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352. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Le maréchal de Villars — I » pp. 39-56

Villars, qui avait la charge de cornette des chevau-légers de Bourgogne, et qui n’avait rien à faire là comme cavalier, se jeta dans la tranchée sans en rien dire, une nuit où il prévoyait qu’il y ferait chaud ; avec quelques gendarmes de son corps mêlés aux grenadiers, il marcha des premiers à l’attaque d’une demi-lune, s’y logea, et y tint aussi longtemps qu’il put jusqu’au jour. […] à plus forte raison à des officiers, qui ne doivent pas quitter leurs troupes, et moins encore des troupes de cavalerie. » — « J’ai cru, lui répondit Villars, que Votre Majesté me pardonnerait de vouloir apprendre le métier, de l’infanterie, surtout quand la cavalerie n’a rien à faire. » C’est encore à ce siège, et pour une autre action de Villars, que le roi dit de lui : « Il semble, dès que l’on tire en quelque endroit, que ce petit garçon sorte de terre pour s’y trouver. » Le maréchal de Bellefonds, ne pouvant aider son jeune parent que de ses conseils, lui donna du moins celui-ci, dont Villars profita : c’était d’apprendre le métier de partisan, et d’aller souvent faire des partis avec ceux qui passaient pour entendre le mieux ce genre d’entreprise ; car, faute d’avoir ainsi pratiqué le détail de la guerre, et de cette guerre légère de harcèlement et d’escarmouches, bien des officiers généraux, quoique braves, se trouvent ensuite fort embarrassés quand ils commandent des corps détachés dans le voisinage d’une armée ennemie. […] Le maréchal, bien qu’il eût de l’amitié pour Villars et qu’un jour, qu’il le voyait en habit brodé d’or s’exposant sur une brèche, il s’échappa jusqu’à lui dire : « Jeune homme, si Dieu te laisse vivre, tu auras ma place plutôt que personne », ne fit point dans le cas présent ce qu’il désirait : « Et cela fut heureux pour le marquis de Villars, ajoutent les Mémoires ; car d’être demeuré dans cette brigade lui valut d’avoir la meilleure part à quatre actions considérables qui se passèrent dans le reste de cette campagne. » Ce petit désagrément, qui tourna si bien, servit dans la suite à le persuader tout à fait de sa bonne chance et le guérit pour toujours de demander ni même, à ce qu’il assure, de désirer d’être plutôt dans un corps que dans un autre. […] En lisant cette partie de ses Mémoires, telle qu’il paraît l’avoir rédigée ou dictée lui-même, on est très sensible à ce ralentissement d’ardeur et de mouvements, qui trahit dans le corps des armées une lassitude générale et une diminution dans les talents militaires de ceux qui commandaient en chef.

353. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Charles-Victor de Bonstetten. Étude biographique et littéraire, par M. Aimé Steinlen. — I » pp. 417-434

Flourens, Sénèque s’y est surpassé : « Je suis vieux, écrivait-il à son jeune ami Lucilius, je suis plus que vieux, ce mot de vieillesse est lui-même trop jeune pour moi, pour ce que je suis avec cette machine usée et délabrée ; mais l’injure de l’âge que je sens dans le corps, je ne la ressens point dans l’esprit. Il n’y a de vieilli en moi que les vices et les passions, et leurs organes : mon âme est dans sa vigueur et se réjouit de ce qu’elle a peu à faire avec le corps ; elle a déposé une grande partie de son fardeau ; elle se sent légère, et me fait mainte chicane sur la vieillesse ; à l’en croire, c’est sa belle saison à elle, c’est sa fleur… » Telles sont les spirituelles consolations d’un stoïcien qui essaye de se donner le change ; mais encore une fois, ce n’est point le cas de Bonstetten ; car il était alerte et dispos de corps comme d’esprit. […] Il est optimiste, sans doute, en parlant ainsi ; il juge des autres d’après lui-même ; mais cela reste vrai des belles âmes, des belles natures morales comme des beaux corps, et le divin aveugle l’a dit : Qu’aimable est la vertu que la grâce environne !

354. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Louis XIV et le duc de Bourgogne, par M. Michelet »

D’ailleurs un goût ardent le portait à tout ce qui est défendu au corps et à l’esprit. […] Tout cela était aiguisé par une vivacité de corps et d’esprit qui allait à l’impétuosité, et qui ne lui permit jamais dans ces premiers temps d’apprendre rien qu’en faisant deux choses à la fois. […] Il y a une troupe de Satyres impudents et moqueurs, qui font les postures les plus bizarres, qui rient, et qui montrent du doigt la queue d’un poisson monstrueux, par où finit le corps de ce bel enfant. […] Pourvu qu’il dorme, qu’il rie, qu’il adoucisse son tempérament, qu’il aime les jeux de la société, qu’il prenne plaisir à aimer les hommes et à se faire aimer d’eux, toutes les grâces de l’esprit et du corps viendront en foule pour l’orner. » Mais après les avertissements et les réprimandes, voici les satisfecit aussi bien imaginés, aussi bien tournés dans leur genre, et de la plus fine louange.

355. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Salammbô par M. Gustave Flaubert. (Suite.) » pp. 52-72

Mâtho se sent dévoré d’un mal secret : ce grand corps de géant est abattu et comme anéanti. […] Cet Hannon est hideux à voir et grotesque ; il est couvert par tout le corps d’une lèpre pâle, d’une sorte d’éléphantiasis ; lui, son appareil et son cortège, sont décrits de point en point : sa maladie surtout tient une grande place. […] Autharite, avec un corps d’armée, reste devant Tunis. […] Mais les Latins se désolaient de ne pas recueillir leurs cendres dans des urnes ; les Nomades regrettaient la chaleur des sables où les corps se momifient, et les Celtes, trois pierres brutes, sous un ciel pluvieux, au fond d’un golfe plein d’îlots… » C’est une scène de funérailles très-bien étudiée, scrupuleusement rendue : l’auteur a ainsi voulu qu’il y eût dans son livre un tableau de toutes les scènes que l’archéologie peut fournir.

356. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre quatrième. Les conditions physiques des événements moraux — Chapitre III. La personne humaine et l’individu physiologique » pp. 337-356

À ce titre, le moi est un être aussi bien que tel corps chimique, ou tel atome matériel ; seulement c’est un être plus composé, partant soumis à des conditions de naissance et de conservation plus nombreuses. Corps chimique, atome matériel, moi, ce qu’on appelle un ; être, c’est toujours une série distincte d’événements ; ce qui constitue les forces d’un être, c’est la propriété pour tel ou tel événement de sa série d’être suivi constamment par tel événement de sa série ou d’une autre série ; ce qui constitue la substance d’un être, c’est la permanence de cette propriété et des autres analogues. […] Car il ne s’agit plus de savoir comment une substance inétendue, appelée âme, peut résider dans une substance étendue, appelée corps, ni comment deux êtres de nature aussi différente peuvent avoir commerce entre eux ; ces questions scolastiques tombent avec les entités scolastiques qui les suggèrent. […] « Chez les annelés, chaque ganglion correspond à un segment du corps formé souvent de plusieurs anneaux, comme par exemple chez les sangsues, dont toutes les parties se répètent de cinq en cinq anneaux.

357. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre IX. Inquiets et mystiques » pp. 111-135

Lazare englobe sous le nom de néo-spiritualisme seraient : 1º des déplacements d’objets matériels sans cause discernable ; 2º la possibilité qu’un surcroît de poids s’ajoute à des corps solides, sans contact. Deux puissances opposent leur autorité à l’étude de ces phénomènes : 1º Les esprits théologiens nantis de théories séculaires d’explication, qui ne nient pas les faits dont s’occupent les spirites, croient au contraire aux fantômes, aux bruits imprévus, à la clairaudience, mais distribuent toutes ces manifestations en deux grandes catégories : celle des miracles et celle de la thaumaturgie diabolique, réductibles à une : la catégorie des mystères auxquels il est sacrilège de toucher ; 2º Les orthodoxes de la science, possesseurs titulaires et appointés d’un corps de dogmes scientifiques raisonnables, credo désormais fermé, canon à repousser toute nouveauté sans discussion, par simple négation des faits. […] Ces jeunes gens, une fois en possession d’un corps de doctrine présentable, avec la sérénité de mathématiciens, le mettent dûment en pratique. […] Ce n’est qu’une maladie chronique, inquiétante, non imminente, qui, petit à petit, contaminera le corps social.

