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1062. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre cinquième. Le réalisme. — Le trivialisme et les moyens d’y échapper. »

La douleur et ces émotions complexes qui constituent pour ainsi dire la pénombre de la joie ne se pourraient pas rendre par des consonances ou des rythmes réguliers et simples. […] Nous sentons s’enrichir notre cœur quand y pénètrent les souffrances ou les joies naïves, sérieuses pourtant, d’une humanité jusqu’alors inconnue, mais que nous reconnaissons avoir autant de droit que nous-mêmes, après tout, à tenir sa place dans cette sorte de conscience impersonnelle des peuples qui est la littérature. […] Zola, le vieux secrétaire de la maison (dans la Joie de vivre) est peint de telle sorte que ce meuble a une vie à lui, il est quelqu’un, il est l’âme même de la vieille maison.

1063. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre dixième. Le style, comme moyen d’expression et instrument de sympathie. »

L’accent est presque identique chez toutes les espèces : accent de la surprise, de la terreur, de la joie, etc. ; il en est de même du geste, et c’est ce qui rend immédiate l’interprétation des signes visibles ; l’art doit reproduire ces accents et ces gestes pour faire pénétrer dans l’âme, par suggestion, le sentiment qu’ils expriment. […] Ailleurs il dit à l’alouette : « Dans le flamboiement d’or du soleil, … tu flottes et tu glisses, comme une joie sans causes surgissant tout à coup dans l’âme. » Byron parle d’un courant d’eau qui fuit « avec la rapidité du bonheur. » Chateaubriand compare la colonne debout dans le désert à une « grande pensée » qui s’élève encore dans une âme abattue par le malheur. […] Qu’il s’agisse d’une chose, d’un être ou d’une simple idée, nous éprouvons une joie infinie à retrouver, à revenir vers ce qui est déjà connu, déjà ami par conséquent.

1064. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre IV. L’âge moderne. — Chapitre II. Lord Byron. » pp. 334-423

. —  Tous se joignent à la chasse, mais peu auront part au triomphe ; —  le tombeau prendra pour soi le plus précieux du butin, —  et le Massacre assouvi peut à peine, à force de joie, compter leurs files1271… Quel fruit retirerons-nous de notre maigre et pauvre être ? […] S’il s’est enfoncé dans les arts magiques, ce n’est point par curiosité d’alchimiste, c’est par audace de révolté. « Dès ma jeunesse, mon âme n’a point marché avec les âmes des hommes, —  et n’a point regardé la terre avec des yeux d’homme. —  La soif de leur ambition n’était point la mienne. —  Le but de leur vie n’était pas le mien. —  Mes joies, mes peines, mes passions, mes facultés — me faisaient étranger dans leur bande ; je portais leur forme, —  mais je n’avais point de sympathie avec la chair vivante… —  Je ne pouvais point dompter et plier ma nature, car celui-là — doit servir qui veut commander ; il doit caresser, supplier, —  épier tous les moments, s’insinuer dans toutes les places, —  être un mensonge vivant, s’il veut devenir — une créature puissante parmi les viles, —  et telle est la foule ; je dédaignais de me mêler dans un troupeau, —  troupeau de loups, même pour les conduire1290… —  Ma joie était dans la solitude, pour respirer — l’air difficile de la cime glacée des montagnes, —  où les oiseaux n’osent point bâtir, où l’aile des insectes — ne vient point effleurer le granit sans herbe, pour me plonger — dans le torrent et m’y rouler — dans le rapide tourbillon des vagues entre-choquées, —  pour suivre à travers la nuit la lune mouvante, —  les étoiles et leur marche, pour saisir — les éclairs éblouissants jusqu’à ce que mes yeux devinssent troubles, —  ou pour regarder, l’oreille attentive, les feuilles dispersées, —  lorsque les vents d’automne chantaient leur chanson du soir. —  C’étaient là mes passe-temps, et surtout d’être seul ; —  car si les créatures de l’espèce dont j’étais, —  avec dégoût d’en être, me croisaient dans mon sentier, —  je me sentais dégradé et retombé jusqu’à elles, et je n’étais plus qu’argile1291. » Il vit seul, et il ne peut pas vivre seul. […] Son être intime, —  quand elle est dépouillée de cette mortalité, n’emprunte point — sa couleur aux choses fugitives du dehors, —  mais demeure absorbé dans une souffrance ou dans une joie — qui vient de la conscience de ses propres mérites. —  Tu ne m’as point tenté, ce n’est point toi qui aurais pu me tenter. —  Je n’ai point été ta dupe, et je ne suis point ta proie. —  J’ai été mon propre destructeur, et je le serai encore — dans la vie qui s’approche.

1065. (1932) Le clavecin de Diderot

La joie entière de m’écraser le nez contre un corsage mystérieux, de caresser un velours, longtemps, je continuai à ne vouloir m’en saouler qu’à l’ombre de celle qui, justement, ne pouvait me l’offrir, puisque ces corsages n’étaient de mystère, ni de velours, ses jupes. […] Elle regardait l’heure à un bracelet-montre extensible (objet alors fort rare), et, très volontiers pour ma grande joie (à nous le symbolisme sexuel) sa main allait et venait à travers ce cercle complaisant. […] Et comme l’époque continuera de faire la laïque, à seule fin de cultiver en plus grande paix l’idéologie chrétienne, au messianisme de s’en donner à cœur joie. […] Aussi, fut-ce une grande joie que de voir venir à ma rencontre, une chanteuse qui, spécialisée dans le Satie, allait savoir animer de sa verve la musique funèbre. […] « Lorsque la jouissance en général est un péché, l’homme est si anti-naturel, si mesquin, si esclave, si craintif, si mauvais pour lui-même, qu’il ne se permet aucune joie, aucun bon morceau, comme Pascal qui, selon sa sœur, se donnait toutes les peines du monde pour trouver insipides les mets fins et délicats qu’on lui donnait pendant sa maladie. » Elle était pascalienne en diable, cette bourgeoisie dont j’étais issu, et qui, d’hypocrisie en hypocrisie, avait fini par se prendre au jeu de son masochisme sordide.

