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606. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 janvier 1886. »

Ils vont : et, quand s’endort la splendeur de leurs glaives Un chœur de harpes sur le seul rhythme serein Remémore l’horreur de l’Idéal des rêves. […] Depuis dix ans déjà, son idéal de l’œuvre d’art se formait en lui, se dessinait de plus en plus clairement ; L’échec de Tannhaeuser n’y était pour rien : mais jusqu’à ce jour, il avait pensé pouvoir y arriver directement ; il croyait trouver dans notre théâtre l’instrument voulu pour la réalisation de ce qu’il devait créer, et dans le public un large noyau de ce qu’il appela plus tard « le peuple d’idéalistes ». […] Il y a une lutte manifeste entre l’idéal, l’intention du Maître et la nécessité de se plier à des conditions imposées.

607. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre septième. L’introduction des idées philosophiques et sociales dans la poésie. »

Les religions dogmatiques vont s’affaiblissant ; plus elles deviennent insuffisantes à contenter notre besoin d’idéal, plus il est nécessaire que l’art les remplace en s’unissant à la philosophie, non pour lui emprunter des théorèmes, mais pour en recevoir des inspirations de sentiment. […] C’est un pont entrevu entre l’idéal lointain et le réel trop voisin, entre le ciel et la terre. […] Alfred de Musset mêle à tous ses amours cette soif d’idéal que ne peuvent éteindre les « mamelles d’airain de la réalité » ; il va jusqu’à la prêter à son don Juan idéalisé, et il nous peint le désir cloué sur terre, Comme un aigle blessé qui meurt dans la poussière, L’aile ouverte et les yeux fixés sur le soleil.

608. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « II. M. Capefigue » pp. 9-45

Capefigue n’est pas, certes, le plus mauvais des écrivains qui ont pris pour leur idéal le xviiie  siècle. […] On y verrait si on ne l’a pas ressuscitée autant qu’on l’a pu, cette société morte ; si on ne l’a pas exaltée comme un idéal fini, il est vrai, mais charmant et toujours délicieux à contempler dans les petits trumeaux de placage qu’on lui a dressés de toutes parts ! […] Capefigue et même pour tout le monde, Mme Du Barry est bien l’idéal, fait femme, du xviiie  siècle.

609. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XIII. »

Ce charme est emprunté à la poésie plus antique, aux images plus simples encore de l’Orient ; il vient de cette poésie primitive de la Judée : et c’est ainsi que, par la puissance de l’imitation sur un heureux génie, par l’idéal qu’elle lui fait sentir dans les lointaines images d’un temps dissemblable du sien, un lettré de Syracuse et d’Alexandrie, un poëte de cour, chez un peuple vieilli de luxe et de servitude, a pu trouver cette gracieuse mélodie des idylles grecques, et ajouter, si tard, des fleurs fraîches écloses à la couronne d’Homère, de Simonide et d’Anacréon. […] Elles sont bien détournées, en effet, et, comme dit Bossuet : « Le chant de Salomon est tout délice ; partout des fleurs, des fruits, la douceur du printemps, les jardins verdoyants et arrosés, les eaux courantes, les puits, les fontaines, les parfums composés avec art, ou nés du sein de la terre ; et encore, les colombes, la mélodie des tourterelles, le miel, le lait, le vin : puis, dans les deux sexes, la dignité et la grâce ; des amours aussi pures que charmantes : et, si quelque horreur s’y mêle, les rochers, l’aspect sauvage des montagnes, l’antre des lions, c’est encore afin de plaire, et comme un contraste pour varier et rehausser l’éclat du tableau. » Le pieux évêque, en résumant ainsi le Cantique des cantiques, y supprime des libertés de langage bien plus vives, et qui cependant n’excluent pas cet idéal religieux que, dans une poésie plus moderne, l’Orient a souvent allié aux attraits du plaisir et de la passion. Si les amours du rossignol et de la rose, et tant d’autres images du poëte Hafiz, ont pu sembler de mystiques symboles à l’ascétisme musulman, un culte tout autrement idéal ne devait-il pas spiritualiser la tendresse plus ardente de l’épithalame hébraïque ?

