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404. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Le Brun-Pindare. » pp. 145-167

Il dira dans la même ode, et toujours dans le même sentiment : Vivant, nous blessons le grand homme ; Mort, nous tombons à ses genoux : On n’aime que la gloire absente ; La mémoire est reconnaissante, Les yeux sont ingrats et jaloux. […] Le Brun, qui y vise tant, a trop peu de ces mots pleins, faciles et « amis de la mémoire ». […] J’extrais ces paroles d’un factum ou Mémoire publié par Mme Le Brun en 1781, dans le procès qu’elle soutenait contre son mari depuis le mois de mars 1774. […] Notez que Le Brun, dans son Mémoire judiciaire, argumentait de ses vers et de ses chansons pour prouver qu’il rendait sa femme heureuse : Qu’un enfant des neuf sœurs est facile à tromper ! […] [NdA] Ceci est tiré, comme la citation précédente, du Mémoire pour Marie-Anne de Surcourt, femme du sieur Le Brun, plaidant pour la séparation de corps (1781).

405. (1859) Cours familier de littérature. VII « XLIIe entretien. Vie et œuvres du comte de Maistre » pp. 393-472

Il aimait passionnément les beaux vers ; il en avait composé beaucoup dans ses loisirs, il nous en récitait des strophes dont les lambeaux sont restés dans ma mémoire. […] Écoutez son entretien secret avec Savary, et lisez quelques phrases du Mémoire que le comte de Maistre adresse à cet aide de camp de Napoléon pour être communiqué à Napoléon lui-même. […] « Le résultat a été qu’il se chargerait d’un Mémoire que je lui remis peu de jours après. […] Il expédie même son Mémoire à Napoléon. « Mon Mémoire est parti, dit plus bas le comte.

406. (1856) Cours familier de littérature. I « VIe entretien. Suite du poème et du drame de Sacountala » pp. 401-474

Mais une divinité jalouse avait enlevé par un maléfice la mémoire au héros son époux. […] Délivré de ces odieuses ténèbres qui si longtemps, dans ma folie, ont obscurci ma mémoire, je puis donc enfin te reconnaître, ô la plus belle des femmes ! […] Oui, cet anneau retrouvé d’une manière tout à fait miraculeuse, et à la vue duquel le retour de ma mémoire était sans doute attaché. […] Cependant, la simple vue de cet anneau m’ayant rendu plus tard la mémoire, je me rappelai alors avec amertume les moindres circonstances de cette union, et la manière indigne dont j’avais traité Sacountala. […] Toujours à ma mémoire se représentent tes charmes enfantins, ton visage frais comme le lotus, orné tour à tour de sourires ou de larmes, tes premiers efforts pour exprimer ta pensée par des paroles.

407. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Souvenirs et correspondance tirés des papiers de Mme Récamier » pp. 303-319

Voici un livre dont j’aurais dû parler depuis longtemps, d’abord parce qu’il est consacré à la mémoire d’une femme qui est restée charmante et unique dans la pensée de tous ceux qui l’ont connue et qu’elle a honorés de sa bienveillance, ensuite parce que c’est le livre qui, le mieux fait pour la rappeler fidèlement aux amis qui l’ont regrettée et qui la regrettent encore, est le plus propre à donner d’elle une juste idée, une idée approchante du moins, aux générations curieuses qui n’avaient su jusqu’ici que son nom. […] Enfin ces Mémoires de Mme Récamier (comme diraient les Anglais, qui excellent à ces sortes de livres) sont aussi fidèlement et habilement construits qu’on le peut désirer, et ce n’est pas être indiscret que d’en nommer ici l’auteur et rédacteur, la nièce de Mme Récamier et sa fille adoptive, Mme Lenormant : on doit la remercier d’avoir su tirer un aussi heureux et aussi ingénieux parti de tout ce qu’elle avait entre les mains. […] Et ici il faut bien s’entendre et ne pas demander au rédacteur des mémoires sur Mme Récamier de dire plus ni autrement qu’il n’y avait en réalité. […] Si j’osais me permettre aujourd’hui une espèce de jugement sur une société à jamais regrettable, dont j’ai été, et dont l’auteur des Mémoires veut bien m’assurer que j’aurais pu être encore davantage, je dirais qu’en admettant qu’il y eût péril et inconvénient par quelque endroit dans ce monde gracieux, ce n’était pas du côté du goût ; il s’y maintenait pur, dans sa simplicité et sa finesse ; il s’y nourrissait de la fleur des choses : s’il y avait un danger à craindre, c’était le trop de complaisance et de charité ; la vérité en souffrait.

408. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. Biot. Mélanges scientifiques et littéraires, (suite et fin.) »

Biot la portait encore sur bien des objets, astronomie, physique, chimie, agriculture, et les plaisirs actifs, chasse, pêche, nage ; vieux, il disait en souriant : « J’ai aimé dans ma vie bien des choses. » Faudrait-il en conclure qu’il s’est trop dispersé, et qu’il ait eu le droit de se dire à lui-même comme La Fontaine : J’irais plus haut peut-être au Temple de Mémoire, Si dans un genre seul j’avais usé mes jours… ? […] Le tome Ier des Mémoires scientifiques d’Arago fournit à ceux qui ont le mérite de comprendre ces hautes discussions la preuve de ces velléités de concurrence ou de résistance également réfutées. […] Biot que l’Académie lui avait donné pour commissaire, et sous les yeux duquel il avait à répéter l’expérience décisive d’un de ses beaux mémoires, au moment où le résultat annoncé se produisit, M.  […] Bour » ce dernier qui était en province reçut, peu après, une caisse contenant six gros volumes, formant un exemplaire unique des œuvres de Lagrange, lesquelles n’ont jamais été recueillies et sont éparses dans les mémoires des diverses Compagnies savantes.

409. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Mémoire de Foucault. Intendant sous Louis XIV »

Mémoire de Foucault Intendant sous Louis XIV publiés par M.  […] Non pas qu’il ait rédigé ses Mémoires ou son Journal dans le moment même où il agissait et administrait : il paraît n’y avoir songé que tard et après sa retraite des intendances ; mais il a rédigé ses notes sur pièces, à mesure que, dans la révision qu’il faisait de ses papiers, chaque lettre, chaque copie ou minute lui tombait sous la main et fixait ses souvenirs. […] Ces Mémoires, dont le manuscrit existe à la Bibliothèque impériale, avaient été déjà consultés et extraits en partie, notamment par MM.  […] Baudry de nous avoir aujourd’hui donné les Mémoires en entier, dégagés de leur confusion primitive, et accompagnés de tout ce qui peut les éclaircir et les confirmer.

410. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Raphaël, pages de la vingtième année, par M. de Lamartine. » pp. 63-78

La mémoire d’Elvire y gagnerait-elle ? […] Il a essayé de combiner ce qu’il croyait devoir à la mémoire d’Elvire, et ce qu’il devait à l’intérêt actuel du roman. […] Y aura-t-il un lieu et un jour, ajouta-t-elle tristement, où la mémoire de ce qui s’est passé en nous, là, dans des heures immortelles, ne vous apparaîtra plus, dans le lointain de votre avenir, que comme cette petite tache sur le fond ténébreux de cette côte ?  […] Mais ne pourrait-on pas lui répondre : Il y aura quelque chose de plus triste pour vous, pour la mémoire de ces heures immortelles, que d’être reléguée comme un point à peine visible dans le lointain du passé : ce sera de n’être prise un jour, de n’être étalée et exposée aux yeux de tous que comme un prétexte à des rêves nouveaux, comme un canevas à des broderies et à des pensées nouvelles.

411. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Un petit corollaire de ce qui précède [Mon mot sur l’architecture] » pp. 77-79

Si les expériences qui déterminent le jugement sont présentes à la mémoire, on aura le goût éclairé. Si la mémoire en est passée, et qu’il n’en reste que l’impression, on aura le tact, l’instinct.

412. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « L’abbé Fléchier » pp. 383-416

L’abbé Fléchier76 Les Mémoires de Fléchier sur les Grands Jours d’Auvergne, dont il n’avait été donné jusque-là que de rares et courts extraits, ont été publiés pour la première fois en 1844, et ont obtenu aussitôt le plus grand succès dans le monde et parmi les esprits cultivés, en même temps qu’ils ont soulevé toutes sortes de controverses dans quelques parties de la province. […] Aujourd’hui que tout ce grand feu est apaisé, et qu’un esprit conciliant a prévalu, les Mémoires de Fléchier reparaissent dans les circonstances les plus propres à en faire goûter l’agrément sans qu’il doive s’y mêler aucun fiel ni aucune amertume. […] Dans le Mémoire de quelques gens de lettres vivants en 1662, dressé par ordre de M.  […] Ce fut très probablement pour elle aussi, et à sa demande, que le cardinal de Retz, quelques années après, entreprit d’écrire ses incomparables Mémoires. […] En lisant, dans les Mémoires de Saint-Simon, le portrait du même M. de Caumartin, conseiller d’État et intendant des finances, mort en 1720, on y découvre des caractères de bonne éducation qui décèlent la main excellente de son précepteur.

413. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « MME DESBORDES-VALMORE. » pp. 124-157

De là, dans les premiers chants surtout, qui lui sont échappés avant aucune lecture, quelque chose de particulier et d’imprévu, d’une simplicité un peu étrange, élégamment naïve, d’une passion ardente et ingénue, et quelques-uns de ces accents inimitables qui vivent et qui s’attachent pour toujours, dans les mémoires aimantes, à l’expression de certains sentiments, de certaines douleurs. […] qui réveillent, pour la génération d’alors, les plus frais parfums de jeunesse et font naître une larme en ressouvenir des printemps, sont encore sues de bien des mémoires fidèles ; on a oublié qu’on les doit à Mme Valmore. […] Le 4 août suivant, la ville de Douai accomplissait un devoir douloureux envers son cher poëte, et la population douaisienne remplissait l’église Notre-Dame, toute voisine de la maison de naissance de la défunte, pour assister à la messe solennelle qui était célébrée en sa mémoire avec le concours des diverses sociétés musicales du pays. […] Il ne serait pourtant pas impossible que toute cette histoire touchante, ressaisie après coup par une imagination de poëte dans une mémoire d’enfant de quatre à cinq ans, eût subi dans l’intervalle quelque chose de la transformation propre aux légendes. […] Elle finit par être une fièvre qui tend la mémoire, et rend plus douloureuse la fuite des jours qu’on aimait parce qu’on y a beaucoup aimé. — Ne vous ai-je pas dit que souvent je me lève pour aller chercher tel ou tel objet dans telle ou telle chambre où je ne le trouve pas ?

414. (1856) Cours familier de littérature. I « Digression » pp. 98-160

Ce sont là les véritables portraits dans lesquels une femme se transfigure réellement sur la toile vivante de notre imagination ; portraits dont les couleurs ne noircissent ou ne s’éraillent jamais, parce que la mémoire vit et les renouvelle sans cesse. […] Ces vers, retenus de mémoire ou colportés de salons en salons par les amis, avaient fait une célébrité avant l’âge au nom de Delphine. […] Nous n’en citons rien ici ; à quoi bon citer ce qui est dans la mémoire de tout le monde ? […] Pour moi, quand ma mémoire évoque ton image, Je te vois l’œil éteint par la veille et les pleurs, Sans couronne et sans lyre, et penchant ton visage             Sur un lit de douleurs. […] Plaire, aimer, pardonner, ce fut toute sa vie : que ce soit aussi toute sa mémoire !

415. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Werther. Correspondance de Goethe et de Kestner, traduite par M. L. Poley » pp. 289-315

Ils se sont plaints, ils ont réclamé, on a leurs lettres ; l’auteur seul n’aurait pas tout dit : Préparé à tout ce que l’on pourrait alléguer contre Werther, a dit Goethe en ses mémoires, je ne me fâchai pas de toutes les contradictions ; mais je n’avais pas pensé qu’une souffrance insupportable me serait réservée par des âmes bienveillantes et sympathiques : car au lieu de me dire d’abord sur mon petit livre quelque chose de non désobligeant, on voulait savoir avant tout ce qu’il y avait de réel dans les faits ; ce que je ne me souciais pas du tout de dire, et je m’en expliquai hautement d’une manière très peu aimable : car pour répondre à cette question, il m’aurait fallu remettre en pièces l’opuscule auquel j’avais si longtemps pensé pour donner à ses nombreux éléments une unité poétique, et j’aurais dû en détruire la forme de telle sorte que les véritables éléments constitutifs eux-mêmes, là où ils n’auraient pas été complètement anéantis, eussent été au moins défaits et dissous. […] La préméditation, d’ailleurs, n’était pas aussi nette pour lui dans le moment même qu’elle lui a paru depuis et qu’il nous l’a exprimé lorsqu’il y est revenu avec la supériorité du critique contemplateur dans ses mémoires. […] Les premières lettres de son Werther expriment cette disposition enivrée et enchantée avec un feu, une vie, un débordement d’expression que rien n’égale et que lui-même, vieilli, se reconnaissait impuissant à ressaisir : En vérité, disait-il en écrivant ses mémoires, le poète invoquerait vainement aujourd’hui une imagination presque éteinte ; vainement il lui demanderait de décrire en vives couleurs ces relations charmantes qui autrefois lui firent de la vallée qu’arrose la Lahn un séjour si cher. […] Ses mémoires sont un peu vagues sur ce point et ne suivent pas les événements d’assez près. […] Cependant, il dit dans ses mémoires que « la mort de Jérusalem, occasionnée par sa malheureuse passion pour la femme d’un ami, l’éveilla comme d’un songe et lui fit faire avec horreur un retour sur sa propre situation. » Mais, dans ses mémoires, il entendait ceci d’un commencement de passion plus récente qu’il croyait éprouver pour la fille de Mme de La Roche, la même personne qu’il avait vue il y avait peu de temps à Coblentz, et qui venait de se marier à Francfort.

416. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Mémoires de l’impératrice Catherine II. Écrits par elle-même, (suite et fin.) »

Mémoires de l’impératrice Catherine II. […] Elle ne put ensuite que pardonner un excès de zèle dont elle profitait ; car ce crime, après tout, n’était pas une faute : il servait son règne, s’il devait faire tort à sa mémoire. […] — Rabelais et Scarron l’avaient fait rire autrefois, mais elle ne s’en souvenait plus ; elle n’avait que peu de mémoire pour tout ce qui était frivole ou de peu d’intérêt, et n’avait jamais rien oublié d’intéressant.

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