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940. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Patru. Éloge d’Olivier Patru, par M. P. Péronne, avocat. (1851.) » pp. 275-293

Tallemant des Réaux nous a raconté dans un singulier détail toutes ces amours de son ami. […] Patru, en lisant L’Astrée de d’Urfé et en l’admirant, n’y avait pas puisé, ce semble, la constance ni l’élévation romanesque en matière d’amour ; il était resté de la pure lignée de nos aïeux, peu platonique et médiocrement fidèle, un enfant de la Cité. […] J’aime la gloire, à la vérité, mais je l’aime d’amitié et non pas d’amour ; et je préfère le cœur d’Amarante à toutes les langues de la renommée. Ne me va point dire : Turpe senex miles ; car en tout cas on peut être capitaine et conquérant à tout âge : et en amour, pourvu qu’on y réussisse, on y a toujours bonne grâce. […] Sans aucune inconduite, il avait toujours négligé sa fortune : « La Fortune, aussi bien que l’Amour, disait-il, a ses heures du Berger, mais on ne les trouve qu’avec de la persévérance et de l’assiduité. » Il avait manqué de cette assiduité et de cette patience, et, l’âge venant, il sentait toutes les gênes et les rigueurs de la pauvreté.

941. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1853 » pp. 31-55

Permettez-moi seulement de défendre contre vous le répertoire comique que vous invoquez ici un peu à contre-sens, car c’est justement dans les tableaux qu’Arsinoé n’aime pas les nudités, Elle fait des tableaux couvrir les nudités, Mais elle a de l’amour pour les réalités. […] Le substitut prit la parole, ne trouva pas grand-chose à dire sur les vers de Tahureau, ni sur une femme qui, dans notre article, rentrait de dîner, son corset dans un journal (le second passage souligné au crayon rouge), passa à un article de notre cousin de Villedeuil, qui mettait en doute la vertu des femmes, s’étendit longuement sur ce doute malhonnête, puis revint à nous ; et, pris d’une espèce de furie d’éloquence, nous représenta comme des gens sans foi ni loi, comme des sacripants sans famille, sans mère, sans sœur, sans respect de la femme, et, pour péroraison dernière de son réquisitoire — comme des apôtres de l’amour physique. […] Dans cette maison où il n’y a pas de prostituées au-dessous de 60 ans, et où ces femmes ont de vieux béguins de linge maternels, — on débite de l’amour depuis 50 jusqu’à 10 centimes aux vieux pervertis et aux tout petits jeunes gens timides du peuple. […] Il y avait bien des choses dans ce coup de sonnette : un chagrin, une larme, un dépit colère et la modestie de carillon de l’amour qui n’a plus le droit de tapage. […] Et les fois suivantes, la sonnette carillonne, orgueilleuse comme l’amour qui s’affiche.

942. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXXe entretien. Conversations de Goethe, par Eckermann (2e partie) » pp. 315-400

Les régions de l’amour, de la haine, de l’espérance, du désespoir, toutes les nuances de toutes les passions de l’âme, voilà ce dont la connaissance est innée chez le poète, voilà ce qu’il sait peindre. […] Ordinairement ces personnes n’ont pas joui du bonheur de l’amour, et elles cherchent un dédommagement du côté de l’esprit. […] « Il ne faut pas le nier, dit Goethe, il a d’éclatantes qualités, mais il lui manque l’amour. […] Encore ces jours-ci je lisais ses poésies, et je n’ai pu méconnaître la richesse de son talent ; mais, je le répète, l’amour lui manque, et par là il n’exercera jamais autant d’influence qu’il l’aurait dû. […] On discuta la question de savoir si les chansons joyeuses d’amour étaient préférables aux chansons politiques.

943. (1908) Promenades philosophiques. Deuxième série

Les plus belles poésies humaines sont des appels à l’amour ou des lamentations sur l’amour perdu : le reste n’est peut-être que rhétorique. […] La jalousie est liée à l’amour. […] Retournons-nous vers les normes ordinaires de la jalousie, vers celles qui, si elles sont de l’amour malade, n’en sont pas moins de l’amour vrai. […] Voilà donc où peut mener l’amour de la fleur d’oranger ! […] L’amour n’adoucit pas leurs mœurs.

944. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIIe entretien. Sur le caractère et les œuvres de Béranger » pp. 253-364

Le prodigieux succès de ces deux bluettes fit comprendre tout de suite à Béranger combien la politique était un assaisonnement piquant à la chanson, et combien l’opposition était supérieure à l’ivresse ou à l’amour pour la popularité d’un couplet. […] Le refrain y est le cri de l’amour de la patrie à l’aspect du rivage paternel :     Qu’il va lentement le navire     À qui j’ai confié mon sort ! […]     Là furent mes premiers amours ;     Là ma mère m’attend toujours. […] l’amour du peuple est ma religion à moi ! […] Tout se rencontre dans ces longues vies qui traversent mille hasards, qui passent par tous les caprices du sort et par toutes les aventures du cœur, depuis l’amour jusqu’à la célébrité et depuis la célébrité jusqu’à la solitude.

945. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Chapitre II. Vérification de la loi par l’examen de la littérature française » pp. 34-154

Une histoire littéraire, telle que je la rêve, dirait toutes les nuances de cette foi nouvelle, d’où la nature et l’amour, les hommes et les dieux sortirent rajeunis. […] Son génie à lui seul remplit de haine et d’amour toute la seconde moitié du xviiie  siècle. […] Au dessèchement des uns correspond l’exaltation des autres. — C’est que la science est insuffisante à l’âme humaine qui crée par intuition et qui a soif d’amour. […] Chez ceux-là (et je citerais en particulier Verhaeren), le mot qui revient le plus souvent, comme un leit-motiv ou comme un idéal, ce n’est pas l’amour, ni Dieu, ni la science, c’est la vie. […] Cet effort immense, que la littérature nous atteste et nous explique depuis huit cents ans, inspire le respect, l’admiration et l’amour.

946. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « M. Denne-Baron. » pp. 380-388

Il est un demi-dieu, charmant, léger, volage ; Il devance l’Aurore, et d’ombrage en ombrage         Il fuit devant le char du jour ; Sur son dos éclatant où frémissent deux ailes, S’il portait un carquois et des flèches cruelles,         Vos yeux le prendraient pour l’Amour. […] Je laisse la fable agréable, mais un peu moins parfaite de l’amour de Flore pour Zéphyre ; le tout se termine par un vœu : Puisses-tu, beau Zéphyre, auprès de ton poète, Pour seul prix de mes vers, au fond de ma retraite,         Caresser un jour mes vieux ans ! […] Nous savons par cœur Le Lac, cette divine plainte de ce qu’il y a de fugitif et de passager dans l’amour : Denne-Baron, dans une pièce lyrique qui semble avoir été composée avant Le Lac, a rendu à sa manière un soupir né du même sentiment.

947. (1874) Premiers lundis. Tome I « Ferdinand Denis »

C’est un polype élégant, et la nature semble avoir été dans l’indécision quand elle le fit naître. » Et ailleurs, à l’occasion des déserts de l’Arabie et de l’Amérique : « L’amour dans ces pays brûlants devient un sentiment dont rien ne peut distraire ; c’est le besoin le plus impérieux de l’âme ; c’est le cri de l’homme qui appelle une compagne pour ne pas rester seul au milieu des déserts. » Certes Bernardin de Saint-Pierre n’eût pas mieux dit. […] Il y a une singulière expression de mélancolie dans toute la personne de ce jeune guerrier à moitié sauvage, dont l’amour et la douleur ont développé l’âme. […] N’y avait-il donc pas assez d’émotions à recueillir du tableau naïf de ce noble cœur brisé par l’amour, qui va par-delà l’Océan se distraire dans les combats ou se consoler dans la nature ?

948. (1874) Premiers lundis. Tome II « Doctrine de Saint-Simon »

A celui qui ajournait la religion, l’auteur de ces lettres avait à faire sentir et à démontrer que la science est sans vie, l’industrie sans réhabilitation, les beaux-arts sans rôle social, si un lien sacré d’amour ne les enserre pour les féconder ; il avait à révéler l’influence puissante, bien qu’incomplète, du dogme chrétien et de la théologie sur la politique d’alors et sur les progrès de la société ; il avait à prouver qu’aujourd’hui que cette théologie est reconnue arriérée, s’abstenir d’y substituer celle qui seule comprend l’humanité, la nature et Dieu ; rejeter ce travail glorieux et saint à un temps plus ou moins éloigné sous prétexte que le siècle n’est pas mûr ; s’obstiner à demeurer philosophe, quand l’ère religieuse est déjà pressentie, se rapetisser orgueilleusement dans le rôle de disciples d’un Socrate nouveau, quand la mission d’apôtres devrait soulever déjà tous nos désirs ; — que faire ainsi, c’était se barrer du premier pas la carrière, se poser une borne au seuil de l’avenir, s’ôter toute vaste chance de progrès et être véritablement impie. […] Nous recommandons la dernière lettre à ceux qui demandent à la doctrine une vive expression de son Dieu, et qui seraient tentés de contester aux disciples de Saint-Simon la puissance de l’amour divin, l’allégresse, de l’adoration. […] On y verra clairement jusqu’où peut aller, en aperçus ingénieux de l’avenir, la philosophie sans la foi, la sagesse sans la religion ; on se demandera quel bonheur il revient au genre humain d’une idée isolée, trouvée une fois lancée dans le monde pour le plus grand plaisir de quelques penseurs, et à laquelle toute une vie d’amour et de dévouement n’a pas été consacrée ; on admirera Lessing ; on saluera en passant, avec bienveillance et respect, la statue de marbre du sage, mais on se jettera en larmes dans les bras de Saint-Simon ; on se hâtera vers l’enceinte infinie où l’humanité nous convie par sa bouche, et où l’on conviera en lui l’humanité ; on courra aux pieds de l’autel aimant et vivant, dont il a posé, et dont il est lui-même la première pierre4.

949. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre V. Indices et germes d’un art nouveau — Chapitre I. Bernardin de Saint-Pierre »

Jamais la haine de l’inégalité sociale, du luxe, de l’aristocratie, l’amour de l’humanité, des humbles, de la simplicité, l’enthousiasme de la vertu n’ont revêtu des formes plus faussement, plus béatement, plus niaisement attendries : dès qu’on regarde la pensée de ce pauvre homme, hélas ! […] C’est lui qui a placé au milieu d’une pelouse, dans une île, agréable, un temple en forme de rotonde, entouré de colonnes dédié à l’amour dit genre humain, et tout enguirlandé d’inscriptions morales597. […] Ce ne sont pas deux caractères, ce sont deux noms, quelques sentiments élémentaires, simples, larges, plus rêvés qu’observés, quelques attitudes gracieuses ou touchantes ; c’est un doux et triste songe d’amour pur, par lequel l’humanité se repose des réalités rudes.

950. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Mistral, Frédéric (1830-1914) »

Frédéric Mistral a tiré sa colossale idylle est l’amour de la fille d’une fermière pour un pauvre vannier, à qui ses parents la refusent en mariage. […] Théophile Gautier Chacun a lu Mirèio, ce poème plein d’azur et de soleil, où les paysages et les mœurs du Midi sont peints de couleurs si chaudes et si lumineuses, où l’amour s’exprime avec la candeur passionnée d’une idylle de Théocrite, dans un dialecte qui, pour la douceur, l’harmonie, le nombre et la richesse, ne le cède en rien au grec et au latin. […] La clarté de ses vers et le noble exemple de sa vie impressionnent tous les jeunes gens que le Midi produit en rangs pressés et qui, portant au cœur l’amour de la patrie natale, s’aventurent cependant dans la littérature française vivifiée et embellie de leur lumineuse vigueur.

951. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre IV » pp. 38-47

On peut aussi en rapporter quelque chose à la vogue que L’Astrée avait donnée aux amours exempts de tout intérêt grossier. Et enfin, il n’est pas déraisonnable de penser que l’état d’humiliation où la première jeunesse du roi fut tenue par sa déraisonnable mère, lui rendait impossible cette confiance en lui-même et dans les autres, qui est le premier véhicule de l’amour ; qu’il ne voyait dans Anne d’Autriche qu’une femme attachée à lui par le devoir ; qu’il avait besoin d’être relevé de cette dépression par la tendresse de personnes désintéressées. […] Vers 1615, Armand Duplessis, âgé de vingt ans, qui avait déjà paru aux états-généraux de 1614 avec distinction, fut aussi introduit à l’hôtel de Rambouillet : il y soutint, dit-on, une thèse d’amour, c’est-à-dire, sans doute, qu’il y exprima une opinion contestée et la défendit en homme du monde.

952. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Philippe II »

Quelques têtes éprises de la force, comme celle de Stendhal, par exemple, qui aimait mieux le brigandage que la civilisation, et qui avait rêvé d’écrire l’Histoire de l’énergie en Italie, peuvent, par amour de l’émotion, poétiser un temps où le danger et la mort étaient noblement au bout de tout ; mais il n’y avait pas au XVIe siècle que la palpitation héroïque, chère aux hommes de courage, il y avait, dans les mœurs, autant de corruption et de bassesse que d’atrocité. […] C’est tout ce qui restait de l’antique foi chrétienne, de l’enthousiaste amour de Dieu, épousé par le cœur ardent du Moyen Age demeuré fidèle jusqu’au grand Adultère de la Renaissance, dont le XVIe siècle fut un des bâtards ! […] le fanatisme religieux, le charbon fumant d’une flamme d’amour, inextinguible encore, pour une religion enfoncée par le marteau de quinze siècles dans le cœur, les mœurs et les institutions politiques des peuples, et même de ceux-là qui s’étaient révoltés contre elle… Il ne faut pas s’y tromper !

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