1066. (1890) Derniers essais de littérature et d’esthétique

Il désire donner une expression à la joie et à la surprise qu’il éprouve devant les merveilles qui l’entourent, et il invente une forme de beauté par laquelle il exprime la pensée ou le sentiment qui est en lui. […] La reliure est essentiellement décorative, et la bonne décoration est suggérée plus fréquemment par la matière et par le genre de travail que par le désir quelconque de l’homme qui conçoit l’idée de nous exprimer sa joie en ce monde. […] Crane comme un homme, qui avait toujours été l’avocat des grandes causes impopulaires et donnait pour but à son art « la diffusion de la joie dans toute l’étendue du pays ». […] Car la fureur et la joie qui le possèdent sont plus puissantes que celle de l’homme qu’il égorge et dépouille. […] En poésie, en art, si vous entrez réellement dans leur esprit véritable, vous touchez, en quelque sorte, ce principe  : tous deux, par leur stérilité, sont un type du fait de contempler sans autre objet que la simple joie de contempler.

1067. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXVIIIe entretien. Revue littéraire de l’année 1861 en France. M. de Marcellus (1re partie) » pp. 333-411

Quand un étranger arrive le soir, c’est là qu’on va chercher le maître, et qu’on le trouve, à la lueur d’une lampe qui s’use, attablé, la plume à la main, devant un texte grec ou latin, anglais ou italien, qu’il quitte avec joie pour accueillir un ami, sûr de retrouver son texte et sa pensée à la même place le lendemain ! […] La République de 1848 lui donna la joie de voir la France libre de se choisir un gouvernement ; il ne se fit pas les illusions des partis pressés de nouvelles chutes ; il ne participa ni aux illusions, ni aux fusions, ni aux conspirations ; il comprit que la fin du siècle était au tâtonnement, aux essais, aux déviations du peuple en tout sens.

1068. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCIIe entretien. Vie du Tasse (2e partie) » pp. 65-128

Convaincu alors de l’amour de sa sœur pour lui, et se reprochant à lui-même une feinte qui avait causé tant d’angoisses à Cornélia, il commença à la rassurer avec de meilleures paroles, et il finit par se découvrir à elle pour ce qu’il était, mais peu à peu, néanmoins, et par degrés, de peur que la surprise et la joie, succédant sans préparation à tant de douleur, ne lui causassent un autre évanouissement qui, cette fois, pourrait être mortel. […] La beauté et la variété de ce site enchanté complétaient sa joie.

1069. (1867) Cours familier de littérature. XXIII « cxxxviie entretien. Un intérieur ou les pèlerines de Renève »

Nous étions déjà bien loin de sa maison, que nous l’entendions encore à travers les feuilles chanter un cantique de joie au Seigneur ! Est-il possible qu’on éprouve une telle joie pour entrer dans un hôpital d’incurables ?

1070. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLIVe entretien. Madame de Staël. Suite »

« Lorsque Keppler eut découvert les lois harmoniques du mouvement des corps célestes, c’est ainsi qu’il exprima sa joie : « Enfin, après dix-huit mois, une première lueur m’a éclairé, et, dans ce jour remarquable, j’ai senti les purs rayons des vérités sublimes. […] « Puis de ces hauteurs et de ces mille points de vue spéculatifs et anecdotiques où se plaisait madame de Staël, nous l’avions entendue revenant sans cesse à la France, insistant avec une joie naïve d’amour-propre sur l’ascendant que la paix et la liberté légale allaient rendre à cette terre natale de l’intelligence, disait-elle, à cette métropole des esprits dont la civilisation de l’Europe était une colonie.

1071. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — H — Hugo, Victor (1802-1885) »

Pour toute joie, toute douleur, tout sacrifice, tout événement, elle a un chant qui exalte, console, explique ou fortifie. […] Il y en a, comme Coppée, qui ont une âme cii ailes de moineau ; qui va, légère, amusée, gouailleuse, tendre et gaie à la fois, se poser sur tous les arbres des squares et guetter les humbles joies et les humbles drames pour en faire une chanson.

1072. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 novembre 1886. »

Le surlendemain, pour Tristan et Iseult, joie identique. […] A la deuxième représentation, à Munich, ce finale, d’une joie débordante, souleva de tels transports que l’auditoire, en masse, était debout, applaudissant, acclamant l’auteur sans se lasser.

1073. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « III »

Un cygne amena Loheranghin, qui débarqua à Anvers et fut reçu avec joie. […] Ce qu’il voit immédiatement ce sont les mouvements extérieurs, inconscients, causés par une douleur ou une joie.

1074. (1888) Petit glossaire pour servir à l’intelligence des auteurs décadents et symbolistes « Petit glossaire »

Une subtile joie polychrome se difflue en auberges sur les fonds. […] Les faces impassibles des Parisiens cachant des angoisses, des joies, des navrances devinables, tout ce luxe de passions et de choses le captive.

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