Donc, au premier instant, c’est-à-dire pendant la perception extérieure, elle n’avortait pas ; donc il y avait alors une hallucination complète dont la conception conservée, la représentation surnageante, le fantôme posthume, est le reliquat. […] Que le lecteur y réfléchisse un instant : ici, comme dans toute proposition, la substance équivaut à la série indéfinie de ses propriétés connues ou inconnues. […] Quel que soit l’instant de la durée que je considère, cette possibilité et cette nécessité s’y rencontrent ; elles durent donc et sont stables. — D’autre part, elles sont indépendantes de moi et de tous les individus sensibles qui ont vécu, vivent et vivront. […] Je pourrais même en cet instant n’en avoir aucune ; en tout cas, elles ne sont qu’une très insignifiante partie du tout que j’embrasse. […] L’homme remarque alors que la sensation dont il a l’image était possible tout à l’heure, ce matin, hier, qu’elle sera possible tout à l’heure, ce soir, demain, et à tout instant de l’intervalle, non seulement pour lui, mais pour tout être analogue à lui.
Si, au lieu du néant absolu, nous considérons la réalité, il est contradictoire d’admettre des principes identiques produisant en un même instant des conséquences opposées, mais il ne semble plus contradictoire d’admettre que des principes identiques, en deux instants différents, soient suivis de conséquences différentes ; car, alors, nous ne considérons plus les choses dans le même temps. […] Entre les mêmes causes A, B, C… au premier instant et les mêmes causes A, B, C… à un autre instant, il n’y a qu’une différence de temps ; d’autre part, nous voyons que les mêmes causes ont produit les mêmes effets a, b, c… pendant un certain laps de temps appréciable ; donc la différence du temps n’a pas entraîné de différence dans les effets. […] Maintenant, quand nous parlons des mêmes effets produits par les mêmes causes, en des instants ou lieux indifféremment différents, nous supposons une identité tout imaginaire des effets. […] Si à chaque instant, dans l’univers, tout était phénomène nouveau ou ensemble nouveau de phénomènes sans que rien ne durât, si, à l’instant présent, tout était à la fois produit et anéanti, pour laisser place dans l’instant suivant à une apparition également instantanée, comme un éclair infiniment petit par la durée et infiniment grand par l’étendue, il faudrait supposer que le monde à chaque instant meurt et renaît. […] La cause serait le monde de l’instant A, le phénomène universel A, qui cesserait d’être pour laisser place au monde de l’instant B, au phénomène universel B.
Mais, à chaque instant, hélas ! […] Que de choses resteront et renaîtront si un injuste oubli s’est un instant mépris sur elles ! […] Quelle ressource lui restera pour remplir un instant ce grand vide qui s’ouvre devant lui ? […] c’était vrai aussi, pendant les premiers instants. […] Elle le quitte un instant pour donner des ordres.
Pourquoi donc faut-il un seul instant s’y arrêter ? […] Il est vrai que c’est dans une comédie qu’il dit cela, et qu’on ne peut pas prendre tout à fait au sérieux ces sortes de saillies ; mais il faut pourtant reconnaître que, si les honnêtes gens en ce monde sont moins mal partagés d’ordinaire et dans les temps réguliers que Ménandre ne le dit, il est aussi des instants de crise où ils se conduisent de manière à avoir tout l’air en effet de ne venir qu’après les flatteurs, les calomniateurs et ceux qui vivent à petit bruit de la corruption. […] A la veille des prochaines divisions, et dans le temps même de cet intervalle, il y eut, nous l’avouons, comme un dernier instant fugitif, que tous ceux qui sont restés fidèles à la Revue ne peuvent s’empêcher de regretter, un peu comme les jeunes filles regrettent leurs quinze ans et leur première illusion évanouie : ce fut l’instant où le groupe des artistes et des poëtes paraissait au complet (M.de Balzac n’en était déjà plus, mais M.Dumas en était encore), et où les critiques vivaient en très-bon ménage avec eux. […] Qu’il y ait lieu, par instants, en littérature, à une critique d’allure tranchée, plus dogmatique et systématique, plus dirigée d’après une unité profonde de principes, nous ne le nions pas, et simplement, sans exclure de son à propos cette haute critique d’initiative, ce n’est point celle à laquelle la Revue d’ordinaire prétend.
