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1100. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Deuxième partie. Invention — Chapitre V. Des personnages dans les récits et dans les dialogues : invention et développement des caractères »

Le premier point est d’avoir une idée du caractère comment imaginer autrement les actes et les paroles du personnage avec un peu de justesse et de précision ? […] Ils noteront eux-mêmes bonnement leur passion, leur idée. […] Vous viserez seulement à l’unité : que l’assemblage très simple des passions et des idées que vous imaginerez, soit bien joint ; et que tout soit lié à une maîtresse pièce du caractère. […] S’il vous est arrivé jamais de concevoir l’idée d’un enfantillage, d’une équipée, d’une folie, pure fantaisie de l’esprit inquiet et désœuvré, et de passer à l’exécution sans autre raison que l’idée conçue, sans entraînement, sans plaisir, mais fatalement, sans pouvoir résister ; — si vous avez repoussé parfois de toutes les forces de votre volonté une tentation vive, si vous en avez triomphé, et si vous avez succombé à l’instant précis où la tentation semblait s’évanouir de l’âme, où l’apaisement des désirs tumultueux se faisait, où la volonté, sans ennemi, désarmait ; — si vous avez cru, après une émotion vive, ou un acte important, être transformé, régénéré, naître à une vie nouvelle, et si vous vous êtes attristé bientôt de vous sentir le même et de continuer l’ancienne vie ; — si par un mouvement de générosité spontanée ou d’affection vous avez pardonné une offense, et si vous avez par orgueil persisté dans le pardon en vous efforçant de l’exercer comme une vengeance ; — si vous avez pu remarquer que les bonnes actions dont on vous louait n’avaient pas toujours de très louables motifs, que la médiocrité continue dans le bien est moins aisée que la perfection d’un moment, et qu’un grand sacrifice s’accomplit mieux par orgueil qu’un petit devoir par conscience, qu’il coûte moins de donner que de rendre, qu’on aime mieux ses obligés que ses bienfaiteurs, et ses protégés que ses protecteurs ; — si vous avez trouvé que dans toute amitié il y a celle qui aime et celle qui est aimée, et que la réciprocité parfaite est rare, que beaucoup d’amitiés ont de tout autres causes que l’amitié, et sont des ligues d’intérêts, de vanité, d’antipathie, de coquetterie ; que les ressemblances d’humeur facilitent la camaraderie, et les différences l’intimité ; — si vous avez senti qu’un grand désir n’est guère satisfait sans désenchantement, et que le plaisir possédé n’atteint jamais le plaisir rêvé ; — si vous avez parfois, dans les plus vives émotions, au milieu des plus sincères douleurs, senti le plaisir d’être un personnage et de soutenir tous les regards du public ; — si vous avez parfois brouillé votre existence pour la conformer à un rêve, si vous avez souffert d’avoir voulu jouer dans la réalité le personnage que vous désiriez être, si vous avez voulu dramatiser vos affections, et mettre dans la paisible égalité de votre cœur les agitations des livres, si vous avez agrandi votre geste, mouillé votre voix, concerté vos attitudes, débité des phrases livresques, faussé votre sentiment, votre volonté, vos actes par l’imitation d’un idéal étranger et déraisonnable ; — si enfin vous avez pu noter que vous étiez parfois content de vous, indulgent aux autres, affectueux, gai, ou rude, sévère, jaloux, colère, mélancolique, sans savoir pourquoi, sans autre cause que l’état du temps et la hauteur du baromètre ; — si tout cela, et que d’autres choses encore !

1101. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre III. L’analyse externe d’une œuvre littéraire » pp. 48-55

Il existe des œuvres où l’auteur exprime directement ses émotions, ses idées, ses tendances. […] Elle doit porter sur les idées, les sentiments, les tendances des personnages mis en scène ; elle est en ce sens interne ; mais, comme ces personnages sont ou bien créés de toutes pièces par l’auteur ou en tout cas interprétés et en une certaine mesure formés ou déformés par lui, comme ils servent de la sorte à exprimer la nature même et les conceptions particulières de l’auteur, l’analyse est en ce sens-là externe. […] Il suffit de lire de suite à la table des matières les titres de quelques chapitre8 pour reconnaître que les Essais de Montaigne forment un assemblage des plus lâches et comme invertébré où l’idée dominante apparaît et disparaît presque au hasard. […] On étudiera ses transitions d’un ordre d’idées à un autre. […] Qu’avons-nous fait nous-même en étudiant séparément la forme, les idées, les sentiments, les tendances d’une œuvre littéraire, sinon unir par la pensée des éléments analogues, tout en les distinguant de ceux qui les avoisinent ?

