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551. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Le prince de Ligne. — I. » pp. 234-253

Le temps ne peut qu’ajouter au prix de certains détails qui tiennent aux mœurs d’une société évanouie : Je n’écrirais pas tout cela si l’on devait me lire à présent, dit le prince de Ligne à la fin d’un de ses récits ; mais, cent ans après, ces petites choses, qui ont l’air d’être des riens, font plaisir. […] Ce moqueur, qui nous fait ainsi les honneurs de son père, a dit d’ailleurs, en rendant plus de justice à ses hautes qualités : « Il avait une grande élévation, et était aussi fier en dedans qu’en dehors. » La dernière fois qu’il le vit, après quelques détails d’affaires dont son père, déjà malade, le chargea, en ajoutant : « Au reste, cela vous regarde plus que moi, puisque… » ; ce puisque, confesse-t-il, qui exprimait la certitude d’une fin prochaine, le fit fondre en larmes. […] Ceux qui ont ce trait, ce neuf, ce piquant, peuvent encore ne pas être parfaitement aimables ; mais, si l’on unit à cela de l’imagination, de jolis détails, peut-être même des disparates heureux, des choses imprévues qui partent comme un éclair, de la finesse, de l’élégance, de la justesse, un joli genre d’instruction, de la raison qui ne soit pas fatigante, jamais rien de vulgaire, un maintien simple ou distingué, un choix heureux d’expressions, de la gaieté, de l’à-propos, de la grâce, de la négligence, une manière à soi en écrivant ou en parlant, dites alors qu’on a réellement, décidément de l’esprit, et que l’on est aimable.

552. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. de Stendhal. Ses Œuvres complètes. — II. (Fin.) » pp. 322-341

Les souvenirs de 1815 et du retour de l’île d’Elbe y sont racontés avec détail et avec le feu d’un contemporain et presque d’un témoin : le passé chevaleresque y est senti avec noblesse. […] Beyle, qui vivait dans des salons charmants, littéraires et autres78, a donc parlé de ceux du faubourg Saint-Germain comme on parle d’un pays inconnu où l’on se figure des monstres ; les personnes particulières qu’il a eues en vue (dans le portrait de Mme de Bonnivet, par exemple) ne sont nullement ressemblantes ; et ce roman, énigmatique par le fond et sans vérité dans le détail, n’annonçait nulle invention et nul génie. […] La part de vérité de détail, qui peut y être mêlée, ne me fera jamais prendre ce monde-là pour autre chose que pour un monde de fantaisie, fabriqué tout autant qu’observé par un homme de beaucoup d’esprit qui fait, à sa manière, du marivaudage italien.

553. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) «  Œuvres de Chapelle et de Bachaumont  » pp. 36-55

. ; en un mot, il y combat au long et avec détail l’épicuréisme, auquel il sait bien que Chapelle incline et est d’humeur, soit en théorie, soit en pratique, à s’abandonner : Je me promets, lui dit-il, que vous donnerez bien ceci à ma prière, qui est de repasser un moment sur ces pensées si ingénieuses et si agréablement tournées qu’on a su tirer de vos mémoires (apparemment quelques écrits et cahiers de philosophie et de littérature de Chapelle), sur tant d’autres fragments de même force que je sais qui y ont resté, et généralement sur tous ces enthousiasmes et emportements poétiques de votre Homère, Virgile et Horace, qui semblent tenir quelque chose de divin. […] Voltaire, adressant à sa nièce Mme Denis une lettre en vers et en prose qu’on intitule son Voyage à Berlin, disait : « N’allez pas vous imaginer que je veuille égaler Chapelle, qui s’est fait, je ne sais comment, tant de réputation pour avoir été de Paris à Montpellier et en terre papale, et en avoir rendu compte à un gourmand. » Le cadre n’y fait trop rien, et c’est par d’heureux détails que le joli Voyage réussit. […] Toutefois, il n’a pas complètement accepté non plus le soin de peindre la réalité avec détail et dans la vérité la plus rigoureuse : je n’en veux pour preuve qu’une tempête qu’il a pu déplacer dans les éditions successives de ses lettres, et qui figure tantôt avant l’entrée à Rio de Janeirod, tantôt après la sortie. 

554. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « [Chapitre 5] — I » pp. 93-111

Nous fûmes, sa cousine et moi, dans la confidence de tout, et pendant un an on ne nous retrancha pas le moindre détail. — Ensuite nous fûmes en partie carrée. […] un morceau précieux de d’Argenson qui entre dans le plus grand détail sur ce qu’il appelle « cette aimable société ». […] Il va sans doute un peu loin lorsqu’il dit : « De tout ce qui a été en place de nos jours, je puis dire que personne n’a plus ressemblé par le grand au cardinal de Richelieu que feu mon père. » La première condition, en effet, pour être un Richelieu, c’est de sentir qu’on l’est, et de ne pas se confiner au détail comme le fit l’ancien lieutenant de police d’Argenson.

555. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Théophile Gautier (Suite et fin.) »

Il ne s’agit pas, pour le véritable artiste, de tout copier, de tout reproduire et de se livrer en peignant à cet infini de détails qui est le triomphe du daguerréotype. […] Ce sont les détails de toutes ces journées de marche qu’il faut lire : la première station à l’auberge très-suspecte du Soleil bleu, le guet-apens du brigand Agostin et cette attaque à main armée qui tourne en bonne humeur ; la rencontre du marquis de Bruyères, jeune gentilhomme aussi bien en point et aussi florissant que Sigognac est pauvre ; l’invitation et la réception des comédiens à ce brillant et confortable château de Bruyères, où ils donnent une représentation applaudie ; le congé et le départ bien rémunérés ; l’enlèvement volontaire de la soubrette à l’une des pattes d’oie du chemin ; puis la disette qui revient, la route qui s’allonge, la neige qui tombe, les rafales qui forcent le chariot de s’arrêter ; le pauvre Matamore, le plus maigre de la troupe, qui n’y peut tenir et qui succombe d’inanition et de froid ; la recherche qu’on fait de lui par ces steppes de neige, quand on s’est aperçu de sa disparition, son enterrement lugubre : — et cela s’appelle Effet de neige. […] Encore une fois, l’action n’est que secondaire ; c’est le détail tout spirituel et pittoresque qui est tout.

556. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Histoire de la Grèce, par M. Grote »

Grote a pris résolument son parti : à ses yeux, il n’y avait rien à faire pour l’histoire dans de telles époques et dans les fictions de tout genre qui les remplissent ; il s’est contenté de les exposer en détail comme se les figuraient les Grecs et comme les premiers auteurs les ont transmises. […] Bref, et sans prolonger un détail de discussion dont la place n’est point ici, il semble à M.  […] Le génie d’Homère n’est donc pas si morcelé et si épars qu’on l’a dit : c’est un esprit poétique, vaste et exubérant sans doute, mais propre aussi à organiser, et conservant encore, à ce second moment, cette fraîcheur d’observation et cette vivacité de détail qui constitue le charme de la ballade, de la saga, de l’épos primitif.

557. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Correspondance de Louis XV et du maréchal de Noailles, publiée par M. Camille Rousset, historiographe du ministère de la guerre »

Non, j’ose le dire, quoique incompétent dans le détail à coup sûr, mais après avoir entendu bien des déposants et par une sorte de verdict de sens commun, par une impression d’ensemble et comme une conviction naturelle, — non, il y avait de l’appareil plus que du fonds dans tout le maréchal de Noailles. […] Amelot, et gouverna en grand et en détail le militaire et la politique. […] Anne-Paule-Dominique de Noailles, marquise de Montagu ; seconde édition ; 1 vol. in-18 (Dentu, Palais-Royal, et Douniol, rue de Tournon, 29). — Un fâcheux procès pourtant, qui a tout à coup initié le public à la composition de cette biographie, est venu non pas porter atteinte à l’authenticité de l’ensemble, mais faire suspecter la sincérité de quelques détails.

558. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Idées et sensations : par MM. Edmond et Jules de Goncourt. »

Ils ont commencé par l’excès, par l’abus ; ils ont abondé dans leur sens, ils ont beaucoup hasardé : mais bientôt ils ont tant vu et compulsé de pièces de ce xviiie  siècle qu’ils chérissent et où ils ont placé leurs origines, ils ont tant recherché et comparé de tableaux, d’estampes et d’images, tant recueilli de détails, tant colligé d’anecdotes, tant dépouillé de journaux, de correspondances, en finissant par les gros livres et par les ouvrages de poids, qu’ils sont devenus à leur tour des habiles, des peintres et témoins fidèles, des experts de première qualité dans la connaissance de cet âge si voisin de nous et si compliqué, si raffiné. […] Elle ne s’adresse, dans sa perfection de détails, qu’aux gens du métier. […] Et, par exemple, pour ne pas sortir du détail du style, MM. de Goncourt ont dit : « L’épithète rare, voilà la marque de l’écrivain. » Ils ont raison, à la condition que l’épithète rare ne soit pas toujours le ton pris sur la palette.

559. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « La comédie de J. de La Bruyère : par M. Édouard Fournier. »

Fournier, qui lui-même tâche beaucoup et renchérit sur chaque détail, et qui ne laisse rien passer sans en exprimer avec effort un sens caché, je faisais cette réflexion : Des esprits élégants, sans beaucoup de précision, régnaient autrefois dans la littérature ; d’autres leur ont succédé, qui ont essayé d’atteindre à l’exactitude et à la précision, même au prix de quelque élégance ; mais les derniers venus portent ce zèle, cette démangeaison continuelle de la précision ou de ce qu’ils considèrent comme tel à un point de subtilité et de minutie qui, s’il était poussé à un degré de plus, irait jusqu’à déformer les plus beaux sujets littéraires et à n’y rien laisser subsister de naturel. […] J’aurais désiré notamment vous voir vous prendre à l’épisode d’Arténice dont j’ai cru que la révélation était une de mes trouvailles, lorsque votre article m’est venu prouver qu’en fait de trouvailles je n’en ai fait qu’une : la lettre de Valincour… Si je regrette que vos critiques ne se soient pas plus affirmées et ne m’aient pas confondu, accablé en détail, je regrette encore plus, vous le comprendrez, que vos éloges aient procédé de même. […] « A quoi sort, en définitive, tout le détail biographique ?

560. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Le comte de Clermont et sa cour, par M. Jules Cousin. »

Au retour de ces détachements, le prince me faisait rendre compte des détails et de la nature du pays que nous avions parcouru ; il commença à me marquer de la confiance et beaucoup de satisfaction de mon zèle et de mon activité. » C’est à ce moment que le comte de Clermont fut pris d’une maladie qu’on ne désigne pas, mais si violente qu’au départ du camp de Walheim il fut impossible de le transporter. […] Le même Rochambeau nous donne un détail que Valfons, tout occupé de ses affaires personnelles et de ses griefs, a négligé : « M. le comte de Clermont étant entré dans la ville et logé à l’évêché, l’évêque vint lui donner une alarme qui était très bien fondée. […] Le ministre de la guerre d’Argenson, dans une lettre au maréchal de Saxe, du 9 septembre 1746, approuvait ce choix de Lœwendal en des termes faits pour ménager l’amour-propre du comte de Clermont : « Sa Majesté a aussi approuvé le choix que vous avez fait de M. le comte de Lœwendal, pour faire sous ce Prince le détail du siège, et pour le soulager, autant qu’il sera possible, dans les soins pénibles auxquels sa volonté le porterait à se livrer tout entier, mais que son état de convalescence ne peut ni ne doit lui permettre. » 35.

561. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « JASMIN. » pp. 64-86

Mais le diable, le lorgnant du coin de l’œil, dit : « Tu ne la porteras pas. » Ici je saute lestement la scabreuse aventure d’une échelle où est montée certaine Jeanneton, le détail d’une jambe très-peu fine et très-peu blanche et de trop près entrevue, et d’une prison au pain sec, un jour de mardi gras. […] Tout ce détail, que j’omets, est plein de légèreté et d’agrément. […] Mais continuons, en supprimant à regret bien des détails dont aucun n’est superflu : « Quand on voit blanchir les haies que l’hiver avait noircies, une noce du peuple, ah !

562. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « DISCOURS DE RÉCEPTION A L’ACADÉMIE FRANÇAISE, Prononcé le 27 février 1845, en venant prendre séance à la place de M. Casimir Delavigne. » pp. 169-192

S’il céda quelquefois sur des points de détail, quand il le crut nécessaire et raisonnable, il ne se laissa jamais tenter ni entraîner aux séductions croissantes, ni aux souffles impétueux. […] On me pardonnera un détail de statistique, la statistique ici est parlante : les soixante-six premières représentations de l’Ecole des vieillards égalèrent ou surpassèrent même de quelque chose en recette les soixante-six premières du Mariage de Figaro. […] D’excellents amis, juges avisés, suivaient en détail, assistaient de leurs conseils les œuvres naissantes qui faisaient leur orgueil.

563. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — Chapitre V »

Vernouilhet trône à la table de rédaction comme à un comptoir, vendant des questions, en gros et en détail, lâchant sur la Bourse des canards qui font la hausse ou la baisse, traitant de Turc à More avec les ministres qui lui envoient des invitations et des subventions sur des plats d’argent. […] C’est toujours le bohème sceptique et cynique vendant sa conscience en gros et ses opinions en détail. […] L’observation, absente de l’ensemble, se disperse dans l’étincellement des détails.

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