/ 4293
2533. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Le père Lacordaire. Quatre moments religieux au XIXe siècle. »

L’inintelligible s’y donne pour la lumière même. […] Dieu nous l’avait donné aux confins de deux siècles, l’un corrompu par l’infidélité, l’autre qui devait essayer de se reprendre aux choses divines, et sa muse avait reçu le même jour, pour mieux nous charmer, la langue d’Orphée et celle de David. » Certes, on ne saurait mieux ni plus magnifiquement parler de Chateaubriand, et dans une langue même qui le rappelle et qui rivalise avec lui. […] Moi qui lis cela avec intérêt, qui, bien que de ceux qu’on appelle sceptiques, me tiens pour parfaitement sûr et certain de ce qu’il y a de faux et d’imaginaire dans le point de départ et dans certaines suppositions premières de celui qui écrit ; qui n’en cherche pas moins avec plaisir les preuves de talent, d’élévation, ou les saillies d’esprit, j’en trouve une, de ces saillies, et qui me paraît des plus agréables, dans une lettre à laquelle l’éditeur, qui s’y connaît et qui s’entend à étiqueter les matières, a donné ce titre piquant : Un religieux à cheval. — « Tôt ou tard on ne jouit que des âmes. » Le commencement de la lettre se rapporte à des affaires de l’Ordre, au choix que venait de faire le Chapitre provincial d’un successeur du Père Lacordaire et à d’autres points particuliers ; mais voici le côté aimable, et qui me rappelle, je ne sais trop comment, de jolies lettres de Pline le Jeune : «  Quant à vous, mon bien cher qui montez à cheval dans la forêt de Compiègne avec l’habit religieux et qui le trouvez tout simple, je n’ai rien à vous dire. […] Le cheval donne de l’orgueil ; il est une habitude de luxe ; croyez-vous que Jésus-Christ soit bien aise de vous voir à cheval, lui qui est entré à Jérusalem sur un âne ? […] « Ce qui est certain, c’est que si je vous avais trouvé dans la forêt de Compiègne sur votre cheval, je vous aurais bien donné une douzaine de coups de cravache, en ma qualité de votre père et de votre ami ; ceci ne m’empêche pas de vous embrasser bien tendrement. » On n’est pas plus aimable et plus cavalier en ne voulant pas l’être.

2534. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre II. De l’ambition. »

Par l’ambition, je désigne la passion qui n’a pour objet que la puissance, c’est-à-dire, la possession des places, des richesses, ou des honneurs qui la donnent ; passion que la médiocrité doit aussi concevoir, parce qu’elle peut en obtenir les succès. […] En les comparant donc, je donnerai naturellement un nouveau développement au chapitre que je viens de finir. […] Si c’est avec un esprit borné qu’on veut atteindre à une place élevée, est-il un état plus pénible que ces avertissements continuels donnés par l’intérêt à l’amour propre ? […] L’amant de la gloire a une conscience, c’est la fierté ; et quoique ce sentiment rende beaucoup moins indépendant que le dévouement à la vertu, il affranchit des autres, s’il ne donne pas de l’empire sur soi-même. […] Pour être donc ambitieux dans une révolution, il faut marcher toujours en avant de l’impulsion donnée, c’est une descente rapide où l’on ne peut s’arrêter ; vainement on voit l’abîme ; si l’on se jette en bas du char, on est brisé par cette chute ; éviter le péril, est plus dangereux que l’affronter : il faut conduire soi-même dans le sentier qui doit vous perdre, et le moindre pas rétrograde renverse l’homme sans détourner l’événement.

