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1194. (1920) Essais de psychologie contemporaine. Tome II

Il ne peut arguer, comme d’autres, qu’il a écrit pour lui seul ou pour les initiés, délicate élite. […] Il y a des passages subits et des volte-face sans fin dans ce système nerveux toujours à la veille d’être faussé, comme les touches d’un instrument trop délicat. […] Une série d’associations d’idées, pénibles ou délicieuses, délicates ou violentes, est éveillée par la couleur. […] Ces deux jeunes filles apparaissent comme le symbole adorable de tout ce qui peut tenir de sincérité dans un cœur délicat et fragile. […] Pour m’éprouver, je me touchai avec ingéniosité de mille traits aigus d’analyse, jusque dans les fibres les plus délicates de ma pensée.

1195. (1880) Une maladie morale : le mal du siècle pp. 7-419

Volontaire ou non, sa fin fut prématurée ; à défaut de sa main, le chagrin qui le minait avait assez de puissance pour briser l’organisation délicate qu’il avait rapidement usée. […] Mais ce projet auquel, sans l’encourager ouvertement, Chateaubriand n’était pas défavorable, ayant échoué par suite d’hésitations délicates et d’un scrupule invincible de Mme de Caud, le poète retombe dans les cruelles agitations de son âme isolée. […] Lui, dont les œuvres n’avaient occupé jusque-là que quelques hommes de loisir et d’esprit délicat, a été, enfin, présenté au vrai public. […] Il en aurait pu dire autant d’Ourika qui, de même qu’Édouard, repose sur une idée délicate, et se recommande moins par l’action que par la finesse des sentiments. […] On eût dit qu’en eux avait été brisé de bonne heure le ressort qui met en mouvement toutes les forces de l’âme, et que ces organisations délicates manquaient du principe même de la vie.

1196. (1923) Les dates et les œuvres. Symbolisme et poésie scientifique

Ils venaient de la Rive Gauche, connaissaient l’impassible Leconte de Lisle et avaient écouté au Quartier les discours avisés, délicats, grandiloquents et argotiques de Verlaine, et ils cherchaient selon quel mode extérioriser les puissances latentes en eux. […] répondit Mallarmé, amusé, avec son délicat sourire des paupières. […] Alors, m’honorant d’une attention particulièrement délicate, le Maître Stéphane Mallarmé me demanda s’il me plairait qu’il « épinglât à ces pages qu’il aimait quelques mots d’Avant-dire ». […] Je lui avais écrit mon plaisir de la lecture de son délicat, naturiste et musical volume Les Cornes du faune qu’il m’avait adressé, et il prenait prétexte pour une lettre vraiment adorable. « Je vous soupçonnais (pourquoi ? […] René Ghil, d’où découle le principe de philosophie qui soutient de sa charpente toute l’Œuvre, s’échafaude avec la splendeur et le charme délicat d’une théogonie Indoue.

1197. (1911) L’attitude du lyrisme contemporain pp. 5-466

Griffin a fait preuve d’un noble courage en prouvant par l’exemple, quoique au détriment de récompenses académiques, la beauté d’une forme d’un maniement fort délicat. […] Et plus indispensable que le reste, plus nécessaire que jamais dans le maniement délicat des modulations et des tonalités le goût, seul vrai juge. […] Le printemps prit tout de suite la place de l’hiver ; l’été se réveillait un mois plus tôt et prolongeait sa veillée à travers un délicat d’automne. […] La Phonétique expérimentale peut seule nous guider dans cette délicate détermination de la valeur de l’e muet. […] Ils ont puisé dans le moyen âge « énorme et délicat ».

1198. (1858) Cours familier de littérature. V « XXVIe entretien. Épopée. Homère. — L’Iliade » pp. 65-160