Seulement, par instants, la petite fille tremble un peu : si les poupées étaient vraiment vivantes ; si elles allaient se révolter… Et elle leur recommande, d’une voix mal assurée, de rester bien sages. […] Mais l’architecte, qui aime la solidité et qui voit à chaque instant que ça tombe à droite ou que ça croule à gauche, apporte inlassable d’autres aiguilles, multiplie indéfiniment contreforts ridicules et lignes lucratives. […] Ici on peut s’arrêter quelques instants sans trop d’ennui : Boissière cesse d’être ridicule et reste presque aussi drôle. […] On peut au contraire accorder à la misère psychologique de ce pauvre diable de Bouhélier quelques instants d’attention. […] … » À chaque instant le pléonasme patauge, enfantin : « Allez-vous mentir devant moi pour m’accabler de preuves dénuées de vérité ?
Elle rencontre des passantes tristes et lasses aussi, et le poète s’arrête quelques instants près de ses sœurs maladives pour leur faire partager sa mélancolie, puis repart sur le chemin triste. […] Voilà une strophe parfaite : les syllabes sourdes s’unissent et s’allongent infiniment ; et s’évoque une ville triste, au ciel de suie, avec des maisons ouatées de brume que déchire sourdement par instants une cloche qui tinte ses notes éteintes.
Supposons un instant que l’appareil ne soit pas en translation dans l’éther. […] Seuls, des signaux lancés à travers l’éther répondent à cette exigence : toute transmission par la matière pondérable dépend de l’état de cette matière et des mille circonstances qui le modifient à chaque instant. […] Si toutes les horloges ainsi accordées entre elles marquaient la même heure, c’était bien au même instant. […] Il va sans dire que nous appelons horloge, dans ce paragraphe, tout dispositif permettant de mesurer un intervalle de temps ou de situer exactement deux instants par rapport l’un à l’autre. […] La fixation du zéro dans le second dispositif consistera simplement à marquer, sur le trajet du second mobile, le point qui sera censé correspondre au même instant.
Je suppose, un instant, que ce phénomène soit dû à l’action de l’une des deux consciences sur l’autre, que des consciences puissent ainsi communiquer sans intermédiaire visible et qu’il y ait, comme vous dites, « télépathie ». […] Je vais plus loin : si la télépathie est réelle, il est possible qu’elle opère à chaque instant et chez tout le monde, mais avec trop peu d’intensité pour se faire remarquer, ou de telle manière qu’un mécanisme cérébral arrête l’effet, pour notre plus grand bien, au moment où il va franchir le seuil de notre conscience. […] Vous avez entendu parler des noyés et des pendus qui racontent, une fois rappelés à la vie, comment ils ont eu la vision panoramique, pendant un instant, de la totalité de leur passé. […] Maintenant, que l’attention à la vie vienne à faiblir un instant — je ne parle pas ici de l’attention volontaire, qui est momentanée et individuelle, mais d’une attention constante, commune à tous, imposée par la nature et qu’on pourrait appeler « l’attention de l’espèce » — alors l’esprit, dont le regard était maintenu de force en avant, se détend et par là même se retourne en arrière ; il y retrouve toute son histoire. […] Entre les diverses consciences pourraient s’accomplir à chaque instant des échanges, comparables aux phénomènes d’endosmose.
