Rousseau parut : le jour où il se découvrit tout entier à lui-même, il révéla du même coup à son siècle l’écrivain le plus fait pour exprimer avec nouveauté, avec vigueur, avec une logique mêlée de flamme, les idées confuses qui s’agitaient et qui voulaient naître. […] Le premier livre des Confessions n’est pas le plus remarquable, mais Rousseau s’y trouve déjà renfermé tout entier, avec son orgueil, ses vices en germe, ses humeurs bizarres et grotesques, ses bassesses et ses saletés (on voit que je marque tout) ; avec sa fierté aussi et ce ressort d’indépendance et de fermeté qui le relève ; avec son enfance heureuse et saine, son adolescence souffrante et martyrisée, et ce qu’elle lui inspirera plus tard (on le pressent) d’apostrophes à la société et de représailles vengeresses ; avec son sentiment attendri du bonheur domestique et de famille qu’il goûta si peu, et encore avec les premières bouffées de printemps et ces premières haleines, signal du réveil naturel qui éclatera dans la littérature du xixe siècle. […] Ce n’est qu’alors, nous assure-t-il, « quand il faisait route à pied, par un beau temps, dans un beau pays, sans être pressé », ayant pour terme du voyage un objet agréable qu’il ne se hâtait pas trop d’atteindre, c’est alors qu’il était tout entier lui-même, et que les idées, froides et mortes dans le cabinet, s’animaient et prenaient leur essor en lui : La marche a quelque chose qui anime et avive mes idées ; je ne puis presque penser quand je reste en place ; il faut que mon corps soit en branle pour y mettre mon esprit. […] Je dispose en maître de la nature entière… Ne lui demandez pas d’écrire en ces moments les pensées sublimes, folles, aimables, qui lui traversent l’esprit : il aime bien mieux les goûter et les savourer que de les dire : « D’ailleurs portais-je avec moi du papier, des plumes ?
qui nous rendra l’opinion régnante dans l’Ordre des avocats, alors si entier et comme investi de sa première intégrité, l’esprit général de la magistrature d’alors, si stable, si courageuse et parfois si héroïque ? […] « Tout ainsi que les artisans n’accouplent jamais deux métaux aigus ensemble », de même ne veut-il pas que les deux caractères unis soient trop de première trempe et trop entiers ; l’un des deux doit céder à l’autre en quelque point. […] C’est Ovide qui lui est tombé sous la main, et qu’il a lu en deux ou trois endroits ; et il interprète l’oracle gaiement, concluant de l’un de ces passages qu’il ne faut suivre, en matière de vertu et de maniement de fortune, ni la secte trop dissolue des épicuriens, ni celle, trop rigide et trop nue, des stoïques ou des cyniques, mais se rapporter tant qu’on peut, ici-bas, à la maxime du sage mondain Aristote, qui est de jouir de la vertu en affluence de biens : « Voilà comment, petit père, ajoute-t-il en parlant de lui-même, j’ai commencé à dorloter mon enfant. » Les Lettres de Pasquier, qu’il commença lui-même de publier en dix livres (1586), et qui ont été complétées après lui jusqu’au nombre de vingt-deux livres, sont d’une lecture très instructive, plus attachante à mesure qu’on s’y enfonce, et qui nous le rend tout entier avec son monde et son époque. […] S’il ne sortit pas des horizons de son temps, on peut observer à son honneur qu’il les embrassa tout entiers.
Et élevant de plus en plus sa pensée et son cœur, réduisant sa propre souffrance à ce qu’elle est dans l’immense sein de la nature, s’y voyant non plus seulement soi, mais des royaumes entiers, comme un simple point dans l’infini, il ajoute en des termes qui rappellent d’avance Pascal, et dont celui-ci n’a pas dédaigné d’emprunter le calque et le trait : Mais qui se représente comme dans un tableau cette grande image de notre mère nature en son entière majesté : qui lit en son visage une si générale et constante variété ; qui se remarque là-dedans, et non soi, mais tout un royaume, comme un trait d’une pointe très délicate, celui-là seul estime les choses selon leur juste grandeur. […] Il ne voyait pas de vrai et entier grand homme de son temps, qui était cependant celui des L’Hôpital, des Coligny, des Guises. […] Montaigne alors sent que c’est en lui seul, après tout, qu’il peut se fonder dans la détresse et s’affermir, et que c’est le moment ou jamais de mettre en pratique ces hautes leçons qu’il a passé sa vie à recueillir çà et là dans les livres des philosophes ; il se ranime, il arrive à toute sa vertu : En un temps ordinaire et tranquille on se prépare à des accidents modérés et communs ; mais, en cette confusion où nous sommes depuis trente ans, tout homme françois soit en particulier, soit en général, se voit à chaque heure sur le point de l’entier renversement de sa fortune.
