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1521. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre IV. Mme Émile de Girardin »

Ces hasards de naissance et de destinée, qui sont pour les uns une étoile qui les guide, et pour les autres l’ironique feu-follet qui doit les égarer, durent impressionner profondément cette imagination de poëte, qui n’a pas besoin que les choses prennent la peine de la grandir pour ne pouvoir se mesurer… C’était là, jusqu’au moment des Lettres parisiennes, ce que Mlle Gay et Mme de Girardin avaient oublié. […] Nous l’avons dit déjà, — ici et là, mais trop souvent toujours, pour l’unité de sa grâce et la virginité, de son charme, la femme du monde a des distractions, en ces Lettres parisiennes, et redevient, pour un moment, la femme de lettres, en attendant une autre distraction qui nous venge et nous dédommage !

1522. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Mathilde de Toscane »

C’est d’être une histoire de Grégoire VII bien avant d’être une histoire de la comtesse Mathilde, qui, morte, disparaît ici dans la dévorante personnalité de Grégoire, comme elle y disparut vivante, heureuse d’ailleurs d’y disparaître, et comme c’était juste, car Grégoire, c’était l’Église, et Mathilde, ce n’était que l’Italie : l’Église éternelle et l’Italie d’un moment ! […] Mais le célibat des prêtres, c’était, à ce moment, toute la discipline chrétienne et la morale même dans sa source. » Certes !

1523. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Louis XIV. Quinze ans de règne »

Moret suit pied à pied les négociations mêlées à la guerre, et la guerre elle-même, jusqu’au moment des défections, plus amer peut-être que celui des défaites, où les alliés de Louis XIV commencèrent de l’abandonner, et où Villars, frappé dans le sentiment de sa supériorité méconnue, quitta le théâtre de la guerre pour venir pacifier les Cévennes, déchirées par le calvinisme insurgé. […] Pour n’en donner qu’un seul exemple, entre bien d’autres que nous pourrions citer, il reproche à Louis XIV la reconnaissance du droit des Stuarts au moment où l’acceptation du testament de Charles II étendait sur la France une résille de complications, et, la vue bouchée par la préoccupation politique, par cet intérêt du moment, il ne voit pas que Louis XIV donné, Guillaume III donné et l’Europe donnée, cette Europe fendue en deux jusqu’à son axe depuis Luther, il était impossible — et même inconcevable — que le gouvernement de Louis XIV ne reconnût pas, quoi qu’il pût arriver, du reste, de cette reconnaissance, l’hérédité monarchique des Stuarts, et ne soutînt pas le catholicisme, directement, et peut-être, quoi qu’en dise Macaulay, uniquement attaqué par l’Angleterre dans leur personne.

1524. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « La Femme au XVIIIe siècle » pp. 309-323

Il est, en ce moment, le premier des réalistes dans l’espace. […] Et, chose dont il faut leur tenir compte encore plus que de l’enthousiasme et de la vie dont ce livre déborde par-dessus les frivolités dont il est plein, c’est le sentiment moral opposé bien souvent à l’enthousiasme que le xviiie  siècle leur inspire, et créant même, à certains moments, un enthousiasme contraire.

1525. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Balzac »

Dites-vous le souvent dans vos moments de mélancolie et vous devinerez par l’effet-travail la grandeur de la cause… » Ah ! […] Il n’est pas la crise d’un moment délicieux ou terrible… C’est un sentiment d’une vigueur infinie.

1526. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « VII. Vera »

Les philosophes seuls auront le courage de s’enfoncer dans les tautologies et les logomachies de ce Bouddhiste de la logique, qui a créé la science absolue, c’est-à-dire la science qui se connaît par l’idée et dans l’idée, « cette idée qui enveloppe tout l’esprit, qui absorbe l’être et la pensée, l’expérience et la raison, l’histoire et la science, et qui est la raison des choses, leur fin et leur principe ; cette idée qui unit l’âme et le corps, dont l’évolution a trois moments (ce qui est exquis) : être en soi, être contre soi et être pour soi (sans doute le moment le plus agréable !)

1527. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXVIII. M. Flourens »

Fontenelle, lui, quand, de ses deux doigts que j’adore, il a fini d’écrire son Éloge d’Académie ou son Histoire de l’Académie, qui était aussi un éloge, bien digne d’un ancien madrigaliste comme il l’avait été en l’honneur des dames (car les académies sont des dames aussi, quoique composées de plusieurs messieurs), oui, quand Fontenelle a achevé de tourner ce madrigal suprême, et il le tourne bien, ayant eu jusqu’au dernier moment la grâce et la clarté, cette grâce de la lumière ! […] c’est le dernier fait sous lequel s’enterrera le Matérialisme et cette philosophie de la Sensation, qui a longtemps régné et qui se raccroche en ce moment au Panthéisme, pour ne pas tout à fait périr et pour retrouver plus tard le moyen de vivre.

