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1763. (1859) Cours familier de littérature. VII « XXXVIIe entretien. La littérature des sens. La peinture. Léopold Robert (2e partie) » pp. 5-80

En un mot, sa félicité ce n’est pas l’Éden c’est la terre. […] Enfin ils étaient jeunes, et les révolutions sont l’instinct de la jeunesse, parce qu’elles pressent le pas du temps et parce qu’elles arrachent violemment à l’avenir le mot du destin. […] Tout est resté mystère, conjecture, énigme, dont un seul homme a le mot, l’illustre étranger aimé d’une femme morte, et qui ne peut, sans sacrilège, trahir sa vie et sa mort ! […] En un mot, y en a-t-il qui sentent plus et qui exprimeraient mieux ? […] Est-ce qu’il y a plus de langage dans un mot écrit que dans un trait peint ?

1764. (1859) Cours familier de littérature. VII « XXXVIIIe entretien. Littérature dramatique de l’Allemagne. Le drame de Faust par Goethe » pp. 81-160

Creusez le mot, vous trouvez l’Inde à sa racine. […] Comprends-tu ce que ce mot veut dire : il t’aime ! […] Écoutez ce dialogue que Goethe a surpris mot à mot entre les lèvres de l’amant et l’oreille de l’amante. […] Tout cela est bel et bon ; le prêtre dit bien à peu près la même chose, mais avec des mots un peu différents. […] Pas un mot ; je vois si peu de monde !

1765. (1859) Cours familier de littérature. VII « XLIIe entretien. Vie et œuvres du comte de Maistre » pp. 393-472

Il retenait longtemps le mot gai avant de le laisser échapper. […] Quelquefois il résistait avec une obstination impénitente à raturer un mot ou une image. « Non, non, disait-il en persistant, cela les amusera à Paris ; il faut scandaliser un peu cette pruderie de leur langue !  […] Mais maintenant que nous avons le portrait de cet homme devenu l’entretien du monde, voyons en peu de mots sa vie, et mêlons-y ses œuvres ; car l’homme, la vie et l’œuvre se tiennent indissolublement dans le philosophe, dans le politique et dans l’écrivain. […] Je comptais dire à peu près : Il me reste, Sire, une chose à vous déclarer : c’est que jamais homme vivant ne saura un mot de ce que j’ai eu l’honneur de vous dire, pas même le roi mon maître ; et je ne dis point ceci pour vous ; car que vous importe ? […] Voilà le mot, Monsieur le Chevalier ; le cabinet est surpris.

1766. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXVIIIe entretien. De la littérature de l’âme. Journal intime d’une jeune personne. Mlle de Guérin » pp. 225-319

Elle me reconnut, la pauvre jeune fille, me dit un mot et se remit à prier Dieu. […] Je n’ai fait que passer dans ma chambrette depuis samedi ; à présent seulement je m’arrête, et c’est pour écrire à Mimi bien au long et deux mots ici. […] Par bonheur, je me suis souvenue de ce mot de Fénelon : Si Dieu vous ennuie, dites-lui qu’il vous ennuie. » Le 23 avril. […] « Mais je ne le vois pas, je l’augure d’après tes lettres, et quelques mots de Félicité. […] En patois du pays : Que de mots là-dedans !

1767. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCVIe entretien. Alfieri. Sa vie et ses œuvres (1re partie) » pp. 413-491

« Ici, pour l’intelligence du lecteur, je dois dire ce que j’entends par ces mots dont je me sers si souvent, concevoir, développer et mettre en vers. […] Pour ce qui est d’Oreste, il m’était venu un scrupule avant de le développer ; mais, comme ce scrupule était chose mesquine en soi et peu digne d’arrêter, mon ami me le leva avec quelques mots. […] L’hiver arriva, et, me trouvant alors à Turin, un jour que je passais mes livres en revue, j’ouvris par hasard un volume du théâtre de Voltaire, où le premier mot qui s’offrit à moi ce fut : Oreste, tragédie. […] Ce bruit, cet éclat, ce concours du peuple, tout cela ne valait point pour Charles-Édouard un simple mot tombé de la bouche du pape. […] On craignait en un mot que le partisan de 1745 ne retrouvât sa vigueur juvénile pour cette expédition d’un nouveau genre ; il fallait donc être en mesure d’empêcher un coup de main.

1768. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1857 » pp. 163-222

mon Dieu, on me dit aussi qu’on ne me comprend pas dans Le Roman de la momie, et cependant je me crois l’homme le plus platement clair du monde… Parce que je mets, je suppose, un mot comme pschent ou calasiris. […] Il faut que le lecteur sache ce que disent les mots… Mais ça m’est égal. Critiques et louanges m’abîment et me louent sans comprendre un mot de mon talent. […] Conversation sur les maîtresses de l’Empereur, sur la Castiglione, sur la jalousie de l’Impératrice, conversation tout à coup coupée par Juliette, jetant : « Vous savez le joli mot de Constance sur l’Empereur : « Si je lui avais résisté, je serais Impératrice !  […] * * * — Un mot du peuple : A quoi penses-tu ?