La trempe chez Chateaubriand est plus forte et moins pure : la forme était déjà tout entière chez Bernardin. […] Quelle émotion grave et presque terrible dans l’assemblée, lorsque le mélodieux orateur, comme le Nestor d’une autre Iliade, mais Nestor qui flattait au lieu d’avertir, avec sa voix encore si accentuée sous la faiblesse de l’âge, abordant le sujet inévitable, retraça les derniers prodiges du Conquérant, qu’il nommait le Libérateur… Puis est venue une citation du discours de Bernardin de Saint-Pierre sur l’aigle, — l’aigle impériale d’alors ; — et là-dessus l’habile orateur, toujours ému et comme entraîné par ses souvenirs, s’est de nouveau écrié : « À cette image hardie, nouvelle, qui semblait suspendre la foudre sur toutes les têtes, l’auditoire se souleva tout entier d’enthousiasme, et ces voûtes parurent s’abîmer au bruit des applaudissements. » — Le morceau achevé, avec tous ses contrastes et ses ironies, M. […] » Cet applaudissement frondeur donné à un mot qui n’avait certes point une intention si profonde, mais qui rappelait un autre mot récent de Chateaubriand sur Néron dans le Mercure, nous marque du moins la disposition d’esprit de cet auditoire élégant et nous le fait voir tel qu’il était, très peu préparé à se soulever tout entier d’enthousiasme et à faire crouler les voûtes de la salle sous ses applaudissements, pour cette péroraison toute napoléonienne et un peu romantique de Bernardin. […] De cette étude bien imparfaite, mais qui repose sur plus de lectures et de comparaisons que je n’ai pu en apporter ici, il me semble résulter que Bernardin de Saint-Pierre, dans sa vie, n’a été qu’à demi un sage, et que, dans ses écrits, il a presque aussi souvent erré que rencontré avec bonheur : mais, une fois, il a eu une inspiration simple et complète, il y a obéi avec docilité et l’a mise tout entière au jour comme sous le rayon ; il a mérité par là que son souvenir reste à jamais distinct et toujours renouvelé dans la mémoire humaine, et qu’autour de ce chef-d’œuvre de Paul et Virginie, la curiosité littéraire rassemble, sans en rien perdre, les grâces éparses de l’écrivain.
Combien de tableaux seroient demeurés des années entières dans l’ombre de l’attelier, s’ils n’avoient point été exposés ? […] Convenez donc qu’il n’y a et qu’il ne peut y avoir ni un animal entier subsistant, ni aucune partie d’un animal subsistant que vous puissiez prendre à la rigueur pour modèle premier. […] Si ce que je te disois tout à l’heure est vrai, le modèle le plus beau, le plus parfait d’un homme ou d’une femme, seroit un homme ou une femme supérieurement propre à toutes les fonctions de la vie, et qui seroit parvenu à l’âge du plus entier dévelopement, sans en avoir exercé aucune. […] Mais je prétens que ce génie s’est fait attendre et qu’il n’a pu faire lui seul ce qui est l’ouvrage du tems et d’une nation entière.
Par une insigne faveur, Sa Majesté a voulu qu’au même moment où la France entière célébrerait, d’année en année, l’époque d’un retour qui combla tous ses vœux et répara tous ses maux, l’Institut consacrât, par une séance solennelle, le souvenir de cette heureuse réorganisation, qui replaça les Académies sur leurs anciens fondements, sans rompre ni relâcher le nouveau lien qui les unissait. […] Une armée française, ayant à sa tête un prince d’une vertu et d’une bravoure à toute épreuve, franchit les Pyrénées, traverse, occupe, en triomphant, l’Espagne entière, et va briser les fers d’un roi captif d’une faction. […] En paix avec le monde entier, en paix avec nous-mêmes, nous ne pourrons plus être agités et divisés que par ces guerres sans danger, mais non pas sans honneur, où l’ambition des esprits se propose la vérité pour conquête. […] Tel est le sort d’une littérature arrivée au terme de son entier développement.
Jay, intitulé Conversion de Jacques Delorme, je trouvai aussi qu’on m’avait peu consulté en me louant aussi absolument d’une conversion qui n’était pas si entière qu’on la supposait. […] Voici cette jolie pièce tout entière : À la Font-Georges Ô champs pleins de silence. […] Et c’est ainsi qu’au déclin d’une école et quand dès longtemps on a pu la croire finissante, quand de ce côté la prairie des muses semble tout entière fauchée et moissonnée, des talents inégaux, mais distingués et vaillants, trouvent encore moyen d’en tirer des regains heureux et de produire quelques pièces presque parfaites qui iraient s’ajouter à tant d’autres dans la corbeille, si un jour on s’avisait de la dresser, — dans la couronne, si l’on s’avisait de la tresser —, d’une anthologie française de ce siècle.
