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556. (1864) William Shakespeare « Deuxième partie — Livre V. Les esprits et les masses »

Exister, c’est avoir la justice, la vérité, la raison, le dévouement, la probité, la sincérité, le bon sens, le droit et le devoir chevillés au cœur. […] L’homme, à cette heure, tend à tomber dans l’intestin ; il faut replacer l’homme dans le cœur, il faut replacer l’homme dans le cerveau. […] Mais les cœurs doivent se tourner surtout vers les grands poètes limpides, qu’ils soient doux comme Virgile ou acres comme Juvénal. […] Cette combinaison du cœur du peuple avec le cœur du poëte sera la pile de Volta de la civilisation. […] Tout à coup le sublime passe, et la sombre électricité de l’abîme soulève subitement tout ce tas de cœurs et d’entrailles, la transfiguration de l’enthousiasme opère, et maintenant, l’ennemi est-il aux portes, la patrie est-elle en danger ?

557. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Le comte Gaston de Raousset-Boulbon »

L’homme est tellement fait pour le deuil, la tristesse, le désastre ; sa destinée est si bien l’inachèvement en toutes choses, que les grands efforts, les grands caractères, le génie, répandus en pure perte sur cette terre qui boit tout indifféremment, le sang et les larmes, nous prennent le cœur bien plus que le succès, les résultats éclatants, les fortunes ! […] Quoique poète, comme nous allons le voir, quoique ayant à un degré éminent les qualités qui doivent un jour produire l’écrivain, il n’avait pas, il n’eut jamais l’inquiétude du xixe  siècle, le vague à l’âme des Obermann et des René, ces génies idiots de caractère, qui ont une tête, mais pas de cœur, mais pas de mains, et qui finissent par mourir d’une hypertrophie de rêveries ! […] Mon cœur se rouvre aux idées religieuses de ma jeunesse, et je vais à la mort comme à une fête. […] Ce qui vit, ce qui éclate, sourit, s’impatiente, ronge son frein, traverse tous les milieux, mais reste inaliénable chez Raousset, est un sentiment inconnu aux plus imposants héros de lord Byron : c’est le sentiment de l’honnête homme, c’est ce cœur de vieille roche d’où l’honneur jaillit comme une source ! […] Mais cela est surtout vrai des hommes d’action, qui crient sur le cœur d’un ami, dans leurs lettres, quand l’action impossible ou empêchée ne les révèle plus.

558. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre VII. »

On croirait qu’il s’agit de l’Ionie, quand on voit les reproches amers mêlés par le poëte à son appel aux armes ; on incline pour Athènes, devant cette apothéose de la gloire que chante le poëte, et dont son cœur est plein. […] Quand aurez-vous un cœur belliqueux, ô jeunes gens ? […] Qu’on s’efforce donc d’arriver à ce comble de la vertu, en ne laissant pas son cœur s’énerver pour la guerre !  […] « Combattons de tout cœur pour cette patrie ! […] combattez serrés les uns contre les autres, et ne donnez l’exemple ni de la fuite ni de la peur ; mais faites-vous un cœur grand et invincible, et n’épargnez pas votre vie, quand vous combattez contre des hommes.

559. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Les poëtes français. Recueil des chefs-d’œuvre de la poésie française »

Asselineau, avec lui, a été l’un des ouvriers les plus actifs de cette tour immense à tant d’étages qui n’est pas une Babel : esprit net et vif, plume dégagée, il a su apporter dans l’exercice de son rôle critique une conscience, un soin qui est déjà une bienveillance et qui est fait pour toucher le cœur des vieux poëtes : demandez plutôt à notre vieil ami, Ulric Guttinguer. […] Soulary possède à merveille la langue poétique de la Renaissance, et, grâce à l’emploi d’un vocabulaire très-large, mais toujours choisi, il a trouvé moyen de dire, en cette gêne du sonnet, tout ce qu’il sent, ce qu’il aime ou ce qu’il n’aime pas, tout ce qui lui passe par le cœur, l’esprit ou l’humeur, son impression de chaque jour, de chaque instant. […] Rien de moins dans le cœur, rien de plus sur le corps, Ainsi j’aime la femme, ainsi j’aime la Muse. […] Et pourtant il y a de charmantes pièces dans les recueils de M. de Belloy, notamment celle-ci, un petit chef-d’œuvre, que Brizeux savait par cœur et qu’il aimait à réciter. […] » « — Erreur, mes bons Messieurs, reprend un magister ; Regardez-le marcher ; c’est le grand Jupiter : L’astre errant à vos yeux scintille. » Moi tout bas à mon cœur j’ai dit : — C’est un flambeau, C’est la cire qui brûle au balcon du château, Dans les mains de la jeune fille.

560. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « George Sand — George Sand, Indiana (1832) »

Mais dès qu’en ouvrant le livre on s’est vu introduit dans un monde vrai, vivant, nôtre, à cent lieues des scènes historiques et des lambeaux de moyen âge, dont tant de faiseurs nous ont repus jusqu’à satiété ; quand on a trouvé des mœurs, des personnages comme il en existe autour de nous, un langage naturel, des scènes d’un encadrement familier, des passions violentes, non communes, mais sincèrement éprouvées ou observées, telles qu’il s’en développe encore dans bien des cœurs sous l’uniformité apparente et la régularité frivole de notre vie ; quand Indiana, Noun, Raymon de Ramière, la mère de Raymon, M. […] Si en effet quelques traits de style et de pinceau, aux endroits particulièrement descriptifs et littéraires, dénotent plus de fermeté et d’habitude qu’il n’est naturel d’en accorder à une femme toute seule, dans un premier essai d’aussi longue haleine, une foule d’observations fines et profondes, de nuances intérieures, de sensations progressives ; l’analyse du cœur d’Indiana, de ses flétrissants ennuis, de son attente morne, fiévreuse et désespérée, pauvre esclave ! […] La belle Noun a fait sensation dans le pays, dans les bals champêtres du village voisin ; un jeune monsieur des environs, M. de Ramière, l’a vue, s’est mis en avant, a fait arriver ses aveux brûlants à ce cœur inflammable et crédule ; depuis ce jour, Noun est sa conquête ; il lui a sacrifié un voyage à Paris qu’il devait faire ; il la vient visiter de nuit, par-dessus les murs du parc, au risque de se casser le cou : il va venir ce soir-là même ; mais le factotum, ancien sergent, a prévenu le colonel que des voleurs de charbon s’introduisent depuis plusieurs nuits, qu’on a saisi des traces, et qu’il est prudent de surveiller. […] Indiana, dès l’abord, prend l’amour au sérieux ; elle choisit, elle désigne du cœur Raymon comme l’être idéal qu’elle a constamment attendu, comme celui qui doit porter le bonheur dans ses jours. […] Cette force d’indifférence n’existe pas réellement, même au cœur du plus ingénieux égoïsme.

561. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « George Sand — George Sand, Lélia (1833) »

Les peintures que faisaient à ce sujet les prédicateurs saint-simoniens étaient sans doute excessives et ne tenaient nul compte de beaucoup des adoucissements de la réalité ; mais sur certains points, le trait n’était que juste, et bien des cœurs jusque-là muets et contenus y répondirent avec tressaillement. […] Vers l’âge de trente ans, combien n’est-il pas actuellement de femmes qui, belles encore, ayant devant elles, ce semble, un riant automne de jeunesse, sentent pourtant en leur cœur l’ennui, la mort, l’impuissance d’aimer et de croire ! […] L’idée réelle de Lélia, avons-nous dit, est l’impuissance d’aimer et de croire, la stérilité précoce d’un cœur qui s’est usé dans les déceptions et dans les rêves. […] Il est arrivé de là qu’une œuvre si pleine de puissance et souvent de grâce, mais où ne circule aucun zéphyr mûrissant, a paru extraordinaire plutôt que belle, et a effrayé plutôt que charmé ceux qui admirent sur la foi de leur cœur[…] Les jours où je me sentais agitée au point de ne pouvoir plus reconnaître la ligne de démarcation imaginaire tracée autour de ma prison, je l’établissais par des signes visibles ; j’arrachais aux murailles décrépites les longs rameaux de lierre et de clématite dont elles étaient rongées, et je les couchais sur le sol aux endroits que je m’étais interdit de franchir : alors, rassurée sur la crainte de manquer à mon serment, je me sentais enfermée dans mon enceinte avec autant de rigueur que je l’aurais été dans une bastille. » J’indiquerai encore dans le début toute cette promenade poétique du jeune Sténio sur la montagne, la description si animée de l’eau et de ses aspects changeants, et, au sein de la nature vivement peinte, les secrets surpris au cœur : « Couché sur l’herbe fraîche et luisante qui croît aux marges des courants, le poëte oubliait, à contempler la lune et à écouter l’eau, les heures qu’il aurait pu passer avec Lélia : car à cet âge tout est bonheur dans l’amour, même l’absence. » On pourrait, chemin faisant, noter dans Léliaune foule de ces douces et fines révélations, dont l’effet disparaît trop dans l’orage de l’ensemble. 

562. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Pensées »

Cette musique ainsi encadrée et bercée par les flots nous allait au cœur : « Oh ! […] rien. »— -Et, semblables à ces échos de nos cœurs, les sons déjà lointains de la musique mouraient sur les flots. […] Je dirai tout : oui, un baiser me plairait, un baiser plein de tendresse ; mais surtout la voir, la contempler, rafraîchir mes yeux, ma pensée, en les reposant sur ce jeune front, en laissant courir devant moi cette âme naïve ; parer cette belle enfant d’ornements simples où sa beauté se rehausserait encore, la promener les matins de printemps sous de frais ombrages et jouir de son jeune essor ; la voir heureuse : voilà ce qui me plairait surtout et ce qu’au fond mon cœur demande. […] tout d’un coup le voile se déchire, et je m’aperçois que ce que je désirais sous une forme équivoque est quelque chose de naturel et de pur, c’est un regret qui s’éveille, c’est de n’avoir pas à moi, comme je l’aurais pu, une fille de quinze ans qui ferait aujourd’hui la chaste joie d’un père et qui remplirait ce cœur de voluptés permises, au lieu des continuels égarements. […] XXIX (Après une séance de la Chambre des Pairs :) Qui n’a pas vu une armée de braves en complète déroute, ou une assemblée politique qui se croyait sage, mise hors de soi par quelque discours passionné, ne sait pas à quel point il reste vrai que l’homme au fond n’est qu’un animal et un enfant : — (Ô éternelle enfance du cœur humain !)

563. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre X. Prédictions du lac. »

Pas un élément de culture hellénique n’avait pénétré dans ce premier cénacle ; l’instruction juive y était aussi fort incomplète ; mais le cœur et la bonne volonté y débordaient. […] La nue s’ouvrait encore sur le fils de l’homme ; les anges montaient et descendaient sur sa tête 478 ; les visions du royaume de Dieu étaient partout ; car l’homme les portait en son cœur. L’œil clair et doux de ces âmes simples contemplait l’univers en sa source idéale ; le monde dévoilait peut-être son secret à la conscience divinement lucide de ces enfants heureux, à qui la pureté de leur cœur mérita un jour de voir Dieu. […] Heureux ceux qui ont le cœur pur ; car ils verront Dieu ! […] Où est ton trésor, là aussi est ton cœur 484.

564. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Charles Monselet »

Les cœurs avaient reconnu le cri du cœur dans les éclats de la gaîté qui voulait le couvrir encore. […] L’homme, en effet, qui entre autres choses du présent volume, a écrit la grande et simple et superbe étude sur Chateaubriand, dans laquelle je rencontre des passages aussi surprenants par la gravité forte que par la profondeur de la mélancolie n’est plus, et de nature première ne saurait être uniquement ce poète léger du Plaisir et de l’Amour qui commença par les sensualités du cœur pour finir par les sensualités de l’estomac. […] Je le croyais perdu… Ce poète qui n’avait jamais appuyé sur rien, pas même sur les lèvres et le cœur de sa maîtresse, et qui, s’épaississant, était devenu (Dieu lui pardonne !) […] Or bien, voilà que tout à coup le poète, qui n’est plus celui de l’Amour et du Plaisir, mais de la douleur, venue enfin, comme elle vient toujours, par la vie, s’est mêlé, en ce livre de Portraits, au critique de la réflexion, et tout cela dans une si heureuse mesure qu’on se demande maintenant si le Monselet du pâté de foie gras n’était pas un mythe… ou un mystificateur, qui nous jouait, avec sa gastronomie, une comédie littéraire, et qui avait mis, pour qu’on ne le fît pas trop souffrir, son cœur derrière son ventre, mais non dedans !

565. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXV. Le Père Ventura »

Ils sont bien, comme tous les sermons des prêtres chrétiens, depuis saint Paul jusqu’à saint Ambroise, et depuis saint Ambroise jusqu’à Bourdaloue et Bossuet, la vérité de Jésus-Christ dans toutes ses portées pour le cœur et pour l’esprit, la vérité avec son caractère absolu et universel ; mais ils ont cependant quelque chose de différent aussi et qui n’est pas seulement une question de talent, d’originalité et de forme. […] Jusqu’ici, tous les sermonnaires qui prêchaient aux souverains les devoirs que leur grandeur leur impose, tout en se plaçant le plus près possible du cœur qui les écoutait, par un autre côté, se maintenaient à distance. […] Il n’a pas craint de se placer aussi près de l’esprit que du cœur, aussi près des choses contemporaines que de celles de l’éternité en parlant à celui que nous pouvons appeler l’Homme du Temps. […] L’imagination nous le fait entendre : « Plantez, Sire, les racines de vos enfants dans le cœur de tous les foyers domestiques. […] La religion est une Thétis qui trempe les cœurs dans des eaux dont ils ressortent Achille et qui leur dit : « La peur seule est mortelle. » Et d’ailleurs, avait-il besoin de courage ?

566. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. de Vigny. Œuvres complètes. — Les Poèmes. »

Quel poids au cœur ! […] ………………………………………………… J’ai marché devant vous, triste et seul dans ma gloire, Et j’ai dit dans mon cœur : Que vouloir à présent ? […] Donnée qui fait trembler de son audace le christianisme dans nos cœurs, mais exécutée avec cette tendresse et cette candeur qui le rassurent ! […] C’est le sublime de la bonté conçue, presque égal à celui de la bonté de l’action… Seulement, comme un palais qui serait taillé dans une perle, il faut voir les détails de cette création inexprimable à tout autre qu’au poète qui a su en faire trois chants, qu’on n’oubliera plus tant qu’il y aura un cœur tendre et un esprit poétique dans l’univers, mais qui n’en sont pas moins trop purs et trop beaux pour cette grossièreté de lumière, de bruit et d’éclat qu’on appelle la Gloire ! […] et sa descente du ciel vers les fascinantes vallées de misère qui l’attirent du fond de la béatitude, et ce Satan, que la fierté du génie de Milton n’a pas fait si terrible que la tendresse de M. de Vigny, car la séduction est plus redoutable pour les cœurs purs que la révolte, ce Satan qui a en lui la beauté attristée, la suavité du mal et de la nuit, l’attrait des coupables mystères : Je suis celui qu’on aime et qu’on ne connaît pas !

567. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Auguste de Chatillon. À la Grand’Pinte ! »

» Évidemment, chez ce M. de Châtillon, beaucoup de pensées, — celles-là que le cœur garderait, — sont venues sous l’action de ce vin, quoique, hélas ! […] … Aimez-vous, comme nous, ce cœur saignant qui s’est essuyé, ce que M.  […] Quand le monde est à l’Idéal, aux profondes convictions, aux grandes choses, l’influence du monde sur le poète ne détruit pas le don de Dieu, cette originalité délicate qui est à la pensée ce que la pureté est au cœur. […] à ce cruel moment, s’il naît dans le sang versé de son cœur, car c’est là toujours que les poètes naissent, une fragilité comme un poète élégiaque, une créature de bonté, de simplicité, de tendresse, doit-on s’étonner que son talent s’altère dans ce milieu qui pèse de toutes parts sur son inspiration première, et peut-on croire que cette fragilité inouïe puisse un jour, grâce aux conseils de la Critique, s’arracher à ce joug de l’Idéal abaissé ? […] Lui, fait pour écrire toujours dans cette nuance que nous avons signalée, lui, le doux des doux, le résigné des résignés, dont la Muse aurait pu toujours ressembler à cette touchante image de Shakespeare, la Patience qui sourit longuement à la Douleur, a mieux aimé entrer à la Grand’Pinte et se verser du vin de cabaret de cette blanche main à laquelle on pardonne, car elle tremble, comme s’il savait que ce vin qu’il se verse n’apaisera rien de ce qui a soif dans son cœur.

568. (1885) Le romantisme des classiques (4e éd.)

L’un m’anime le cœur, l’autre retient mon bras. […] S’excusera-t-il mieux que mon cœur ne l’excuse ? […] Et puis le rôle brillant du héros, ce mélange de générosité et d’ironie, charmait les coeurs. […] Une vive sympathie unissait ces deux nobles cœurs. […] Ici Rotrou le fait avec simplicité, et d’abondance de cœur.

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