1769. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Deuxième partie. L’évolution des genres — Chapitre III. Le roman » pp. 135-201

On s’aperçoit que la sonorité intéresse infiniment moins Madame de Noailles que la saveur des mots et que le rythme. […] Mettons que dans les vers il y ait une trouvaille par strophe ; dans sa prose il y en a une par mot : une trouvaille “poétique”. […] J’approuve presque toutes vos idées ; et, si je vous adresse ce mot, ce n’est point pour m’inscrire en faux contre vos conclusions, mais pour vous signaler une omission que, j’en suis sûr, vous aurez à cœur de réparer. Vous n’avez pas dit un mot du roman que j’appellerais volontiers « artistique », et dont le Lys Rouge me semble le parfait et fort illustre modèle. […] Rachilde affirme que vouloir citer les jolis mots de P.

1770. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Chapitre IV. De la délimitation, et de la fixation des images. Perception et matière. Âme et corps. »

Nous la fractionnons en éléments juxtaposés, qui répondent, ici à des mots distincts, là à des objets indépendants. […] Mais il faudrait s’entendre sur le sens de ce dernier mot. […] Il faudra donc se rejeter sur le sens métaphysique du mot, et étayer le mouvement aperçu dans l’espace sur des causes profondes, analogues à celles que notre conscience croit saisir dans le sentiment de l’effort. […] Insistons sur ce dernier point, dont nous avons déjà touché un mot ailleurs, mais que nous tenons pour essentiel. […] Si les impressions de deux sens différents ne se ressemblent pas plus que les mots de deux langues, c’est en vain qu’on chercherait à déduire les données de l’un des données de l’autre ; elles n’ont pas d’élément commun.

1771. (1912) Chateaubriand pp. 1-344

Il a su exprimer avec des mots plus de sensations qu’on n’avait fait avant lui. […] le grand mot ! […] Pure duperie de mots. […] À ces mots, l’Indienne eut un mouvement involontaire. […] » On ne dira jamais, ni en mots plus doux, l’éternel désir.

1772. (1898) Essai sur Goethe

Le mot même, à ce qu’il semble, lui était étranger. […] Il l’a compris, en un mot, à travers Rousseau. […] Il est l’honnête homme au sens complet du mot, le brave homme, et encore l’homme joyeux, qui puise sa gaîté dans la pureté de son âme. […] Nous nous contenterons donc de rappeler les faits, en peu de mots. […] Aussi Tasse proteste-t-il, mais sans avoir le dernier mot, qui reste à la princesse.

1773. (1893) Alfred de Musset

Le mot d’école poétique lui paraissait maintenant vide de sens. […] Il avait, en un mot, reçu du dehors une part de son inspiration. […] Il est un maître pour la distribution, à l’intérieur des hémistiches, des syllabes accentuées des mots, et des mots qui portent l’accent oratoire. […] Il croit à la vertu, au progrès, à la grandeur humaine, au pouvoir magique des mots. […] Quelques mots, tombés de vos lèvres, avaient pu venir jusqu’à moi, je les répétais tout un jour.

1774. (1901) L’imagination de l’artiste pp. 1-286

On peut en dire autant du mot. […] L’invention, en un mot, se dissimule. […] Le mot d’idéal sonne mal à leurs oreilles. […] Mais que ce mot d’idéal ne nous trompe pas. […] Elle peut être définie d’un mot.

1775. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre quatrième »

Combien peu qui, en venant au monde, ont, selon le mot de Montaigne, où planter leur pied, et auxquels suffit une certaine mesure de sagesse mondaine, pour ne pas gâter la bonne condition qu’ils n’ont pas eu à se faire ! […] Les mots y sont entre eux dans des rapports mathématiques. […] Les mots n’y sont plus seulement des chiffres qui fixent l’esprit, ce sont des paroles sonores qui font vibrer toutes les cordes du cœur. […] Le mot d’Arnauld à Pascal, « Vous qui êtes curieux », éclaire une époque de cette noble vie, et nous fait voir quelle était, à l’heure où parlait Arnauld, la direction d’esprit de Pascal. […] Outre un tour plus libre, plus dégagé, sans que le tissu du style en soit moins serré, ni les rapports des mots aux choses moins exacts que dans Descartes, il y a de tous les styles dans le style de Pascal, parce qu’il y a de tous les hommes dans l’écrivain.

1776. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1882 » pp. 174-231

» * * * — Un beau mot produit par la crise financière du jour d’aujourd’hui. […] Mon cabman, en passant comme le vent, jeta aux curieux deux mots anglais signifiant : « Retournez-le !  […] Au dîner un joli mot d’enfant gâté. […] * * * — Un drolatique mot d’enfant. […] Pas un mot de vérité vraie, des modernes de contes de fée, mais vus avec une optique toute particulière à l’homme : l’optique de l’hyperterrestre funambulesque.

