Quand travaille l’intelligence, la sensibilité se repose, et l’esprit s’endort dès que le cœur s’éveille. […] Voilà ce qui fait le fond de nos conversations et de nos lettres, et nous prenons dès le collège l’habitude d’appliquer ainsi sur tous les sujets qu’on nous propose des pensées reçues, des phrases faites, où nous n’avons aucun intérêt de cœur ni d’esprit. […] Plus tard cette facilité s’accompagne volontiers du goût pour les puérilités et les niaiseries, et l’on remplit les pages qu’on envoie à ses amis de riens insipides, de menus faits et de plates réflexions où le cœur ni l’esprit n’ont aucune part.
Nous connaissons mieux encore, par ses lettres, le cœur inquiet et hospitalier de George, sa prodigieuse facilité à croire, quand elle aimait, qu’elle aimait uniquement avec son âme (et cela, au fort des démonstrations les plus concrètes) et à se figurer qu’elle souffrait le martyre quand elle n’aimait plus. […] Et enfin, parmi cette étrange puissance d’illusion, au travers des confusions qu’elle fait de ses sens avec son cœur, et sous les boursouflures de son inlassable lyrisme, nous avons la joie de retrouver quand même sa bonté et sa bonhomie profonde, et son invincible maternité. […] Je serai franc : j’aime de tout mon cœur les œuvres des écrivains illustres, mais je n’éprouve pas le besoin de respecter particulièrement leur personne.
Qu’a-t-il fait, cet apôtre de l’action, que ronger son cœur et écrire d’admirables vers ? […] On chercherait en vain un confident plus noble et plus doux des fautes du cœur et de l’esprit, un consolateur plus austère et plus tendre, un meilleur ami. […] Ferdinand Brunetière Sully Prudhomme a éclairé d’une lumière nouvelle, dont le charme est fait de ce qu’elle a d’incertain et de rapide, « notre cœur faible et sombre ».
Quand on veut faire joüer un rolle important à l’amour, il faut du moins qu’il soit né depuis un tems, qu’il ait eu le loisir de s’enraciner dans un coeur, et même qu’il ait eu de l’esperance. […] Ces peintures trouvent par tout des coeurs qui ressentent les mouvemens dont elles sont des imitations naïves. […] Les amoureux que les uns et les autres ont introduits dans leurs ouvrages ne sont pas de froids galands, mais des hommes livrez malgré eux à des transports qui les maîtrisent, et qui font souvent des efforts inutiles pour arracher de leur coeur des traits dont la morsure les desespere.
C’est une chose gaie, en effet, par elle-même, que cette donnée, hardie comme la gaîté, — de la gaîté qui va parfois jusqu’à l’audace, — d’un coquebin à trente-six carats, marié, dans la prime fleur de ses jeunes années, à la jeune fille la plus charmante, dont le cœur bat sous le buse de l’étiquette, qu’elle enverra très bien promener au fond de son alcôve quand il le faudra, et qui, devant ce buse et devant ce cœur, reste les bras croisés, froid comme un saint de pierre qui ne connut jamais la tentation. […] de cet inexplicable roi, qui n’était constipé que du cœur, et Baschet finit son livre, comme il l’a commencé, par une déclaration d’ignorance sur le compte de ce Louis XIII qui n’était pas véritablement digne de tant de recherche et d’anxiété !
Et le fabuleux Amour, fils aîné de Cypris, ne lance-t-il pas les flèches de son carquois dans le cœur de Gabrielle et de son amant, soumis au dieu des bosquets d’Idalie ? […] Tu peux, quand tu le veux, sanctifier l’homme, cet atome tiré de la poussière, et tu te fais un temple de son cœur. […] quels cœurs généreux, puisqu’ils récompensent par de telles faveurs celui dont les chants font leur gloire ! […] D’autres chants jettent la semence du dramatique intérêt qui va toucher les cœurs émus à l’aspect de l’innocence des deux premières créatures humaines. […] Il s’attendrit à ses adversités : son esprit paraît le confident du sien, son cœur, l’ami de son cœur ; il recueille jusqu’à ses fragments d’écrits, jusqu’à ses moindres lettres où Camoëns, malade dans un hôpital, exprime son étonnement que la nature fasse du lit d’un pauvre le théâtre de tant de divers supplices.