358. (1860) Ceci n’est pas un livre « Une croisade universitaire » pp. 107-146

Lisez le livre de Vacquerie, Monsieur ; et, quand vous l’aurez bien lu et bien médité, — au lieu de retaper et de ravauder les ineptes balourdises et les redites vieillies dont on a voulu écraser le Romantisme, détachez soigneusement et textuellement les principes émis dans Profils et grimaces, reproduisez-les entre guillemets, rangez-les chacun dans un casier particulier ; puis vous les discuterez corps à corps, un à un ; ce sera plus neuf — et plus loyal. […]  — Tes amis commencent à remuer Quévilly, dans l’attente des nouvelles élections au Corps législatif. […] Madeleine, qui fait la couture comme un ange, est en train d’arranger l’habit brodé (que tu devais mettre comme secrétaire d’ambassade) à la mode du Corps législatif.

359. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre I. La préparations des chefs-d’œuvre — Chapitre IV. La langue française au xviie  »

La première séance fut celle du 13 mars 1634 : le Parlement, inquiet et jaloux de la constitution d’un nouveau corps, dont il ne concevait pas nettement les attributions, refusa pendant longtemps d’enregistrer les lettres patentes qui établissaient l’académie ; il ne céda qu’au bout de trois ans, le 10 juillet 1637. […] À peine constituée, la nouvelle société se demanda ce qu’elle allait faire dans ses séances hebdomadaires du lundi : ce n’était pas pour causer évidemment qu’un corps officiel pouvait se réunir. […] Et puis, il y a dans une langue, comme dans un corps vivant, un point de maturité où les formes générales, la structure intérieure s’arrêtent, où les organes sont complets en nombre et en développement, où, jusqu’à la dissolution finale, la somme des changements doit demeurer inférieure à la somme des éléments fixes : c’était ce point que la langue avait atteint au xviie  siècle, Vaugelas le comprenait : et de fait, pour la langue, Victor Hugo est moins loin de Malherbe que Ronsard de Villon.

360. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « M. Théodore de Banville »

Ce corps souple — ce trop de corps !  […] Mais toujours, comme nous le sommes, Soyons des faiseurs de corps morts : Crève, mais foule aux pieds des hommes ! 

361. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre V. La Renaissance chrétienne. » pp. 282-410

—  Les corps et les âmes chez Albert Dürer. —  Ses Martyres et ses Jugements derniers […] Demain soir, nous serons assis dans le ciel. » Sous de telles angoisses, le corps fléchit. […] En 1549, enfin, l’Angleterre reçoit son Prayer-Book349 des mains de Cranmer, Pierre Martyr, Bernard Ochin, Mélanchthon ; les principaux et les plus fervents des réformateurs de l’Europe ont été appelés pour « composer un corps de doctrines conformes à l’Écriture », et pour exprimer un corps de sentiments conformes à la véritable foi des chrétiens. […] Préserve mon corps, pardonne le péché de mon âme et sanctifie mon cœur. […] Ils s’accommodent dans tous leurs détails à tous les détails du précepte qu’ils représentent, comme un voile souple se modèle sur le corps qu’il revêt.

362. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre III. Des moyens de trouver la formule générale d’une époque » pp. 121-124

Suivante un mot connu40, quand on parle de « corps social », on ne fait pas une métaphore ; on exprime une vérité désormais acquise. Il existe entre les diverses branches d’une civilisation une dépendance mutuelle, analogue à celle qui relie les différents membres dont le corps d’un animal est composé.

363. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Introduction »

On connaît la belle allégorie de Schopenhauer : « Deux choses étaient devant moi, deux corps pesants, de formes régulières, beaux à voir. L’un était un vase de jaspe avec des anses d’or ; l’autre, un corps organisé, un homme.

364. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre troisième. Découverte du véritable Homère — Chapitre V. Observations philosophiques devant servir à la découverte du véritable Homère » pp. 268-273

Dans ce travail de l’esprit, les peuples, qui à cette époque étaient pour ainsi dire tout corps sans réflexion, furent tout sentiment pour sentir les particularités, toute imagination pour les saisir et les agrandir, toute invention pour les rapporter aux genres que l’imagination avait créés (generi fantastici), enfin toute mémoire pour les retenir. Ces facultés appartiennent sans doute à l’esprit, mais tirent du corps leur origine et leur vigueur.

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