si odorante, sur laquelle la nuit jette ses ombres grandioses et que la lune éclaire avec beauté ; on a, dans ces solitudes suaves, un chant mélodieux de jeune homme qui arrive tout d’abord au cœur d’une amazone égarée comme Herminie.

1094. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre I. Les origines du dix-huitième siècle — Chapitre II. Précurseurs et initiateurs du xviiie  siècle »

Rousseau : c’était bien le précieux Cydias, et « le pédant le plus joli du monde ». […] Mais Fontenelle trouva sa vraie voie lorsqu’il composa ses Entretiens sur la pluralité des Mondes (1686), puis lorsque, ayant été nommé secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences (1697), il écrivit l’Histoire de l’Académie et les Éloges des Académiciens : il entra alors tout à fait dans son rôle, qui était d’être le maître de philosophie des gens du monde, d’introduire la science dans la conversation des femmes. […] C’était un homme du monde exquis : d’humeur toujours égale, doux, poli, souriant. […] Il demandait aux dames, pour comprendre sa Pluralité des mondes, tout juste la même somme d’attention dont elles ont besoin pour suivre la Princesse de Clèves.

1095. (1890) L’avenir de la science « Sommaire »

Comment la philosophie gouvernera un jour le monde et comment la politique disparaîtra. […] Jamais la frivolité ne gouvernera le monde. […] Le monde de Cosmas et celui de Humboldt ; de même, le vrai système des choses se trouvera infiniment supérieur à nos pauvres imaginations. […] Le philosophe, c’est le spectateur dans le monde.

1096. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre VII » pp. 56-69

Elle regarde la vie campagnarde, la chasse, la pèche, et même, il faut l’avouer, l’agriculture, dont il est fort pardonnable à une femme du grand monde de n’être pas charmée. […] Les citoyens romains apportaient de grands avantages dans le monde ; devaient beaucoup à leurs mères et ci leur naissance, savaient quantité de choses que personne ne leur avait apprises . […] Pas un de leurs gestes, pas un de leurs mouvements qui fût indigne de la souveraineté du monde ; ils riaient même, ils se jouaient avec une sorte de dignité. » Ici l’auteur fait un retour vers madame de Rambouillet, pour remarquer qu’elle est de ce caractère, qu’elle descend du même principe, fille de leur discipline et de leur esprit , et ne tient pas moins de l’a magnanimité des César et des Scipion que de l’honnêteté des Livie et des Cornélie. […] En tout temps, il vaut mieux, dans le monde, parler des mots que des personnes.

1097. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « VII »

Car ils sont fort rares, par bonheur, les écrivains français qui ont su le grec. » Que beaucoup de grands écrivains français aient imité Homère, c’est un fait que toutes les négations du monde ne détruiront pas ; et si, de plus, ils ignoraient le grec, cela prouve qu’il n’est pas nécessaire de le savoir pour faire des chefs-d’œuvre et fructueusement imiter Homère, Nous ne disons pas autre chose. […] De sorte que, si je n’y suis pas « allé » moi-même, quelqu’un y est « allé » pour moi et que je n’ai pas été le moins du monde « privé de la réalité », comme le prétend M. de Gourmont, qui, entre parenthèses, ne trouve ma description si mauvaise que parce qu’il la croit imaginée. […] Michel Bréal, des « locutions stéréotypées déjà employées, et non des photographies involontaires du monde extérieur, comme on l’a dit ». Qu’il y ait dans Homère des épilhètes de tradition, personne ne le nie ; que ces épithètes soient, à elles seules, des « photographies du monde extérieur », je ne crois pas que quelqu’un l’ait prétendu ; mais que les descriptions d’Homère soient vivantes, en relief, et en quelques sorte photographiques, M. 