1102. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface de « Ruy Blas » (1839) »

Qu’on nous permette donc de passer, sans nous appesantir autrement sur la transition, des idées générales que nous venons de poser, et qui, selon nous, toutes les conditions de l’idéal étant maintenues du reste, régissent l’art tout entier, à quelques-unes des idées particulières que ce drame, Ruy Blas, peut soulever dans les esprits attentifs. […] On peut prendre plusieurs vues d’une idée comme d’une montagne. […] Qu’on nous passe, seulement pour rendre claire notre idée, une comparaison infiniment trop ambitieuse : le mont Blanc, vu de la Croix-de-Fléchères, ne ressemble pas au mont Blanc vu de Sallenches. […] C’est tantôt un homme, tantôt une idée.

1103. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Première Partie. Des Langues Françoise et Latine. — De la langue Françoise. » pp. 159-174

On a beaucoup applaudi à l’ouvrage & à l’idée de l’auteur : mais on s’est décidé, & l’on se décide encore d’après l’habitude. […] L’abbé Dubos avoit eu cette idée avant M. de Montesquieu, par rapport à l’esprit & aux talens. […] Ce dernier a établi de nouvelles idées : mais en substituant, comme il fait, les causes morales aux causes physiques, se trouve-t-on plus éclairci ? […] Sa raison est que l’exécution d’une telle idée deviendroit le tombeau de l’imagination & du génie. […] Un mot singulier & nouveau, échappé au hazard, en fit naître l’idée à un des membres de cette société, qui l’exécuta avec ses confrères.

1104. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XII. Mme la Princesse de Belgiojoso »

Les livres des femmes tirent leur distinction, quand ils en ont, bien plus des sentiments que des idées, et ces sentiments s’y entassent et s’y mêlent un peu comme dans leurs âmes. […] L’Asie, où la femme errante a cru oublier tant de choses et, sinon comme elles, oublier la patrie, du moins en bercer et en assoupir l’idée douloureuse, l’Asie, avec ses éblouissements, sa nature radieuse et ses merveilles, n’est-elle pas à toute page de ce livre ce soleil qui navre le cœur de son impitoyable beauté, et les rayons, que les descriptions en rallument en vous, n’en apportent-ils pas contagieusement la tristesse ? […] Par exemple, elle nie formellement l’hospitalité orientale dont nous avons de si grandes idées, et puis elle l’affirme et la prouve, en citant des faits. […] On n’y trouve qu’un volume de Don Quichotte qui la retient, quand l’idée la prend d’être trop chevalière errante, et qui la rappelle tout à coup à l’ordre, avec la grosse voix de Sancho, Ce qu’elle décrit avec le plus de soin, ce sont les paysages, et elle les nuance comme elle ferait de sa tapisserie dans son boudoir, ou la beauté de quelques femmes dont elle dit successivement, avec une négligence et une bonne foi, ou une mauvaise, mais qu’on aime : « Celle-là était la plus belle femme que j’aie jamais vue en Asie », ou enfin les atours inouïs de luxe et de poésie parfois, mais plus souvent de mauvais goût, de ces grandes coquettes Barbares. […] rien au point de vue des idées dans le livre de Mme de Belgiojoso !

