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1778. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Correspondance de Lammenais » pp. 22-43

Je pourrai, en la parcourant, en l’extrayant par endroits, paraître presque à tout coup bien sévère, et pourtant, je me hâte de le dire, le résultat général de cette lecture est moins de faire blâmer l’auteur souvent déraisonnable, admirable parfois, que de le faire plaindre et aimer. […] J’allai immédiatement chez l’éditeur Eugène Renduel, qui consentit au premier mot, en regrettant seulement que l’auteur ne voulût point se nommer. […] La forme un peu déclamatoire, un peu apocalyptique, de cet éloquent pamphlet m’avait caché d’abord ce qu’il y avait là dedans de flamme communicative et de puissance d’éruption, — de ce qui faisait dire plus tard à l’auteur : « C’est égal ! […] Ces points ont subsisté depuis dans toutes les éditions, je crois, et l’auteur ne m’a jamais parlé de cette suppression.

1779. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Correspondance de Béranger, recueillie par M. Paul Boiteau. »

Conçoit-on un éditeur, au contraire, qui intervient à tout propos à travers son auteur, parle en son propre nom durant des pages, exprime son opinion sur les événements et sur les personnes, prétend dicter à chacun le ton et donner la note sur ce qu’on peut juger aussi bien que lui ; qui déclare que la France, après s’être incarnéedans Napoléon, s’incarna une seconde fois dans Béranger, et que, depuis 1815 jusqu’en 1857, « la poésie de Béranger est Vessieu sur lequel tourne notre histoire : il a mû quarante ans nos destinées !  […] » La poésie sérieusement l’occupe : « Elle est pour moi maintenant une occupation douce, qui ne me nourrit point d’idées chimériques, mais qui n’en charme pas moins tous mes instants. » Cette poésie, comme il l’entendait, était pourtant alors à ses yeux très distincte encore de ses chansons ; il rêvait un succès par quelque poëme d’un genre élevé et régulier, tel que le lui avait conseillé Lucien Bonaparte, son protecteur, tel que la littérature impériale classique le prescrivait à tout jeune auteur qui briguait la palme. […] Ne regardant point le théâtre comme étranger à la politique, pensant même qu’une route immense serait ouverte à l’auteur qui oserait tenter de donner, par le spectacle, une direction à l’esprit public, il me serait impossible d’accorder mon utopie théâtrale avec les maximes précédemment débitées dans la chaire où l’on me ferait monter. […] C’est à la nation tout entière à rougir des malheurs qui n’ont cessé d’accabler l’auteur de la Marseillaise.

1780. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Madame de Staël. Coppet et Weimar, par l’auteur des Souvenirs de Mme Récamier (suite et fin.) »

Coppet et Weimar, par l’auteur des Souvenirs de Mme Récamier (suite et fin.) […] J’ai même entendu dire, à cette époque, que quelques démarches avaient été faites pour la rappeler. » Mais de ce que Mme de Staël n’est pas restée à Paris dans les Cent-Jours, s’ensuit-il, comme prétend l’établir dans une longue et assez âpre discussion l’auteur de Coppet et Weimar, que M.  […] Craufurd, s’est cru autorisé à citer ou à analyser (tome XIX, page 466, de son Histoire) comme étant effectivement de Mme de Staël, et en lui en faisant honneur ; elle est, au contraire, désavouée par l’auteur de Coppet et Weimar ou, pour mieux dire, par la famille de Mme de Staël, comme indigne d’elle et comme n’ayant pu absolument sortir ni de son cœur ni de sa plume. […] Un des hommes qui ont le mieux parlé de Mme de Staël et que l’auteur de Coppet et Weimar n’a pas même nommé, un éminent critique, encore plus chrétien que protestant, M. 