1098. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « La diplomatie au xviie  siècle »

Eux seuls peuvent mettre dans le compte rendu de celles dont ils furent chargés et dont ils s’acquittèrent le quelque chose d’humain, de passionné, de dramatique, inhérent à des démêlés et des complications d’intérêts qui eurent certainement leur sérieux, leur tragique, leur comique, leur variété, leur inattendu, comme toutes les choses de ce monde. […] En l’acceptant comme elle est écrite, on se demande si la diplomatie est plus qu’une alchimie de riens, — ou quelque obstiné travail d’insecte, quelque tissage de fils d’araignée, interrompu et recommencé dans des circumflexions, sur place, infinies, — et on se sent pris, pour ces petits travailleurs en grandes affaires, du mépris qu’avait pour la médiocrité des meneurs du monde le grand chancelier Oxenstiern, qui s’y connaissait ! […] En effet, tel que le voilà, s’il est creux, il est grave ; et la gravité est une tartufferie de l’esprit qui réussit toujours, avec ce peuple d’Orgons intellectuels dont le monde est fait. […] Pensez, par exemple, au succès toujours subsistant, toujours verdissant, toujours florissant, des séances de l’Académie, et à celui de la Revue des Deux Mondes.

1099. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « A. Grenier » pp. 263-276

Ces messieurs sont, pour la plupart, trop sceptiques, trop éclectiques, trop philosophiques, — ces trois choses qui n’en font qu’une, comme la sainte Trinité à laquelle ils ne croient pas, — pour ne point placer le monde antique, fils du paganisme, bien au-dessus du monde moderne, fils de l’Église, et pour ne pas reprendre et ne pas recommencer incessamment son apothéose dans l’histoire. […] Il lui a appliqué cette chose basse, flânière et portière, si chère au monde actuel, que l’on appelle le reportage. […] Il va aux écoles, aux assemblées, aux conférences, aux thermopoles, qui étaient des cafés (sans café) et des lieux publics ; il va partout, enfin, où l’histoire des Universités, des Instituts et des enseignements officiels n’a jamais mis un pied, qu’elle respecte trop pour l’y risquer… Et de tout ce qu’il regarde et recueille, en mille citations étonnantes et en mille anecdotes inouïes, ce qui se dégage uniquement, c’est ce honteux et misérable résultat que ce monde de l’antiquité, traité de sublime, a péri moins par l’épée des Barbares que par les phrases et sous les phrases de la plus bavarde des civilisations.

1100. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Collé »

Honoré Bonhomme a dans ses jugements sur Collé un embarras et des timidités inconnus aux éditeurs, ces gaillards d’aplomb (et quelquefois de plomb), qui ne doutent de rien, qui vont toujours ravir le monde avec le livre qu’ils publient et se faire nommer comme Titus : les délices du genre humain ! […] Les curieux seuls le lisent, et parmi ces curieux (le petit monde est bâti sur le grand) vous trouvez une majorité de connaisseurs qui se fourre l’idée du chansonnier à califourchon sur le nez et qui ne voit plus clair à travers de pareilles lunettes. […] Honoré Bonhomme le compare à un coq en colère sur ses petits ergots, et comme les Lettres inédites sont adressées à un jeune homme sans expérience que Collé veut former pour le monde, M.  […] Cela pourrait s’appeler très pertinemment : Cours de flatterie à l’usage des jeunes gens qui veulent s’avancer dans le monde, et entrer dans les Fermes, par exemple, parce qu’ils ne sont pas des Chesterfield !

1101. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Ch. de Rémusat. Abélard, drame philosophique » pp. 237-250