2535. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre premier. Les signes — Chapitre III. Des idées générales et de la substitution à plusieurs degrés » pp. 55-71

. — Pour remédier à cet inconvénient, nous négligeons le groupe qui correspond au mot ; nous ne donnons plus d’attention qu’au mot substitut ; après avoir vu ensemble quatre objets, nous les oublions pour ne plus songer qu’au mot quatre, et nous pouvons les oublier, parce que plus tard, revenant sur le mot et appuyant dessus, nous les reverrons intérieurement, sans méprise ni confusion. […] Nous ne remplaçons plus tout d’abord par un mot le caractère abstrait et général du groupe mis en expérience, car le groupe en question ne peut être mis avec succès en expérience ; trente-six pions, posés ensemble sur une table, ne nous donneraient qu’une impression de masse et d’ensemble, sans distinction énumérative des individus. — Nous allons plus lentement ; nous prenons d’abord un très petit groupe, proportionné à l’amplitude bornée de notre esprit, et capable d’éveiller en nous une tendance et un nom.  […] Après nous avoir permis d’extraire les qualités, elle nous donne le moyen de compter et de mesurer les quantités. […] En d’autres termes, nous dégageons dans le dividende cette propriété de donner naissance à un chiffre semblable qui, lui étant semblable, a la même propriété que lui. […] Étant donnés les deux membres d’un couple, l’un infini, l’autre limité, on peut considérer à volonté l’un ou l’autre, et, si leur correspondance est rigoureuse, démêler dans l’un des propriétés qui appartiennent aussi à l’autre, mais que dans l’autre on ne peut démêler.

2536. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Première partie. Préparation générale — Chapitre V. De la lecture. — Son importance pour le développement général des facultés intellectuelles. — Comment il faut lire »

Les Latins nous donneront Lucrèce, et surtout son admirable Cinquième Livre, quelques discours de Cicéron, son Traité des Devoirs et ses Lettres, quelques traités de Sénèque et ses Lettres à Lucilius, Tite-Live, Tacite, Virgile, les beaux épisodes de Lucain, quelques morceaux d’Ovide et de Catulle. […] Si l’on visait à donner une connaissance pratique de l’ancienne langue, si l’on avait aussi de bons textes appropriés aux nécessités scolaires, ce ne serait pas une grande affaire, et ce serait un plaisir de lire couramment quelques vieux auteurs. […] Pascal, La Bruyère, Fénelon sont de meilleurs maîtres de style et en donnent mieux la théorie que Buffon et Marmontel, où l’on vous ramène sans cesse. […] « Le sublime, dit Michelet, n’est point hors nature ; c’est, au contraire, le point où la nature est le plus elle-même, en sa hauteur, profondeur naturelles. » Vous avez lu Andromaque, et vous avez une mère qui vous aime ; vous savez ce que vous êtes pour elle ; vous le sentez, et que par votre amour de fils vous ne lui rendez pas encore tout ce qu’elle vous donne. […] Pour se faciliter la tâche, il ne serait pas mauvais de prendre de ces livres comme il y en a — et d’admirables parfois — qui choquent, irritent, exaspèrent, et qui donnent envie de penser autrement que l’auteur.

2537. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre premier. La critique et la vie littéraire » pp. 1-18

L’écriture me donne un plaisir clair, un plaisir que je ne puis analyser, et qui se décuple à cette analyse. […] C’est celle-ci qui me donne celui-là. […] L’homme parfait que donnerait l’équilibre du sentiment et de l’intelligence, de la raison approuvant l’instinct1 ! […] Il est à peine honnête de donner couleur de critique à des admirations ou à des mépris gratuits puisque non justifiés. […] L’essentiel lui est, en présence d’un livre, devant un écrivain, d’indiquer « l’humanité » dont celui-ci témoigne, la vision, qu’il veut donner et celle qu’il a réussi à communiquer ; de préciser la nouveauté du thème choisi, le mérite de la composition, l’originalité du style ; en un mot, de limiter, à sa jauge, la valeur de l’œuvre qu’il pèse : le critique doit aimer, pour la bien mener, cette besogne d’appréciateur, d’expert, de « gourmet », il doit avoir le goût du jugement.