1777. (1856) Cours familier de littérature. I « Ier entretien » pp. 5-78

Cicéron, le plus littéraire de tous les hommes qui ont jamais existé sur la terre, a écrit une phrase magnifique, à immenses circonvolutions de mots sonores comme le galop du cheval de Virgile, sur les utilités et les délices des lettres. Cette belle phrase est depuis des siècles dans la bouche de tous les maîtres qui enseignent leur art et dans l’oreille de tous les enfants ; je ne vous la répéterai pas, toute belle qu’elle soit, parce qu’elle ne laisserait qu’une vaine rotondité de période et une vaine cadence de mots dans votre mémoire. […] Cependant, malgré la dureté de l’apprentissage, je commençais à trouver de temps en temps un plaisir sévère à ces récits pathétiques, à ces belles pensées qu’on nous faisait exhumer mot à mot de ces langues mortes ; un souffle harmonieux et frais en sortait de temps en temps, comme celui qui sort d’un caveau souterrain muré depuis longtemps et dont on enfonce la porte. […] On lisait sur sa physionomie ce mot de Machiavel sur la fortune : « Je donne carrière à sa malignité, satisfait qu’elle me foule ainsi aux pieds pour voir si à la fin elle n’en aura pas quelque honte ! […] Un homme lassé des hommes, deux amies atteintes du même dégoût de l’existence que lui, un chien, une chèvre, un arbre, un livre, voilà tous les mots de l’énigme.

1778. (1856) Cours familier de littérature. II « XIe entretien. Job lu dans le désert » pp. 329-408

Peu d’hommes vivants, je pense, ont plus souffert que moi dans une vie où la souffrance ne m’a pas encore dit son dernier mot ! […] L’incertitude de son heure combinée avec la certitude de son avènement en fait pour l’homme qui pense non plus une mort future, mais une mort présente, une mort éternelle, une mort vivante, s’il est permis d’employer ce monstrueux accouplement de mots ! […] Mais ici commence un bien autre supplice, encore plus horrible, plus raffiné que la mort elle-même et que l’inconnu de la mort : le supplice de l’âme qui les contient tous en suspens dans un mot : le doute ! […] Je prends ici le mot grand dans son acception la plus matérielle comme dans son acception la plus métaphysique à la fois. […] « Et par quel mot pour toi veux-tu que je me nomme ?

1779. (1910) Études littéraires : dix-huitième siècle

La chose est nouvelle, et le mot n’existe même pas encore. […] Le mot lui échappe, qui porte loin. […] Toujours le mot de la Comtesse : « Ah ! […] Le mot même de législateur, si cette théorie est juste, est un non-sens. […] Il aimait même à prononcer le mot de liberté.

1780. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Vicq d’Azyr. — II. (Fin.) » pp. 296-311

Lorry, il est si au fait de tous nos maux, que l’on dirait qu’il a lui-même accouché. » Ce mot familièrement spirituel n’est pas, comme bien l’on pense, dans le discours de Vicq d’Azyr : celui-ci, en effet, observe les tons, respecte les nuances, fait entendre ce qu’il ne dit pas, et, répondant aux détracteurs de M.  […] Ceux qui parlent ainsi n’avaient pas présent au souvenir le remarquable passage où Vicq d’Azyr commente ce mot de Buffon : « Voilà ce que j’aperçois par la vue de l’esprit », et où il le montre dans ses diverses théories faisant en effet tout ce qu’on peut attendre de l’esprit, devançant l’observation, et arrivant au but sans avoir passé par les sentiers pénibles de l’expérience. […] Je donnerai ici l’une de ces versions, qui montre à quel point ces grands mots tout chargés de foudre cachent souvent de timides pensées ; plus l’auteur tremble, et plus il grossit sa voix : Citoyens représentants, écrivait Vicq d’Azyr, vous avez dit un mot, et le sol de la liberté, labouré d’une manière nouvelle, produit une abondante moisson de salpêtre.

1781. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Ramond, le peintre des Pyrénées — II. (Suite.) » pp. 463-478

Malgré ces mots du titre, grand schisme d’Occident, qui donnent d’abord l’idée d’une autre date bien postérieure, la scène se rapportait à la fin du xie  siècle et à l’époque des démêlés du pape Grégoire VII avec l’empereur. L’auteur avait voulu peindre les guerres et discordes des comtes et des prélats d’Alsace, ranimer les cadavres de l’histoire, mettre en actions les légendes ou chroniques qui se rattachaient aux débris des vieux châteaux : ils passeront devant les yeux du lecteur dans leur costume antique, disait-il de ses personnages, ils agiront suivant les mœurs de leur siècle ; en un mot, je copierai fidèlement la nature, même lorsque je suppléerai par la fiction aux faits que le temps a ensevelis dans les ténèbres de l’oubli. […] Était-il disciple et adepte à quelque degré, ou n’était-il qu’un observateur encore, déguisé en disciple, et n’avait-il qu’une arrière-pensée, celle de saisir le dernier mot de la cabale et la clef du jeu ? […] Ainsi, en montant le pic du Midi, le voyageur arrivé à une certaine élévation se trouve avoir atteint à un beau réservoir d’eau appelé le lac d’Oncet, et où la nature commence à prendre un grand caractère ; il en fait voir en peu de mots l’encadrement, et en quoi ce nouveau genre de beauté consiste : C’est un beau désert que ce lieu : les montagnes s’enchaînent bien, les rochers sont d’une grande forme ; les contours sont fiers, les sommets hérissés, les précipices profonds ; et quiconque n’a pas la force de chercher dans le centre des montagnes une nature plus sublime et des solitudes plus étranges prendra ici, à peu de frais, une idée suffisante des aspects que présentent les monts du premier ordre.