610. (1894) La vie et les livres. Première série pp. -348

Bourget a du moins tâché de dégager le plus possible des détails matériels l’idéale pureté d’Henriette Scilly. […] L’histoire idéale serait celle qui nous montrerait, dans tous les actes de leur vie, tous les hommes qui ont existé, depuis Adam jusqu’à M.  […] Je sais bien que l’heure n’est pas propice à la poésie, ni clémente aux chercheurs d’idéal. […] C’est qu’il a trouvé son maître, son ami, l’idéal de tout Français : un bon officier. […] Toutes les issues sont bouchées, par où ces âmes obscures pourraient apercevoir un coin d’idéal.

611. (1892) Portraits d’écrivains. Première série pp. -328

Pour lui, il était déjà sollicité par un idéal d’art très différent. […] L’idéal dont elles procèdent est l’idéal le plus bourgeois. […] Dumas, qui part du réalisme, mais pour le dépasser, qui a pour base le réel, pour fin un idéal. […] Il n’a pas pour objet de présenter une image idéale de la vie. « Les choses se passent ainsi, dit l’auteur dramatique. […] Les restes morts du vieil idéal obstruent la route et ferment l’accès à un idéal nouveau.

612. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface de « Marie Tudor » (1833) »

Il l’a déjà dit ailleurs, le drame comme il le sent, le drame comme il voudrait le voir créer par un homme de génie, le drame selon le dix-neuvième siècle, ce n’est pas la tragi-comédie hautaine, démesurée, espagnole et sublime de Corneille ; ce n’est pas la tragédie abstraite, amoureuse, idéale et divinement élégiaque de Racine ; ce n’est pas la comédie profonde, sagace, pénétrante, mais trop impitoyablement ironique, de Molière ; ce n’est pas la tragédie à intention philosophique de Voltaire ; ce n’est pas la comédie à action révolutionnaire de Beaumarchais ; ce n’est pas plus que tout cela, mais c’est tout cela à la fois ; ou, pour mieux dire, ce n’est rien de tout cela.

613. (1902) Le chemin de velours. Nouvelles dissociations d’idées

Des âmes parlent à des âmes ; l’idéal descend sur le peuple. […] C’est que la question était bien ingénieuse : « Type idéal de la jeune fille. […] Idéal (si l’on ose dire) bien difficile à réaliser. […] Ainsi l’humanité sacrifie tout ce qui n’est pas essentiel à l’idéal moyen qu’elle veut atteindre. […] L’idéal terrestre de l’humanité sent la porcherie, comme son idéal céleste sentait l’étable.

614. (1894) Écrivains d’aujourd’hui

Il y a un grain d’idéal partout où se rencontre l’amour ; c’est ce qui le distingue du désir brutal. […] D’être désenchanté, c’est là encore une supériorité morale : c’est signe qu’on s’était fait de la vie une conception relevée et qu’on avait un idéal. […] La romanesque, éprise d’un faux idéal, le plus souvent fabriqué d’après les livres, et à qui toute sa littérature est tombée de la cervelle dans le cœur. […] Mais il a maintenu avec autant de fermeté le droit qu’elle a de juger les œuvres au nom d’un idéal. […] Voilà ce qu’est une université idéale.

615. (1890) Derniers essais de littérature et d’esthétique

En somme, elles réalisent entièrement la conception idéale que se fait M.  […] Assurément, il y a dans les idées de Walt Whitman une large vision, une vigoureuse santé, un bel idéal éthique. […] Froude, et ce qui est certainement pour bien d’autres, le vrai idéal de la science politique. […] Il serait étonné de nos idéals et pris de mélancolie à voir ce que nous avons réalisé. […] Et pourtant quel haut idéal on trouve en ces quelques pages !

616. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Charles Nodier »

