/ 1703
467. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Discours sur le système et la vie de Vico » pp. -

Dirigeant les choses humaines dans le sens des décrets ineffables de sa grâce, il avait établi le christianisme en opposant la vertu des martyrs à la puissance romaine, les miracles et la doctrine des pères à la vaine sagesse des Grecs ; mais il fallait arrêter les nouveaux ennemis qui menaçaient de toutes parts la foi chrétienne et la civilisation, au nord les Goths ariens, au midi les Arabes mahométans, qui contestaient également à l’auteur de la religion son divin caractère. […] Il ne sortit de cet état que pour s’apercevoir de sa mort prochaine, et, après avoir rempli le devoir d’un chrétien, il expira en récitant les psaumes de David, le 20 janvier 1744. […] Ce sont toujours des sujets généraux « où la philosophie descend aux applications de la vie civile ; il y traite du but des études et de la méthode qu’on doit y suivre, des fins de l’homme, du citoyen, du chrétien. » Ces discours, généralement admirables par la hauteur des vues, ont une forme paradoxale et quelquefois bizarrement dramatique. […] Vico accepte ce dernier reproche, mais il ajoute un mot remarquable : N’est-ce pas un caractère commun à toute religion chrétienne, et même à toute religion, d’être fondée sur le dogme de la Providence. […] l’avant-dernière page du discours.) — Lettre fort belle sur un ouvrage qui traitait de la morale chrétienne, à Mgr Muzio Gaëta. — Lettre au même, dans laquelle il donne une idée de son livre De antiquâ sapientiâ Italorum.

468. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. BALLANCHE. » pp. 1-51

Il avait trente-huit ans en 1814, ayant vécu jusque-là dans l’étude, dans la rêverie, dans les affections et les souffrances individuelles, s’étant élevé naturellement à une moralité générale, douce, pieuse, plaintive, chrétienne, mais n’ayant pas approprié sa pensée à son siècle, n’ayant pas trouvé la loi, la formule de sa philosophie, n’ayant pas deviné l’énigme. […] La Harpe avait été fort frappé que, dans le livre du Sentiment, l’auteur eût appelé l’Élysée du Télémaque un véritable paradis chrétien ; il lui enviait cette idée : « Moi qui ai fait un éloge de Fénelon, je n’ai pas songé à cela, s’écriait-il, et voilà qu’un jeune homme a mieux trouvé : le Seigneur est avec ceux qui font le bien !  […] La philosophie, qui en est simplement religieuse et chrétienne, n’a rien de cette nouveauté un peu étrange et de cette phraséologie essentielle à une doctrine, et que la poésie ne réclame pas. […] Ballanche est chrétien, ceci mérite pourtant quelques mots. Il est chrétien, c’est-à-dire il croit à la révélation apportée au monde une fois pour toutes par Jésus, à l’excellence divine de son précepte, à la destinée humaine qui se dirige à cette seule clarté au travers d’une vallée d’épreuve et d’exil ; il croit même au dogme un, à la lettre sacrée qui n’est pas à remanier.

469. (1856) Cours familier de littérature. II « VIIIe entretien » pp. 87-159

Nous ne comprenons pas que M. de Chateaubriand, qui a fait un si beau livre et un livre souvent si sophistique sur les beautés poétiques de la religion chrétienne, se soit acharné à prétendre que le christianisme avait enfanté des foules de poèmes prétendus épiques, tantôt avec le merveilleux des contes arabes, comme dans le Tasse ; tantôt avec le merveilleux mixte de l’Évangile et de l’Olympe, comme dans le Dante ; tantôt avec le merveilleux des froides allégories, comme dans Voltaire, sans s’apercevoir que tous ces poèmes n’étaient pas les véritables épopées nationales du monde chrétien, mais que la Bible était la seule épopée, et que Moïse était le seul Homère des siècles et des peuples qui datent de la Bible. Comment voulez-vous, en effet, qu’il y ait pour les peuples nés dans la théogonie hébraïque ou chrétienne, des poètes de fantaisie qui puissent lutter avec cette poésie devenue dogme, et avec ce merveilleux devenu foi ? […] voilà un livre réputé vieux comme le monde, écrit, selon les Hébreux et selon les chrétiens, sous la dictée de l’écrivain dont les mots sont des astres et dont les pages sont firmaments ! […] Il se place à l’extrême bord des mystères chrétiens, il regarde au fond d’un œil effaré, il y prend le vertige, et il se parle à lui-même presque par monosyllabes. […] Il était dans la nature que ces foules convoquées dans les temples, au pied de ces tribunes, y prissent l’habitude d’un certain discernement des choses d’esprit ; qu’un orateur leur parût supérieur à un autre ; qu’un langage leur fût fastidieux, un autre langage sympathique ; qu’elles s’entretinssent en sortant du temple des impressions qu’elles avaient reçues ; que leur intelligence et leur oreille se façonnassent insensiblement à la langue, aux idées, à l’art de ces harangues sacrées, et qu’entrées sans lettres dans ces portiques de la philosophie des prédicateurs chrétiens, elles n’en sortissent pas illettrées.

470. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Figurines (Deuxième Série) » pp. 103-153

Mais il y avait sans doute un germe chrétien dans les furieux dégoûts qu’exprimaient les premiers livres de M.  […] Mais son jugement sur les ignominies dont il subissait, dont il aimait peut-être l’obsession, était déjà un jugement chrétien, le jugement d’un moine tenté et succombant avec honte à la tentation. […] Par là-dessous, une âme traditionaliste, profondément chrétienne d’éducation. […] Au travers de tout cela, un sentiment chrétien très persistant, aux rappels inattendus (« la petite épouse chrétienne » de Viveurs, l’acte d’amère contrition de Mme Blandain).

471. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Balzac » pp. 17-61

Le penseur chrétien qu’il allait être, l’auteur du Curé de village et du Médecin de campagne, apprit plus tard que les enfants nus ne sont pas innocents quand ils portent la faute de leurs pères. […] Par-là, il a de grands progrès à faire et son intelligence du Moyen Âge à compléter : il n’est pas chrétien… Balzac, lui, malgré son rire rabelaisien et sa plaisanterie du xvie  siècle, est un chrétien, même dans ses Contes. […] Le sentiment chrétien pénètre cette généreuse nature, apte à recevoir dans son giron tout ce qui est noble, chaste et grand, ce bon génie aussi chaud et aussi délicat qu’un bon cœur ! Il fallait être chrétien et chevaleresque (c’est tout un) pour écrire : Persévérance d’amour, Berthe la-repentie, et Le Frère d’armes, récits merveilleux et touchants, d’une inspiration entièrement étrangère au xixe  siècle : les plus divins morceaux du livre de Balzac.

472. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Appendice. Discours sur les prix de vertu »

La religion, loin de s’en alarmer ou de s’en étonner comme d’un empiétement et d’une concurrence, s’y est associée ; l’extrême humilité des vertus chrétiennes a consenti à se laisser dévoiler et divulguer dans l’intérêt de tous. La philosophie, de son côté, a rabattu d’une première affiche sentimentale, d’une première prétention peut-être à l’effet et à l’éclat ; elle n’a pris du sentiment que l’extrême nécessaire, n’a pas recherché avant tout la singularité et s’est parfaitement accommodée des vertus chrétiennes quand elle les rencontrait devant elle dans son examen. […] En peu d’années, la première impulsion était devenue une habitude, une direction constante, une nécessité : nous cherchons bien des noms à ce que les chrétiens appellent d’un mot abrégé, une grâce. […] L’établissement de Blamont, cédé et abandonné par lui aux religieuses appelées filles de la Retraite chrétienne, aux conditions, est-il besoin de le dire ?

473. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « L’abbé Prévost »

Pendant qu’il est captif en Turquie, son maître Salem veut le convertir au Coran ; et comme le marquis, en bon chrétien, s’élève contre l’impureté sensuelle sanctionnée par Mahomet, Salem lui fait le raisonnement que voici : « Dieu, n’ayant pas voulu tout d’un coup se communiquer aux hommes, ne s’est d’abord fait connoître à eux que par des figures. […] La loi des chrétiens, qui a suivi celle des Juifs, étoit beaucoup plus parfaite, parce qu’elle donnoit tout à l’esprit, qui est sans contredit au-dessus du corps… C’est un second état par lequel ce Dieu bon a voulu faire passer les hommes… Et maintenant enfin ce ne sont plus les seuls biens du corps, comme dans la loi des Juifs, ni les seuls biens spirituels, comme dans l’Évangile des chrétiens, c’est la félicité du corps et de l’esprit que l’Alcoran promet tout à la fois aux véritables croyants. » Il est curieux que Salem, c’est-à-dire notre abbé Prévost, ait conçu une manière d’union des lois juive et chrétienne au sein de la loi musulmane, par un raisonnement tout pareil à celui qui vient d’être si hardiment développé de nos jours dans le saint-simonisme.

474. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Ferdinand Fabre  »

Un chrétien qui, dans la pratique, pousse jusqu’à leurs dernières conséquences les obligations de sa foi est déjà une créature rare et singulière et qui se distingue fortement du reste des hommes : rappelez-vous les solitaires de Port-Royal. […] Ils sont, à l’ordinaire, infiniment polis ; car la politesse leur est recommandée dès le séminaire comme une vertu chrétienne et comme une arme défensive : elle est pour eux une des formes de la charité, une expression de leur respect pour les âmes, et un rempart où ils se retranchent contre les familiarités et les indiscrétions. […] Vous avez tous rencontré de ces abbés lauréats qui prennent tous les membres de l’Institut au sérieux, enclins à respecter, en littérature comme ailleurs, les jugements qui se formulent par voie d’autorité, d’un amour-propre littéraire très éveillé et à la fois très ingénu, et où se révèle un fond, sinon d’humilité, au moins de docilité chrétienne, de soumission aux puissances constituées  toutes, et même celles que signalent les palmes vertes, émanant en quelque sorte de Dieu lui-même. […] L’Église souffre ce qu’elle ne peut empêcher : elle consent que les fidèles, qui ne sont que le troupeau, se composent un mélange de morale humaine et de morale chrétienne ; elle ne leur demande que d’accepter ses dogmes en bloc et d’observer certaines pratiques.

475. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Appendice »

Alors aussi j’étais chrétien et j’ai juré que je le serais toujours. […] Herder a bien été évêque, et certes il n’était que chrétien ; mais, dans le catholicisme, il faut être orthodoxe. […] Il faut être chrétien, mais on ne peut être orthodoxe. […] Il m’est sans doute bien pénible de songer que la moitié peut-être du genre humain éclairé me dirait que je suis dans l’inimitié de Dieu, et pour parler la vieille langue chrétienne, qui est la vraie, que, si la mort venait à me surprendre, je serais damné à l’instant même.

476. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome I « Bibliotheque d’un homme de goût. — Chapitre II. Des poëtes étrangers. » pp. 94-141

Il est toujours clair, élégant, harmonieux, & dans le ravissement où il jette le lecteur, il oublie tous les défauts de l’auteur : ces enchantemens qui semblent appartenir à la féerie ; ce mêlange bizarre d’idées payennes & chrétiennes ; ces jeux de mots & ces concetti puériles, que le goût du siécle avoit arraché au Poëte. […] Dix Princes chrétiens métamorphosés en poissons, dans les bassins d’Armide, & un perroquet chantant des chansons galantes de sa propre composition, sont des choses bien étranges aux yeux d’un lecteur sensé, quoique nous soyons prévenus par l’histoire de Circé dans l’Odyssée, & quoique nous voyions tous les jours les perroquets imiter la voix humaine. […] On ne comprend pas comment des personnes de bon sens peuvent approuver un Magicien chrétien qui tire Renaud des mains des Sorciers mahométans. […] Mais il en reste toujours assez dans la traduction pour faire sentir que Milton, quoique chrétien, n’avoit pas sur cet article la même délicatesse que montre Virgile dans le cinquiéme Livre de son Enéide.

