Dix ans plus tard, dans un autre voyage entrepris au Mont-Perdu, voisin du Marboré, abordant par une autre vallée ces hautes enceintes, il en admirera la forme, qui, jointe à la lumière, se traduira sous sa plume comme sous un pinceau : Cependant nous entrions dans la vallée d’Estaubé, et nous contemplions en silence ses tranquilles solitudes. […] L’Oberman de Senancour dans ses voyages aux Alpes sera capable de former un tel vœu, mais il ne le formera que comme rêveur et pour avoir une sensation neuve, extatique, trop stérile : ici Ramond, tout en rêvant et en jouissant des âpres saveurs d’un tel spectacle, entend bien avoir le baromètre en main, peser, mesurer, calculer, faire son office enfin de disciple de Galilée et d’Empédocle, et c’est ce mélange, cette combinaison en lui du physicien et du savant avec le disciple de Jean-Jacques qui a de quoi se faire admirer, et dont le sentiment est si grandement rendu.
Rohan, qui y admire l’arsenal et qui en dénombre l’artillerie (370 pièces de fonte), ajoute : « Ils n’ont point de canon de batterie : leur raison tient fort du roturier ; car, à ce qu’ils disent, ils ne veulent attaquer personne, mais seulement se défendre. » Venise le saisit vivement par son originalité d’aspect, son arsenal, sa belle police, ses palais, ses tableaux même et ses bizarres magnificences : Pour le faire court, dit-il, si je voulais remarquer tout ce qui en est digne, je craindrais que le papier me manquât : contente-toi donc, ma mémoire, de te ressouvenir qu’ayant vu Venise, tu as vu un des cabinets de merveilles du monde, duquel je suis parti aussi ravi et content tout ensemble de l’avoir vue, que triste d’y avoir demeuré si peu, méritant non trois ou quatre semaines, mais un siècle, pour la considérer à l’égal de ce qu’elle mérite. […] Il roulait comme il pouvait, quelquefois trois mois durant, avec ces troupes sans paye, tenant tête aux armées ennemies, faisant plusieurs sièges, et il était forcé après cela de se désister de ce qu’il était près d’atteindre, « tant à cause de la mauvaise humeur de ses mestres de camp, que parce que les moissons approchaient, qui est un temps où les pauvres gens gagnent gros au bas Languedoc. » Ce ne sont là que des aperçus, mais qui donnent idée de la nature de génie et de constance qu’il lui fallut pour faire si bonne mine en un tel genre de guerre : je laisse à d’autres à l’en admirer.
On sait les beaux portraits du Riche et du Pauvre, auxquels il n’y a qu’à admirer : c’est mieux encore que du Théophraste. […] Et si l’on regarde à la nature des méchants propos qui sont restés attachés au nom de cette dame, on admire la délicatesse du peintre d’avoir ainsi loué une femme qui avait eu les plus odieux démêlés avec son mari et qui avait été chansonnée.
Mais on l’admire, en mainte rencontre, pour cette science morale dont on lui doit tant de remarques fines et pénétrantes, et qui fait d’elle, à quelques égards, le pendant de l’ingénieux M. […] il ne fait pas bon n’être pas tout à fait de son avis, et se contenter d’admirer ce qu’il aime.
En quoi l’on a sujet d’admirer la grandeur de son âme et la patience extraordinaire de ce prince, accompagnée d’une volonté admirable… » Tel il sera jusqu’au dernier jour. — (Ne jamais perdre de vue ce point-là, en lisant le Journal.) […] Et a ceux qui ne sont pas médecins (quoique tout le monde, dans une bonne éducation, dût l’être plus ou moins), je dirai : Laissez le désagrément léger de ces explications techniques, de ces termes médicinaux ; voyons, n’admirez-vous pas maintenant un peu plus que vous ne faisiez auparavant ce roi qui, toute sa vie, sujet à une pareille infirmité et inquiétude, travaille assidûment, ne ralentit en rien son application, garde devant tous son égalité d’humeur, reste doux, ferme, et en apparence tranquille ?
