Quoique le goût de la musique soit assez vif, c’est avec une espèce d’indolence que l’on va se placer ; l’aspect d’une foule ferait trembler un public italien. […] Cette seule conception de la veuve de Pompée bravant la victoire de César, n’écrasera-t-elle pas une foule de tragédies vantées ? […] Cependant l’unité de temps et de lieu y est beaucoup mieux observée que dans une foule de tragédies si fières de leur nom et de leur prétendue régularité. […] On est étonné de trouver dans une pièce jouée en 1642 une foule de traits délicats et de mots heureux, des tirades même du meilleur ton. […] Ces absurdités et une foule d’autres étaient dignes d’éveiller la critique sévère de M. de La Harpe ; mais il devait respecter Corneille, qui n’a pas besoin d’indulgence, mais qui du moins a droit de réclamer la justice.
Quand La Harpe condamnait chez Roucher, comme rimes trop voyantes, flèche et brèche, je foule et en foule, il était en plein dans la tradition classique. […] Daudet, par un rare privilège, plaît à tout le monde : mais pensez-vous que la foule et les « habiles » aiment en lui exactement les mêmes choses ? […] Il a même des rimes rares (par exemple, brèche et flèche, en foule et le pied foule) qui scandalisent La Harpe, je n’ai pu deviner pourquoi. […] François Coppée : cela ne l’empêche point de faire, quand il lui plaît, des poèmes qui attendrissent les foules. […] Grenier a au moins indiqué dans la meilleure partie de son poème : Je voulus me mêler à mon peuple, à la foule.
» Toutes ces boutades, toutes ces anecdotes si bien racontées me revenaient en foule à propos de la représentation de Numa Roumestan, qui allait être donnée à l’Odéon. […] Les orgues grondaient très haut, les cloches sonnaient à la volée, la foule acclamait le couple d’amour, au seuil de l’église mystique, sous la gloire du soleil printanier. […] Décrépits, cassés en deux, déjetés comme de vieux arbres à fruits, les pieds de plomb, les jambes molles, des yeux clignotants de bêtes de nuit, ceux qu’on ne soutenait pas s’en allaient les mains tâtonnantes, et leurs noms murmurés par la foule évoquaient des œuvres mortes, oubliées depuis longtemps. À côté de ces revenants, de ces « permissionnaires du Père-Lachaise », comme les appelait un malin de l’escorte, les autres académiciens semblaient jeunes ; ils se campaient, bombaient leurs torses sous des regards extasiés de femmes les brûlant à travers les voiles noirs, l’entassement de la foule, les shakos et les sacs des militaires ahuris. […] Au contraire d’une fonction de numéraire facile et représentatif, comme le traite d’abord la foule, le parler, qui est, après tout, rêve et chant, retrouve chez le poète, par nécessité constitutive d’un art consacré aux fictions, sa virtualité.
Faut-il attendre qu’on soit loin de l’édifice, et séparé par la poussière et la foule, pour l’admirer ? […] Quand René jette ses regards sur une foule, sur ce désert d’hommes comme il l’a appelé, il peut s’écrier sans crainte, ainsi que s’écriait l’infortuné dans l’Essai à la vue des petites lumières des faubourgs : La, j’ai des frères ! […] On suit les trois belles nièces de Grétry avec la foule dans les allées des Tuileries ; on reconnaît la belle madame de Buffon à la porte d’un club, dans le phaéton du duc d’Orléans.
Le marquis de Mirabeau, apprenant que son fils veut être son propre avocat, ne se console qu’en voyant d’autres, et de plus grands, faire pis encore570. « Quoique ayant de la peine à avaler l’idée que le petit-fils de notre grand-père, tel que nous l’avons vu passer sur le Cours, toute la foule, petits et grands, ôtant de loin le chapeau, va maintenant figurer à la barre de l’avant-cour, disputant la pratique aux aboyeurs de chicane, je me suis dit ensuite que Louis XIV serait un peu plus étonné s’il voyait la femme de son arrière-successeur, en habit de paysanne et en tablier, sans suite, sans pages ni personne, courant le palais et les terrasses, demander au premier polisson en frac de lui donner la main que celui-ci lui prête seulement jusqu’au bas de l’escalier. » — En effet, le nivellement des façons et des dehors ne fait que manifester le nivellement des esprits et des âmes. […] Ce Contrat social, qui dissout les sociétés, fut le Coran des discoureurs apprêtés de 1789, des jacobins de 1790, des républicains de 1791 et des forcenés les plus atroces… J’ai entendu Marat en 1788 lire et commenter le Contrat social dans les promenades publiques aux applaudissements d’un auditoire enthousiaste. » — La même année, dans la foule immense qui remplit la Grand’Salle du Palais, Lacretelle entend le même livre cité, ses dogmes allégués582 « par des clercs de la Basoche, par de jeunes avocats, par tout le petit peuple lettré qui fourmille de publicistes de nouvelle date ». […] Désormais, avec ou sans les privilégiés, il sera, sous la même dénomination, appelé le peuple ou la nation. » — N’objectez pas qu’un peuple ainsi mutilé devient une foule, que des chefs ne s’improvisent pas, qu’on se passe difficilement de ses conducteurs naturels, qu’à tout prendre ce clergé et cette noblesse sont encore une élite, que les deux cinquièmes du sol sont dans leurs mains, que la moitié des hommes intelligents et instruits sont dans leurs rangs, que leur bonne volonté est grande, et que ces vieux corps historiques ont toujours fourni aux constitutions libres leurs meilleurs soutiens.
