C’est une espèce de Mme de Genlis de la libre pensée. […] Dans Mme André Léo, il n’y a que du xixe siècle — du xixe siècle positiviste, impie, moraliste sans Dieu rémunérateur, qui veut que la vertu des femmes soit d’être des hommes… Sa prétention d’épurer l’amour et d’établir les unions libres, si chère aux bas-bleus, ne lui appartient pas ; c’est celle de son temps. […] Elle le constate, soit en vertu de la libre déclaration de l’homme et de la femme, soit par l’acte de naissance de leur premier-né. » Ces paroles, malgré ce qu’elles ont d’incorrect, grammaticalement et métaphysiquement, montrent assez bien l’embarras douloureux d’un esprit primitivement assez juste, qui souffre de sa justesse, pour s’être fourvoyé dans les idées décadentes d’un temps qui a passé par le panthéisme de Hégel, et qui s’est retourné vers le naturalisme de Darwin.
Ce n’est pas là encore la femme à intelligence multiple, et libre dans ses choix d’esprit, que nous cherchons. […] Les déclarations qui aiment un homme libre n’ont pas eu le temps de lui venir. […] Elle lui explique aussi avec détail et lui soumet l’état de son cœur ; devenue veuve, elle ne peut prendre sur elle d’épouser Margency qui est revenu, du moment qu’il l’a vue libre, et qui lui offre un nouvel établissement. […] Pesez donc les choses en bonne mère, mais en personne libre. […] Bref, elle fit bon marché de son bonheur personnel et dissimula ce qu’elle continuait de sentir tout bas, en remerciant courageusement Margency et le laissant libre de contracter d’autres engagements.
Cette délibération seule sur la dernière bourgade de l’Italie est une usurpation ou sur la souveraineté des gouvernements ou sur la volonté libre des sujets. […] Sous Léopold, la Toscane, aussi libre qu’une république, mais stable comme une monarchie, devint le modèle idéal de tous les États de l’Europe. […] Jusqu’au jour où un général français la surprit et la vendit à l’Autriche comme une statue enlevée par les Gaulois au musée national de l’Italie, Venise était restée républicaine inviolée, indépendante et libre comme les flots de l’Adriatique dont elle est entourée. […] On n’y voit en perspective qu’une cinquième capitale piémontaise, humble succursale de Turin, de Milan, de Gênes, de Florence, ou bien une grande ville libre, une Tyr de l’Adriatique, renfermant hermétiquement dans ses remparts battus des flots l’ombre d’une république qui ne peut revivre sous sa première forme et qui ne doit pas mourir. […] Le prince de Carignan, libre et seul, proclama la constitution insurrectionnelle dans la capitale abandonnée ; il accepta la régence des mains de l’armée.
Mais la croissance de cette plante libre et responsable, l’humanité, n’est pas ainsi emportée d’un mouvement uniforme et nécessaire, suivant une ligne inflexible, vers un but qui ne peut manquer d’être atteint. […] Or nécessité exclut liberté, et les faits de l’histoire sont les produits d’une cause libre. […] Sans contraindre l’agent libre, elle impose à son activité l’obligation de tendre vers un idéal qui est le bien. […] Y marcher, voilà sa loi ; mais nulle nécessité ne l’y pousse : elle est toujours libre de s’arrêter ou de retourner en arrière. […] C’est elle qui, façonnant au dedans l’essentiel agent du progrès, l’activité consciente et libre, lui imprime l’élan qui l’arrache au joug des instincts inférieurs et l’oriente pour ainsi dire vers la perfection.