2538. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre XV, l’Orestie. — les Choéphores. »

Donne-moi de valoir beaucoup mieux que ma mère et de mieux agir ! Je souhaite à nos ennemis que ton vengeur apparaisse, qu’il rende la mort à ceux qui te l’ont donnée. » À peine évoqué, le vengeur surgit. […] En se rappelant les soins qu’elle donnait au petit Oreste, Gilissa le revoit salissant ses langes, et la chose est dite tout crûment, comme au coin de l’âtre, entre servantes habituées aux tracas et aux souillures des berceaux. […] Ayant à faire parler une nourrice, Eschyle lui donne la bonté bavarde et la naïve indécence des femmes de sa classe. […] L’esclave de garde donne l’alarme, Clytemnestre accourt : — « Qu’y a-t-il ?

2539. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Chefs-d’œuvre de la littérature française (Collection Didot). Hamilton. » pp. 92-107

Louis XIV donnait à Charles II des subsides, il lui donna aussi une maîtresse : l’émigration de Jacques II le rendit à Louis XIV en lui donnant un grand guerrier, Berwick, et, ce qui est plus rare, un charmant écrivain, le chroniqueur léger des élégances. […] Il était à la fleur de l’âge dans cette cour de Charles II, qu’il nous a si vivement décrite ; mais les Hamilton dont il parle sont ses frères, et il ne s’y donne à lui-même aucun rôle. […] Si j’en voulais donner une idée par quelque production moderne, je renverrais à la jolie fantaisie du Merle blanc, d’Alfred de Musset. […] Je compte bien, à propos des réimpressions modernes de nos classiques, me donner ainsi la permission de revenir de temps en temps sur ces auteurs d'autrefois qui, de tous, sont encore les plus vivants.

2540. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Chapitre VI : Règles relatives à l’administration de la preuve »

Stuart Mill en donne lui-même un exemple en rappelant que, suivant les théories modernes, la production de la chaleur par le frottement, la percussion, l’action chimique, etc., dérive d’une seule et même cause. […] Outre qu’elle ne peut servir qu’aux sciences assez avancées, puisqu’elle suppose déjà connues un nombre important de lois, les phénomènes sociaux sont beaucoup trop complexes pour que, dans un cas donné, on puisse exactement retrancher l’effet de toutes les causes moins une. […] Par conséquent, une pareille méthode de démonstration ne peut donner naissance qu’à des conjectures qui, réduites à elles seules, sont presque dénuées de tout caractère scientifique. […] Pour qu’elle donne des résultats, quelques faits suffisent. […] Cette méthode, que l’on pourrait appeler génétique, donnerait d’un seul coup l’analyse et la synthèse du phénomène.

2541. (1761) Apologie de l’étude

L’expérience l’a dit longtemps avant Horace : on ne se trouve heureux qu’à la place des autres, et jamais à la sienne ; le seul avantage que donnent les lumières, si c’en est un, est de n’envier l’état de personne, sans en être plus content du sien. […] Las de m’ennuyer des pensées des autres, j’ai voulu leur donner les miennes ; mais je puis me flatter de leur avoir rendu tout l’ennui que j’avais reçu d’eux. […] Ayant ainsi appris à mes dépens qu’il ne faut montrer aux hommes, ni la vérité historique qui les blesse, ni la vérité philosophique qui les révolte, mais des vérités froides et palpables, qui ne donnent prise ni à la calomnie ni à la satire, je me suis jeté dans les sciences exactes, et j’ai fait enfin un livre dont on a dit du bien, mais qui n’a été lu de personne. […] Une seule espèce d’écrivains m’a paru posséder un bonheur sans trouble ; c’est celle des compilateurs et commentateurs, laborieusement occupés à expliquer ce qu’ils n’entendent pas, à louer ce qu’ils ne sentent point, ou ce qui ne mérite pas d’être loué ; qui pour avoir pâli sur l’antiquité, croient participer à sa gloire, et rougissent par modestie des éloges qu’on lui donne. […] Les journaux, j’en conviens, disent encore moins vrai que l’histoire ; mais soyez équitable ; n’avez-vous jamais rien donné dans vos écrits à l’amitié, à la reconnaissance, à l’intérêt, peut-être même à la haine ?

