Son bon sens et son esprit d’observation lui ont démontré que si l’union fait la force, elle fait la force surtout du plus roublard des membres de l’association. […] De plus, il considère en eux l’expérience acquise qui confère à ceux-ci une force morale rehaussant singulièrement le prestige qu’ils ont pu perdre du fait de leur affaiblissement physique (V. à ce sujet le conte de La femme fatale). […] Mais comme le courage n’est souvent qu’une force aveugle et incapable de tirer parti de ses ressources, l’admiration des noirs place la ruse encore bien au-dessus de lui. […] Sans doute le héros principal du conte — littérature de passe-temps — est l’homme courageux ; mais celui des fables — littérature d’enseignement pratique (de fait plus encore que d’intention) — est le personnage roublard qui, malgré son peu de moyens physiques, arrive à ses fins et triomphe constamment de la force brutale.
Byron aussi avait, un jour, et à l’âge de Brizeux, manqué de la force qui se fait aimer. […] Mais cet amour de la Bretagne, qui a donné un goût de terroir à ses meilleurs vers, ne fut point en lui la passion qui, à force d’intensité, monte quelquefois jusqu’au génie. […] Ce rude et joyeux jaugeur, au bonnet bleu et à la branche de houx, ce chanteur de chansons, le soir, dans les granges, ce joueur de violon et de cornemuse — qui ne l’est pas qu’en vers — et qui faisait réellement danser dans leurs sabots les meunières et les batelières de l’Écosse, a toujours vécu sur le cœur de son pays, et il y a trouvé sa force et sa gloire. […] C’est par l’idylle et l’idylle élégiaque qu’il commença sa renommée, et malgré des efforts soutenus, comme on n’en aurait guère attendu de sa gracieuse faiblesse, et qui prouvent que l’entêtement n’est pas la force, même chez les Bretons, c’est par ce seul genre de poésie qu’il se soutiendra dans la mémoire des hommes. […] Imagination qui n’est pas de force à se passer d’avoir vu, Brizeux aurait-il vu les scènes grandioses qu’il ne devine pas, qu’il n’aurait pas de langage pour les décrire.
L’auteur semble préoccupé d’une idée qui revient souvent dans ses vers : c’est qu’il est plus poëte en dedans qu’en dehors ; il se méfie de sa force et de son art, il craint de ne point donner à son rêve tout l’éclat et la solidité d’une création. […] Mais eux, avec l’entrain de la force qui crée, Affrontent la fumée et le four éclatant : Le travail fait les cœurs ; cette douleur sacrée Donne un si mâle espoir qu’on la souffre en chantant ! […] Je n’imiterai pas ces tourmenteurs des ombres Qui fouillent un passé comme on force un tombeau, Je sais trop qu’en moi-même il est des recoins sombres Que fuit ma conscience en voilant son flambeau ! Non, mais je cherche en toi cette force qui fonde, Cette mâle constance, exempte du dégoût… Il cherche, en un mot, la vertu la plus absente, la qualité la plus contraire au défaut qui s’est trop marqué ; et il se plaît ici, en regard et par contraste, à exposer en disciple d’Hésiode et de Lucrèce, en lecteur familier avec le bouclier d’Achille et avec les tableaux des Géorgiques, l’invention des arts, la fondation des cités, la marche progressive et lente du génie humain, tout ce qui est matière aussi de haute et digne poésie.
L’amour de la gloire se fonde sur ce qu’il y a de plus élevé dans la nature de l’homme ; l’ambition tient à ce qu’il y a de plus positif dans les relations des hommes entre eux ; la vanité s’attache à ce qui n’a de valeur réelle, ni dans soi, ni dans les autres, à des avantages apparents, à des effets passagers, elle vit du rebut des deux autres passions ; quelquefois cependant elle se réunit à leur empire ; l’homme atteint aux extrêmes par sa force et sa faiblesse, mais plus habituellement la vanité l’emporte surtout dans les caractères qui l’éprouvent. […] Les efforts qui peuvent valoir aux hommes de la gloire et du pouvoir, n’obtiennent presque jamais aux femmes qu’un applaudissement éphémère, un crédit d’intrigue ; enfin, un genre de triomphe du ressort de la vanité, de ce sentiment en proportion avec leurs forces et leur destinée : c’est donc en elles qu’il faut l’examiner. […] La figure d’une femme, quelle que soit la force ou l’étendue de son esprit, quelle que soit l’importance des objets dont elle s’occupe, est toujours un obstacle ou une raison dans l’histoire de sa vie ; les hommes l’ont voulu ainsi. […] D’ailleurs, la femme qui, en atteignant à une véritable supériorité, pourrait se croire au-dessus de la haine, et s’élèverait par sa pensée au sort des hommes les plus célèbres ; cette femme n’aurait jamais le calme et la force de tête qui les caractérisent ; l’imagination serait toujours la première de ses facultés : son talent pourrait s’en accroître, mais son âme serait trop fortement agitée, ses sentiments seraient troublés par ses chimères, ses actions entraînées par ses illusions ; son esprit, pourrait mériter quelque gloire, en donnant à ses écrits la justesse de la raison ; mais les grands talents, unis à une imagination passionnée, éclairent sur les résultats généraux et trompent sur les relations personnelles.