Nous aurons à rappeler tout à l’heure les impressions de son enfance précoce, les orages de son adolescence émancipée, cette vie de frontière aux lisières des monts, aux années d’émigration et d’anarchie, entre le Directoire expirant et l’Empire qui n’était pas né ; car c’est bien alors que son imagination a pris son pli ineffaçable, et que l’idéal en lui à grands traits hasardeux, s’est formé. […] Plus tard, pour les figures de femmes, surtout de jeunes filles, il a mieux atteint à l’idéal voulu, et, dans le charme de les peindre, son pinceau gracieux et amolli n’a pas eu besoin de plus d’effort. […] Même dans les plus expansives et sereines réminiscences des soirs d’automne de la maturité, même quand il semble le plus loin de Charles Munster et de Gaston de Germancé, quand il n’est plus que Maxime Odin, le doux railleur légèrement attendri, quand près de sa Séraphine, en d’aimables gronderies, il est assis sur le banc de l’allée des marronniers, le lendemain de sa nocturne enjambée au bassin des Salamandres ; quand se multiplient et se diversifient à ravir sous son récit les plus rougissantes scènes adolescentes et (idéal du premier désir !) […] Comptons un peu et récapitulons, comme par le trou du kaléidoscope, quelques points au hasard dans l’étincelant pêle-mêle d’idéal qui survivra.

617. (1857) Cours familier de littérature. III « XVIIIe entretien. Littérature légère. Alfred de Musset » pp. 409-488

une de ces créatures au-dessus de tout pinceau, fût-ce celui de Raphaël pour la Fornarina ; elle semblait digne d’exhausser le génie d’un jeune poète jusqu’à la hauteur idéale et sereine où l’amour des Béatrice, des Laure et des Léonore avait transfiguré le Tasse, le Dante et Pétrarque. […] Il me semblait que j’entendais la voix ricaneuse de don Juan, ou la voix plus grinçante de Heine le poète réprouvé de cette école, nous dire, en se faisant une joie de notre horreur : Tenez, regardez votre idéal : Ici la jeunesse, ici la beauté, ici l’innocence, ici l’amour, ici la pudeur, ici la vertu, ici la piété, ici la poésie, cette fleur de l’âme ! […] Pardon de cette image, mais il ne s’en présente pas d’autre sous ma main pour peindre cet attrait mêlé de répulsion qui me saisit en lisant ces poésies renversées qui placent l’idéal en bas au lieu de le laisser où Dieu l’a placé, dans les hauteurs de l’âme et dans les horizons du ciel. […] Est-ce que tu vis même par aucune de ces illusions généreuses et juvéniles qui poussent l’homme en avant sur les routes de l’idéal, de la passion, de l’activité, de l’étude, et qui sont les mirages de la liberté et de la vertu ?

618. (1898) Manuel de l’histoire de la littérature française « Livre premier. Le Moyen Âge (842-1498) » pp. 1-39

Mais c’est aussi pourquoi, si la pompe quasi liturgique des Mystères a d’abord continué dans la rue les cérémonies que l’on célébrait dans l’intérieur de l’église ; s’ils ont été, comme les processions, une manière d’intéresser les sens du populaire, son avidité naturelle de divertissements et de spectacle à la durée de la religion ; et enfin, s’ils ne sont morts, comme on le montrerait, que de l’anathème que l’Église a jeté sur eux, on peut dire et il faut dire que, comme la poésie, courtoise exprimait l’idéal de la noblesse et les Fabliaux celui du vilain, pareillement les Mystères ont commencé par exprimer l’idéal du clergé. […] Rapports de « l’épopée psychologique » (Gaston Paris) de Guillaume de Lorris avec l’« épopée animale » du Roman de Renart. — Comme les auteurs de Renart ont personnifié dans leurs animaux les vices de l’humanité, ainsi fait Guillaume de Lorris, en son Art d’aimer, des nuances de l’amour. — Sa conception de l’amour ; — et ses rapports avec celle de la « poésie courtoise ». — Son habileté dans le maniement de l’allégorie ; — et qu’elle ne doit pas avoir été la moindre raison du succès du Roman de la Rose. — Pour toutes ces raisons le Roman de la Rose peut être considéré comme l’expression idéale des sentiments de la même société dont le Roman de Renart est la peinture satirique. […] Ajoutez que ce que Boileau croyait qu’il eût « débrouillé » le mérite appartient au moins à Villon de l’avoir « résumé ». — L’idéal de Villon est assurément très éloigné de celui de la « poésie courtoise — mais, s’il existe une poésie de l’aventure et de la vie de bohème, c’est la sienne ; — et il ne l’a pas inventée. — La forme sous laquelle l’idée de la mort a hanté les imaginations du Moyen Âge n’a pas eu non plus de plus éloquent interprète [Cf. les Vers de la Mort du moine Hélinand, dans l’Histoire littéraire de la France, t. 

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