1782. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Lettres sur l’éducation des filles, par Mme de Maintenon » pp. 105-120

Cela bien entendu, elle veut le vrai dans l’éducation dès le bas âge : « Point de contes aux enfants, point en faire accroire ; leur donner les choses pour ce qu’elles sont. » — « Ne leur faire jamais d’histoires dont il faille les désabuser quand elles ont de la raison, mais leur donner le vrai comme vrai, le faux comme faux. » — « Il faut parler à une fille de sept ans aussi raisonnablement qu’à une de vingt ans. » — « Il faut entrer dans les divertissements des enfants, mais il ne faut jamais s’accommoder à eux par un langage enfantin, ni par des manières puériles ; on doit, au contraire, les élever à soi en leur parlant toujours raisonnablement ; en un mot, on ne peut être ni trop ni trop tôt raisonnable. » — « Il n’y a que les moyens raisonnables qui réussissent. » — Elle le redit en cent façons : « Il ne leur faut donner que ce qui leur sera toujours bon, religion, raison, vérité. » Dans un siècle où sa jeunesse pauvre et souriante avait vu se jouer tant de folies, tant de passions et d’aventures, suivies d’éclatants désastres et de repentirs ; où les romans des Scudéry avaient occupé tous les loisirs et raffiné les sentiments, où les héros chevaleresques de Corneille avaient monté bien des têtes ; où les plus ravissantes beautés avaient fait leur idéal des guerres civiles, et où les plus sages rêvaient un parfait amour ; dans cet âge des Longueville, des La Vallière et des La Fayette (celle-ci, la plus raisonnable de toutes, créant sa Princesse de Clèves), Mme de Maintenon avait constamment résisté à ces embellissements de la vérité et à ces enchantements de la vie ; elle avait gardé son cœur net, sa raison saine, ou elle l’avait aussitôt purgée des influences passagères : il ne s’était point logé dans cette tête excellente un coin de roman. « Il faut leur apprendre à aimer raisonnablement, disait-elle de ses filles adoptives, comme on leur apprend autre chose. » Et de plus, cette ancienne amie de Ninon savait le mal et la corruption facile de la nature ; elle avait vu de bien près, dans un temps, ce qu’elle n’avait point partagé ; ou si elle avait été effleurée un moment, peu nous importe, elle n’en était restée que mieux avertie et plus sévère. […] En un mot, Saint-Cyr, tel qu’il nous est montré aujourd’hui dans toutes les circonstances qui en accompagnèrent la fondation, me paraît à la fois pouvoir être un vœu, une pénitence de malade qui cherche à réparer, et être certainement un cadeau de noces de Louis XIV en l’honneur de Mme de Maintenon. […] Aux maîtresses elle recommande aussi de n’employer que des mots qui soient bien compris des jeunes intelligences, de ne pas emprunter aux livres qu’on lit les termes qui sont bons surtout pour ces livres, et qui sont de trop grands mots pour le discours commun.

1783. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Journal de Dangeau. tomes III, IV et V » pp. 316-332

Dangeau ne trouve pas à tout cela le plus petit mot pour rire, et s’il ne prend pas feu comme Saint-Simon, que ces sortes de questions ont le privilège de faire déborder, il s’applique à bien exposer les points en litige, comme un rapporteur sérieux et convaincu. […] Louis XIV, en un mot, à cette époque où il allait dater de la cinquantième année de son règne (14 mai 1692), se mettait à l’ouvrage plus que jamais, et à son métier de roi sans plus de distraction. […] Je rends ce que j’éprouve en ces bons endroits, comme encore on me laissera citer ce mot de Louis XIV, conservé par Dangeau, lorsque deux ans après environ le vainqueur de Steinkerque et de Nerwinde, Luxembourg, se meurt : Vendredi 31 décembre 1694, à Versailles. — M. de Luxembourg à cinq heures du matin s’est trouvé mal, et sa maladie commence si violemment que les médecins le désespèrent. […] Fagon, son premier médecin : « Faites, monsieur, pour M. de Luxembourg tout ce que vous feriez pour moi-même si j’étais dans l’état où il est. » Louis XIV n’offre pas d’abord des trésors à celui qui sauvera M. de Luxembourg ; il dit ce simple mot humain : Faites comme pour moi-même.