Il revint à Paris, résolu d’y embrasser la profession toute libre d’auteur et de bel esprit. […] Mézeray est d’humeur libre et non servile, d’humeur même républicaine, à prendre le mot dans l’antique acception de nos pères ; il n’a qu’à se laisser aller pour être caustique et satirique. […] Ce n’est pas en des temps de Fronde qu’il eût appris à les concevoir, et c’est pour avoir, en ses jeunes années, en sa saison de verve et d’entreprise, vu réunies entre les mains de Richelieu les pièces merveilleuses de cet assemblage, c’est pour lui avoir vu reconquérir ce Roussillon aliéné depuis un siècle et demi, et lui avoir vu refaire en tous sens une France, qu’il a su mêler lui-même à son Histoire cet esprit français étendu, cette intelligence d’ensemble qui y subsiste à travers les remarques plus ou moins libres et les réflexions conformes à notre vieux génie populaire. […] N’accusons donc point Mézeray de ces lacunes, et sachons-lui gré plutôt de les avoir si bien signalées et définies : il a fallu deux siècles de défrichement et de critique, des travaux sans nombre et en France et dans d’autres pays, des systèmes contradictoires qui se sont usés en se combattant et qui ont fécondé le champ commun par leurs débris ; il a fallu enfin ce qu’invoquait Mézeray, l’appui des gouvernements dans les recherches, dans le libre accès aux sources et à toutes les chartes et archives, pour que les faits généraux qui se rapportent à cette première et à cette seconde race fussent éclaircis, pour que la société féodale fût bien connue, et que l’histoire du tiers état pût naître.
C’est un reste d’école chez lui : il ne devine pas assez qu’un moment approche où il y aura accession ouverte et libre de tous les esprits sur quantité de questions, et que le philosophe et le vrai sage sera tenu, dans ses solutions, de compter de plus en plus avec le sentiment de ce grand nombre dont on fait partie soi-même, et avec cette philosophie irréfléchie, mais nécessaire, qui résulte de l’humaine et commune nature. […] Prud’homie parfaite, selon lui, a pour fondement « un esprit universel, galant, libre, ouvert et généreux, un esprit voyant partout, s’égayant par toute l’étendue belle et universelle du monde et de la nature ». La vertu ou vraie prud’homie, que Charron veut édifier là-dessus, est à son tour « libre et franche, mâle et généreuse, riante et joyeuse, égale, uniforme et constante, marchant d’un pas ferme, fier et hautain, allant toujours son train, sans regarder de côté ni derrière, sans s’arrêter et altérer son pas et ses allures pour le vent, le temps, les occasions ». […] Goûté et suivi par ces hommes de l’école érudite et libre, La Mothe Vayer, Gassendi, Naudé, il eut l’honneur d’être burlesquement insulté par le père Garasse : Quant au sieur Charron, disait ce facétieux dénonciateur des beaux esprits de son temps, je suis contraint d’en dire un mot pour désabuser le monde et les faibles esprits qui avalent le venin couvert de quelques douces paroles et de pensées aucunement favorables, lesquelles il a tirées de Sénèque et naturalisées à la française, sans voir bonnement ce qu’il faisait ; car c’était un franc ignorant, et semblable à ce petit oiseau du Pérou, qui s’appelle le tocan, et qui n’a rien que le bec et la plume.
Vous n’êtes donc pas libres dans votre pays ? […] On croit entendre milord Édouard morigénant un peu fastueusement Saint-Preux ; Il ne laisse pas d’être singulier de voir un historien, et l’historien d’un pays libre, faire fi à ce point de la pratique politique, comme si les anciens qu’il invoque n’avaient pas dû à l’exercice des charges publiques et au maniement des affaires le sens et l’intelligence supérieure qu’ils portaient ensuite dans leurs livres ; comme si Thucydide, Salluste et Cicéron n’avaient fait dans toute leur vie qu’une seule chose, — écrire. […] Cette Suisse italienne, conquise peu à peu et par portions, et sujette de la Suisse libre, mais sujette non d’un seul, mais de plusieurs États souverains, offrait alors l’assemblage monstrueux de toutes les corruptions et de tous les abus. […] La plupart de ces juges et syndics, qui étaient des citoyens assez estimés et peut-être d’assez honnêtes gens dans leur Suisse libre, et qui observaient la morale de ce côté-ci des Alpes, s’en croyaient dispensés de l’autre côté du versant, et ils se conduisaient comme des pachas au petit pied.
