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309. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XXV. Avenir de la poésie lyrique. »

Faudrait-il supposer même que, métropole puissante de l’univers, le sillonnant de ses colonies, l’Europe lui ait envoyé avec son sang une vieillesse anticipée, et que, sur ces territoires de l’Amérique septentrionale qui s’étendent sans cesse, dans ces villes qui poussent si vite, notre civilisation n’ait jeté partout, avec son expérience de plusieurs siècles et ses plus récentes inventions, que le bon sens pratique, l’intelligente âpreté au gain, et cette active distribution du travail, cet emploi technique et pressé de la vie, qui laisse si peu de temps aux plaisirs délicats de l’âme et du goût ? […] Au milieu de ce grand peuple accru des dépouilles de l’ancien monde et des inventions puissantes de chaque jour, parmi ces ouvriers de la onzième heure qui achèvent si vite leur tâche et reçoivent un plein salaire, dans cette nation rude et savante, nouvellement née et pleine d’expérience, enorgueillie de sa force comme de la magnifique nature subjuguée par ses arts, la poésie de l’âme, nourrie par la religion, la patrie, la famille, ne peut manquer un jour d’avoir son Orient et son Midi.

310. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Introduction, où l’on traite principalement des sources de cette histoire. »

Mais une expérience capitale est celle-ci. […] Ce n’est donc pas au nom de telle ou telle philosophie, c’est au nom d’une constante expérience, que nous bannissons le miracle de l’histoire. […] Cette commission choisirait le cadavre, s’assurerait que la mort est bien réelle, désignerait la salle où devrait se faire l’expérience, réglerait tout le système de précautions nécessaire pour ne laisser prise à aucun doute. […] Cependant, comme une expérience doit toujours pouvoir se répéter, que l’on doit être capable de refaire ce que l’on a fait une fois, et que dans l’ordre du miracle il ne peut être question de facile ou de difficile, le thaumaturge serait invité a reproduire son acte merveilleux dans d’autres circonstances, sur d’autres cadavres, dans un autre milieu. […] Mais qui ne voit que jamais miracle ne s’est passé dans ces conditions-là ; que toujours jusqu’ici le thaumaturge a choisi le sujet de l’expérience, choisi le milieu, choisi le public ; que d’ailleurs le plus souvent c’est le peuple lui-même qui, par suite de l’invincible besoin qu’il a de voir dans les grands événements et les grands hommes quelque chose de divin, crée après coup les légendes merveilleuses ?

311. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre sixième. La volonté — Chapitre troisième. La volonté libre »

Inutile d’ajouter que, dans l’expérience, jamais psychologue n’arrivera devant un tel gouffre ; jamais il n’aura le droit de prétendre que ce qu’il n’a pu expliquer soit pour cela inexplicable. […] Le moi connu, le moi d’expérience, que le sujet aperçoit, est en réalité un objet, son produit en même temps que le produit des choses extérieures : il n’est pas le sujet lui-même, le sujet tout entier ; et par là, n’entendez plus seulement le sujet pur, qui peut n’être qu’une abstraction, mais le sujet sentant, pensant et faisant effort au sein d’un organisme. […] Nous nous figurons alors non seulement que le choix résulte de notre puissance, — ce qui est vrai, — mais que cette puissance même est ambiguë, — ce qui n’est pas impliqué dans l’expérience intérieure. […] Pour vérifier par l’expérience notre puissance de vouloir au même instant, dans les mêmes conditions internes et externes, une chose ou son contraire, il faudrait vouloir à la fois cette chose et son contraire, ce qui est absurde. […] Le sentiment que nous croyons avoir de notre pouvoir des contraires n’est au fond que l’expérience de la possibilité du hasard dans nos résolutions mêmes.

312. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — D. — article » pp. 208-209

Les préceptes en sont toujours judicieux, toujours fondés sur la nature ; ils sont le fruit de trente ans d’expérience dans l’Art qui en est l’objet.

313. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — P. — article » pp. 523-524

L’expérience a constamment démontré que tout dépend, en matiere de réformation, de bien saisir la partie sensible des hommes, & qu’un bon Ouvrage a toujours un ascendant victorieux contre un travers quelconque, lorsqu’il l’attaque habilement & par le bon endroit.