1784. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Fanny. Étude, par M. Ernest Feydeau » pp. 163-178

La naissance, le progrès, les divers temps de ce mal de jalousie chez Roger, ses soupçons tantôt irrités, tantôt assoupis, et que le moindre mot réveille, son horreur du partage, l’exaspération où il s’emporte à cette seule idée, tous ces degrés d’inquiétude et de torture jusqu’à la fatale et horrible scène où il a voulu n’en croire que ses yeux et être le témoin de sa honte, sont décrits avec un grand talent, avec un talent qui ne se refuse aucune rudesse métallique d’expression, qui ne craint pas d’étreindre, de violenter les pensées et les choses, mais qui (n’en déplaise à ceux qui n’admettent qu’une manière d’écrire, une fois trouvée) a certainement sa forme à lui et son style. […] Il fera dire, par exemple, à Adolphe, racontant et définissant ses rapports avec son père, ce père qui était timide même avec son fils : Je ne savais pas alors ce que c’était que la timidité, cette souffrance intérieure qui nous poursuit jusque dans l’âge le plus avancé, qui refoule sur notre cœur les impressions les plus profondes, qui glace nos paroles, qui dénature dans notre bouche tout ce que nous essayons de dire, et ne nous permet de nous exprimer que par des mots vagues ou une ironie plus ou moins amère, comme si nous voulions nous venger sur nos sentiments mêmes de la douleur que nous éprouvons à ne pouvoir les faire connaître. […] Effaré par le grincement des verres, par le cliquetis de l’argenterie, par le frottement des porcelaines ; ébloui par la réverbération des touches de lumière sur les cloches bombées qui couvraient les plats ; ahuri par le va-et-vient des valets empressés qui servaient chacun, sans mot dire, glissant sans bruit sur les tapis, comme des ombres noires gantées de blanc ; suffoqué par la chaude atmosphère de la salle empreinte (imprégnée ?) […] De ma place, je voyais le dos des joueurs inclinés vers les tables où brillaient doucement, enfermées sous les abat-jour, les bougies enfoncées dans de lourds flambeaux d’argent ; j’entendais le bruit des jetons de nacre et le murmure des mots couverts que les partenaires échangeaient entre eux.

1785. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Lettres de Madame de Sévigné »

Pas le moins du monde ; ces grands morceaux, sauf quelques mots peut-être, ont été, en général, assez bien donnés. […] Il risque la triplique (le mot est de lui), mais il se sent là sur un mauvais terrain. […] me voilà arrêté dès les premiers mots de ma citation, nous dirions aujourd’hui les seins) de sa nourrice ne s’enfuyaient ; la fantaisie me prit de croire qu’elle n’avait pas assez de lait. […] J’ai une santé au-dessus de toutes les craintes ordinaires ; je vivrai pour vous aimer, et j’abandonne ma vie à cette occupation, et à toute la joie, et à toute la douceur, à tous les égarements, et à toutes les mortelles inquiétudes, et enfin à tous les sentiments que cette passion me pourra donner. » Ne sentez-vous pas la passion vraie qui déborde et qui ne trouve jamais ; à son gré, assez de mots ?

1786. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. Biot. Mélanges scientifiques et littéraires, (suite et fin.) »

» C’était son mot. […] Sans être très neuf d’idées en causant ni très original là pas plus qu’ailleurs, il avait à l’occasion des mots fins et qui ont toute leur valeur et leur agrément dans la vieillesse. […] Biot, par un brusque retour sur lui-même, je vois qu’il ne faut pas que je me dépêche. » Ce mot est la contre-partie du précédent. […] Il lui exprima son approbation, en ajoutant ces mots qui résument, ce me semble, à merveille le genre d’égards qui restent dus aux anciens noms historiques, dans la juste et stricte mesure des idées de 89 : « On vous doit, monsieur, les occasions de vous distinguer ; mais souvenez-vous bien toute votre vie qu’on ne vous doit que cela. » M. 

1787. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Préface » pp. 1-22

Préface Si je ne me trompe, on entend aujourd’hui par intelligence ce qu’on entendait autrefois par entendement ou intellect, à savoir la faculté de connaître ; du moins, j’ai pris le mot dans ce sens. […] Les mots faculté, capacité, pouvoir, qui ont joué un si grand rôle en psychologie, ne sont, comme on le verra, que des noms commodes au moyen desquels nous mettons ensemble, dans un compartiment distinct, tous les faits d’une espèce distincte ; ces noms désignent un caractère commun aux faits qu’on a logés sous la même étiquette ; ils ne désignent pas une essence mystérieuse et profonde, qui dure et se cache sous le flux des faits passagers. […] Il faudrait noter chez des enfants et avec les plus menues circonstances la formation du langage, le passage du cri aux sons articulés, le passage des sons articulés dépourvus de sens aux sons articulés pourvus de sens, les erreurs et les singularités de leurs premiers mots et de leurs premières phrases. […] Nous prenons le mot impulsion au sens psychologique et non au sens mécanique.