1781. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Entretiens de Gœthe et d’Eckermann (suite) »

Gœthe, à ses débuts, est un homme du xviiie  siècle ; il a vu jouer dans son enfance le Père de Famille de Diderot et les Philosophes de Palissot ; il a lu nos auteurs, il les goûte, et lorsqu’il a opéré son œuvre essentielle qui était d’arracher l’Allemagne à une imitation stérile et de lui apprendre à se bâtir une maison à elle, une maison du Nord, sur ses propres fondements, il aime à revenir de temps en temps à cette littérature d’un siècle qui, après tout, est le sien. […] Les hommes ne savent accepter avec reconnaissance ni de Dieu, ni de la Nature, ni d’un de leurs semblables, les trésors sans prix. » Mais ce ne sont pas seulement nos grands auteurs qui l’occupent et qui fixent son attention ; il va jusqu’à s’inquiéter des plus secondaires et des plus petits de ce temps-là, d’un abbé d’Olivet, d’un abbé Trublet, d’un abbé Le Blanc, et de ce dernier il a dit ce mot qui est bien à la française : « Ce Le Blanc était un homme très-médiocre, et pourtant il ne fut pas de l’Académie52… » Cependant la France changeait ; après les déchirements et les catastrophes sociales, elle accomplissait, littérairement aussi, sa métamorphose. […] Mais, si on l’interrogeait sur les vrais talents, sur Béranger, sur Mérimée, auteur dès lors du théâtre de Clara Gazul, Gœthe faisait aussitôt la distinction, et il reconnaissait en eux la vraie marque, l’originalité : « Je les excepte, disait-il : ce sont de vrais talents qui ont leur base en eux-mêmes et qui se maintiennent indépendants de la manière de penser du jour. » Avoir sa base et son fondement en soi, c’était la chose qu’il estimait le plus ; il a parlé quelque part de ces faux talents, qui n’en ont que le semblant et le premier jet : « Nous vivons dans un temps, disait-il, où il y a tant de culture répandue qu’elle s’est, pour ainsi dire, mêlée à l’atmosphère qu’un jeune homme respire. […] — L’auteur est mort depuis, enlevé dans la force des ambitions et des espérances ; cet homme aimable et distingué voulait mener trop de choses à la fois.

1782. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Anthologie grecque traduite pour la première fois en français, et de la question des anciens et des modernes, (suite et fin.) »

Son analyse d’Homère, son explication du procédé tout instinctif qu’il suppose avoir été observé et suivi dans les tableaux de l’Iliade et de l’Odyssée ; ce qu’il accorde en sincérité, en fidélité naïve et spontanée, à l’auteur ou aux auteurs de ces poèmes, ce qu’il leur refuse de personnalité, d’individualité bien définie ; tout cela est ingénieux et me paraît en grande partie fondé. […] Léo Joubert16, dont la parole érudite, exacte, agréable, n’a pas encore acquis, par le trop de modestie de l’auteur, toute l’autorité, ce semble, qu’elle devrait avoir. […] Psyché parut, plus brillante et plus belle ; L’Amour la vit, l’Amour brûla pour elle : L’Amour, bientôt, la mit au rang des dieux… C’est ce même rimailleur soi-disant classique qui, dans une pièce critique et satirique de 1825, qu’il s’est bien gardé de perdre et qu’il a tenu à conserver, débutait par ces mots : Et j’ai dit dans mon cœur : « Notre ami Lamartine Définitivement a le timbre fêlé… » Et ce sont les auteurs de pareilles inepties et platitudes qui se mêlent de juger à première vue les plus délicats d’entre les poètes de l’Éolie et de l’Ionie !

1783. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Observations sur l’orthographe française, par M. Ambroise »

