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2284. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Le Marquis Eudes de M*** »

Éternelle frivolité de l’homme ! […] Mais où les hommes supérieurs voient et concluent, les hommes superficiels n’osent pas seulement regarder. […] Hallucinations, névropathies mystérieuses, monomanies, dans lesquelles l’homme paraît, d’après tous les témoignages de la science, être obsédé, ou possédé, ou dominé par « les esprits », toutes ces affections épouvantables qu’il a étudiées avec le sens exercé du médecin qu’ont-elles inspiré à la science moderne, si ce n’est des « hypothèses malheureuses pour remplacer un vieux dogme oublié » ? […] Nul livre dans la littérature contemporaine n’est, sur les phénomènes magnétiques à l’ordre du jour, plus renseigné que celui-là, et nul ne mérite d’être compté davantage aux yeux de ces sortes d’hommes, sans hardiesse et sans puissance logique, qui ne veulent jamais voir que les faits seuls dans toutes les questions. […] Et cependant il était temps, il était temps pour tout le monde, et pour les hommes religieux, et pour les philosophes, et pour le public, que les questions fussent nettement et carrément posées.

2285. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Alfred de Musset »

Frère et sœur… Mais il n’est pas même besoin d’être frère et sœur pour qu’un éditeur vienne vous demander la vie d’un homme célèbre et pour trouver très bien à la placer ! […] dans un temps comme le nôtre, si fièrement hostile à toute espèce de dynasties, que la vie à écrire d’un homme de génie ou de talent appartienne spécialement à ses hoirs mâles ou femelles et soit un droit de succession !! […] C’est la vie et l’homme atténués, effacés, dans une molle lumière. […] Comme tous les jeunes gens qui vécurent sous Louis-Philippe, ce triste Napoléon de la paix à tout prix, en se dévorant d’activité étouffée, Musset, qui n’avait ni les millions ni la pairie de lord Byron, devint homme du monde du temps, avec l’âme la moins faite pour le monde. […] Mirabeau disait : « Tout homme de courage est homme public le jour des fléaux. » Franchement, je ne me crois pas tant de courage que ça… Mais l’éditeur est le fléau, toujours subsistant… 50.

2286. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « José-Maria de Heredia »

On est déjà au bout de l’édition ; et, en attendant le second volume, il en faut une seconde du premier… C’est un succès dont la fatuité d’Alphonse Lemerre, qui doit avoir la fatuité d’un homme heureux, pourrait cependant s’étonner. […] Délicieux et piquant contraste entre la naïveté charmante du chroniqueur et la pompe de l’homme qui, dans sa traduction, à respecté cette naïveté divine ; et qui nous apparaît ; à côté, avec un talent fulgurant de l’éclat damasquiné d’une armure ! […] Des hommes passent rapidement, embossés dans leur cape. […] Le peintre est devenu l’homme foule de ce peuple qu’il ramène sous une poussée de traits pressants et de coups de pinceaux acharnés, dans l’orbe visuel de la Postérité. […] Et cependant l’homme de sac et de corde espagnol, l’aventurier à la diable, avait quelque chose de commun avec le pur Sénéchal, et c’est la foi chrétienne, qu’il n’a jamais perdue !

2287. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « M. Théodore de Banville »

l’homme des Idylles prussiennes est sorti de l’homme des Odes funambulesques ! […] Quelle férocité dans cet Archiloque de la guerre, qui ne mord pas seulement le pied de l’homme qui l’a abattu, mais qui mord même le sabot de son cheval ! […] Mais toujours, comme nous le sommes, Soyons des faiseurs de corps morts : Crève, mais foule aux pieds des hommes !  […] La haine… « Je l’aime, — disait Byron d’un homme. — Je l’aime. […] Voir Les Œuvres et les Hommes, 3e volume : Les Poètes.