« Les alexandrins tiennent la place en notre langue, telle que les vers héroïques entre les Grecs et les Latins. » Voilà la vraie trouvaille de Ronsard en fait de rythme, et le grand service rendu par la Pléiade à la poésie : sous l’influence de l’hexamètre latin, l’alexandrin, création du moyen âge, et dont Rutebeuf avait montré la force et la souplesse, l’alexandrin, délaissé au xive et au xve siècle, ignoré ou à peu près de Marot, est retrouvé, relevé, remis à sa vraie place, qui est la première : ce n’est pas tant le vers noble de notre poésie, que le vers ample ; et c’est par là qu’il vaut. […] L’erreur de la Pléiade Son but, c’est par les rythmes, par le choix et l’ordre des mots, de créer une forme belle. « Tu te dois travailler, dit-il, d’être copieux en vocables, et tirer les plus nobles et signifiants pour servir de nerfs et de force à tes carmes, qui reluiront d’autant plus que les mots seront significatifs, propres et choisis. » Voilà qui est excellent. Mais, dans sa fuite de la platitude, Ronsard force la construction française : il dira « l’enflure des ballons », à la mode des vers latins, pour les ballons enflés. […] Cependant, ici encore, il n’y a que demi-mal, si la force du tempérament est capable de soulever ou d’écarter la masse énorme des réminiscences.
Les femmes aiment la spiritualité, la douceur ; elles n’ont pas besoin de revêtir leurs émotions d’un caractère exceptionnel, leur cœur étant très accessible à la poésie des sentiments communs ; par là et par d’autres traits, il semble que l’âme du grand poète, qui avait exprimé ces choses avec tant de puissance, appartienne elle-même au type féminin, si l’on ajoute à ce type la force qui s’y joint pour former la figure de l’ange. […] Gustave Larroumet À cette heure, nous sommes fatigués des spectacles, nous avons admiré et analysé trop de tours d’adresse et de force : nous demandons des gestes sans étude, des attitudes simples ; nous voulons voir un homme marchant sa marche naturelle. […] Dans un petit choix d’œuvres et de pièces, nous ramassons les titres de Lamartine, et ces titres sont immortels, comme l’âme et ses besoins, comme la poésie, comme les sentiments qui en sont la source constante et qu’il a exprimés avec une force, une élévation, un charme que rien ne surpasse, que peut-être rien n’égale. […] Cette longue phrase lyrique, qu’aucun poète n’a su conduire mieux que lui, mais qui était souvent molle et traînante dans les Méditations, se déroule ici avec une ampleur, une force, une couleur inouïes, et avec de soudaines vivacités, des caprices de rythme et d’accent, des traits de vigueur surprenants dans la nonchalance majestueuse de l’ensemble, qui en font le plus varié, le plus élégant et le plus magnifique de tous les chants.
On lui a reproché aussi de l’obscurité ; il faut en convenir, ce n’est pas celle de quelques grands écrivains comme Tacite, qui voyant à une grande profondeur, ou rassemblant beaucoup d’idées en peu d’espace, fatiguent la faiblesse des hommes ordinaires, et que la médiocrité calomnie, parce qu’elle aime mieux blâmer les forces dans un autre, que de s’avouer l’insuffisance des siennes. […] L’indignation que le vice donne aux âmes dignes d’éprouver ce sentiment affermit quelquefois son style, et lui communique un degré de force qu’il n’a pas toujours. […] À l’exemple de Trajan, il soumit à la loi un pouvoir qui, par la force secrète de la nature et des choses, ne tend que trop souvent à s’affranchir de la loi. […] Passionné pour les Grecs, nourri jour et nuit de la lecture de leurs écrivains, enthousiaste d’Homère, fanatique de Platon, avide et insatiable de connaissances ; né avec ce genre d’imagination qui s’enflamme pour tout ce qui est extraordinaire ; ayant de plus une âme ardente, et cette force qui sait plus se précipiter en avant que s’arrêter ; d’ailleurs, accoutumé dès son enfance à voir dans un empereur chrétien le meurtrier de sa famille, et, dans le fond de son cœur, rendant peut-être la religion complice des crimes qu’elle condamne ; placé entre l’ambition et la crainte, inquiet sur le présent, incertain sur l’avenir ; ses goûts, son imagination, son âme, les malheurs de sa famille, les siens, tout semblait le préparer d’avance à ce changement qui éclata dans la suite.