Renan me paraît le plus certainement atteint et convaincu de déisme latent, quoi qu’on en dise, c’est qu’il conçoit l’œuvre de l’humanité comme sainte et sacrée, qu’il y admire et y respecte, dans la suite des développements historiques, un ordre excellent, — non pas cet ordre tel quel, qui résulte nécessairement, fût-ce après coup, des rapports et de la nature des événements en cours et des éléments en présence, mais un ordre préétabli, et qui a tout l’air d’avoir été conçu quelque part dans un dessein supérieur et suprême. […] Mais on écoute sur tous les bancs, on se tait avec avidité, on admire même la finesse de pensée et de parole qui, pour la première fois, s’applique dans une telle méthode à ces graves et difficiles questions.
Il est doux en effet et commode de se dire de bonne heure : tout ce qui est grand est fait ; tous les beaux vers sont faits ; tous les discours sublimes sont sortis : il n’y a plus, à qui vient trop tard et le lendemain, qu’à lire, à relire, à admirer, à goûter et déguster, à se tenir tranquille et coi en présence des modèles, à mettre sa supériorité à les trouver supérieurs à tout ce qui s’est tenté depuis, à tout ce qui se tentera désormais. […] Ces anciens, ces devanciers qu’on admire étaient des classiques en action, debout et militants : on est, soi, des classiques assis, éternellement assis.
N’admirez-vous pas l’illusion ? […] Dans tous les cas, en acceptant ce pénible rôle de noter les arrêts, les chutes et les déclins avant terme, de tant d’esprits que nous admirons, nous voulons qu’on sache bien qu’aucun sentiment en nous ne peut s’en applaudir.
Ils n’ont pourtant pas renoncé à assister aux suites, à y présider même par leur esprit ; ils ont donné de leur présence constante des témoignages trop rares sans doute pour ceux qui les admirent et auraient voulu les suivre encore, mais des témoignages suffisants pour maintenir leur influence supérieure et leur nom. […] Hugo, jusqu’à présent inaccessible, demeure naturellement en dehors ; il reste un des grands exemples qu’on admire en partie, qui éclairent par réflexion, à listance, et qui hâtent la maturité de ceux qui en sont capables.
Mais le monde ne pardonna pas à Mirabeau cette sorte de férocité, d’exaspération physique qui remplaçait chez lui la légèreté du libertinage à la mode : une fougueuse nature éclatait dans ses vices, au lieu de la gracieuse corruption qu’on était accoutumé à admirer. […] Mirabeau y a donné complaisamment, et dans les théâtrales banalités dont la pauvre antiquité faisait les frais, la poussière de Marius, Catilina aux portes : c’était là que jadis on admirait le grand orateur.
« Plus j’ai pénétré dans le sein de la nature, dit Buffon, plus j’ai admiré et profondément respecté son auteur97. » C’est bien froid, et ces mots de la civilité humaine, admiré, respecté profondément, appartiennent à peine à la langue du sujet.
Les contemporains du grand roi. la dédaignent ; ceux de Rousseau l’admirent, mais encore de loin. […] En effet, de même que le montagnard (j’entends le montagnard pur, non affiné et non gâté) appelle la montagne « le mauvais pays », l’homme redoute et n’admire pas les torrents, les ravins, les escarpements, tant qu’il y voit un danger et un obstacle permanents.
Le chevalier normand allant conquérir l’Angleterre, écoutait avec autant de plaisir le trouvère Taillefer chanter les interminables exploits de Roland que les Grecs leurs aèdes ; une foule frémissait au spectacle des mystères de la Passion, comme une autre foule avait frémi jadis à celui des malheurs d’Œdipe ou de Prométhée ; le dévot s’extasiait devant la douloureuse figure d’un Christ en croix, comme jadis les Athéniens admiraient les chefs-d’œuvre du Parthénon. […] Maintenant, dans l’œuvre que je viens de citer : « Dieu a créé l’homme afin qu’il connaisse les lois qui régissent l’univers qu’il en aime la beauté, qu’il en admire la grandeur ».