La représentation des ballets occupait une foule incohérente et bizarrement mêlée, artistes, danseurs, chanteurs, musiciens de profession, bourgeois amateurs, courtisans et princes, dames et demoiselles, Mlle de Sévigné, Mme de Montespan, Monsieur frère du roi, la reine, le roi lui-même, qui pendant vingt ans se fit honneur de figurer les Apollon et les Jupiter. […] Depuis Alexandre, une foule de critiques s’étaient mis après lui, amis de Corneille, ennemis de Boileau, rivaux et envieux : c’était à qui trouverait des fautes et ferait les beautés dans ses pièces ; les préfaces amères dont il accompagna toutes ses tragédies depuis Alexandre faisaient voir qu’on ne perdait pas sa peine à le tourmenter. […] On n’a qu’à feuilleter n’importe quelle tragédie de Racine, et des impressions analogues surgiront en foule.
Mais l’idiome se forme par les tentatives de quelques clercs pour communiquer à la foule dans la langue vulgaire ce qu’ils ont appris d’idées générales dans la langue savante, et par cet instinct de l’art à venir qui se révèle dans la vaine rhétorique et les grossiers latinismes de quelques écrivains. […] Il n’est que l’écho intelligent de la foule ; et s’il ne veut pas nous trouver sourds et indifférents, il faut qu’au lieu de nous étonner de ses vues particulières, il nous fasse voir notre intérieur, comme dit Montaigne, et qu’il nous avertisse de nous-mêmes. […] Aussi n’y a-t-il d’écrivains résolus que ceux qui sont doués extraordinairement, ou cette foule qui n’a pas conscience de la difficulté.
Mais elle montra la caducité d’une foule de choses tenues pour solides ; elle fut, pour les esprits jeunes et actifs, comme la chute d’un rideau de nuages qui dissimulait l’horizon. […] La foule aime le style voyant. […] Cousin, quoiqu’il m’ait plus d’une fois témoigné de l’amitié, était trop entouré de disciples pour que j’essayasse de percer cette foule un peu liée à la parole du maître.
» fait la voix glapissante d’un crieur qui pousse par les épaules la foule hébétée. […] Et la parole, et l’attaque, et la riposte soudaine, par des voix comme grisées, et que semble applaudir, à la cantonade, la batterie sonnant creux des marteaux sur les futailles vides… Sous le hangar aux vieilles poutres, couleur de glaise, là, près des tonneaux rangés en ligne sur un plan incliné, en un air enivré de l’odeur du raisin qui fermente, et dans lequel roulent, les ailes lourdes, des mouches à miel, au milieu du murmure du vin qui coule, goutte à goutte, faisant dans les rigoles de la chanlatte, un ruisseau rouge, sur lequel surnage une mousse rose et comme fouettée, dans le bruit mat de la verrée, tombant d’un coup, toutes les quatre ou cinq secondes, contre le bois du baquet, et scandant le temps comme un hoquet d’ivrogne, parmi le glouglou incessant des cannelles de bois, au bout desquelles pend toujours une goutte, où le soleil met la pourpre d’un rubis ; près de ce raisin foulé qui sera du vin un jour, — la pensée fermente et bout, et le crayon à la main, j’y foule mon livre. […] Une petite pluie fine, — il pleut toujours quand on pend, — le patient en paletot de caoutchouc et en bonnet de coton, un ministre anglican qui lui lit du Bonhomme Richard, pendant qu’on passe dans la foule des assiettes de petites dragées blanches.
Sans doute il n’a point empêché la foule de courir à la reprise de Ruy Blas, mais du moins il a dit vertement leur fait à M. […] Il fait flèche de tout bois ; il ramène tout à ses fins, la politique, la philosophie, l’art, la littérature ; il se multiplie, il fait à lui seul l’illusion d’une foule. […] J’avoue encore qu’en ce temps d’études scientifiques, le mot a un petit air savant fait pour réjouir les gens spéciaux et pour imposer à la foule toujours respectueuse.
Nous avons à cet égard les mêmes prétentions, & nous y joignons une foule de titres qui les appuient. […] Il en résulta une foule de productions que le temps n’a pas toutes respectées, mais dont il existe encore un bon nombre dans la poudre de nos grandes bibliotheques. […] Telles sont les Lettres d’Osman, le Palais du Silence, &c ; peintures fines & enjouées d’une foule de travers, qu’il est plus facile de bien peindre que de corriger.
Mais bientôt de vastes ombres bleues chassent en cadence devant elles la foule des tons orangés et rose tendre qui sont comme l’écho lointain et affaibli de la lumière. […] « Le Dante et Virgile, conduits par Caron, traversent le fleuve infernal et fendent avec peine la foule qui se presse autour de la barque pour y pénétrer. […] C’est probablement de cette époque que datent la composition des Femmes d’Alger et une foule d’esquisses. […] De quelques douteurs Le doute revêt une foule de formes ; c’est un Protée qui souvent s’ignore lui-même. […] On m’a dit que Delacroix avait fait autrefois pour son Sardanapale une foule d’études merveilleuses de femmes, dans les attitudes les plus voluptueuses.
Il y avait foule aujourd’hui à la séance académique, parce que c’était une séance académique : cette raison toute parisienne suffirait.