qui n’éprouve pas, en effet, qu’il vaut mieux descendre dans la tombe avec des affections qui font regretter la vie, que si l’isolement du cœur nous avait d’avance frappés de mort ? […] dans quel cœur resterait la trace de cet être passager qui implore la durée ? […] Racine lui-même fait à la rime, à l’hémistiche, au nombre des syllabes, des sacrifices de style ; et s’il est vrai que l’expression juste, celle qui rend jusqu’à la plus délicate nuance, jusqu’à la trace la plus fugitive de la liaison de nos idées ; s’il est vrai que cette expression soit unique dans la langue, qu’elle n’ait point d’équivalent, que jusqu’au choix des transitions grammaticales, des articles entre les mots, tout puisse servir à éclaircir une idée, à réveiller un souvenir, à écarter un rapprochement inutile, à transmettre un mouvement comme il est éprouvé, à perfectionner enfin ce talent sublime qui fait communiquer la vie avec la vie, et révèle à l’âme solitaire les secrets d’un autre cœur et les impressions intimes d’un autre être ; s’il est vrai qu’une grande délicatesse de style ne permettrait pas, dans les périodes éloquentes, le plus léger changement sans en être blessé, s’il n’est qu’une manière d’écrire le mieux possible, se peut-il qu’avec les règles des vers, cette manière unique puisse toujours se rencontrer ? […] » Arie dit à Petus en lui remettant le poignard : « Tiens, cela ne fait point de mal. » Bossuet, en faisant l’éloge de Charles Ier dans l’Oraison funèbre de sa femme, s’arrête, et dit en montrant son cercueil : « Ce cœur, qui n’a jamais vécu que pour lui, se réveille, tout poudre qu’il est, et devient sensible, même sous ce drap mortuaire, au nom d’un époux si cher. » Émile, prêt à se venger de sa maîtresse, s’écrie : « Malheureux !
à chaque page de ce livre où reparaissait cet amour de la philosophie et de la liberté, que n’ont encore étouffé dans mon cœur ni ses ennemis, ni ses amis, je redoutais sans cesse qu’une injuste et perfide interprétation ne me représentât comme indifférente aux crimes que je déteste, aux malheurs que j’ai secourus de toute la puissance que peut avoir encore l’esprit sans adresse, et l’âme sans déguisement. […] Néanmoins cette faiblesse de cœur ne doit altérer en rien le jugement que l’on porte sur les idées générales. […] La réflexion les domine ; mais je le crains bien, il n’est plus possible de conserver ce caractère jeune, ce cœur ouvert à l’amitié, cette âme, non encore blessée, qui colorait le style, quelque imparfait qu’il pût être, par des expressions sensibles et confiantes. […] Il faut néanmoins user la trame de cette vie telle qu’elle est formée, puisque l’imprudence de la jeunesse en a tissu les premiers fils, et chercher dans les liens chéris qui nous restent et dans les plaisirs de la pensée, quelques secours contre les blessures du cœur.
Mais un honnête homme, une honnête femme qui ont des échéances et qui souffrent cœur à cœur, cela existe aussi, et, dût le tirage être moins flatteur, cela mérite d’être étudié, ressenti, et exprimé par un artiste. […] Les coins des Sourires pincés, les papillotes de ses Coquecigrues, les éclairs de sa Lanterne sourde, autant de petites pages à relire jusqu’à la mémoire par cœur sans altération du plaisir, puisqu’il n’y a pas là rire émoussable ou surprise de suite éventée, puis aussi qu’il ne fatigue point par les bavardages et les délayages où s’embourbent les vieux comiques, sous prétexte de récit « bon enfant », puis enfin qu’il surveille son style jusqu’à une maîtrise spéciale, menue et propre, excellente à dire ce qu’il veut sans plus. Ainsi, notre précieux confrère, avec au fond une spirituelle connaissance du cœur humain, à la forme un souci récompensé du parfait, et les plus louables ruses, améliore grandement, par ses petites cultures intensives, le champ des lettres françaises.