2288. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Ernest Feydeau »

L’abaissement de son exécution fait resplendir qu’il a eu, en écrivant, les yeux attachés sur le public pour lequel il écrivait ; qu’il lui en a fourré selon ses goûts ; qu’il l’a pris par ses préoccupations les plus momentanées ; que l’homme s’est fait enfin le courtisan du public et non son dompteur de génie… cherchant, avant la gloire de l’art, le petit chatouillement de la popularité. […] III Rien de pareil ne s’était encore vu, même dans Feydeau, et il a si bien senti lui-même la puanteur de son sujet, choisi probablement par fanatisme d’exactitude, que lui, l’homme de la réalité exacte, et qui persifle si joliment les moralistes dans sa préface, a cru devoir se faire provisoirement moraliste contre l’épouvantable drôle, son héros, et le timbrer, pendant tout le temps que dure son récit, des épithètes de misérable, d’homme affreux, de coquin, comme s’il était, Feydeau, un des vertueux dont il se moque ! […] C’est un de ces hommes corrompus, lâches, sordides et abjects, qui s’enfoncent dans la boue de l’or, cent fois plus sale que l’autre boue. […] C’est une véritable exhibition américaine de toutes les lâchetés, de toutes les sordidités, de toutes les ignobilités dans lesquelles un homme, par amour de l’argent et des jouissances qu’il procure, peut tomber. Aussi arrive-t-il un moment, quand on ne lit pas l’ouvrage comme il a été fait, dans l’ordre suspendu du feuilleton avec ses interruptions et ses coupures, où le lecteur le plus intrépide et le plus cuirassé contre le mal au cœur est tenté de rejeter le livre dont un pareil homme est le héros.

2289. (1923) Critique et conférences (Œuvres posthumes II)

Rodolphe Darzens, on a dit tout le mauvais sur Rimbaud, homme et poète. […] Voici toujours ma phrase sur les jambes en question, extraite des Hommes d’aujourd’hui. […] De la vie de l’homme j’ai parlé suffisamment ailleurs. […] Mais l’homme, c’est une autre affaire ! […] La littérature de ces deux hommes devrait donc différer, si l’art n’était la vie dans la région des épreuves.

2290. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — D. — article » pp. 127-131

Il enseigna aux hommes des routes nouvelles & sûres pour parvenir à la découverte de la vérité. […] De tous les traits de génie qui sont partis de ce Grand Homme, celui que les vrais connoisseurs jugent le plus digne de l’immortaliser, est l’application qu’il a su faire de l’Algebre à la Géométrie. […] L’existence de Dieu & l’immortalité de l’ame sont la base invariable de ses assertions métaphysiques ; & il ne dévoile tous les mysteres de l’homme, que pour remonter avec plus de certitude à celui qui l’a créé. Avec des qualités aussi propres à attirer le respect des hommes, Descartes eut des foiblesses ; mais la Philosophie chez lui n’employa pas ses ressources à les déguiser ou à les justifier ; au contraire, elle servit à l’en guérir, & à élever son ame au dessus de ce cercle de miseres, autour duquel on voit ramper tant de ses prétendus imitateurs.

2291. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre XI. Des Livres sur la Politique & le Droit Public. » pp. 315-319

Malgré ses défauts l’Esprit des loix doit être toujours cher aux hommes, parce qu’il inspire l’humanité, & qu’il combat le despotisme. Enfin c’est un bâtiment irrégulier, bâti par un homme de génie, dans lequel il y a des choses admirables. […] Linguet, ouvrage qui respire un esprit original & un homme éloquent. […] Ils ont fait rester tous les hommes célébres qui ont occupé le ministère.

2292. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — Troisième cours d’études. Une classe de perspective et de dessin. » pp. 495-496

Il me vient une idée que peut-être Sa Majesté Impériale ne dédaignera pas : la plupart de ceux qui entrent dans les écoles publiques écrivent si mal, ceux dont le caractère d’écriture était passable, l’ont si bien perdu quand ils en sortent, et il y a si peu d’hommes, même parmi les plus éclairés, qui sachent bien lire, talent toujours si agréable, souvent si nécessaire, que j’estime qu’un maître de lecture et d’écriture ne s’associeraient pas inutilement au professeur de dessin. […] Pour ceux d’architecture, aucun homme puissant ne peut les ignorer, sans consommer un jour des sommes immenses à n’entasser que des masses informes de pierres. […] C’est ainsi qu’un militaire appelé de Terville donnait des leçons publiques de fortifications et rassemblait autour de lui des hommes de tous les états. Ces trois cours d’études achevés, le petit nombre des élèves qui les auront suivis jusqu’à la fin, se trouveront sur le seuil des trois grandes facultés, la faculté de médecine, la faculté de droit, la faculté de théologie, et ils s’y trouveront pourvus des connaissances que j’ai appelées primitives, ou propres à toutes les conditions de la société, à l’homme bien élevé, au sujet fidèle, au bon citoyen, toutes préliminaires, et quelques-unes d’entre elles communes aux études des trois facultés dans lesquelles ils voudront entrer91.

