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666. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre sixième. »

Montaigne examine l’homme à la fois plus théoriquement que Rabelais, et plus librement ou du moins avec plus de respect pour la liberté humaine que Calvin. […] Quel était-il donc, pour oser se faire ainsi le terme de comparaison de tout ce qui avait vécu avant lui, pour contrôler par sa propre sagesse la sagesse ancienne, et moderne, et peser le genre humain à son poids ? […] Il fit, en quelque sorte, le tour du bouclier d’Achille, ce symbole de la vie humaine, au temps d’Homère ; ayant touché à tout, ayant pu voir toutes les idées sous la forme d’hommes ou d’événements. […] Aussi préfère-t-il à Cicéron Pline avec toutes ses fables, qui troublent et qui embarrassent la raison humaine. […] La Bruyère imite visiblement son style ; La Fontaine le médite, Bayle se sert de son doute, comme d’une arme légère, contre les mille erreurs de l’esprit humain.

667. (1913) La Fontaine « VI. Ses petits poèmes  son théâtre. »

Lorsque Prométhée eut créé la race humaine, les dieux, voyant des êtres semblables à eux, n’en eurent pas peur précisément, mais eurent de l’envie à leur égard et leur envoyèrent la maladie. […] Punissons des humains l’infidèle artisan ; Tâchons, par tout moyen, d’altérer son présent. […] Un des dieux fut touché du malheur des humains : C’est celui qui pour nous sans cesse ouvre les mains, C’est Phébus Apollon. […] Ce dieu, dis-je, touché de l’humaine misère, créa la médecine par l’entremise de son fils Esculape, comme vous savez. […] il n’en est point de telle en la nature ; Sur le point de jouir, tout s’enfuit de nos mains : Les dieux se font un jeu de l’espoir des humains.

668. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre V. Transition vers la littérature classique — Chapitre I. La littérature sous Henri IV »

Lorsque ensuite il compila son livre de la sagesse, prenant indifféremment à Montaigne et à Du Vair, il voulait tout simplement faire de la raison l’auxiliaire de la foi, et conduire la sagesse humaine jusqu’au point qu’on ne peut plus dépasser que par la grâce : il crut simplement donner des raisons humaines de mener une vie chrétienne. […] Ajoutez la science du dogme, et la science du cœur humain, qu’il avait surabondamment. […] La littérature où la raison tend à dominer, s’oriente vers l’universel : elle reconnaît pour son objet ce dont chacun trouve en soi, la vérité et l’usage ; rien ne lui sera plus propre que la vie humaine, que les faits moraux, les forces et les freins que met en jeu dans Taine l’existence de chaque jour. […] On conçut qu’il fallait donner une autorité supérieure et un fondement rationnel à la règle des mœurs, et l’on résolut encore ce problème par la superposition du christianisme à la sagesse humaine des anciens. […] Il a écrit aussi un Tableau des passions humaines (1620) et l’Histoire romaine (1621). — A consulter : l’abbé Urbain, N.

669. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre III. Les tempéraments et les idées — Chapitre III. Montesquieu »

Elle ne passera dans l’Esprit des Lois que mutilée, rétrécie, presque faussée : car Montesquieu, supprimant à peu près les intermédiaires réels et vivants, l’homme, son âme, son corps, relie les lois humaines aux causes naturelles par un rapport direct et en quelque sorte artificiel ; il ne s’attache qu’à présenter abstraitement le tableau des dépendances réciproques et des variations simultanées qu’il a constatées entre les climats et les institutions. […] En effet, elle faisait faire un grand pas à l’explication rationnelle des faits historiques ; elle écartait les hypothèses de législateurs fabuleux ou d’une Providence divine, et commençait à faire apparaître, dans le chaos des institutions humaines et la confusion des mouvements sociaux, le net déterminisme des sciences naturelles. […] Il croit à l’efficacité de l’intervention humaine, individuelle, dans le cours des événements historiques. […] Il y a sophisme aussi à dire qu’une loi, un acte humain aurait nécessairement, dans des circonstances données, changé le cours des choses. […] Il est impossible, dans l’infinie complexité des choses humaines qu’une infinité de forces concourent à produire, quand les causes physiques et les causes morales se perdent dans les obscures profondeurs de notre organisme et de notre conscience, quand on ne démêle encore — et au temps de Montesquieu on était loin d’être aussi avancé que nous sommes — quand on ne démêle que les plus superficielles réactions et les plus grossiers enchaînements de phénomènes, il est impossible de déterminer ce qu’il aurait fallu ôter ou retrancher d’énergie humaine ou de travail législatif pour détourner ou barrer le cours des événements.