dans un certain sens, tout a sa philosophie dans le monde, même Athalie, dont un benêt philosophique disait pourtant : « Qu’est-ce que cela prouve ? […] Nous sommes des cerveaux avant d’être des cœurs… Charles de Rémusat, qui avait commencé par être un homme d’esprit, même en philosophie, mais qui s’était bientôt émoussé dans l’hébétante collaboration de la Revue des Deux Mondes, — ce mancenillier de l’ennui, — Charles de Rémusat, homme d’Académie et de groupe, qui fut toute sa vie un comparse ; qui, en politique, venait bien après Thiers, et en philosophie, bien après Cousin, a maintenant presque tout à fait disparu de la préoccupation publique, et, certes ! […] Ils gardent et montrent le sérail d’autrui… Abélards eux-mêmes, naturellement et sans crime î Charles de Rémusat ne s’est pas contenté d’écrire la monographie d’Abélard, il a écrit celle de saint Anselme3, et même celle de bien d’autres, pour le dictionnaire de la Revue des Deux Mondes. […] Au Moyen Âge, s’il y avait vécu, il aurait esquivé Cousin, Thiers et la Revue des Deux Mondes, qui furent ses maîtres, et il nous eût paru moins petit !

1102. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « A. Dumas. La Question du Divorce » pp. 377-390

Et puisque c’est ce principe de la Révolution, — le principe du nombre, — le principe de la démocratie, — la même chose sous trois noms différents, — qui sont la trinité du vrai pour le monde moderne, — ces principes, qui ont retourné l’histoire bout pour bout et jeté toutes les traditions par les fenêtres, se devaient à eux-mêmes de supprimer le mariage indissoluble d’une législation où il traînait comme la queue d’un temps disparu. […] mais ce serait encore plus dans la logique de ce principe de liberté qui règne si despotiquement sur le monde, que de demander l’union libre… Dans un temps qu’il n’est pas difficile de prévoir, ce qu’on dit actuellement contre l’indissolubilité du mariage, des Naquet ou des Alexandre Dumas, qui ne sont pas des phénomènes qu’on ne rencontrera jamais plus, le diront contre le divorce. […] … Seulement, pris pour vrais, à cet instant du monde moderne qui pourrait bien être le monde mourant, ils sont les vainqueurs et les partisans de l’indissolubilité, qui veulent la défendre contre eux détachée du fond d’histoire sur lequel elle était puissante, n’ont rien à dire contre l’irréprochable et l’implacable logique révolutionnaire.

1103. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Charles De Rémusat »

Les études biographiques qu’il publie sous le titre : L’Angleterre au xviiie  siècle 32, avaient déjà paru dans la Revue des Deux Mondes. Or, la Revue des Deux Mondes, c’est la guérite de l’ennui, comme la guérite du camp de Boulogne était celle du suicide. […] De même, tous ceux qui écrivent dans la Revue des Deux Mondes ne se font rien sauter du tout, ni à eux ni aux autres, mais deviennent, même les gens d’esprit, considérablement ennuyeux de cela seul qu’ils y écrivent. […] Tout seul, — chez lui, — en ces deux volumes, — nettoyé et essuyé du contact de Buloz, Rémusat paraît moins ennuyeux et moins torpéfiant qu’il ne l’était à la Revue des Deux Mondes, où il se maléficiait, sans doute, du voisinage de ses confrères, et faisait cascade pour son compte dans le vaste ennui épanché par tous.

1104. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Henri Cantel »

Le poète des Impressions, dans les rares pièces où il a touché, en passant, et d’un doigt beaucoup trop léger, cette corde chrétienne qui est la fibre universelle maintenant et désormais éternelle, n’est pas encore le poète qui tire une note à lui, une note bien à lui, neuve et inexprimée, de cette corde tendue d’un bout du monde à l’autre bout, au doigt multiple du genre humain, et dans laquelle l’infini dort ! […] Le monde, le monde sur lequel le poète opère, existait et avait son prix (et son prix éternel) avant d’être pétri par la main du poète, avant d’être animé de son souffle : il vivait, et vivait si bien que le poète n’a qu’augmenté sa vie en lui donnant la sienne, en lui versant, comme une vie nouvelle, sa propre individualité. […] Organisé pour être un poète, qu’il ne revête pas sa poésie de formes épuisées ; qu’il n’enferme pas sa pensée dans ce symbolisme païen, le cercueil de tout un monde fini !

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