2293. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 38, que les remarques des critiques ne font point abandonner la lecture des poëmes, et qu’on ne la quitte que pour lire des poëmes meilleurs » pp. 554-557

Qu’on fasse donc un poëme meilleur que l’éneïde, si l’on veut diminuer l’admiration que les hommes ont pour cet ouvrage, et si l’on prétend lui enlever ses lecteurs. […] Un homme capable par les forces de son génie d’être un grand poete, et qui pourroit tirer de son propre fond toutes les beautez necessaires pour soutenir une grande fiction, trouveroit mieux son compte à traiter un pareil sujet dans lequel il n’auroit point à éviter de se rencontrer avec personne, qu’il ne pourroit le trouver en maniant des sujets de la fable ou de l’histoire grecque et romaine. […] Tandis qu’on ne fera pas mieux, ni même aussi-bien que les anciens, les hommes continueront à les lire et à les admirer, et cette véneration ira toujours en s’augmentant à mesure que les siecles s’écouleront sans qu’il paroisse personne qui ait pû les atteindre. […] Nous n’admirons pas l’Iliade, l’éneïde et quelques autres écrits, parce qu’ils sont faits depuis long-temps, mais parce que nous les trouvons admirables en les lisant, parce que tous les hommes qui les ont entenduës les ont admirées dans tous les temps.

2294. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre XVI, les Érynnies. »

» — Et Prométhée leur répond : — « Les trois Parques et les Érynnies à la mémoire fidèle. » — Héraclite, cité par Plutarque, disait que « si le Soleil s’avisait de franchir les bornes qui lui sont proscrites, les Érynnies, agents de la Justice, sauraient bien lui faire rebrousser chemin. » — Dans l’Iliade, Xanthos, un des chevaux divins d’Achille, prend une voix humaine pour prédire sa mort au héros rentrant dans la guerre de Troie : mais les Érynnies, indignées de cette violation des lois naturelles, accourent aussitôt, et font taire impérieusement l’animal qui ose usurper la parole réservée aux hommes. […] Un vers d’Homère atteste « les Érynnies qui punissent les hommes sous la terre ». […] Elles étaient pourtant haïes des hommes comme des dieux, il y avait de l’horreur dans la terreur qu’elles inspiraient. […] L’Espion et le Bourreau ont toujours passé pour des êtres nécessaires à l’ordre social ; ils n’en sont pas moins mis au ban des hommes, excommuniés de toute relation et de tout accueil ; ces satellites du salut public sont les réprouvés de la société qui s’en sert. […] Leurs expéditions étaient des parties de chasse joyeusement féroces, semblables à cette Venatio postularia (Chasse réclamant des victimes) des vieilles légendes germaniques, où le Spectre qui la menait distribuait à ses compagnons des cuisses d’hommes en guise de curée.

2295. (1925) Comment on devient écrivain

L’homme de génie reste à la porte d’un journal où trône une rédaction médiocre. […] La sincérité d’auteur n’a rien à voir avec la sincérité d’homme. […] Une création comme le père Grandet suffit à immortaliser un homme.‌ […] Nisard est lui aussi un homme à connaître. […] Rien ne coûte plus à un homme de lettres que de demander l’avis d’un confrère.

2296. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre second. Philosophie. — Chapitre III. Des Philosophes chrétiens. — Métaphysiciens. »

Cette naïveté chrétienne, dans un grand homme, est bien touchante. […] Quand il s’agit, comme dans l’ouvrage de Clarke, d’attaquer des hommes qui se piquent de raisonnement, et auxquels il est nécessaire de prouver qu’on raisonne aussi bien qu’eux, on fait merveilleusement d’employer la manière ferme et serrée du docteur anglais ; mais dans tout autre cas, pourquoi préférer cette sécheresse à un style clair, quoique animé ? […] Où est donc la nécessité de connaître les opérations de la pensée de l’homme, si ce n’est pour les rapporter à Dieu ? […] Une chose n’est bonne, une chose n’est positive qu’autant qu’elle renferme une intention morale ; or, toute métaphysique qui n’est pas théologie, comme celle des anciens et des chrétiens, toute métaphysique qui creuse un abîme entre l’homme et Dieu, qui prétend que le dernier n’étant que ténèbres, on ne doit pas s’en occuper : cette métaphysique est futile et dangereuse, parce qu’elle manque de but.

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