Si notre scène, si notre public ne sont pas à la mesure de son œuvre, il n’y a pas lieu de leur en vouloir. […] Quelle fantaisie dans la mesure, quelle simple gravité, quel goût ! […] Le barbare Hugo passera la mesure, j’entends les limites d’extensibilité de la forme qu’il veut à tout prix revêtir. […] notre oreille déconcertée cherche vainement la mesure, et l’incertitude où vous la tenez lui enlève toute possibilité de plaisir. […] Le nombre absolu, quasi absolu des syllabes, est un élément de mesure auquel, même dans le vers libre, nous ne pouvons pas échapper.
On sent, à mesure que s’achève la lecture du volume, que la conscience s’en va, s’en va, et quand elle lui est revenue, quelques mois avant de mourir, il rédige les Poésies, où, parmi de très curieux passages, se révèle l’état d’esprit d’un moribond, qui répète, en les défigurant dans la fièvre, ses plus lointains souvenirs, c’est-à-dire, pour cet enfant, les enseignements de ses professeurs !
Il est donc de la nature de l’esprit humain de ne garder aucune mesure, quand il a commencé à s’écarter du vrai !
On a devant soi neuf belles et pleines années (1601-1610) : la vie de Rosny devient l’histoire de Henri IV, ou du moins une très grande partie de cette histoire, il devient difficile de l’en séparer par une biographie distincte et réduite à de justes mesures. […] N’oublions pas qu’il y avait trente ans que Sully était sur la scène, et vingt ans qu’il figurait dans les hauts emplois : il n’est pas donné aux hommes de se renouveler à volonté et de s’éterniser. « Le temps des rois est passé, et celui des grands et princes est revenu », c’était le cri universel dans les cabales du Louvre : Sully ne pouvait en être, et il n’était pas en mesure d’en triompher. […] Il lui reproche de manquer de vue, de conseil, et, dans de telles circonstances, de n’avoir songé qu’à sa situation privée, à ses charges et aux dédommagements qu’il pouvait exiger en se retirant : « Il est vrai, dit Richelieu, qu’on n’avait autre intention que de lui faire un pont d’or, que les grandes âmes souvent méprisent, lorsqu’en leur retraite ils peuvent eux-mêmes s’en faire un de gloire. » Richelieu eut aussi, mais par nécessité seulement, ses heures et ses années de souplesse où, bon gré mal gré, la gloire fut subordonnée à d’autres soins : quand il fut au complet et qu’il put donner toute sa mesure, reconnaissons qu’il eut autrement de généreux orgueil et de grandeur d’âme.
Il s’appliquait ainsi en toute rencontre à trouver des mesures administratives neuves et justes, et toujours en vue du bien : c’est un trait de son caractère. […] Le garde des sceaux Chauvelin, qui avait fort contribué à cette mesure, avait pris d’ailleurs d’Argenson en grande estime et amitié ; il voulait lui servir comme de père, disait-il, et faire sa fortune politique. […] Quoique ce ne fût véritablement pas un homme ambitieux que mon père, cependant le diable le berçait sans qu’il s’en aperçût ; il cheminait volontiers sur les voies de faire sans songer à faire, et à mesure que le goût des bagatelles diminue dans de tels esprits, ils vont jusqu’à s’ennuyer de tout ce qui n’est pas chemin de fortune.
Lauzun, qui n’était pas des amis de Besenval, lui fait un reproche assez pareil sur « le mauvais ton et le peu de mesure, qui sont un grand désavantage à la Cour. » Il semble pourtant que Besenval n’y avait pas trop mal réussi. […] Le roi, par mesure de sûreté, lui ordonna de retourner en Suisse. […] Son nom pourtant restera toujours attaché au souvenir de la Révolution française, moins encore pour avoir été son adversaire à main armée et impuissant le jour de son début, que pour nous avoir raconté et dévoilé avec son insouciance trop nue et une trop insolente aisance la société gâtéeav, corrompue, railleuse et frivole qui, sous des dehors charmants, nourrissait tant de vices, et qui avait atteint et passé la mesure où les choses humaines veulent être renouvelées.