477. (1899) Le roman populaire pp. 77-112

Au temps où parurent les Misérables, Louis Veuillot, après avoir fait les réserves les plus légitimes, les plus nécessaires, reconnaissait, dans le roman de Hugo, ce qu’il appelle « un souffle de justice, un souffle de foi chrétienne, et catholique par conséquent, souffle court et mêlé, mais brûlant, parfois sublime ». […] si nous étions plus chrétiens ou simplement plus logiques avec nous-mêmes, nous jugerions autrement cette question d’art et de littérature ! […] Ils la connaissaient sous ses divers aspects, égalité de nature, égalité dans la souffrance et dans le mérite, égalité devant la mort, égalité dans la destinée immortelle, et, s’ils étaient tentés de l’oublier, un grand fait venait la leur rappeler, et c’était, aux mêmes fêtes chrétiennes qui les réunissaient, la participation de tous aux mêmes sacrements, la même dignité morale reconnue aux maîtres et aux serviteurs, aux riches et aux pauvres, égalité, en somme, la plus parfaite, puisqu’elle s’opère par la commune grandeur des hommes. Je suis sûr que les artistes qui vivaient au moyen âge, Dante quand il écrivait sa Divine Comédie, les auteurs de nos poèmes nationaux et de ceux des nations voisines, les bâtisseurs d’églises, d’hôtels de ville, de maisons corporatives, les sculpteurs, les peintres, les musiciens, avaient présente à l’esprit cette idée fraternelle, et dédiaient en secret leur œuvre à tout le peuple chrétien.

478. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Histoire littéraire de la France. Ouvrage commencé par les Bénédictins et continué par des membres de l’Institut. (Tome XII, 1853.) » pp. 273-290

Par malheur, dom Rivet avait pris parti dans les querelles ecclésiastiques du temps, comme un jeune religieux ardent, généreux, qui penche du côté des idées qu’il croit les plus chrétiennes et qu’il voit persécutées. […] Dom Rivet n’était pas, on peut le conjecturer d’avance, un esprit de ceux qu’on appelle philosophiques ; il n’était même pas de ceux qu’on peut appeler éclairés dans le sens le plus chrétien du mot : il avait ses préventions, son coin de secte. […] Mais, du milieu des bornes que certaines doctrines imposaient à sa vue, et du fond de sa solitude, cet homme de labeur et de vérité fut saisi d’une noble ardeur, du désir de faire quelque chose « pour l’utilité de l’Église et de l’État », et d’unir le devoir d’un chrétien et celui d’un bon citoyen : Nous nous proposons, disait-il, de ménager aux Français l’agrément d’avoir un recueil complet des écrivains qu’eux et les Gaulois leurs prédécesseurs, avec qui ils n’ont fait dans la suite qu’un même peuple, ont donnés à la république des lettres.

479. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Bossuet. Lettres sur Bossuet à un homme d’État, par M. Poujoulat, 1854. — Portrait de Bossuet, par M. de Lamartine, dans Le Civilisateur, 1854. — I. » pp. 180-197

Il en énumère les circonstances, il la commente, la suit pas à pas en l’accompagnant de ses cris d’aigle ; et quand il a amené les Romains et l’empereur Tite devant Jérusalem, quand il est bien sûr qu’elle est investie, qu’elle est entourée de murailles par l’assiégeant, qu’elle est plutôt comme une prison que comme une ville, et que pas un du dedans, comme un loup affamé, n’en peut échapper pour chercher de la nourriture : Voilà, voilà, chrétiens, crie-t-il, en triomphant, la prophétie de mon Évangile accomplie de point en point. […] La langue de ce sermon, comme de tous les discours de ces années, est un peu plus ancienne que celle de Bossuet devenu l’orateur de Louis XIV ; on y remarque des locutions d’un âge antérieur : « Or encore que nous fassions semblant d’être chrétiens, si est-ce néanmoins que nous n’épargnons rien, etc. » Il est dit que l’exemple de la ruine de Jérusalem et de cette vengeance divine, si publique, si indubitable, « doit servir de mémorial ès siècles des siècles ». […] Dans un sermon pour une prise d’habit qu’il prononça dans sa jeunesse, Bossuet parlant de la pudeur des vierges et l’opposant à ce que bien des filles chrétiennes se permettent dans le monde, disait : Qui pourrait raconter tous les artifices dont elles se servent pour attirer les regards ?

/ 1703