314. (1889) Ægri somnia : pensées et caractères

C’est l’honneur d’un vieil écrivain d’avoir des amis jeunes que n’aient pas effarouchés les rides de son visage, les désenchantements de son expérience et les sévérités de son goût. […] Thiers, à son tour, venait au laboratoire de l’École pour assister aux expériences de M.  […] Pasteur, rencontrant cette doctrine comme une objection provocante contre ses travaux sur les ferments, y avait répondu en instituant des expériences sur les poussières de l’air. […] Aucune considération religieuse n’a dirigé mon œil et ma main, et si mes expériences m’avaient démontré l’existence de générations spontanées, sans hésiter j’en aurais convenu. […] C’est affaire de foi, non d’expériences.

315. (1922) Nouvelles pages de critique et de doctrine. Tome I

L’enquête de la Revue portait sur « les témoignages de l’expérience ». […] Vers le même temps, un officier d’artillerie de la même race, Paul-Louis Courier, traversait la même expérience. […] Ils semblent contradictoires, mais, à l’expérience, ils coexistent. […] Ayant leur expérience, nous n’aurions pas leur excuse !  […] De même que vous avez contrôlé, par votre expérience directe, le Scientisme philosophique de vos aînés, le général a contrôlé, par son expérience directe, le Scientisme militaire dont les applications erronées nous avaient perdus.

316. (1767) Salon de 1767 « Dessin. Gravure — Demarteau » p. 335

Mais quand je pense que j’ai moins employé de temps à examiner deux cents morceaux, qu’il n’en faudrait accorder à trois ou quatre pour en bien juger ; quand j’apprécie scrupuleusement la petite dose de mon expérience et de mes lumières avec la témérité dont je prononce, et surtout lorsque je vois que moins ignorant d’un sallon à un autre, je suis plus réservé, plus timide, et que je présume avec raison qu’il ne me manque peut-être que d’avoir vu davantage pour être plus juste, je me frappe la poitrine, et je demande pardon à Dieu, aux hommes et à vous, mon père, et de mes critiques hasardées et de mes éloges inconsidérés.

317. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Roederer. — I. » pp. 325-345

. — Moment de l’expérience ; épreuve de la démocratie […] Dans la dernière partie de sa carrière, l’Assemblée constituante essaya de revenir, par le moyen de la révision, sur ce qu’avaient eu de trop absolu ses premiers décrets ; Roederer résista : Je soutins, dit-il, que pour que la Constitution répondît au titre qu’on lui avait donné de Constitution représentative, et pour que ce titre ne fût pas une imposture, il fallait que les fonctions administratives dans les départements, les districts, les municipalités, fussent déclarées constitutionnellement, c’est-à-dire irrévocablement électives. — Je me détrompai en 1793 de mon opinion, par l’expérience que j’acquis comme procureur général syndic du département de Paris. […] Ici, dans la retraite et sous la pression de l’expérience, il se fit dans la manière de voir de Roederer une modification analogue à celle que Sieyès subissait dans le même temps.

318. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres de lord Chesterfield à son fils. Édition revue par M. Amédée Renée. (1842.) » pp. 226-246

Le Chesterfield que nous aimons surtout à étudier est donc l’homme d’esprit et d’expérience qui n’a passé par les affaires et n’a essayé tous les rôles de la vie politique et publique que pour en savoir les moindres ressorts, et nous en dire le dernier mot ; c’est celui qui, dès sa jeunesse, fut l’ami de Pope et de Bolingbroke, l’introducteur en Angleterre de Montesquieu et de Voltaire, le correspondant de Fontenelle et de Mme de Tencin, celui que l’Académie des inscriptions adopta parmi ses membres, qui unissait l’esprit des deux nations, et qui, dans plus d’un essai spirituel, mais particulièrement dans ses Lettres à son fils, se montre à nous moraliste aimable autant que consommé, et l’un des maîtres de la vie. […] Sans l’observation directe et l’expérience, ils seraient inutiles et même induiraient en erreur autant qu’une carte géographique pourrait le faire, si l’on voulait y chercher une connaissance complète des villes et des provinces. […] Mais ces petits-maîtres, mûris par l’âge et par l’expérience, se métamorphosent souvent en gens fort capables.

319. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Grimm. — II. (Fin.) » pp. 308-328

Il remarque que, quoiqu’il y ait dans les Essais une infinité de faits, d’anecdotes et de citations, Montaigne n’était point à proprement parler savant : « Il n’avait guère lu que quelques poètes latins, quelques livres de voyages, et son Sénèque, et son Plutarque » ; ce dernier surtout, Plutarque, « c’est vraiment l’Encyclopédie des anciens ; Montaigne nous en a donné la fleur, et il y a ajouté les réflexions les plus fines, et surtout les résultats les plus secrets de sa propre expérience. » Les huit pages que Grimm a consacrées aux Essais de Montaigne sont peut-être ce que la critique française a produit là-dessus de plus juste, de mieux pensé et de mieux dit. […] Sans prétendre à en pénétrer les causes, il lui semble qu’une expérience constante l’a suffisamment démontré : Quand ce siècle est passé, les génies manquent ; mais, comme le goût des arts subsiste dans la nation, les hommes veulent faire à force d’esprit ce que leurs maîtres ont fait à force de génie, et, l’esprit même devenu plus général, tout le monde y prétend bientôt ; de là le bon esprit devient rare, et la pointe, le faux bel esprit et la prétention prennent sa place. […] Depuis ce temps jusqu’au jour où il adressait ce remerciement et cette louange à Catherine, Grimm avait fait bien du chemin, et on peut dire qu’il avait accompli le cercle de l’expérience morale.

320. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Innocent III et ses contemporains »

L’espèce d’insurrection épiscopale qui venait d’y lever la tête à propos de l’Enseignement trouvait sa raison d’être dans l’idée d’une réaction à laquelle on travaille en la proclamant bien haut, et la conversion de Hurter, comme l’Histoire de la Papauté, comme la Vie d’Innocent III 2, a été donnée comme une preuve de plus en faveur de ce retour vers les idées du Moyen Âge, vers ce catholicisme ultramontain accepté enfin, et après expérience, par la raison et la science du xixe  siècle. […] Voici les paroles que nous trouvons dans l’introduction dont Saint-Chéron a fait précéder sa traduction de l’Histoire d’Innocent III : « Recevons le beau tableau historique de Hurter comme un témoignage du bien immense qu’un souverain pontife a pu accomplir dans un siècle reculé, mais encore du bien que l’institution, reconnue comme nécessaire aux intérêts les plus élevés du genre humain, pourra faire dans les siècles à venir où il se rencontrera un Grégoire, un Innocent, au milieu des hommes ramenés par une pénible et douloureuse expérience, aux vrais principes sociaux. » Comme on le voit, s’il n’est guère possible d’être plus lourd, il n’est guère possible d’être plus clair. […] Il vaut mieux l’admettre comme un fait acquis à l’histoire contemporaine ; il vaut mieux dire, avec la hauteur d’une conclusion sans réplique : C’est une chose maintenant certaine : l’Europe, dégoûtée de tous les systèmes, lasse de toutes les expériences, tend par ses penseurs, par ses meilleurs esprits, vers l’unité catholique, et cette tendance, nous nous chargeons de la montrer dans les ouvrages les plus marquants.

321. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre XI : M. Jouffroy moraliste »

Il n’est pas l’œuvre de l’expérience et de la généralisation ; il est une découverte de la raison intuitive. […] « Dès que nous avons conçu que tout être a une fin, nous recueillons de l’expérience cette seconde vérité, que cette fin varie de l’un à l’autre, et que chacun a la sienne qui lui est spéciale85. » Ces deux vérités nous en découvrent une troisième, à savoir que « si chaque être a une fin qui lui est propre, chaque être a dû recevoir une organisation adaptée à cette fin, et qui le rendît propre à l’atteindre : il y aurait contradiction à ce qu’une fin fût imposée à un être, si sa nature ne contenait le moyen de la réaliser. » Puisque la nature des êtres est appropriée à leur fin, on pourra, en étudiant la nature d’un être, connaître sa fin, de même qu’en étudiant la structure d’un édifice on peut conclure sa destination. […] C’est ce que l’expérience confirme, puisque nous jugeons le motif vertueux supérieur en dignité et en beauté, impératif, sacré.

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