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325. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Mes petites idées sur la couleur » pp. 19-25

Il n’y a que les maîtres dans l’art qui soient bons juges du dessin ; tout le monde peut juger de la couleur. […] Mais ce qui rend le coloriste vrai, rare, c’est le maître qu’il adopte. Pendant un temps infini, l’élève copie les tableaux de ce maître, et ne regarde pas la nature ; c’est-à-dire qu’il s’habitue à voir par les yeux d’un autre, et qu’il perd l’usage des siens.

326. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XI. Des éloges funèbres sous les empereurs, et de quelques éloges de particuliers. »

À ce mot de la sagesse de Claude, tous les Romains se mirent à rire, et l’on oublia pour un moment que l’orateur était le maître du monde. […] Jusqu’à lui les Césars avaient composé eux-mêmes tous leurs discours ; pour lui il s’était persuadé qu’un prince a mieux à faire que d’être éloquent, et le maître de l’univers était plus jaloux du titre de joueur de flûte et de bon cocher, que de celui d’orateur ; ainsi, lorsqu’il avait à parler, il empruntait ordinairement la plume et l’esprit de Sénèque. […] » Cependant l’usage de louer les empereurs après leur mort subsistait toujours ; jamais cette institution ne dut paraître plus noble, que lorsque l’éloge funèbre d’Antonin fut prononcé dans la tribune par Marc-Aurèle : c’était la vertu qui louait la vertu ; c’était le maître du monde qui faisait à l’univers le serment d’être humain et juste, en célébrant la justice et l’humanité sur la tombe d’un grand homme.

327. (1814) Cours de littérature dramatique. Tome I

Quand les Romains furent maîtres du monde, ils se rappelaient avec une espèce de honte leurs premiers combats, leurs premiers triomphes pour de misérables hameaux. […] Dans la pièce de Corneille, au contraire, c’est le maître qui est le menteur ; c’est un jeune homme bien né qu’on nous présente infecté de ce vice si bas ; et le valet, malgré la bassesse de sa condition, est le précepteur de son maître. […] Quoi qu’il en soit, écoutons d’Alembert flagornant son maître. […] Sa proposition, si elle est mal accueillie, lui fournit du moins un prétexte pour différer de nommer un roi et de se donner un maître. […] M. de La Harpe était un des plus fervents ; c’était son disciple favori, et il trouvait que son maître avait été bien indulgent à l’égard de Corneille.

328. (1896) Le livre des masques

Verhaeren, maître du vers libre, l’est aussi du vers romantique, auquel il sait imposer, sans le briser, l’effréné, le terrible galop de sa pensée, ivre d’images, de fantômes et de visions futures. […] Qu’on y voie encore un exemple de vers libres vraiment parfaits et maniés par un maître. […] Comment peut-il se faire, en effet, qu’un jeune poète admire « exclusivement et successivement » trois « maîtres » aussi divers que ces deux-là et M.  […] Tailhade a droit à ce beau nom de rhéteur dont se choque l’incapacité des cuistres ; c’est un rhéteur à la Pétrone, également maître dans la prose et dans les vers. […] Chacun de ses gestes, chacun de ses pas le rapproche de la bombarde prête à éclater, et s’il résiste au tremblement du coup de tonnerre, il sera roi et maître.

329. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — De l’état de savant. » pp. 519-520

Il y a deux sortes d’écoles publiques : les petites écoles ouvertes à tous les enfants du peuple au moment où ils peuvent parler et marcher ; là ils doivent trouver des maîtres, des livres et du pain, des maîtres qui leur montrent à lire, à écrire et les premiers principes de la religion et de l’arithmétique ; des livres dont ils ne seraient peut-être pas en état de se pourvoir ; du pain111 qui autorise le législateur à forcer les parents les plus pauvres d’y envoyer leurs enfants.

330. (1874) Premiers lundis. Tome II « L. Aimé Martin. De l’éducation des mères de famille, ou de la civilisation du genre humain par les femmes. »

Aimé Martin, écrivain élégant et philosophe de l’école de Bernardin de Saint-Pierre et de Jean-Jacques, aborde aujourd’hui le même sujet ; et, tout en restant fidèle aux traditions de ses maîtres, il les ravive par une analyse nouvelle et par la connaissance des travaux essayés depuis eux. […] Il y a semé des aperçus justes, des observations élevées ; il a animé un sujet grave de mouvements honnêtes et généreux ; son style et sa parole sont restés fidèles à l’harmonie de ses maîtres.

331. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre premier. La structure de la société. — Chapitre III. Services locaux que doivent les privilégiés. »

La cour est un grand salon permanent, où « l’accès est libre et facile des sujets au prince », où ils vivent avec lui « dans une société douce et honnête, nonobstant la distance presque infinie du rang et du pouvoir », où le monarque se pique d’être un parfait maître de maison75. […] Il n’a pas le droit d’être généreux aux dépens de son maître, et il est tenté d’exploiter à son profit les sujets de son maître. […] En ce cas si fréquent, toute l’exigence et toute la rapacité de l’entrepreneur, décidé à gagner ou tout au moins à ne pas perdre, s’abattent sur les paysans : « C’est un loup ravissant, dit Renauldon, que l’on lâche sur la terre, qui en tire jusqu’aux derniers sous, accable les sujets, les réduit à la mendicité, fait déserter les cultivateurs, rend odieux le maître qui se trouve forcé de tolérer ses exactions, pour le faire jouir. » Imaginez, si vous pouvez, le mal que peut faire un usurier de campagne armé contre eux de droits si pesants ; c’est la seigneurie féodale aux mains d’Harpagon ou plutôt du père Grandet. […] Les trente ou quarante braconniers qu’ils poursuivent aujourd’hui sur leurs terres marcheront demain contre leur château à la tête de l’émeute. — Absence des maîtres, apathie des provinces, mauvais état des cultures, exactions des fermiers, corruption des justices, vexations des capitaineries, oisiveté, dettes et exigences du seigneur, abandon, misère, sauvagerie et hostilité des vassaux, tout cela vient de la même cause et aboutit au même effet. […] (Lettre du bailli du 25 septembre 1760) : « Je suis à Harcourt où j’admire la bonne et honnête grandeur du maître.

332. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXVe entretien. J.-J. Rousseau. Son faux Contrat social et le vrai contrat social (1re partie) » pp. 337-416

Rousseau, comblé des dons de madame de Warens, qui s’appauvrit pour son élève, part pour Lyon avec son pauvre maître de chapelle ; il l’abandonne à son premier malheur, comme les chiens ne font pas de l’aveugle indigent, qu’ils conduisent aux portes des hôpitaux. […] À son retour à Chambéry, il n’y trouve plus madame de Warens. « Quant à ma désertion, dit-il, du pauvre maître de musique, je ne la trouvais pas si coupable. » Plus tard, cependant, il se la reproche ; mais le maître, à qui on avait volé jusqu’à ses instruments, sa musique et son gagne-pain, était mort de cet abandon. […] L’ambassadeur de France à Lucerne le recueille par pitié pour sa jeunesse, et lui donne de l’argent et des recommandations pour Paris ; il arrive à Lyon, reçoit des nouvelles de madame de Warens, revenue à Chambéry, l’y rejoint, s’y fait arpenteur de cadastre, puis maître de musique. […] Absurdités inexplicables, à moins d’avoir, comme le fils de Philippe, Aristote pour maître, la Macédoine pour héritage et le monde pour théâtre de ses vices ou de ses vertus. […] On ne comprend pas aujourd’hui que l’engouement du dix-huitième siècle ait pris un seul jour au sérieux un livre soi-disant écrit pour le peuple, et dont tous les enseignements supposent dans les pères, les maîtres et les élèves la plus insolente aristocratie.

333. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « VI »

Le plus grand de nos musiciens français, le maître avec Wagner de toute musique contemporaine (j’entends celui dont l’influence prédomine originellement et incontestablement avec celle de Wagner sur nos compositeurs depuis vingt ans), M.  […] Ayant et avouant d’autres ambitions, j’ai de longtemps renoncé l’art des théories et des critiques ; ces notes ne sont que des impressions, elles ne veulent pas être autres, elles ne peuvent avoir un intérêt qu’en tant qu’on les verra telles, — les impressions de quelqu’un qui aurait longuement fréquenté dans les œuvres très vénérables du maître musicien et quelques fois aurait médité aux trop urgents et redoutables problèmes des esthétiques. […] car il n’est pas maître du mobile instrument dont les Cranach et les Dürer chantaient les terreurs de la Chute et de la Grâce. […] Et, dans la sérénité d’une vieillesse victorieuse et sublime, le voici, le maître vénéré, à l’œuvre de son Parsifal. […] Et j’eus le bonheur d’un professeur admirable en ces trois ans à propager l’unique méthode d’institution littéraire, le commerce des trois ou quatre maîtres de style français, gens du dix-septième siècle.

334. (1868) Curiosités esthétiques « I. Salon de 1845 » pp. 1-76

. — Sans avoir précisément un mérite éclatant, et, pour ainsi dire, un genre de génie involontaire comme les premiers maîtres, il possède tout ce que donnent la volonté et le bon goût. […] Et pourtant c’est une peinture dont le faire a tout l’aplomb des grands maîtres. — Le torse de saint Sébastien, parfaitement bien peint, gagnera encore à vieillir. […] Planet est un des rares élèves de Delacroix qui brillent par quelques-unes des qualités du maître. […] Janmot, c’est une femme assise avec des fleurs sur les genoux. — Cette simple figure, sérieuse et mélancolique, et dont le dessin fin et la couleur un peu crue rappellent les anciens maîtres allemands, ce gracieux Albert Durer, nous avait donné une excessive curiosité de trouver le reste. […] Jacque sur le cuivre est plein d’une liberté et d’une franchise qui rappelle les vieux maîtres.

335. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre deuxième »

Nous en faisons l’aveu par la qualification de maîtres que nous donnons aux grands écrivains de cette époque. Pourquoi les appeler maîtres, sinon parce qu’il y a là une doctrine et des disciples, et qu’à l’idée de la supériorité du génie se joint celle d’un enseignement éternel ? […] Nous avons applaudi à cette dépendance, parce qu’elle était féconde ; c’était la dépendance du disciple à l’égard du maître, d’une nation jeune à l’égard du monde ancien, d’un esprit qui se développe à l’égard d’un esprit achevé. […] Descartes est un disciple devenu maître. […] L’histoire des lettres offre plus d’un exemple d’une école littéraire dont le maître a été un homme de talent, faisant illusion par quelque défaut séduisant, que ses disciples imitaient en plagiaires.

336. (1860) Cours familier de littérature. IX « LIVe entretien. Littérature politique. Machiavel (3e partie) » pp. 415-477

Héroïques comme individus, quoique asservis comme nations, supérieurs à leurs conquérants et maîtres de leurs maîtres dans tous les exercices de l’esprit humain : donnant leur religion, leurs lois, leurs arts, leur esprit, à ceux qui leur donnaient des fers, théologiens, législateurs, poètes, historiens, orateurs politiques, architectes, sculpteurs, musiciens, poètes, souverains en tout par droit de nature, et par droit d’aînesse, et par droit de génie ; grands généraux même quelquefois, quand les Allemands leur donnaient des armées de barbares à conduire, ou quand Borgia, ce héros des aventuriers, ce Garibaldi de l’Église, cherchait, à la pointe de son épée, un empire italien dans cette mêlée à la tête des braves façonnés par lui à la politique et à la discipline. […] Elle a fait de Naples un royaume français de famille, tantôt pour un frère, tantôt pour un beau-frère du maître de l’empire. […] L’Italie a besoin de protecteurs étrangers et intéressés à son indépendance, et non d’un maître intérieur. Un maître devient facilement un tyran. […] Elle n’aura pour maître que le génie italien, elle n’aura pour gouvernement général qu’une diète d’États libres, où le droit de chacun, confondu dans le droit de tous, défiera l’Europe, mieux par le respect que par les armes, d’attenter à tant d’inviolabilités à la fois.

337. (1860) Cours familier de littérature. X « LVIIIe entretien » pp. 223-287

J’étais protégé auprès de lui par quelques-uns de ses amis, entre autres par les deux maîtres de notre diplomatie française, M. de Reyneval et M. d’Hauterive, l’un jurisconsulte, l’autre la tradition vivante et la science de notre cabinet national depuis Louis XVI jusqu’à Louis XVIII, en passant par la République, le Directoire et Napoléon. […] Qu’on oublie donc que ces vers parlent de moi ; qu’au lieu de moi, retiré depuis longtemps de la lice, et qui n’ai fait que toucher superficiellement et avec distraction la lyre jalouse qui veut tout l’homme, on suppose un nom véritablement et légitimement immortel ; qu’on se figure, par exemple, que Solon, poète d’abord, et poète élégiaque dans sa jeunesse, puis restaurateur, législateur et orateur de la république athénienne, puis banni de la république renversée par l’inconstance mobile des Athéniens, puis rentré obscurément dans sa patrie, par l’insouciance du maître, y végète pauvre et négligé du peuple sur une des montagnes de l’Attique ; qu’on se représente en même temps un jeune poète d’Athènes, moins oublieux que ses compatriotes, bouclant sa ceinture de voyage, chaussant ses sandales, et partant seul du Parthénon pour venir visiter bien loin son maître en poésie, relique vivante de la liberté civique ; que Solon reçoive bien ce jeune homme, partage avec lui son miel d’Hymette, ses raisins de Corinthe, ses olives de l’Attique ; que le disciple, revenu à Athènes après une si bonne réception, raconte en vers familiers à ses amis son voyage pédestre, ses entretiens intimes avec le vétéran évanoui de la scène et se survivant, mutilé, à lui-même et à tous dans un coin des montagnes natales. […] je poursuis seul notre pèlerinage Aux grands maîtres vivants ou morts que nous aimons ; Guidé par un poète, un ami de mon âge, J’ai pris l’âpre chemin des pâtres sur les monts. […] Les mains lourdes de dons, le poète avec grâce Descend vers les oiseaux et les chiens de la cour ; Au pas aimé du maître alors la bande accourt, Bondit, aboie, et vole, et chante sur sa trace. […] Et le maître, emporté par des souffles divins, S’en va, poète équestre, au-dessus des ravins, Au galop, dans le vent, selon sa fantaisie, Humer, à pleins poumons, l’air et la poésie.

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