Quoi qu’il en soit, c’est cette lettre qui fait sortir Vauvenargues de la mesure qu’il a gardée jusqu’alors, et qui enfin l’oblige à se découvrir à son tour. […] Je ne sais rien même de si faible et de si vain que de fuir devant les vices, ou de les haïr sans mesure ; car on ne les hait jamais que parce qu’on les craint, par représailles ; ou par vengeance, parce qu’on en est mal traité ; mais un peu de grandeur d’âme, quelque connaissance du cœur, une humeur douce et tacite, empêchent qu’on en soit surpris ou blessé si vivement. […] L’on ne mesure bien, d’ailleurs, la force et l’étendue de l’esprit et du cœur humains que dans ces siècles fortunés ; la liberté découvre, jusque dans l’excès du crime, la vraie grandeur de notre âme ; là, la force de la nature brille au sein de la corruption ; là, paraît la vertu sans bornes, les plaisirs sans infamie, l’esprit sans affectation, la hauteur sans vanité, les vices sans bassesse et sans déguisement.
Le mieux serait assurément de tout concilier, de garder du passé les vues justes, les pensées ingénieuses et sensées, nées d’un premier et d’un second coup d’œil, impressions de goût qu’on ne remplacera pas, et d’y joindre les aperçus que suggèrent les faits nouveaux, d’accroître ainsi le trésor des jugements, sans en détruire une partie à mesure qu’on en construit une autre ; mais cette sagesse est rare ; la mesure n’est la qualité et le don que de quelques-uns. […] Chatel, à qui l’on doit ces renseignements, a mis pour épigraphe à son travail une parole de Ménandre, qui revient à dire : « Faute d’observer les petites choses, on se fourvoie dans les grandes » ; et un autre mot de Quintilien, qui en est comme la traduction : « Ce sont de petites choses, à la vérité, mais sans lesquelles les grandes ne peuvent trouver de point d’appui122. » Dans cette mesure, c’est parfait, et il n’y a rien de minutieux dans les curiosités biographiques ainsi entendues.
Louis XVIII lui-même put lire les premières Messéniennes et y applaudir dans sa mesure. […] Byron, Walter Scott, Shakspeare, il ne s’inspirait d’eux tous que dans sa mesure. […] Aussi point de distraction, point de partage : les fonctions publiques, les devoirs ou les honneurs politiques, tous les genres de soins et souvent les amertumes qu’ils entraînent l’eussent jeté trop loin de ses travaux chéris ; et, afin d’être mieux en mesure contre toute tentation, il s’arrangea, je crois, en vérité pour ne pas être même éligible.
je vous répondrai que je n’en sais rien, et qu’il faut le demander à celui qui a fait les sens et l’oreille de l’homme plus voluptueusement impressionnés par la cadence, par la symétrie, par la mesure et par la mélodie des sons et des mots, que par les sons et les mots inharmoniques jetés au hasard ; je vous répondrai que le rythme et l’harmonie sont deux lois mystérieuses de la nature qui constituent la souveraine beauté ou l’ordre dans la parole. Les sphères elles-mêmes se meuvent aux mesures d’un rythme divin, les astres chantent ; et Dieu n’est pas seulement le grand architecte, le grand mathématicien, le grand poète des mondes, il en est aussi le grand musicien. […] Et cette langue encore cadencée par un tel rythme de la mesure est pleine d’une telle musique des mots que chaque pensée semble entrer dans l’âme par l’oreille, non seulement comme une intelligence, mais aussi comme une volupté !
Mais, à mesure que ces drames se développent, ils se détachent aussi de l’office. […] Les vers de toute mesure font leur apparition. […] Que non seulement lui, mais que tous les personnages soient instruits à parler posément, et à faire les gestes convenables pour les choses qu’ils disent ; qu’ils n’ajoutent ni ne retranchent aucune syllabe dans la mesure des vers, mais que tous prononcent d’une façon ferme, et qu’on dise dans l’ordre tout ce qui est à dire. » Cela est d’un auteur ou d’un metteur en scène qui a le sens et l’amour-propre de son art.
Celui qui croit ne se rend pas compte de sa croyance et il ne tient pas outre mesure à se rendre compte de sa croyance. […] Dans la mesure où nous sommes socialisés, nous avons une tendance à nous plier aux mensonges sociaux et à nous en faire les complices plus ou moins actifs et zélés. Dans la mesure où nous ne sommes pas socialisés et restons réfractaires à la vie sociale, nous répugnons à ces mensonges et nous nous insurgeons contre eux.
Jusqu’à quel point et dans quelle mesure est-il proprement narrateur ? […] Pour moi, je crois que, du moment qu’elle y regarde, il lui suffit d’un seul regard et d’une seule mesure pour tous. Mais cette mesure nous est profondément inconnue.