1105. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. Jacques Demogeot » pp. 273-285

Il n’y a qu’une seule chose qui puisse donner une idée juste de cet écrivain, qui ressemble au magistrat irréprochable de la chanson et qui a si bon air dans sa phrase correcte, exacte, nette comme du français, une petite phrase despote qui nous plaît, et cette chose, la voici. […] Demogeot, sans ce dernier chapitre qu’il aurait été si piquant d’oublier, nous ne saurions pas trop, en vérité, à quel système d’idées, à quel ordre de convictions générales ou particulières appartient l’auteur de ce livre, exclusivement littéraire. Nous aurions le plus singulier des anonymes, un anonyme d’idées et dédoublé de tout, nous n’eussions eu à vous présenter que ce phénomène d’un homme de goût qui, pendant un gros volume in-8º de cinq cents pages, à l’exception du dernier chapitre, —  indiscret comme le post-scriptum de la lettre d’une pauvre femme qui a fait tout ce qu’elle a pu pour bien se tenir, mais qui s’échappe, — ne se serait montré absolument rien de plus qu’un dilettante de littérature et… un homme de goût. […] » Et ce n’est pas là une de ces idées générales qui servent comme une transition entre deux chapitres. […] C’est bien l’idée commune et moderne « des institutions », cette Poétique politique inventée pour se passer de grands hommes et à laquelle l’Histoire répond par tous les siens, car il n’y a pas d’autres créateurs de prospérités publiques que quelques grandes âmes isolées, et jamais ce que l’orgueil humain appelle si plaisamment « des institutions » n’a été autre chose que la petite monnaie de ces grands hommes nécessaires, disparus !

1106. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Francis Wey » pp. 229-241

C’était une idée. Idée, du reste, qui était venue avant lui au Bordelais nommé Montesquieu ! […] … C’est un écrivain de verte allure, qui a des idées et des aperçus et qui les risque, et qui, dans ce temps de badauderie suprême et de bourdes infinies où l’on va du progrès universel aux tables tournantes, est de ces esprits à qui les paysans, qui rédigent leur phrase à la Montaigne, appliqueraient leur litote, comique et familière : « Il est de ceux-là qui ne culottent pas un niais. » Pour moi, un grand éloge ! […] et non pas étrangère, et dans un livre très amusant, et svelte à étonner, sur la langue et la littérature françaises, il mit des idées sous des mots, comme tant d’autres ne mettent que des mots sur des idées.

1107. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Maurice Bouchor »

Malheureusement pour l’originalité que je souhaiterais à Maurice Bouchor, son poème a été inspiré par d’autres poèmes, portant le même titre et exprimant la même idée. […] Faust a résisté ; Faust, cette Idée et cette Forme chrétiennes, qui a poussé comme la fleur d’un merveilleux terrible dans le plus profond de l’imagination du Moyen Age, est resté Faust dans le poème de Bouchor. […] L’auteur du Faust moderne a été saisi par l’idée chrétienne, qui ne l’a pas lâché jusqu’à la fin de son poème ; mais nous ne sommes pas des loups bien méchants : nous ne le mangerons pas. […] très bien soupé de son poème, nous pouvons danser autour de Maurice Bouchor, pris par l’idée chrétienne quand il veut le moins être chrétien, et poussant du fond de sa poitrine d’athée des cris, des cris de chrétien qui sont pour nous des airs de fête, puisqu’ils prouvent qu’il est chrétien encore… Maurice Bouchor, l’athée, est le chrétien malgré lui, comme Sganarelle est le médecin malgré lui, mais nous ne lui avons pas donné des coups de bâton pour cela… Il est chrétien ; et qu’il proteste, qu’il se fâche contre nous tant qu’il voudra ! […] L’homme qui l’a écrit a une idée ; mais Dieu, qui a la sienne aussi, lui fait dire ce qu’il ne comprend pas, même en le disant ; et ce n’en est que plus frappant et plus sublime… Il combattit jusqu’à l’aurore… Et c’était l’Esprit du Seigneur !

1108. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Henri Heine »

… peut-être de manière à désarmer et à faire accepter sans horreur l’idée d’une publication qui a blessé en madame Heine des susceptibilités très nobles, mais qu’il aurait été plus digne du génie de son mari de ne pas écouter. […] Le judaïsme et le christianisme, et par ce mot de christianisme entendez le catholicisme, — les idées protestantes étant tout ce qu’il y avait de plus antipathique à l’esprit de Heine, — le catholicisme donc et le judaïsme avaient laissé également en son âme des impressions superbes qu’il a superbement exprimées, quitte à s’en moquer une minute après ! […] … Il est Allemand et il est Français ; il est ancien, renaissance, et moderne surtout, — et de la dernière heure du xixe  siècle, — ayant passé à travers toutes les idées, tous ces cerceaux d’or qui n’ont que des fonds en papiers-chiffe et qu’il a crevés, en les emportant ! […] Il l’est partout, même dans les idées les plus erronées, qu’il a parfois, cet homme du temps ! […] Henri Heine, cet intuitif dans l’ordre des idées, qui en voit le néant et qui, de sa flèche railleuse, en traverse le vide ; ce divinateur de l’âme par le sentiment ; Henri Heine, ce prodige d’adorable esprit, a été aussi bête que Goethe (toujours Jupiter : la bêtise dans l’immensité !)