L’humanité tout entière, qui tend à l’unité pour que chacune de ses découvertes profite à l’ensemble, manque de ce grand instrument de perfectionnement et de communication qui unifie et grandit l’homme, — on peut même dire qui grandit la terre elle-même, car, sans la passion géographique qui illumina Colomb de ses pressentiments, où serait l’Amérique ? […] Les événements, qui ne remuaient jadis que de petits territoires contigus à la France, remuent en ce moment le globe tout entier ; comment juger avec connaissance de cause ces événements, sans en connaître la scène et les acteurs ? […] Notre cours de géographie serait devenu naturellement et nécessairement un cours d’humanité tout entière.
Disons-nous bien que toutes les opérations, qui pour la science des laboratoires sont réelles, ne peuvent être dans l’histoire littéraire que métaphoriques ou idéales, que l’analyse du génie poétique n’a rien de commun que le nom avec l’analyse du sucre, et se passe tout entière dans la tête qui la fait, que l’identification du genre littéraire qui se maintient par imitation, avec l’espèce vivante qui se perpétue par génération, est purement verbale, et qu’enfin tout ce qui est méthode dans les sciences de la nature, si on le transporte dans notre domaine, devient système. […] Dans cette élaboration méthodique, ai-je besoin, de dire que nous revendiquons, que nous exerçons une liberté entière. […] Où la liberté n’est pas entière, on n’a que des parodies ou des embryons d’activité scientifique.
Et cette opinion, de plus en plus admise, s’est confirmée en nous, que tout, dans l’univers, est vibration, combinaisons de vibrations, formes de mouvement, nombre et séries, associations de rythmes ; que le monde entier n’est qu’une vaste orchestration de rythmes ; que nous-mêmes sommes un rythme dans le rythme intégral ou accomplissement universel, et que le rythme inhérent au verbe humain, le rythme, dans l’œuvre du poète, est le mouvement même de l’inspiration. […] La poésie intervient au sein même de toutes ces correspondances mystérieuses qui sollicitent notre activité intellectuelle, notre mémoire, nos aspirations, notre moi tout entier, et constituent cet état de conscience où, semble-t-il, nous communions dans l’infini. […] Et lorsqu’à l’inscription du temple de Delphes : Connais-toi toi-même, nous ajoutions la formule de Térence : Homo sum, et nihil humani a me alienum puto ; lorsque nous écrivions que nous voulions exprimer la vie humaine en fonction de l’humanité tout entière, et notre individualité en fonction de l’univers comme de l’inconnaissable, nous professions l’intégralisme le plus pur.
Avant de nous occuper de l’œuvre entière de Léon Gozlan, de ce conteur raffiné auquel nulle critique, à ma connaissance, n’a assigné encore sa vraie place dans la littérature de ce siècle, avant cet examen exclusivement littéraire, pourquoi ne risquerions-nous pas quelques mots sur le genre d’homme qui doublait l’auteur en lui, et qui était pour le moins l’égal de l’auteur ? […] Mais il y avait autre chose en Gozlan qu’un esprit distingué et un causeur distingué, le fût-il jusqu’au charme ; il y avait une personnalité tout entière de la plus rare distinction ! […] Dans un autre temps qu’à une époque où la production intellectuelle se répand d’autant sur le marché qu’elle est plus inconsistante et plus lâche, l’œuvre de Léon Gozlan, composé d’une vingtaine de volumes, sans compter ses pièces de théâtre, pourrait sembler considérable ; mais nous sommes trop accoutumés à ce prétendu tour de force de la production toujours prête, qui n’est guères plutôt qu’une preuve de faiblesse, pour admettre que vingt volumes in-18, dans une vie tout entière, dans un remuement de plume qui dura trente-cinq ans, soit quelque chose de bien imposant par son ensemble et par sa masse.
Ses séances, courtes et silencieuses, sont pleines de résultats et tout entières en action ; elle n’est plus qu’un Conseil d’État, ou plutôt un grand Conseil de guerre, qui ne voit dans la France qu’un camp où la Révolution est assiégée. […] « Il fallait à la fois, dit l’historien, mettre la population debout, la pourvoir d’armes, et fournir, par une nouvelle mesure financière, à la dépense de ce grand déplacement ; il fallait mettre en rapport le papier-monnaie avec le prix des subsistances et des denrées ; il fallait disposer les armées, les généraux, convenablement à chaque théâtre de la guerre, et enfin satisfaire la colère révolutionnaire par de grandes et terribles exécutions. » De là, d’abord, la levée en masse, la mise en disponibilité de la population entière, et cet inépuisable fond d’armée nationale, dans laquelle se recrutaient les autres ; armée majestueuse, solennelle, échelonnée par rang d’âge et mise en ordre de bataille par générations.
A la fin de 1806, il n’y avait plus de grandes choses à tenter sur mer : l’empire était tout du côté du continent, mais sur le continent tout entier. […] En 1809, quand la guerre se ralluma en Autriche et que l’Allemagne entière tressaillit, une insurrection se tenta en Westphalie, autour de Cassel ; mais il la maîtrisa aisément, il la réprima sans trop de rigueur, et put ensuite prendre sa part assignée dans les combinaisons de cette formidable campagne.