Mais un spectateur ordinaire, dans l’instant le plus vif de son plaisir, au moment où il applaudit avec transport Talma-Manlius disant à son ami : « Connais-tu cet écrit ? […] Mais recherchons dans quels moments de la tragédie le spectateur peut espérer de rencontrer ces instants délicieux d’illusion parfaite. Ces instants charmants ne se rencontrent ni au moment d’un changement de scène, ni au moment précis où le poète fait sauter douze ou quinze jours au spectateur, ni au moment où le poète est obligé de placer un long récit dans la bouche d’un de ses personnages, uniquement pour informer le spectateur d’un fait antérieur, et dont la connaissance lui est nécessaire, ni au moment où arrivent trois ou quatre vers admirables, et remarquables comme vers. Ces instants délicieux et si rares d’illusion parfaite ne peuvent se rencontrer que dans la chaleur d’une scène animée, lorsque les répliques des acteurs se pressent ; par exemple, quand Hermione dit à Oreste, qui vient d’assassiner Pyrrhus par son ordre : Qui te l’a dit ?
Moi, par exemple, je suis sans cesse étonné par la facilité et la grâce que met le hasard à seconder le développement harmonique de mes intentions. » L’inconscient applique, en effet, à l’exécution le conseil d’invention ; nous voyons le peintre ridicule faire son tableau à coups d’épongés, émerveillé à chaque instant, de la beauté de l’œuvre et du génie de l’ouvrier. […] Mais à chaque instant sa maîtresse sentait qu’il « n’aimait personne, ni elle, ni Donatella, mais qu’il les considérait l’une et l’autre comme de purs instruments de l’art, comme des forces à employer, des arcs à tendre ». […] Ce livre, où des pourpres d’incendie cachent mal l’ignominie du maquerellage et l’ignominie du sadisme, a produit un miracle que j’aurais cru impossible : il m’a rendu un instant Adolphe sympathique. […] Pas un instant.
Je l’ai dit, celui qui veut mettre le suicide au nombre de ses résolutions, peut entrer dans la carrière des passions ; il peut y abandonner sa vie, s’il se sent capable de la terminer, alors que la foudre aura renversé l’objet de tous ses efforts et de tous ses vœux ; mais comme je ne sais quel instinct, qui appartient plus, je crois, à la nature physique qu’au sentiment moral, force souvent à conserver des jours dont tous les instants sont une nouvelle douleur, peut-on courir les hasards, presque certains, d’un malheur qui fera détester l’existence, et d’une disposition de l’âme qui inspirera la crainte de l’anéantir ? Non que dans cette situation, la vie ait encore quelques charmes, mais parce qu’il faut rassembler dans un même moment tous les motifs de sa douleur pour lutter contre l’indivisible pensée de la mort ; parce que le malheur se répand sur l’étendue des jours, tandis que la terreur qu’inspire le suicide, se concentre en entier dans un instant, et que pour se tuer, il faudrait embrasser le tableau de ses infortunes comme le spectacle de sa fin, à l’aide de l’intensité d’un seul sentiment et d’une seule idée. […] L’âme, troublée par les sentiments qui l’oppressent, se persuade qu’elle soulagera sa peine en s’en occupant davantage ; les premiers instants où le cœur s’abandonne à la rêverie, sont pleins de charmes, mais bientôt cette jouissance consume.
Or, tout est situation musicale, comme tout est situation poétique dès l’instant qu’il y a ce que nous appelons : situation. […] Fuster, je dirai qu’elle se passe pendant la dernière guerre ; que deux fiancés, Louise et Pierre, recueille et, soignent un blessé, lequel se prend d’amour pour la jeune fille ; mais le malade, rendu à la santé, retourne parmi les siens ; Louise revient peu à peu à celui qui n’a cessé de l’aimer et oublie ce mirage d’un instant qui avait trompé son cœur.
Elle lui rappelle sa vraie fonction et sa destinée qu’un instant elle oublia, quand elle prit en main cet emblème viril : la plume de l’écrivain. […] Un instant, imaginons par contraste que se trouve restreint à la littérature personnelle le domaine de la création littéraire… qu’est-ce alors qu’on en supprimerait ? […] Mais dans l’instant précis où nous percevons leur plainte, nous les sentons vaincues par avance, et déjà tremblantes de leur défaite. […] Mais dans le même instant qu’il en admire l’éclat et qu’il en respire le parfum, il démêle ce qu’il y a d’artifice en elles. Il ne se laisse pas éblouir, il ne perd pas un instant la tête.