XIII Ces scènes, les unes publiques, les autres domestiques, de ce sixième chant ; ces amours voluptueuses dans la chambre d’Hélène ; ces amours chastes dans le palais d’Andromaque ; ces adieux sur la tour de la porte Scées ; ce cœur d’épouse qui fléchit sous ses alarmes ; ce cœur d’époux qui s’affermit tout en s’attendrissant sous le sentiment de son devoir ; cette habileté instinctive de la mère, qui se fait suivre par la nourrice et par l’enfant pour doubler sa puissance d’amante par le prestige de sa maternité ; ce dialogue, dont chaque mot est pris dans les instincts les plus vrais, les plus délicats et les plus saints de la nature ; cette passion légitimée par la chaste union des deux époux ; cette éloquence qui coule sans vaines figures et sans fausse déclamation des deux cœurs ; cet épisode puéril et attendrissant à la fois de l’enfant effrayé du panache et se replongeant dans le sein de la nourrice en se détournant des bras de son père ; ce père qui berce l’enfant de ces mêmes bras forts qui vont tout à l’heure lancer le javelot d’airain contre Achille ; le pressentiment sinistre de cette épouse, qui se rappelle tout à coup et comme involontairement que c’est ce même Achille qui a tué jadis son père et ses sept frères ; enfin jusqu’à ces ormeaux plantés autour de la tombe de ce père d’Andromaque qui s’élancent tout à coup de son souvenir comme des flèches de cyprès dans un ciel serein ; puis les larmes mal contenues qui voilent les yeux ; puis le départ en sanglotant, et ce visage qui se retourne tout en pleurs pour apercevoir une dernière fois celui qui emporte son âme ; puis ce retour dans sa maison vide de son mari, mais pleine de femmes indifférentes, et cette présence d’Andromaque, seule avec l’enfant et la nourrice, excitant, par la compassion qu’elle inspire, sans parler, plus de sanglots que la chute et l’incendie d’Ilion n’en feront bientôt éclater sur la colline des Figuiers, ce sont là autant de coups de pinceau qui égalent le peintre à la nature et qui font du poète plus qu’un homme, un interprète véritablement divin entre la nature humaine et le cœur humain ! […] Combien de fois, couché sur mon sein, n’as-tu pas taché ma tunique en rejetant le vin de ta bouche dans ces jours de ta délicate enfance ! […] « La belle Briséis, semblable à la belle Vénus, aperçoit, en sortant de la tente d’Agamemnon, le corps du bon Patrocle, son protecteur dans le temps qu’elle appartenait à Achille ; elle meurtrit son sein, elle ensanglante son cou délicat, son doux visage ; elle s’écrie en pleurant : Ô Patrocle !

1199. (1887) Journal des Goncourt. Tome II (1862-1865) « Année 1862 » pp. 3-73

Cette espèce de travail incessant, qu’on fait sur soi, sur ses sensations, sur les mouvements de son cœur, cette autopsie perpétuelle et journalière de son être, arrive à découvrir les fibres les plus délicates, à les faire jouer de la façon la plus tressaillante. […] » Cette révolte contre la matérialité de notre être, et l’aspiration à la composition d’un végétal ou d’un minéral, ne prouvent-elles pas une délicate spiritualité féminine ? La même vieille demoiselle nous racontait qu’une des distractions des religieuses du couvent, où elle se trouvait, — la chose est délicate, et aurait besoin pour être contée de la plume de Béroalde de Verville, mais ma foi tant pis, — elle nous racontait donc que cette distraction était de p…. dans des carafes, oui, de mettre du vent en bouteille, pour se régaler la vue des irisations du gaz captif.

1200. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre cinquième. Le réalisme. — Le trivialisme et les moyens d’y échapper. »

La part du matériel et du physique, dans l’œuvre d’art, est une question délicate et difficile. […] Prêter la vie consciente et une volonté aux choses est toujours délicat, prolonger cette conception devient périlleux ; le sublime est le but visé, mais le mauvais goût, l’absurde même risquent d’être le but atteint ; et cela pour bien des raisons. […] Le matérialisme de l’expression n’est pas toujours incompatible avec une certaine mysticité du sentiment ; c’est le désir de l’idéal, l’attente de Dieu qui est exprimée dans le livre de Job par cette image violente : « Oui, je le sais, il apparaîtra sur la terre… Mes reins se consument d’attente au-dedans de moi. » Ce qui dans le style est matériel et violent pour l’un ne l’est pas pour l’autre, car chaque sensibilité est la mesure de ses propres sensations ; ce qui est pénible pour un homme à sensibilité délicate est précisément ce qui commencera chez un autre à éveiller l’intérêt.