Immense aspiration vers la science universelle ; libre épanouissement de tout l’être physique et moral : voilà tout ce premier Pantagruel ; et Gargantua ne fait que développer les mêmes thèmes : car la discipline de Ponocrates, et l’activité de frère Jean, voilà l’âme du livre. […] Ceux qui ne veulent être rigoureusement ni protestants ni catholiques, les libres esprits qui repoussent tous les jougs et se sentent à la gêne dans toutes les Églises, les doux amis de la tolérance, qui mettent l’essence du christianisme dans la charité, les fougueux partisans de la bonne vie instinctive et naturelle, qui ne veulent point resserrer leurs désirs ni leurs jouissances, tous ceux-là désormais seront malheureux, s’ils ne sont bien habiles. […] Mais il fit cet étrange Cymbalum mundi, la première œuvre française qui manifeste, entre les deux théologies également intolérantes, l’existence d’un tiers parti de libres philosophes. […] Au fond, la pédagogie de Rabelais se ramène à respecter la libre croissance de l’être humain, et à lui fournir copieusement toutes les nourritures que réclament pour son développement total ses appétits physiques et moraux.
La dame, qui n’était pas trop mélancolique, se mit à chanter une chanson assez libre. » On peut voir le reste dans Tallemant. […] Cet ensemble d’anecdotes sur la jeunesse de Patru nous le montre bien, dans la vérité primitive de son caractère, aimable, je le répète, liant et séduisant, un garçon d’esprit et de plaisir, honnête homme au milieu de ses distractions gauloises, désintéressé, déjà mal à l’aise et se méfiant de la fortune, ne se sentant pas assez de force pour la maîtriser et pour épouser courageusement la femme qu’il aime, du moment qu’elle devient veuve et qu’elle est libre. […] Sous la Fronde, Patru, qui appartenait à cette libre race de bourgeoisie naturellement railleuse et plus gaie que prévoyante, n’eut pas grand effort à faire pour se ranger de ce côté-ci des Barricades, je veux dire du côté du cardinal de Retz et du Parlement. […] Il avait toujours été assez libre de croyance, et, sans impiété formelle, il était de ces hommes de la première moitié du xviie siècle qui tenaient quelque peu de la religion de Montaigne et de Charron.
Dès 1723, un certain abbé Alary avait fondé une société politique, composée de membres libres, et appelée le club de l’Entresol du nom du lieu où se tenaient les conférences. […] M. d’Argenson se complaît à nous transmettre les plus menus détails de cette société libre, qu’il compare à cet âge d’or tant regretté de l’Académie française, et dont, sans lui, le secret serait encore ignoré de nous.
Ne pas détruire les religions, les traiter même avec bienveillance, comme des manifestations libres de la nature humaine, mais ne pas les garantir, surtout ne pas les défendre contre leurs propres fidèles qui tendent à se séparer d’elles, voilà le devoir de la société civile. Réduites ainsi à la condition de choses libres et individuelles, comme la littérature, le goût, les religions se transformeront entièrement.
La facilité ou la difficulté du cours même des pensées et des associations cause un plaisir ou une peine, analogues à ceux du mouvement libre ou du mouvement entravé, du déploiement ou de l’arrêt de la vie. […] C’est donc là que les lois de la sensibilité et de l’émotion se montrent dans leur libre jeu.
Le Voltaire idolâtré des libres penseurs, abhorré des croyants, le maigre vieillard au masque grimaçant, à l’ironie diabolique, enfin le légendaire « patriarche », c’est le Voltaire de la seconde période. […] Par lui enfin, Voltaire fut introduit chez le grand prieur de Vendôme, dans cette libre société du Temple, où les mœurs et l’esprit étaient sans règle. […] Le prince, qui s’est fait traduire Wolf en français pour le lire, met volontiers la philosophie sur le tapis : il donne à Voltaire l’exemple de la libre pensée. […] Puis on rapporta au roi des mots un peu libres de Voltaire. […] Ce n’est pas là qu’il faut chercher le libre, le naturel, le vrai Voltaire.