1528. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « M. Athanase Renard. Les Philosophes et la Philosophie » pp. 431-446

Athanase Renard, qui signe : le docteur Athanase Renard, est un médecin qui a mêlé la Philosophie à l’observation physiologique… non pour tuer l’une par l’autre, comme tant de physiologistes, mais pour sauver l’une de l’autre, qui, en ce moment, veut la tuer. […] moins de génie que Saint-Bonnet, auquel on ne peut, en ce moment, comparer personne, — mais, comme lui, il s’efforce, dans la mesure d’un talent inférieur et différent, de ramener la Philosophie égarée à la Métaphysique chrétienne.

1529. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Victor Cousin »

Il faut être juste, ce Cours de 1828, qui fit tant de bruit, comme la montagne à la souris, est le plus retentissant moment de la vie de Cousin, de cet homme sonore dont la plus grande qualité dans le talent fut de donner du son à des idées qui, par elles-mêmes, n’en avaient pas… Telle est sa grande qualité, en effet. […] Seulement, nous l’avons dit déjà, aucun de ces divers écrivains qui furent le même, n’a eu, relativement à ses facultés, un moment de talent aussi complet que l’auteur de l’Introduction à la Philosophie de l’histoire, quoiqu’il l’ait traitée galamment de blague dans un style délicieux !

1530. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Le Marquis Eudes de M*** »

Il attendait le moment, cet à-propos qui est tout pour les fortunes ! […] C’est un procès-verbal immense dans lequel rien n’est oublié, depuis les fails les moins connus, comme ceux, par exemple, du presbytère de Cideville en 1851, que l’auteur rapporte avec les détails d’un témoin qui les a lui-même observés, jusqu’à ceux qui bouleversent en ce moment l’Amérique, où, suivant les paroles d’un journal anglais, « 500, 000 sectateurs entretiennent avec les esprits tout un système de relations, fonctionnant comme une institution nationale ».

1531. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Maurice de Guérin »

Le reste, et le reste est le tout, n’est que prose : lettres écrites à des amis, mais dans les premiers moments de la vie ; Memoranda, vues sur soi-même ; paysages bretons : admirable rendu de la nature par qui l’adore ; et, pour couronner cet ensemble, Le Centaure, qui n’est pas un fragment, mais un chef-d’œuvre complet et absolu, où pour la première et seule fois Guérin saisit son idéal et n’insulta pas sa pensée. […] Celle que l’on a arrangée ici pour les besoins du moment n’appuie sur rien, — et, d’ailleurs, même en n’appuyant pas, ne nous donne qu’une époque de la vie de Guérin, et l’époque la moins intéressante de la vie de ce poète qui n’était encore que la larve de lui-même quand il s’en revint de la Chesnaye vers nous qui le revîmes à Paris !

1532. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Gustave Rousselot  »

C’est un incorrect, et non pas seulement un incorrect par défaillance, par le fait de l’organisation qui, à certain moment, se fatigue. […] « Je trouve le moment venu — dit ce jeune Spartacus de la prosodie — de se séparer de la routine, et c’est pourquoi j’ai modifié le nombre ordinaire de syllabes… Mon idée — ajoute-t-il — est même que le poète a le droit de compter les mots en variant, au besoin, selon le hasard du vers… » Au hasard du vers !

1533. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « Mme Desbordes-Valmore. Poésies inédites. »

Oui, laissons là pour un moment la personne et le talent de Mme Valmore, mais ce cri qui jaillit du fond du cœur frappé, comme le sang jaillit d’une veine ouverte, mais cette éloquence irrésistible de la blessure ou de la caresse, mais cette émotion qui doit être, en poésie, prépondérante même à la pensée, à plus forte raison à l’image, à la phrase, au rythme, à l’harmonie, enfin à tout ce qui entre nécessairement à n’importe quel degré dans la trame d’une poésie quelconque, cette émotion ne constitue-t-elle pas certainement et dans la mesure où elle existe la poésie la plus élevée et la plus profonde, et par la raison souveraine que l’homme mesure tout à lui-même et que c’est le battement de son cœur qui donne le branle à l’univers ! […] Tout n’y est-il pas des meilleures qualités de cette femme, adorable par moments, qui n’est pas un poète, mais une femme qui, pour le coup, a passé bien près de la poésie, en nous passant si près du cœur ?

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