1788. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Raphaël, pages de la vingtième année, par M. de Lamartine. » pp. 63-78

M. de Lamartine le sait bien, et il y a longtemps qu’on m’assure avoir entendu de lui ce mot : « Qu’importe ! […] Le sentiment n’était-il pas mieux observé dans cette simple écume jetée au hasard, que lorsque nous lisons aujourd’hui : « Une terrasse couverte de quelques mûriers sépare le château de la plage de sable fin où viennent continuellement mourir, écumer, lécher et balbutier les petites langues bleues des vagues. » Remarquez, même aux meilleurs endroits, que ce qu’on nous donne ici comme le dernier mot, n’est pas plus vrai ni plus réel : c’est moins contenu, et dès lors moins poétique. […] Jamais une jeune femme, vers 1817 ou 1818, fût-elle à la hauteur philosophique de Mme de Condorcet, n’a causé ainsi ; c’est le panthéisme (le mot n’était pas inventé alors), le panthéisme, disons-nous, de quelque femme, esprit fort et bel esprit de 1848, que l’auteur de Raphaël aura mis après coup dans la bouche de la pauvre Elvire, qui n’en peut mais. […] On voudrait bien, à l’aide de ces grands mots délirants, simuler l’enthousiasme qu’on n’a plus, et l’on ne réussit à surprendre un moment que quelques âmes ouvertes et faciles qui croient encore à toutes les paroles.

1789. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Poésies nouvelles de M. Alfred de Musset. (Bibliothèque Charpentier, 1850.) » pp. 294-310

Évidemment, ce dernier a pris M. de Musset trop au mot dans sa modestie ; il avait oublié qu’à cette date de 1840, cet enfant aux blonds cheveux, ce jeune homme au cœur de cire, comme il l’appelle, avait écrit La Nuit de mai et La Nuit d’octobre, ces pièces qui resteront autant que Le Lac, qui sont plus ardentes, et qui sont presque aussi pures. […] Les mots ne se battent pas sur le papier, on l’a dit. […] Qui sait celui qui aura le dernier mot auprès de nos neveux indifférents ? […] Loin de moi les vains mots, les frivoles pensées, Des vulgaires douleurs linceul accoutumé, Que viennent étaler sur leurs amours passées               Ceux qui n’ont point aimé !

1790. (1876) Du patriotisme littéraire pp. 1-25

Reportez-vous à la même époque en France, et vous trouverez autant de façons de construire la phrase, d’entendre l’invention de l’image, l’alliance de mots, autant de styles qu’il y a d’éminents prosateurs. […] Nous nous demanderons alors si cette facilité de créer des mots, cette profusion de termes qui sont le propre de l’allemand ne se trouvent pas acquises au détriment de la clarté, de la netteté chez nous traditionnelles. […] Il faudrait encore bien rechercher si la sonorité de l’espagnol ne produit pas un cliquetis de mots parfois vide et vain, si la douceur italienne ne dégénère pas aisément en mollesse banale et ne fait point penser à ce « latin bâtard » dont parle Byron, si ces deux idiomes arrêtent et retiennent suffisamment l’idée, si dans ces deux langues la facilité toute spontanée de la musique ne se dérobe pas aux nuances psychologiques du sentiment, aux profondes analyses de la pensée, à la dialectique soutenue, à cette harmonieuse alliance de la philosophie morale et de l’art, qui recommandent la prose et la poésie française depuis leurs origines jusqu’aux chefs-d’œuvre contemporains. […] » mais il n’entendait ces mots « reine du monde » que dans un sens restreint et dangereusement exclusif.

1791. (1759) Observations sur l’art de traduire en général, et sur cet essai de traduction en particulier

Corneille doit donc être plus facile à traduire que Racine, et, ce qui peut-être semblera paradoxe, Tacite doit l’être plus que Salluste : Salluste dit tout, mais en peu de mots, mérite qu’une traduction a peine à conserver ; Tacite sous-entend beaucoup et fait penser son lecteur, mérite qu’une traduction ne peut faire perdre. […] ce n’est pas un mot nouveau, dicté par la singularité ou par la paresse ; c’est la réunion nécessaire et adroite de quelques termes connus, pour rendre avec énergie une idée nouvelle. […] On l’accuse, je le sais, d’avoir peint trop en mal la nature humaine, c’est-à-dire, de l’avoir peut-être trop bien étudiée ; d’être obscur, ce qui signifie seulement qu’il n’a pas écrit pour la multitude ; d’avoir enfin le style trop rapide et trop concis, comme si le plus grand mérite d’un écrivain n’était pas de dire beaucoup en peu de mots. […] J’ai tâché enfin de rendre l’esprit, lorsque je n’ai pu rendre les mots.

1792. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre XI. Seconde partie. Conséquences de l’émancipation de la pensée dans la sphère de la littérature et des arts » pp. 326-349

Les mots ne doivent plus nous inquiéter ; c’est la pensée elle-même qu’il faut atteindre. […] Homère fait dire à Alcinoüs ces mots, qui sont une poétique tout entière : « Les dieux ont permis la ruine d’Ilion et la mort d’un grand nombre de héros, afin que la poésie en tirât des leçons utiles aux siècles à venir. » Proposez encore des prix pour l’utilité des croisades ! […] En un mot, il ne faut pas que le poète participe à une croyance qui n’est point la sienne, et qui ne peut pas être celle de ses lecteurs. […] En un mot, le génie classique est usé comme toutes les autres traditions.