2542. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « De Stendhal »

. — Shakespeare, qui a pensé à tout, nous a donné l’idée de cette tyrannie dans Hamlet, quand, avec une intention profonde que des critiques superficiels taxeraient peut-être de mauvais goût, il mêle aux cris les plus vrais, les plus naturellement déchirants de son Oreste du Nord, des souvenirs mythologiques et pédantesques qui rappellent l’Université de Wittemberg, où le prince danois a été élevé. […] Nous y avons vainement cherché une vue, une opinion, une perspective, en dehors de la donnée correcte et maintenant acceptée de cet esprit, monté en bronze de sa propre main. […] Tout en aimant d’un goût involontaire le plaisir intellectuel qu’il nous donne, nous n’en avons pas été abruti au point de ne pas voir tous les défauts et toutes les misères d’un écrivain qui en eut, pour sa part, autant que personne, si ce n’est peut-être davantage. […] Elle lui a donné des manières, des affectations, des grimaces d’originalité désagréables aux âmes qui ont la chasteté du Vrai… Sans doute, il est fort difficile de bien déterminer ce que c’est que le naturel dans l’originalité. […] Lorsque Stendhal mourut, il allait peut-être nous donner quelque grand roman sur l’Italie du xvie  siècle dont il s’était violemment épris.

2543. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Stendhal » pp. 43-59

La tyrannie des habitudes de l’esprit crée une sincérité de seconde main pour remplacer la sincérité vierge qu’elle tue… Shakespeare, qui a pensé à tout, nous a donné l’idée de cette tyrannie dans Hamlet, quand, avec une intention profonde, que des critiques superficiels taxeraient peut-être de mauvais goût, il mêle aux cris les plus vrais, les plus naturellement déchirants de son Oreste du Nord, des souvenirs mythologiques et pédantesques qui rappellent l’université de Wittemberg, où le prince danois a été élevé. […] Nous y avons vainement cherché une vue, une opinion, une perspective, en dehors de la donnée correcte, et maintenant acceptée, de cet esprit, moulé en bronze de sa propre main. […] Tout en aimant d’un goût involontaire le plaisir intellectuel qu’il nous donne, nous n’en avons pas été abruti au point de ne pas voir tous les défauts et toutes les misères d’un écrivain qui en eut, pour sa part, autant que personne, si ce n’est peut-être davantage. […] Elle lui a donné des manières, des affectations, des grimaces d’originalité, désagréables aux âmes qui ont la chasteté du Vrai… Sans doute, il est fort difficile de bien déterminer ce que c’est que le naturel dans l’originalité. […] Lorsque Stendhal mourut, il allait peut-être nous donner quelque grand roman sur l’Italie du xvie  siècle, dont il s’était violemment épris.

2544. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre III. La critique et l’histoire. Macaulay. »

Et si l’avis d’Addison était mauvais, s’ensuit-il nécessairement qu’il ait été donné avec de mauvaises intentions ? […] Il sait que pour donner à des hommes une idée nette et vive, il faut les reporter à leur expérience personnelle. […] La Liberté qui est donnée à la conscience est donnée de la façon la plus capricieuse. […] Croyez-vous que si vous couriez quelque danger, je n’aurais pas donné un avis à votre frère Sandy et à sa femme ? […] Ces détails précis, ces conversations de soldats, cette peinture des soirées passées au coin du foyer, donnent à l’histoire le mouvement et la vie du roman.

2545. (1902) L’observation médicale chez les écrivains naturalistes « Conclusions »

Cette expertise, tentée par nous sur l’école naturaliste, a donné les résultats suivants : I. […] 2° De tels éléments font, des observations naturalistes, de véritables documents cliniques, susceptibles d’être réduits en observations médicales et de donner matière à une discussion diagnostique.

/ 4293