1109. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre XI. De la géographie poétique » pp. 239-241

En conséquence d’un de nos axiomes (les hommes qui veulent expliquer aux autres des choses inconnues et lointaines dont ils n’ont pas la véritable idée, les décrivent en les assimilant à des choses connues et rapprochées), la géographie poétique, prise dans ses parties et dans son ensemble, naquit dans l’enceinte de la Grèce, sous des proportions resserrées. […] Lorsqu’ils arrivèrent à l’Océan véritable, ils étendirent cette idée étroite, et désignèrent par le nom d’Océan la mer qui embrasse toute la terre comme une grande île81 82. […] Mais comme ces mots et ces idées passèrent des Grecs aux Latins dans un temps où les nations, encore très sauvages, étaient fermées aux étrangers*, nous avons demandé plus haut qu’on nous passât la conjecture suivante : Il peut avoir existé sur le rivage du Latium une cité grecque, ensevelie depuis dans les ténèbres de l’antiquité, laquelle aurait donné aux Latins les lettres de l’alphabet. […] Ils n’avaient point l’idée du faste ; lorsqu’ils le remarquèrent dans les Capouans, ils dirent supercilium campanicum, pour fastueux, superbe. […] C’est aussi de ce mot Ara, prononcé et entendu d’une manière si uniforme par tant de nations séparées par les temps, les lieux et les usages, que les Latins durent tirer le mot aratrum, charrue, dont la courbure se disait urbs (le sens le plus ordinaire de ce mot est celui de ville) ; du même mot vinrent enfin arx, forteresse, arceo, repousser (ager arcifinius, chez les auteurs qui ont écrit sur les limites des champs), et arma, arcus, armes, arc ; c’était une idée bien sage de faire ainsi consister le courage à arrêter et repousser l’injustice.

1110. (1882) Essais de critique et d’histoire (4e éd.)

Le philosophe est chez lui dans les idées générales. […] Nous sommes séparés par vingt-deux siècles des idées modernes. […] Tout d’un coup, sur l’idée d’un soldat, ils apportent des pierres et élèvent un grand tertre. […] Cette suite des idées nous manque. […] Tant d’idées gênent.

1111. (1854) Nouveaux portraits littéraires. Tome II pp. 1-419

Cette idée s’est-elle souvent présentée à son esprit ? […] Sa passion pour les idées générales ne réussit pas à dissimuler son dédain pour les faits particuliers, sans lesquels il n’y a pas d’idée générale vraiment légitime. […] Je me demande comment il s’est décidé à réimprimer des pages écrites en 1810, en 1816, en 1818, qui ne renferment pas une idée neuve, et qui nous offrent trop souvent des idées fausses. […] Il n’est permis qu’aux ignorants de mettre, sur la même ligne, les idées ébauchées et les idées complètement exprimées. […] Plein de confiance dans sa pénétration, il s’est donné pour mission de deviner, à la fois, les idées populaires et les idées scientifiques.

1112. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « SAINTE-BEUVE CHRONIQUEUR » pp. -

Il avait pris feu tout d’abord à l’idée de faire cette chronique : l’idée lui en était même venue à lui le premier, mais à la condition de conserver le plus strict incognito. […] En 1864, la publication du Journal de Mathieu Marais, — un ancêtre, en Chronique littéraire, du temps de Louis XIV, l’ami de Boileau, le correspondant de Bayle, alors en Hollande, — fut pour Sainte-Beuve l’occasion d’expliquer l’idée qu’il avait eue autrefois d’entretenir avec M. […] Somme toute, c’est une gazette de Hollande que Bayle conseillait à Mathieu Marais : « J'ai eu souvent, je l’avoue, ajoute Sainte-Beuve, une idée analogue.

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