1201. (1902) Les poètes et leur poète. L’Ermitage pp. 81-146

— l’artiste le plus délicat. […] Si dans le grand banquet du Parnasse le « plat de résistance » (passez-moi le mot vulgaire) est vraiment Victor Hugo, nous n’avons pas le droit de négliger certaines douceurs savoureuses, certains desserts de goût délicat qui complètent le bonheur des convives. […] Hugo serait en tout cas le dernier que je pourrais nommer ; comme poète, et c’est encore là qu’il fut le meilleur, il a rompu le vers sous prétexte de l’émanciper, il a brisé la sensibilité française, délicate et logique, pour le remplacer par un amas confus de déclamations outrées.

1202. (1904) Essai sur le symbolisme pp. -

Au fait, bien que tout problème littéraire dont on se donne la peine d’analyser la prime donnée, requière implicitement une solution transcendante, il est inutile de soulever les voiles qui cachent à nos yeux de myopes le très délicat mécanisme de la connaissance. […] « Bref, le mot aux contours bien arrêtés, le mot brutal, qui emmagasine ce qu’il y a de stable, de commun et par conséquent d’impersonnel dans les impressions de l’humanité, écrase ou tout au moins recouvre les impressions délicates et fugitives de notre conscience individuelle35. » Sitôt qu’on pénètre à l’intérieur de la réalité vivante, l’expression, quelque creusée qu’elle soit, se brise sous la poussée de l’idée, et sa plus intime finesse se change en marbre qui s’effrite. […] De là encore, le recours fatal à l’expression symbolique, la seule capable de ne pas troubler la délicate polyphonie d’un état d’âme.

1203. (1855) Louis David, son école et son temps. Souvenirs pp. -447

Dans l’intervalle de temps qu’il consacra à ces travaux, il fit aussi un portrait de Mlle Guimard, dont la générosité envers le jeune artiste fut aussi noble que délicate, procédé pour lequel David est toujours resté reconnaissant. […] En somme, Raphaël était une nourriture beaucoup trop délicate pour mon esprit grossier ; il fallait y arriver par un régime gradué, et la première ration que je me donnai fut de copier la Cène de Valentin. […] Cet ouvrage, que le peintre n’a jamais achevé, est, sans contredit, un des plus délicats qu’il ait faits, et le plus gracieux. […] Jusque-là, les études ne furent interrompues que par les repos du modèle, par un déjeuner délicat que l’on apportait vers onze heures, et les conversations que provoquait Mme de Noailles sur le Théâtre-Français, sur les nouvelles tragédies que l’on attendait de N. […] Mais quant aux sentiments plus délicats qui nécessairement ont dû agiter le cœur d’un homme dont l’imagination était si inflammable, son historien se borne à dire

1204. (1915) Les idées et les hommes. Deuxième série pp. -341

Une énorme vitalité, délivrée de ses contraintes, débridée, se rue à ses désirs, lesquels ne sont point délicats. […] Ainsi, la pudeur serait une spontanéité absolue, un instinct délicat. […] Elle tempère de ses nuances délicates les couleurs crues d’un vilain paysage. […] Au moment d’écrire, ils interrogent leur plaisir ou leur mélancolie, qui est encore un plaisir, et le plus délicat. […] Mais, avant que ne s’écroule une délicate architecture, l’observateur attentif aperçoit les signes de la ruine prochaine.

1205. (1848) Études sur la littérature française au XIXe siècle. Tome III. Sainte-Beuve, Edgar Quinet, Michelet, etc.

Mais laissez-moi vous remercier de votre attention si délicate, si affectueuse. […] Elles se prennent à poignée dans ces deux volumes tout pleins des observations les plus vraies et les plus délicates sur la nature humaine et sur la morale religieuse. […] La substance de l’âme, en ce cas, ressemble à une chair trop palpitante et délicate qui se gonfle et rougit sous la piqûre, sitôt que l’ortie l’a touchée. […] Une âme douloureuse se resserre en elle-même ; la pensée intime se met à l’ombre dans des expressions délicates comme elle, recueillies comme elle, et ne fait volontiers image ni bruit. […] Sainte-Beuve est peintre plus délicat qu’il n’est exact écrivain.

1206. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre premier »

Presque plus heureux que les grands poètes du dix-septième siècle, à qui certains délicats ne permettent pas d’être de grands prosateurs, les vers de Lamotte n’ont pas nui à sa prose. […] L’examen de toutes ces croyances exclusives, qui ne se ressemblent que par l’oppression commune de leurs contradicteurs, est pour lui comme un festin délicat auquel il convie les gens d’esprit, attirés tout à la fois par la variété des mets et la tempérance de leur hôte.

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