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296. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. EUGÈNE SCRIBE (Le Verre d’eau.) » pp. 118-145

La Rochefoucauld l’a dit : « Les occasions nous font connaître aux autres, et encore plus à nous-mêmes. » Combien d’aperçus comiques ainsi dépensés, que l’étude et un lieu meilleur auraient pu agrandir ! […] Pressentant que l’air du lieu n’était pas favorable, que le rebut et le dédain pourraient bien accueillir sa tentative, il resta longtemps sans user de la permission : car il faut peu compter comme début Valérie (1822), qui fut surtout un succès d’actrice, et qu’on arrangea exprès pour Mlle Mars. […] Scribe avait là contre lui ce qu’il y a contre tout homme de talent au moment où il change de lieu et de genre ; on commence par lui dire non. […] Que lui importait, après tout, le lieu ?

297. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. CHARLES MAGNIN (Causeries et Méditations historiques et littéraires.) » pp. 387-414

Tantôt même ce sont des ouvrages à part, et vraiment considérables, dans lesquels le critique essaye de reprendre et de résumer avec étendue, de fixer et d’approfondir sur un point les études jusque-là plus vagues, qui l’ont pourtant occupé de préférence ; tantôt, ce sont tout simplement d’anciens morceaux, déjà publiés en divers lieux, qu’on rassemble avec ordre, avec suite, en les revoyant pour la correction, mais en leur conservant leur premier caractère. […] Magnin, qui a dès longtemps entrepris dans ses Origines du théâtre moderne un ouvrage d’importance et de longue haleine ; mais il s’est accordé comme diversion et intermède et il nous fait le plaisir de publier un recueil d’anciens articles très-goûtés en temps et lieu lorsqu’ils parurent, et très-dignes de réclamer cette seconde lecture qui, seule, vérifie les bonnes pages. […] Le grand bibliothécaire par excellence, Gabriel Naudé, en parle étrangement en son style plus énergique qu’élégant : « Les bibliothèques, dit-il, ne peuvent mieux être comparées qu’au pré de Sénèque, où chaque animal trouve ce qui lui est propre : Bos herbam, canis leporem, ciconia lacertam 181. » Et arrivant à la connaissance des livres des novateurs, il la conseille en temps et lieu, comme fournissant à l’esprit une milliasse d’ouvertures et de conceptions, le faisant parler à propos de toutes choses, et lui ôtant l’admiration, qui est le vrai signe de notre faiblesse. […] Les écrivains polémiques et les pamphlétaires l’ont bien senti : ceux qui ont eu du succès en dernier lieu l’ont pris sur un autre ton, et ce ton, en général, était plus aisé en ce qu’il a plutôt grossi.

298. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Bernardin de Saint-Pierre. — I. » pp. 414-435

Il ne s’y laisse pourtant point gagner le cœur en commençant : Jamais ces lieux sauvages ne furent réjouis par le chant des oiseaux, ou par les amours de quelque animal paisible. […] On sent que la pensée des hommes lui gâte les lieux et l’empêche d’en goûter au premier abord la beauté grandiose jusqu’alors inconnue. […] Ils étaient venus, il y avait plusieurs années, chercher fortune ; ils avaient quitté leurs parents, leurs amis, leur patrie, pour passer leurs jours dans un lieu sauvage, où l’on ne voyait que la mer et les escarpements affreux du morne Brabant ; mais l’air de contentement et de bonté de cette jeune mère de famille semblait rendre heureux tout ce qui l’approchait. […] Leurs jeux paisibles, la solitude du lieu, le bruit de la mer me donnaient une image de ces premiers temps où les filles de Noé, descendues sur une terre nouvelle, firent encore part, aux espèces douces et familières, du toit, de la table et du lit.

299. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Loutherbourg » pp. 258-274

C’est de ce côté que les langues anciennes avaient un avantage infini sur les langues modernes ; c’était un instrument à mille cordes, sous les doigts du génie, et ces anciens savaient bien ce qu’ils disaient, lorsqu’au grand scandale de nos froids penseurs du jour, ils assuraient que l’homme vraiment éloquent s’occupait moins de la propriété rigoureuse que du lieu de l’expression. […] Voilà un genre de peinture où il n’y a proprement ni unité de temps, ni unité d’action, ni unité de lieu. […] Je préfère cette manière ; elle demande plus de fécondité, elle fournit plus au génie, tout se déploie et se fait valoir, c’est un instant d’une action générale, c’est un poëme, les trois unités y sont ; au lieu qu’à la manière de Loutherbourg, deux ou trois objets principaux, un ou deux énormes chevaux couvrent le reste. […] Le gain du premier lot consistait à entrer le premier dans le lieu de l’exposition, et à choisir le tableau qu’on aurait préféré.

300. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Réception du père Lacordaire » pp. 122-129

Ç’a été le sujet d’un long parallèle, dans lequel tous les avantages, toutes les vertus, toutes les piétés ont été libéralement reconnus ou octroyés au démocrate américain ; quant à l’européen, il a été si maltraité que j’aurais vraiment envie de dire quelque chose en sa faveur et à sa décharge, si c’était le moment et le lieu. […] Je saurais bien que dire là-dessus tout comme un autre, mais il me semble que ce n’est vraiment pas le lieu, et que, même à l’Académie, c’était beaucoup trop comme cela. — J’aime mieux suivre M. 

301. (1897) La crise littéraire et le naturisme (article de La Plume) pp. 206-208

Il faudrait marcher là, comme au lieu le plus suave, le plus religieux, le plus impressionnant du monde. […] « Ce lieu où de telles émotions brûlent et exténuent les amants, je voudrais que personne n’y entrât sans vénération.

302. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Tout ce que j’ai compris de ma vie du clair-obscur » pp. 26-33

Autour de moi les objets gardent toute la force et toute la variété de leurs couleurs, ils se ressentent moins de la teinte de l’atmosphère et du ciel ; au loin ils s’effacent, ils s’éteignent, toutes leurs couleurs se confondent ; et la distance qui produit cette confusion, cette monotonie, les montre tous gris, grisâtres, d’un blanc mat ou plus ou moins éclairé, selon le lieu de la lumière et l’effet du soleil. […] C’est l’instant du jour, la saison, le climat, le site, l’état du ciel, le lieu de la lumière qui en rendent le ton général fort ou faible, triste ou piquant.

303. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Mon mot sur l’architecture » pp. 70-76

On ajoute que l’édifice étroit que l’art a agrandi finit par être conçu tel qu’il est ; au lieu que le grand édifice que l’art et ses proportions ont réduit à une apparence ordinaire et commune, finit par être conçu grand, le prestige défavorable des proportions s’évanouissant par la comparaison nécessaire du spectateur avec quelques-unes des parties de l’édifice. […] En s’approchant de cette statue qui devient tout à coup colossale, sans doute on est étonné, on conçoit l’édifice beaucoup plus grand qu’on ne l’avait d’abord apprécié ; mais le dos tourné à la statue, la puissance générale de toutes les autres parties de l’édifice reprend son empire, et restitue l’édifice grand en lui-même, à une apparence ordinaire et commune : en sorte que d’un côté chaque détail paraît grand, tandis que le tout reste petit et commun ; au lieu que dans le système contraire d’irrégularité, chaque détail paraît petit, tandis que le tout reste extraordinaire, imposant et grand.

304. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre premier. De la louange et de l’amour de la gloire. »

Mais quelquefois aussi c’est l’hommage que l’admiration rend aux vertus, ou la reconnaissance au génie ; et sous ce point de vue, elle est une des choses les plus grandes qui soient parmi les hommes : d’abord, par son autorité, elle inspire un respect naturel pour celui qui la mérite et qui l’obtient ; par sa justice, elle est la voix des nations qu’on ne peut séduire, des siècles qu’on ne peut corrompre ; par son indépendance, l’autorité toute-puissante ne peut l’obtenir, l’autorité toute-puissante ne peut l’ôter ; par son étendue, elle remplit tous les lieux ; par sa durée, elle embrasse les siècles. […] Il faut qu’elle soit vue de loin pour qu’elle en impose ; elle ressemble à ces divinités de nos ancêtres, qu’ils avaient soin de placer dans les forêts, ou dans des lieux obscurs ; moins on les voyait, plus elles obtenaient d’hommages.

305. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface de « Cromwell » (1827) »

Le lieu ou telle catastrophe s’est passée en devient un témoin terrible et inséparable ; et l’absence de cette sorte de personnage muet décompléterait dans le drame les plus grandes scènes de l’histoire. […] L’unité de temps n’est pas plus solide que l’unité de lieu. […] Toute action a sa durée propre comme son lieu particulier. […] Cette esquisse semblera peut-être morose et peu flattée ; mais n’achève-t-elle pas de marquer la différence qui sépare notre théâtre, lieu d’intrigues et de tumultes, de la solennelle sérénité du théâtre antique ? […] Comblez la vallée avec le mont, vous n’aurez plus qu’un steppe, une lande, la plaine des Sablons au lieu des Alpes, des alouettes et non des aigles.

306. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Quelques documents inédits sur André Chénier »

Il copie de sa main une épigramme de Myro la Byzantine qu’il trouve charmante, adressée aux Nymphes hamadryades par un certain Cléonyme qui leur dédie des statues dans un lieu planté de pins. […] L’une a dit à sa sœur : — Ma sœur… (Ma sœur, en un tel lieu croissent l’orge et le millet…) L’autour et l’oiseleur, ennemis de nos jours, De ce réduit peut-être ignorent les détours ; Viens… (Je te choisirai moi-même les graines que tu aimes, et mon bec s’entrelacera dans le tien.) […] Est-ce toi dont les pas ont visité ce lieu ? […] Chaque fois qu’en ces lieux un air frais du matin Vient caresser ta bouche et voler sur ton sein,  Pleure, pleure, c’est moi ; pleure, fille adorée ; C’est mon âme qui fuit sa demeure sacrée, Et sur ta bouche encore aime à se reposer. […] 68 Il résulte, pour moi, de cette quantité d’indications et de glanures que je suis bien loin d’épuiser, il doit résulter pour tous, ce me semble, que, maintenant que la gloire de Chénier est établie et permet, sur son compte, d’oser tout désirer, il y a lieu véritablement à une édition plus complète et définitive de ses œuvres, où l’on profiterait des travaux antérieurs en y ajoutant beaucoup.

307. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « George Farcy »

Il part seul ; lui, il n’a d’autre but que de voir et de sentir, de s’inonder de lumière, de se repaître de la couleur des lieux, de l’aspect général des villes et des campagnes, de se pénétrer de ce ciel si calme et si profond, de contempler avec une âme harmonieuse tout ce qui vit, nature et hommes. […] Ischia, qu’a chantée Lamartine, fut encore le lieu qu’il préféra entre tous ces lieux. […] « Adieu jusqu’en des temps et des pays lointains ; jusqu’aux lieux où la nature accueillera l’automne de ma vie, jusqu’aux temps où mon cœur sera paisible, où mes yeux seront distraits auprès de vous ! […] Cette convenance, la douceur du lieu, le voisinage des bois, l’amitié de quelques habitants du vallon, peut-être aussi le souvenir des noms célèbres qui ont passé là, les parfums poétiques que les camélias de Chateaubriand ont laissés alentour, tout lui faisait d’Aulnay un séjour de bonne, de simple et délicieuse vie.

308. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « M. Jouffroy »

La philosophie est perpétuellement à recommencer pour chaque génération depuis trois mille ans, et elle est bonne en cela ; c’est une exploration vers les hauts lieux, loin des objets voisins qui offusquent ; elle replace sur nos têtes à leur vrai point les questions éternelles, mais elle ne les résout et ne les rapproche jamais. […] Jouffroy, plus familier à l’admiration de ces lieux, en jouissait tout en jouissant de l’immobile extase de l’ami qu’il avait guidé ; il reportait son regard avec sourire tantôt sur le spectacle éclatant, et tantôt sur le visage ébloui ; il était comme satisfait de sa lente démonstration si magnifiquement couronnée, il était satisfait de sa montagne. […] Jouffroy, c’est bien de tout voir de la montagne ; s’il envisage l’histoire, s’il décrit géographiquement les lieux, c’est par masses et formes générales, sans scrupule des détails, et avec une sorte de vérité ou d’illusion toujours majestueuse […] Les prétendus patrons hantaient si peu ce lieu-là, qu’il a été possible à l’un des rédacteurs assidus de n’avoir pas, une seule fois durant les six ans, l’honneur d’y rencontrer leur visage. […] Jouffroy (et nous savons qu’il en a déjà projeté), ce serait un lieu sûr pour toute sa psychologie réelle, qui consiste, selon nous, en observations détachées plutôt qu’en système ; ce serait un refuge brillant pour toutes les facultés poétiques de sa nature qui n’ont pas donné.

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