1793. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XIX. Mme Louise Colet »

C’était le bas-bleu à outrance, fastueusement impie et jacobin, insulteur, vésuvien, (un mot de son temps), le bas-bleu rouge — hardiment écarlate, parmi les bas-bleus ! […] Il n’y avait que la haine révolutionnaire qui pût aller de pair avec la vanité effrénée, dans l’âme de Mme Colet, si on peut se servir de ce mot d’âme, en parlant d’elle. […] C’est un écho et, malgré le gonflement des mots, un écho qui affaiblit ce qu’il répète. […] Elle s’y pose en Artémise, buvant, dans l’encre, les cendres de son époux, quand il est de légende que feu Colet, qui était musicien, et qui n’était pas Socrate, cassait à cette Xantippe, ses meilleurs violons sur la tête… L’hypocrisie du mot n’a d’égale, en son livre, que son impertinence.

1794. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre VI : M. Cousin philosophe »

On comprend maintenant le mot et la chose. […] On l’aperçoit ; et ce retranchement exécuté par l’auteur prouve tout ce que valent ces quatre mots. […] Voy. chapitre iv, le double sens du mot subjectivité. […] Le double sens du mot vérité.

1795. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XIV. »

Ce seront quelques mots de la prière des frères Arvales, de cette courte antienne qu’à certains jours, au sortir du temple, après avoir prié les dieux du foyer et frotté d’huile leurs images, les laboureurs romains chantaient en dansant, répétant trois fois chaque verset : « Ô Dieux lares, soyez-nous en aide ! […] » Les deux passions de la vie romaine, le labourage et la guerre, s’exprimaient dans cette rude antienne ; et, soit qu’elle nous arrive dans un texte déjà rajeuni, soit que plusieurs mots de ce texte demeurent inexpliqués pour nous, soit toute autre hypothèse, l’accent général cependant n’est pas douteux ; et cette voix nous rappelle bien la dureté laborieuse et le courage de l’ancienne Rome. […] À ces contrastes de guerre et de douceur domestique, à cette harmonie de voix virginales célébrant une reine, Ennius, pour ses spectateurs romains, laboureurs et soldats, substituait, non pas un chœur, mais un dialogue de soldats grecs ennuyés de leur station en Aulide, et répétant avec ce cliquetis de mots qu’affecte le rhythme grossier des premiers temps : « Qui ne sait user du loisir162 a dans le repos plus d’affaires que l’homme affairé à son affaire. […] Une autre fois, dans le Brutus du même poëte Accius, le nom même de Cicéron parut désigné par ces mots que prononçait l’auteur : « Tullius qui avait fondé la liberté de Rome166. » Et ce témoignage ainsi arraché ne restait pas stérile, comme plus tard, lorsque ces mêmes Romains, aux fêtes d’Apollon, même dans la tragédie mythologique de Térée, applaudissaient Brutus absent, mais ne s’armaient ni pour lui ni pour eux-mêmes.

1796. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Appendice. »

Taine lisait Kant et Spinoza pour se distraire et passait le reste de son temps à feuilleter ses camarades ; c’était son mot. […] Le ministre effectivement dirigeant était lord Bute. — Tant est vrai le mot que m’écrivait l’autre jour dans sa modestie un homme d’un beau nom et d’un vrai mérite, qui vient de donner une bonne édition de l’un des classiques épistolaires du xviie  siècle : « Je sens mieux de jour en jour combien il faut savoir de choses pour parler de n’importe quoi sans dire une bêtise ! 

1797. (1874) Premiers lundis. Tome I « Mémoires de madame de Genlis sur le dix-huitième siècle et la Révolution française, depuis 1756 jusqu’à nos jours — I »

D’une part, engagée par les sollicitations de votre mémoire, disons mieux, de votre conscience ; de l’autre retenue par les scrupules de votre amour-propre, ou du moins de votre délicatesse, il vous faudra, et j’adopte ici la supposition la plus douce, il vous faudra tout ménager, tout prévoir, conter avec apprêt et réserve, fausser presque à votre insu vos réminiscences, prendre à propos vos rêves pour des souvenirs, en un mot, par un officieux et perpétuel mensonge d’imagination, reconstruire le passé en croyant le reproduire ; à moins toutefois, ce que je ne redoute guère, qu’il ne vous advienne l’orgueilleux caprice de nous confesser voire vie pleine et entière, à la mode de saint Augustin, sinon de Jean-Jacques. […] Enfin, si nous remontons plus haut encore, si nous la suivons au Palais-Royal, dans le monde, nous la verrons sans cesse briguant avec fureur la célébrité, dans un temps où celle-ci était le prix des talents d’éclat, poursuivant tous ces talents, cultivant tous les arts, jusqu’à y trop exceller, transportant le théâtre dans les salons et l’école dans le théâtre, cumulant dans sa tête dévotion, galanterie, sensibilité, pédantisme, en un mot, toutes les inconséquences dont est capable une femme d’esprit, décidée à se créer en toute hâte une existence supérieure et plus que privée.