Ceux qui ne le connaissent que par ses savantes éditions des auteurs anciens, par ses belles éditions des classiques modernes, par les bijoux d’éditions d’Horace ou d’Anacréon, par sa traduction de Thucydide qu’il reprend et revoit à soixante-quinze ans avec la vigilance et les scrupules d’un helléniste consommé, ne s’imagineraient point aisément à quel point il est hardi, avancé, presque téméraire, pour les réformes qu’il propose d’introduire dans l’orthographe : et en cela cependant il n’est que logique et conséquent. […] 60 Ce qui est certain, c’est qu’une extrême irrégularité orthographique, une véritable anarchie s’était introduite dans les imprimeries pour les textes d’auteurs français au xviie  siècle : il était temps que le Dictionnaire de l’Académie, si longtemps promis et attendu, vînt y mettre ordre. […] Mais ce ne fut que dans la cinquième édition, publiée de nos jours, en 1835, que l’innovation importante, déjà admise par la généralité des auteurs modernes, trouva grâce aux yeux de l’Académie, et que la réforme prêchée par Voltaire fut consacrée. […] Benoît, auteur d’un Discours couronné par l’Académie : « Si, dans nos anciennes causeries, ce sujet (de Chateaubriand) s’est rencontré, vous m’aurez vu sans doute plus affecté que la postérité ne veut l’être de ses défauts qui heurtaient rudement le temps présent, mais qui se fondent aujourd’hui comme des nuances dans le caractère esthétique du grand artiste ou dans la perspective du passé.

1784. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre V. De la littérature latine, pendant que la république romaine durait encore » pp. 135-163

Scipion et Salluste furent soupçonnés, l’un d’être l’auteur secret des comédies de Térence, l’autre d’avoir été l’acteur caché de la conspiration dont il était l’historien ; mais on ne voit point d’exemples dans Athènes, que le même homme ait suivi la double carrière des lettres et des affaires publiques. […] L’écrivain qui compose a toujours ses juges présents à la pensée ; et tous les ouvrages sont un résultat combiné du génie de l’auteur, et des lumières du public qu’il s’est choisi pour tribunal. […] Il existe une tragédie sur un sujet romain, La Mort d’Octavie ; mais elle a été composée, comme la nature du sujet le prouve, longtemps après la destruction de la république ; et quoiqu’elle soit dans les Œuvres de Sénèque, on en ignore l’auteur, et l’on ne sait pas si elle a jamais été représentée. […] Ces vers sont les seuls, dans les écrits des auteurs classiques latins, et dans Horace lui-même, que l’on puisse expliquer comme faisant allusion à des tragédies sur des sujets romains : encore peuvent-ils être diversement interprétés.

1785. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Jean Richepin »

Ce Touranien possède tous les bons auteurs aryas. […] Je suis sûr que l’auteur de ces livres truculents et magnifiquement cyniques ou blasphématoires est quelque bourgeois bien régulier, bien placide, bon père et bon époux, et Arya comme vous et moi  Eh bien ! […] Et l’auteur lui-même ne perd pas son temps à s’attendrir ; ou, quand il le fait, cela sonne un peu faux. […] On sent trop que, dans la pensée même de l’auteur, ce sont surtout des « morceaux » difficiles, des tours de force de poésie lyrico-scientifique.

1786. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Pline le Naturaliste. Histoire naturelle, traduite par M. E. Littré. » pp. 44-62

Littré, et le traducteur excellent a de plus apprécié son auteur dans une Notice écrite, comme tout ce qui sort de la plume de M.  […] Comme érudit, il suit ses auteurs, et tout ce qu’il y trouve à son gré, il l’enregistre sous leur garantie ; c’est à faire à eux d’en répondre. […] Il avait cette finesse de réflexion de laquelle dépend l’élégance et le goût, et il communique à ses lecteurs une certaine liberté d’esprit, une hardiesse de pensée qui est le germe de la philosophie… Le jugement de Buffon est extrêmement favorable à Pline ; il semble que le grand écrivain ait eu pour lui de la reconnaissance, qu’il ait deviné qu’on lui reprocherait un jour à lui-même quelques-uns des défauts qu’on peut imputer à l’auteur romain, et qu’il se soit plu d’avance à saluer en lui quelques-unes de ses propres qualités, quelques-uns des traits généraux de sa manière. […] Les après-midi d’été à la campagne, si vous voulez vous redonner un léger goût, une saveur d’Antiquité, si vous n’êtes trop tourmenté ni par les passions, ni par les souvenirs, ni par la verve car je vous suppose un peu auteur vous-même, tout le monde l’est aujourd’hui), prenez Pline, ouvrez au hasard et lisez.