En général, l’éloquence italienne a peu de caractère et de force. […] Enfin, dans leur conversation même, si souvent ingénieuse et piquante, par la vivacité des images et la force de la pantomime qui anime tous leurs discours, ils semblent surtout parler à l’imagination et aux sens. […] Comme tous les pouvoirs y sont balancés, il ne s’y élève jamais de puissance qui subjugue tout, et qui, réunissant toutes les forces, entraîne aussi tous les hommages. […] Là, le souverain, mis presque toujours en mouvement par la nation, ne fait qu’exécuter la volonté générale ; il pourrait être grand comme particulier, et peu influer comme prince84 ; peut-être même des qualités brillantes pourraient être suspectes à un peuple qui joint l’inquiétude à la liberté ; car il peut calculer les forces d’une puissance qu’il connaît, mais il ne peut calculer l’influence de l’activité et du génie.
L’indifférence de l’auteur paraît d’ailleurs égale pour l’une et pour l’autre ; car la vie de celui-ci n’est, comme la vie de celle-là, qu’une série d’événements produits par des forces fatales, et fatalement enchaînés entre eux. […] M. de Maupassant, plusieurs fois de suite, a accompli avec sérénité ce tour de force de marquer, dans chacun des innombrables incidents de la journée la plus unie, les progrès lents de la passion et de la douleur dévoratrices au cœur d’Olivier et d’Anne. […] La sûreté d’observation du conteur est telle que, cette invraisemblance, il la fait comme rentrer de force dans le courant vulgaire des choses… Eh !
On y voit l’imagination la plus vive & la plus féconde, un esprit flexible pour prendre toutes ses formes, intrépide dans toutes ses idées, un cœur pétri de la liberté Républicaine, & sensible jusqu'à l’excès, une mémoire enrichie de tout ce que la lecture des Philosophes Grecs & Latins peut offrir de plus réfléchi & de plus étendu ; enfin une force de pensées, une vivacité de coloris, une profondeur de morale, une richesse d’expressions, une abondance, une rapidité de style, & par-dessus tout une misanthropie qu’on peut regarder comme le ressort principal qui a mis en jeu ses sentimens & ses idées. […] Semblable à ces Athletes qui s’exercent long-temps avant de paroître sur l’arene, il a laissé croître les forces de son génie, donné à sa raison le temps de mûrir & de se développer, exercé vraisemblablement sa plume, avant de mettre au grand jour les Ecrits sur lesquels il fondoit sa réputation. […] Pétri de la plus vive sensibilité, emporté par un tempérament plein de bile & de feu, aigri par les contradictions, les circonstances de sa vie ont été la source de sa misanthropie, & cette misanthropie est devenue, à son tour, le véhicule de ses talens, En adoptant ces réflexions, il ne sera pas impossible d’expliquer pourquoi, avec des lumieres si supérieures, cet Ecrivain a avancé avec tant de sécurité tous les paradoxes qui se sont trouvés d’accord avec les dispositions de son humeur & la tournure de ses idées ; pourquoi le pour & le contre sont traités, dans ses Ecrits, avec la même force.
Mais les trois alliés du lion qui ne lui coûtent rien, son courage, sa force, avec sa vigilance, est une tournure d’un goût noble et grand, et presque oratoire. […] Quelle force de sens et quelle précision ! […] Vient ensuite le récit très-rapide de la mort des trois jeunes gens ; mais ce qui est parfait, ce qui ajoute à l’intérêt qu’on prend à ce vieillard et à la force de la leçon, ce sont les deux derniers vers : Et pleurés du vieillard, il grava sur leur marbre Ce que je viens de raconter.
En supposant même que notre génie auroit eu la force de nous porter un jour jusques-là, quoique la route n’eut pas été fraïée, nous n’y serions parvenus du moins, avec le seul secours de ses forces, qu’au prix d’une fatigue pareille à celle des inventeurs. […] Raphaël tenta de faire comme Le Georgeon avoit fait, et devinant par la force de son génie, la façon d’operer du peintre qu’il admiroit, il approcha de son modele.
Si, dans la littérature et les arts, le génie pittoresque a succédé au génie statuaire ; dans la société, l’énergie du sentiment moral et la force d’expansion du principe intellectuel sont devenues deux puissances tout à fait distinctes. […] Ce qu’on a appelé la force des choses constitue aussi, je le sais, une sorte de fatalité ; mais lorsque la société nouvelle sera définitivement assise sur ses véritables bases, la force des choses viendra de moins loin, aura moins d’intensité, et les rênes seront plus flottantes.