C’est l’enthousiasme, le Dieu en nous, comme traduisait madame Staël ; c’est l’enthousiasme, cet élargisseur des poitrines et des cœurs, qui donne aux poètes cette longue haleine et cette force d’enlever leurs vers comme sur des ailes, en plein ciel, en plein air, en pleine étendue, et, quoiqu’il se perde ici dans la chimère, l’auteur du Poème humain en a le foyer. […] bien heureux d’avoir à son service la faculté de l’enthousiasme, cette expression du feu du cœur qui se tord autour de son idée, et qui en cache, au moins, dans sa flamme, l’absurdité ! […] fou enfin, si vous le voulez, mais poète, poète par l’enthousiasme, par la palpitation sacrée, par le battement d’un cœur qui ne battrait peut-être pas plus fort quand ce serait pour la vérité ! Il l’a dit lui-même, dans un vers splendide comme il en sait faire : Le battement du cœur frappe aux portes du ciel !
Rien de moins dans le cœur, rien de plus sur le corps ! […] Joséphin Soulary a peut-être l’esprit plus grand que ses Sonnets, et son humour, à ce bizarre, ce vin noir comme le sang d’un cœur triste, finira peut-être par devenir fougueuse à force d’être comprimée, et passera par-dessus le bord, rose et or, du verre de Bohême aux pans régulièrement taillés, dans lequel il la sert avarement aux lèvres qui l’aiment et qui en voudraient beaucoup plus ! […] La reine avait grand cœur, sa cour avait grand faim. […] — une flamme humaine trop tôt éteinte, un cri du cœur trop tôt interrompu et qu’on n’est guère accoutumé de voir ni d’entendre parmi les poètes de la niellure et des intailles sur onyx, en ces Sonnets qui sont maintenant les pierres gravées de la littérature.
Les Méditations de Lamartine avaient mis leurs mains chastes et mélancoliques autour de tous les cœurs, mais, malgré un accent adorable, Les Méditations, même dans leurs parties les plus fières : l’Épître à Byron, L’Enthousiasme, Le Désespoir, n’avaient point eu ce ravissement sur l’imagination qu’eurent les premiers vers d’Auguste Barbier. […] Nous avons la pluie de cendres, sans les feux… De gaieté de cœur, le poète s’est rapetissé lui-même en se repliant en arrière. […] Mais, ô Lycas, heureux celui qui de jeunesse A placé dignement les feux de sa tendresse, Et trouvé par le monde un cœur égal au sien Pour avec lui former un éternel lien ! Et dans une autre pièce : Heureux les tendres cœurs dont aucun mur fâcheux N’arrête les soupirs et n’entrave les feux !
je t’ai bien compris, sauvage voyageur, Et ton dernier regard m’est allé jusqu’au cœur ! […] Il n’a pas dans ses poèmes posthumes — je le sais aussi bien que ceux qui le crient sur les toits — la plénitude, la fraîcheur et le rayon des poésies de sa jeunesse, mais il s’y trouve une profondeur d’impression, une âpreté poignante dont l’effet me prend souverainement le cœur et me le déchire. […] … et on se dit que leur beauté n’est que l’éclat du sang du cœur blessé, durci par la fierté du poète ! […] Voilà pourquoi je me détourne avec regret de ces poésies qui n’ajoutent rien à ce qu’on sait du poète charmant, transparent et lumineux, qui s’est éteint dans le sombre bronze que voici, dans ce bronze du mépris qu’une créature humaine n’obtient jamais qu’à force de se briser… Pour nous qui croyons que les plus belles poésies ne sont jamais faites pour la volupté intellectuelle de faire des vers, mais pour se soulager d’une oppression sublime, d’un étouffement titanique du cœur sous le poids d’un grand sentiment, pour nous qui avons dit combien l’homme dans Alfred de Vigny était toujours le poète, ces poésies dernières nous font mieux comprendre cet homme que nous avons connu.