1787. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Le Palais Mazarin, par M. le comte de Laborde, de l’Institut. » pp. 247-265

L’auteur y avait joint un appendice qui en était peut-être la partie la plus intéressante ; cet appendice se compose de sept cents notes, la plupart extraites des mémoires, des recueils historiques ou satiriques du temps, et contenant des anecdotes sans nombre, quelques-unes tout à fait drôles et scabreuses, sur les mœurs et les habitudes de nos pères. […] Quant au cardinal de Retz pourtant, il faut bien s’entendre ; c’est un trop grand écrivain, un trop incomparable auteur de mémoires, pour qu’on l’abandonne ainsi sans faire ses réserves et, en quelque sorte, ses conditions. […] Le Français étant ainsi défini, Retz en paraît, de son temps, le plus brillant modèle, et dès lors il est aussi le plus excellent auteur de mémoires. […] Je désirerais pourtant que, dans le nouveau choix qu’il doit faire en réimprimant, l’auteur réduisît ses citations et ses notes à ne jamais signifier plus qu’elles ne prouvent en effet, et qu’il n’avançât rien que ne pût avouer une critique impartiale et précise.

1788. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Œuvres de Mme de Genlis. (Collection Didier.) » pp. 19-37

Dans toi seule aujourd’hui l’on adore à la fois         L’auteur, l’ouvrage et les actrices ! […] En entendant ces deux vers : Elles veulent écrire et devenir auteurs…, Et céans, beaucoup plus qu’en aucun lieu du monde, tout le public, dit-on, se prit à applaudir en la regardant. […] L’auteur se pique d’être vrai avant tout ; cette vérité n’est ici qu’une phrase sentimentale de plus. […] Dans ce petit roman, comme dans tous ceux de l’auteur, le récit, qui coule partout avec facilité, ne se relève nulle part d’aucune vivacité d’expression.

1789. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Portalis. Discours et rapports sur le Code civil, — sur le Concordat de 1801, — publiés par son petit-fils — I. » pp. 441-459

Le jeune auteur y note assez bien quelques-uns des défauts et des travers de son temps, sans se montrer entraîné en aucun sens, ni engoué ni trop sévère. […] Quelques pages auparavant, le lecteur pouvait lui-même s’étonner de voir, dans ce petit livre des Préjugés, Newton classé pour son principe de l’attraction parmi les auteurs de vains systèmes. C’est assez montrer qu’il y a dans ce premier essai d’un auteur adolescent quelque tâtonnement et du mélange ; mais ce qui s’y reconnaît visiblement, c’est un esprit sage, sain, conservateur d’instinct, qui ne sort pas volontiers des choses établies, et qui a pourtant souci de les rectifier et de les épurer. […] C’était (sauf des différences qu’il serait trop long ici d’expliquer), c’était en somme une tentative de réorganisation de la justice en France sur un plan uniforme et d’après l’idée d’une législation homogène ; mais les auteurs de ce plan avaient bien moins songé à l’ordre judiciaire et à la justice en elle-même qu’aux conséquences politiques de cette mesure dans les difficultés extrêmes où ils se trouvaient.

1790. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre I : La politique — Chapitre II : Philosophie politique de Tocqueville »

La vue de l’auteur, moins distraite par les souvenirs historiques, est plus nette et plus décidée. […] L’auteur n’a pas vu autant de choses que son illustre maître, mais il a généralisé celles qu’il a vues. […] Il aimait passionnément les idées générales, mais il les dissimulait si bien, qu’un Anglais, auteur d’un livre intéressant sur les États-Unis, lui disait : « Ce que j’admire particulièrement, c’est qu’en traitant un si grand sujet, vous ayez si complètement évité les idées générales. » Il ne les évitait pas, loin de là ; mais il cherchait autant que possible à les incorporer dans les faits. […] Pour s’assurer d’ailleurs qu’un auteur a quelque originalité et quelque puissance, il faut examiner si ses idées se sont répandues en ont conquis une certaine faveur.

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