670. (1894) Propos de littérature « Chapitre II » pp. 23-49

Mais je voudrais appeler allégorie l’œuvre de l’esprit humain où l’analogie est artificielle et extrinsèque, et j’appellerai symbole celle où l’analogie apparaît naturelle et intrinsèque. […] De même quelques portraitistes — leur maître est aujourd’hui Whistler — synthétisent les traits caractéristiques d’une figure et, comme une auréole impalpable, font rayonner de cette image le songe de toute une existence humaine. […] Il ne pense plus que sa fonction soit de susciter en un pressentiment de l’Être le cœur humain et l’âme humaine jusqu’au vertige par l’éloquente harmonie de la Forme. […] Le Roy, par exemple, c’est une fenêtre où deux mains apparaissent en un geste d’énigme ; mais au lieu de donner à penser qu’il évoque ainsi un moment du cœur humain, ce poète a cru devoir en avertir dès les premiers mots, et, en spécifiant qu’il s’agit des mains de la mort, il enlève beaucoup de son mystère à une vision qui demeure pourtant belle et hantante. […] Elle est commune, je crois, à tous ceux pour qui l’idée ne surgit pas avec sa forme visible, à ceux qui se préoccupent du sentiment humain avant qu’ils ne l’expriment et qui écriraient alors des allégories s’ils le voulaient traduire objectivement par une métaphore ; mais elle produit, chez d’autres, des effets moins heureux.

671. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mémoires et correspondance de Mallet du Pan, recueillis et mis en ordre par M. A. Sayous. (2 vol. in-8º, Amyot et Cherbuliez, 1851.) — I. » pp. 471-493

Mallet du Pan, dans son ordre de prévision et de perspicacité, n’appartient en rien à cette école ni à cette nature de Joseph de Maistre, avec lequel il ne s’est rencontré qu’un instant : c’est un appréciateur tout positif et moins sublime, ne faisant intervenir dans les choses humaines aucun autre élément que ceux qui se prêtent à l’observation, nullement prophète ni voyant : ce n’est qu’un esprit ferme et sensé, très clairvoyant et très prévoyant. […] Il avait vu en petit dans cet étroit et contentieux ménage de Genève ce que peuvent être les révolutions politiques, et quel cercle les passions humaines y parcourent ; il avait fait comme un physicien ses expériences sur de petites doses, mais avec un coup d’œil sûr et avec une précision qui ne se laissait pas abuser deux fois. […] J’étais persuadé que tout était perdu, et notre liberté, et les plus belles espérances du genre humain, si l’Assemblée nationale cessait d’être un moment, devant la nation, l’objet le plus digne de son respect, de son amour et de toutes ses attentes. […] Dès le début, on sent l’homme désabusé qu’un devoir ramène sur la scène bien plus que l’illusion ou l’espérance : Lorsqu’on a atteint quarante ans, et qu’on n’est pas absolument dépourvu de jugement, on ne croit pas plus à l’empire de l’expérience qu’à celui de la raison : leurs instructions sont perdues pour les gouvernements comme pour les peuples ; et l’on est heureux de compter cent hommes sur une génération à qui les vicissitudes humaines apprennent quelque chose. […] Dès l’abord, on voit que si Mallet est partisan des gouvernements mixtes et des monarchies tempérées ; que si, élevé et nourri dans sa petite république au sein des troubles populaires, il en a conclu que les gouvernements mixtes sont « les seuls compatibles avec la nature humaine, les seuls qui permettent la rectitude et la stabilité des lois, les seuls en particulier qui puissent s’allier avec la dégénération morale où les peuples modernes sont arrivés », on voit, dis-je, que si sa profession de foi est telle, ce n’est pas qu’il méconnaisse le principe puissant et la force transportante de la démocratie : bien au contraire, et c’est pour cela qu’il la redoute : il ne faut pas s’y méprendre écrit-il, de toutes les formes de gouvernement, la démocratie, chez un grand peuple, est celle qui électrise le plus fortement et généralise le plus vite les passions.

672. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre IV : La philosophie — II. L’histoire de la philosophie au xixe  siècle — Chapitre II : Rapports de l’histoire de la philosophie avec la philosophie même »

La timide et modeste école écossaise elle-même manifeste un égal dédain à l’endroit du passé, et croit qu’avant elle on a complètement ignoré l’existence de l’esprit humain. […] C’est là le fait le plus général et le plus éclatant qui résulte de l’histoire de la philosophie, et plusieurs fois on a essayé de classer, de caractériser ces types primitifs et élémentaires auxquels se ramènent toutes les formes systématiques de la pensée humaine. […] On dira peut-être que les systèmes ne correspondent pas aux choses telles qu’elles sont en soi, mais qu’ils ne sont que les divers points de vue que la raison humaine découvre ou plutôt met elle-même dans les choses. […] C’est là surtout que la faiblesse de la raison humaine se fait sentir : on voudrait pouvoir en quelque sorte faire tenir tous les principes dans un même sac ; mais quand on presse d’un côté, ils ressortent de l’autre, comme lorsqu’on veut faire entrer trop de choses dans une boîte trop étroite. […] Qui sait même si l’idée ne découvrira pas un jour qu’elle n’avait pas besoin de Hegel, ni même d’aucun esprit humain, pour prendre conscience d’elle-même, et que cette conscience lui est coéternelle, coessentielle, consubstantielle ?

673. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Essai sur la littérature merveilleuse des noirs. — Chapitre I. »

L’arbre à fruits humains. […] Personnages humains et extra-humains. […] Le conte de Froger, intitulé : « Le genre humain » élucide le problème de la création de la femme selon les Môssi. […] Ces derniers contes ont un grand rapport avec les fables et ne s’en différencient que par la nature humaine de leurs personnages. […] — L’arbre à fruits humains.

674. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre III. “ Fantômes de vivants ” et “ recherche psychique ” »

Je voudrais montrer que derrière des objections des uns, les railleries des autres, il y a, invisible et présente, une certaine métaphysique inconsciente d’elle-même — inconsciente et par conséquent inconsistante, inconsciente et par conséquent incapable de se remodeler sans cesse, comme doit le faire une philosophie digne de ce nom, sur l’observation et l’expérience —, que d’ailleurs cette métaphysique est naturelle, qu’elle tient en tout cas à un pli contracté depuis longtemps par l’esprit humain, qu’ainsi s’expliquent sa persistance et sa popularité. […] Certes, si le mental était rigoureusement calqué sur le cérébral, s’il n’y avait rien de plus dans une conscience humaine que ce qui est inscrit dans son cerveau, nous pourrions admettre que la conscience suit les destinées du corps et meurt avec lui. […] il n’était ni possible ni désirable que l’esprit humain suivît une pareille marche. […] Mais, à supposer que c’eût été possible, il n’était pas désirable, pour la science psychologique elle-même, que l’esprit humain s’appliquât d’abord à elle. […] je ne sais ; mais incontestablement c’est par les mathématiques que le besoin de la preuve s’est propagé d’intelligence à intelligence, prenant d’autant plus de place dans l’esprit humain que la science mathématique, par l’intermédiaire de la mécanique, embrassait un plus grand nombre de phénomènes de la matière.

675. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XV. De l’imagination des Anglais dans leurs poésies et leurs romans » pp. 307-323

Young juge la vie humaine, comme s’il n’en était pas ; et sa pensée s’élève au-dessus de son être pour lui marquer une place imperceptible dans l’immensité de la création : ………………… What is the world ? […] C’est que la liberté et la vertu, ces deux grands résultats de la raison humaine, exigent de la méditation : et la méditation conduit nécessairement à des objets sérieux. […] Pour que l’état politique et philosophique d’un pays réponde à l’intention de la nature, il faut que le lot de la médiocrité, dans ce pays, soit le meilleur de tous ; les hommes supérieurs, dans tous les genres, doivent être des hommes consacrés et sacrifiés même au bien général de l’espèce humaine. […] Ce n’est pas le dur lien des lois humaines, ce lien si souvent étranger au choix du cœur, qui forme le nœud de leur vie, c’est l’harmonie elle-même, accordant toutes leurs passions dans le sentiment de l’amour.

676. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Ernest Renan, le Prêtre de Némi. »

Il veut épurer le culte, abolir les sacrifices humains ; et, quoique Albe-la-Longue ait été vaincue par Rome, il n’a point de haine contre les vainqueurs ; il est plus Latin qu’Albin, il prévoit la future grandeur de Rome et son rôle bienfaisant. […] Quand le train des choses humaines, à le considérer en philosophes, devrait nous faire conclure au nihilisme absolu, n’est-ce rien de proclamer quand même qu’une œuvre mystérieuse et bonne s’accomplit dans l’univers ? […] C’est qu’il a cru autrefois, d’une foi entière et absolue à des dogmes dont il s’est détaché depuis, et que cette aventure l’a rendu prudent. — Au milieu d’une effusion mystique et lyrique, s’arrête-t-il tout à coup pour nous jeter quelque impitoyable réflexion sur le train brutal et fatal des choses humaines ? […] Relisez quelques contes de Voltaire ou de Diderot ; puis relisez Caliban, la Fontaine de Jouvence et le Prêtre de Némi : vous pourrez mesurer de combien de notions et de sentiments s’est enrichie, en cent ans, l’âme humaine ; et vous déborderez de reconnaissance et d’amour pour le plus suggestif et le plus ensorcelant de nos grands écrivains.

677. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. John Stuart Mill — Chapitre III : Théorie psychologique de la matière et de l’esprit. »

Le premier postulat, c’est que l’esprit humain est capable d’attente ; en d’autres termes, qu’après avoir eu des sensations actuelles, nous sommes capables de nous former la conception de sensations possibles. […] De plus, nous découvrons que les autres êtres humains ou sentants fondent leur attente et leur conduite, comme nous, sur ces possibilités de sensations. […] Supposez que je considère l’Esprit divin simplement comme la série des pensées divines prolongée pendant l’éternité, ce serait assurément considérer l’existence de Dieu comme aussi réelle que la mienne ; ce serait faire ce qu’au fond on fait toujours, c’est-à-dire se fonder sur la nature humaine pour en inférer la nature divine. […] Mais si l’esprit est réduit aussi à une collection d’états de conscience sans substance aucune, on ne trouve plus rien de solide où l’on puisse se prendre, ni en nous, ni hors de nous liant, du moins, voyait dans notre idée de la substance une certaine façon propre à l’esprit humain de lier et d’agréger les phénomènes : il ne niait point d’ailleurs l’existence possible d’un substratum, d’un noumène inaccessible, sorte d’étoffe mystérieuse sur laquelle se dessinent les phénomènes ; mais ici le phénoménisme est absolu.

678. (1864) William Shakespeare « Conclusion — Livre II. Le dix-neuvième siècle »

Ils passaient en effet du droit divin au droit humain. […] maigreur terrible du pauvre corps humain ! […] Faites respirer le genre humain. […] Ils ont affaire à la virilité du genre humain.

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