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221. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Histoire de la littérature anglaise, par M. Taine, (suite) »

Chaucer, le premier en date des poètes et conteurs anglais, est un disciple des trouvères et auteurs de fabliaux : il y joint pourtant, dans le tour et la façon, quelque chose de bien à lui ; il a déjà de ce qu’on appellera l'humour et une grande vivacité naturelle de description : on l’a heureusement comparé à une riante et précoce matinée de printemps. […] Taine nous fait comprendre et presque aimer, à la façon éprise et enivrée dont il en parle, les premiers moteurs et les héros de cette Renaissance littéraire anglaise : en prose, Philippe Sidney, ce d’Urfé antérieur au nôtre ; en poésie, Spenser, le féerique, qu’il admire au-delà de tout. […] Il ne considérait point les objets face à face, et de plain-pied, en mortel, mais de haut comme les archanges… Ce n’était point la vie qu’il sentait, comme les maîtres de la Renaissance, mais la grandeur, à la façon d’Eschyle et des prophètes hébreux, esprits virils et lyriques comme le sien, qui, nourris comme lui dans les émotions religieuses et dans l’enthousiasme continu, ont étalé comme lui la pompe et la majesté sacerdotales. […] Je ne suis choqué, dans la description que j’ai citée et que j’abrège, que du choix des mots, de la façon rude, désobligeante, dont on le traite, et qui tend à le ridiculiser dans l’esprit du lecteur.

222. (1895) Histoire de la littérature française « Seconde partie. Du moyen âge à la Renaissance — Livre II. Littérature dramatique — Chapitre I. Le théâtre avant le quinzième siècle »

Elles sortent de l’Église, où de toute façon elles ne sont plus à leur place : elles s’étalent sur le parvis, devant la foule assemblée. […] Que non seulement lui, mais que tous les personnages soient instruits à parler posément, et à faire les gestes convenables pour les choses qu’ils disent ; qu’ils n’ajoutent ni ne retranchent aucune syllabe dans la mesure des vers, mais que tous prononcent d’une façon ferme, et qu’on dise dans l’ordre tout ce qui est à dire. » Cela est d’un auteur ou d’un metteur en scène qui a le sens et l’amour-propre de son art. […] Même de toute façon, pour la conduite de l’action, pour le sens dramatique ou poétique, ce vieux drame est supérieur à la Passion du xve  siècle, comme au mystère du Vieux Testament, partout où on les peut comparer. […] Simples chansons et fabliaux, chansons de caractère et monologues, tout cela, comme les parades des bateleurs, contenait de quelque façon en puissance la comédie : tout cela dut en influencer le développement.

223. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre II. Les formes d’art — Chapitre III. Comédie et drame »

C’est dans ces pièces philosophiques et dans la sentimentale féerie d’Arlequin poli par l’amour (1720) que l’on sent combien Marivaux à sa façon est vraiment poète : il y a en lui une poésie d’une espèce rare, une poésie fantaisiste, ingénieuse, alambiquée, brillante, qui rappelle avec moins de puissance et plus de délicatesse la Tempête ou Comme il vous plaira de Shakespeare. […] Dans la Surprise de l’amour, c’est le heurt de la vanité qui fixe l’attention : chacun des deux personnages est fâché de n’être pas unique en sa bizarrerie, fait effort pour réduire la bizarrerie de l’autre à la banalité des façons universelles, et se prend en voulant prendre. […] Mais alors l’observation psychologique disparaît : la sensibilité commande certaines façons de voir et d’expliquer l’homme. […] Jalousés par l’Opéra, la Comédie-Française et les Italiens, qui ne s’entendirent jamais que contre eux, les théâtres des Foires Saint-Germain et Saint-Laurent furent vexés de mille façons, condamnés à ne pas chanter, ou à ne pas parler, ou à ne pas dialoguer, parfois fermés ou démolis, toujours fréquentés ; ils eurent leurs auteurs attitrés, diversement et inégalement illustres, Regnard, Lesage, Piron, Dominique, Vadé, Favart492.

224. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Henry Rabusson »

Il lui suffit que d’autres aient une vie exquise et brillante, et, tandis qu’il se la figure grossièrement, il en jouit à sa façon, par l’émerveillement et par le respect. […] Si l’on va tout au fond des choses, on trouvera que le véritable et le principal objet des réunions mondaines, c’est l’exhibition de la femme, accommodée, attifée, harnachée, habillée ou déshabillée de la meilleure façon possible pour charmer les yeux des hommes et pour les tenter. […] Après le dilettante qui écrit, voici le dilettante qui n’écrit pas, supérieur peut-être au premier par la façon dont il entend la vie, par la sagesse plus rare qu’implique le rôle qu’il s’est donné. […] Ce n’est en aucune façon le spiritualisme convenable et convenu des romans romanesques ; c’est exactement le contraire de la philosophie de M. 

225. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Alphonse Daudet, l’Immortel. »

Car, si les membres de cette vénérable compagnie étaient nécessairement les quarante plus grands esprits de France, ce serait trop triste pour les autres : ils seraient jugés par là même ; tandis que, l’Académie se recrutant parfois d’une façon bizarre, on est tout de même content d’en être, et on n’est point humilié de n’en être pas. — L’Académie est, pour ceux qui y entrent, l’éteignoir du talent, la fin des belles et généreuses audaces ? […] Etant doué de façon si particulière, il est nécessairement étroit et intransigeant (quoiqu’il lui soit arrivé, je le sais, de faire effort pour élargir ses sympathies). […] Sa façon même de composer, l’absence de liaison continue dans le développement de ses personnages, en est une preuve. […] J’ai hâte de dire que cette façon de composer ne me choque point.

226. (1897) Préface sur le vers libre (Premiers poèmes) pp. 3-38

. — Il est évident que tout grand poète ayant perçu d’une façon plus ou moins théorique les conditions élémentaires du vers, Racine a empiriquement ou instinctivement appliqué les règles fondamentales et nécessaires de la poésie et que c’est selon notre théorie que ses vers doivent se scander. […] Pour assembler ces unités et leur donner la cohésion de façon qu’elles forment un vers il les faut apparenter. […] Une autre différence entre la sonorité du vers régulier et du vers nouveau découle de la façon différente dont on y évalue les e muets. […] Il est vrai que Banville possédait une façon féerique et charmante de dire les choses, qui enlève de la rigueur à ses axiomes, surtout quand il les formule si net et si court ; quand il est certain d’avoir enclos une loi scientifique dans la brièveté d’un verset de décalogue, c’est le plus souvent un trait heureux qu’il nous a donné.

227. (1911) Jugements de valeur et jugements de réalité

Ils disent uniquement de quelle façon nous nous comportons vis-à-vis de certains objets ; que nous aimons ceux-ci, que nous préférons ceux-là. […] Dira-t-on qu’il y a un type moyen qui se retrouve dans la plupart des individus et que l’estimation objective des choses exprime la façon dont elles agissent sur l’individu moyen ? […] Il est de sa façon ; il a sa réalité. […] Or l’idéal est donné comme la chose, quoique d’une autre manière ; il est, lui aussi, une réalité à sa façon.

228. (1860) Ceci n’est pas un livre « Une préface abandonnée » pp. 31-76

Mais il l’a si traîtreusement déformé, il l’a tant et tant de fois jeté en l’air, que le sombrero en est tout grotesquement bossué ; il a roulé à l’entour tant de rubans ridicules, il en a tourmenté les bords d’une telle façon, que le grave couvre-chef du conspirateur est devenu un chapeau d’arlequin. […] Mais il a d’étranges façons de comprendre l’art de M. d’Houdetot : plus d’une fois, lorsqu’un lapin lui est parti entre les jambes, Murger a retenu son doigt sur la détente du fusil, et la bête de s’enfuir sous le regard souriant de ce Nemrod original. […] C’est là un sentiment fort élevé, et même entaché quelque peu de poésie. — Il s’agit de l’accommoder à la façon réaliste. […] En ce glorieux siècle de lumière, nous voyons si clair dans le sens des mots que personne n’y voit de la même façon.

229. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. ALFRED DE MUSSET (La Confession d’un Enfant du siècle.) » pp. 202-217

M. de Musset avait aussi le mérite de ne pas trop se flatter ; le ton sincèrement modeste de ses dernières préfaces contrastait d’une manière frappante avec la façon cavalière et presque arrogante de ses débuts, et cette modestie si rare, qui accueillait la critique, s’accordait bien avec le dégagement de moins en moins contestable de son talent. […] La manière dont Octave effeuille dans l’âme de Brigitte et dans la sienne cette fleur tout à l’heure si belle, son art cruel d’en offenser chaque tendre racine est à merveille exprimé ; mais si la façon particulière appartient à Octave, cette défaite successive de l’amour, après le triomphe enivrant, n’est-elle pas à peu près l’histoire de tous les cœurs ? […] A ne prendre que les observations et maximes morales qui abondent dans ce livre, on ferait un petit recueil de pensées isolées, sans transition, un chapitre à la façon de La Rochefoucauld, qui classerait ce romancier de vingt-cinq ans parmi les moralistes les plus scrutateurs.

230. (1888) La critique scientifique « La critique scientifique — Évolution de la critique »

Les écrivains y sont analysés à la façon de M.  […] Mais elle les analyse non pour déterminer dans quelle mesure ces manifestations atteignent cette beauté, mais pour connaître la façon dont elles la réalisent, dont, elles sont originales, individuelles, telles enfin qu’on puisse en extraire un ensemble de particularités esthétiques permettant de conclure à l’existence, chez leurs auteurs et ses similaires, d’une série parallèle de particularités psychologiques. […] D’autre part, ayant à déterminer d’une façon précise et individuelle, la nature de l’esprit d’artiste qu’elle veut connaître, elle est obligée de recourir aux notions générales sur l’intelligence humaine que donne la psychologie ; et s’appliquant à démêler les groupes naturels d’hommes auxquels un artiste peut servir de type, elle est contrainte de s’adresser à la sociologie et à l’ethnologie.

231. (1904) La foi nouvelle du poète et sa doctrine. L’intégralisme (manifeste de la Revue bleue) pp. 83-87

Mais, à la longue, cette révélation s’associe à notre façon de voir. […] C’est la seule façon de justifier le poème de nos jours. […] Telle est notre façon de concevoir la poésie.

232. (1912) L’art de lire « Chapitre II. Les livres d’idées »

Il ne faut pencher vers aucun excès et il faut se tenir dans un certain milieu où le plaisir de comprendre ne soit pas gâté par le plaisir de discuter, ni même par celui de concilier trop ; mais se placer tour à tour aux différents points de vue et dans les différentes attitudes, et tantôt s’abandonner à la force de la pensée et à la rigueur de là logique, tantôt se défendre, ne vouloir pas être dupe, opposer l’auteur à l’auteur pour le battre à l’aide d’un auxiliaire qui est lui-même ; tantôt venir à son secours et démontrer qu’il ne s’est ni trompé ni contredit et que ce sont des apparences qui sont contre lui, si tant est même qu’il y ait des apparences : tout cela est comprendre encore ; tout cela n’est que différentes façons de comprendre et il suffit, pour que toutes soient utiles et fécondes, qu’à toutes ces opérations préside la loyauté et que jamais le sophisme ne s’y mêle. […] En entrant dans sa bibliothèque, ce lecteur-là va tout droit à cet auteur-là et s’assied en se disant, de façon plus ou moins consciente : « Comme je vais avoir raison ! […] Avec les philosophes, la lecture est une escrime où, quelques précautions prises, que nous avons indiquées, l’esprit prend incessamment des forces nouvelles qui peuvent être utiles de toutes sortes de façons et qui, par elles-mêmes et pour le seul plaisir de les posséder, valent qu’on les possède.

233. (1910) Rousseau contre Molière

Il est singulier, et comme je le disais incidemment plus haut, il n’est pas que sa façon d’agir ne paraisse une affectation et très probablement elle en est une. […] Jourdain n’a que le tort de faire d’une façon bouffonne une chose raisonnable. […] Rousseau est religieux ; il l’est d’une façon que l’on peut trouver vague ; mais que je ne crois pas que l’on puisse estimer faible. […] Les hommes sont ridicules particulièrement, et peut-être surtout, par la façon malhabile dont ils cherchent à réaliser le genre de perfection dont ils sont épris. […] L’éducation d’Émile a été dirigée de façon qu’il pût, arrivé à dix-neuf ans, se faire lui-même sa religion.

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