1798. (1874) Premiers lundis. Tome II « Théophile Gautier. Fortunio — La Comédie de la Mort. »

Le second point de vue, la Mort dans la Vie (et ces espèces de jeux de mots symétriques, vie dans la mort, mort dans la vie, sont bien dans le goût du moyen âge), présente une vérité réelle plus aisée à reconnaître, tout ce qu’il y a de mort et d’enseveli au fond de l’âme de ceux qui passent pour vivants : Et cependant il est d’horribles agonies Qu’on ne saura jamais ; des douleurs infinies    Que l’on n’aperçoit pas. […] Toute âme est un sépulcre où gisent mille choses… Dans le voyage à la Lénore, que fait ensuite le poète, il est bien à lui de nous présenter le vieux Faust qui, désabusé de la science où il n’a pu trouver le dernier mot, dit pour conclusion : Aimez, car tout est là !

1799. (1875) Premiers lundis. Tome III « De l’audience accordée à M. Victor Hugo »

Si, en cette circonstance, le poëte a bien compris son rôle, comme nous pensons qu’il l’a fait, il a dû, dès les premiers mots, et profitant de la faveur d’un auguste accueil, amener la question de ce qu’elle pouvait avoir de trop personnel à des termes plus généraux, plus raisonnés, et dans lesquels il se sentait plus à l’aise pour en appeler à l’esprit éclairé et bienveillant de son royal interlocuteur. […] Et d’ailleurs, si le poète avait rappelé au roi qu’en l’état actuel des esprits, une pièce de théâtre, composée avec conscience et venue d’un certain côté littéraire, ne devait produire, par sa chute ou son succès, qu’un résultat bien étranger assurément à toute passion politique, le roi aurait bien pu, sans doute, à demi-voix et avec un sourire, prononcer ce terrible mot de romantisme ; mais il eût été facile de démontrer à sa bienveillante attention, que ces débats sont au fond bien moins frivoles, même sous le rapport politique, qu’on ne pourrait le penser.

1800. (1875) Premiers lundis. Tome III « Maurice de Guérin. Lettre d’un vieux ami de province »

Encore aujourd’hui, il y a quelques mots grecs restés dans le provençal actuel, il y a des tours grammaticaux qui ont pu venir de là ; mais ce sont de minces détails. […] L’école de Ronsard et de Baïf se fît grecque en français par le calque des compositions et même la fabrique des mots ; il y eut excès.

1801. (1761) Salon de 1761 « Peinture —  Doyen  » pp. 153-155

En un mot, c’étaient des démons qu’il fallait faire. Encore un mot, mon ami, sur ce morceau.

1802. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Gérard de Nerval »

Mais tracer le mot d’Illuminés sur la première page d’un ouvrage, c’était promettre un travail des plus graves, car il dépend de la solution de questions qui ne sont pas résolues encore ! […] … Mais que dirait-on si on montrait que dans ce livre, intitulé les Illuminés, il n’y a pas plus d’illuminés que d’illuminisme, et qu’excepté le récit d’une véritable parade chez Cagliostro et quelques mots sans aperçu et sans critique sur des hommes qu’il aurait fallu étudier il n’y a dans le titre du livre de Gérard de Nerval, rien de plus qu’une spéculation sur la curiosité publique, en ce moment fort excitée par tout ce qui pourrait amener un changement dans la philosophie d’un siècle dépassé en métaphysique par ceux même qui auraient dû le diriger ?

1803. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Les Femmes de l’Évangile » pp. 89-93

Trop élevé, trop pratique, trop acte, en un mot, pour tomber sous le regard d’une critique purement littéraire, le livre du P.  […] En trois mots, voilà toute la question de la femme historique, et à ces trois termes nous défions d’en ajouter un de plus !

1804. (1830) Cours de philosophie positive : première et deuxième leçons « Première leçon »

En un mot c’est un Cours de philosophie positive, et non de sciences positives, que je me propose de faire. […] En un mot, la division du travail intellectuel perfectionnée de plus en plus, est un des attributs caractéristiques les plus importants de la philosophie positive. […] En un mot, l’organisation moderne du monde savant sera dès lors complètement fondée, et n’aura qu’à se développer indéfiniment, en conservant toujours le même caractère. […] En un mot, regardant toutes les théories scientifiques comme autant de grands faits logiques, c’est uniquement par l’observation approfondie de ces faits qu’on peut s’élever à la connaissance des lois logiques. […] En un mot, ce n’est évidemment que par l’examen philosophique des sciences qu’il est possible d’y parvenir.

1805. (1814) Cours de littérature dramatique. Tome II

Au lieu d’entrer dans les choses, il ne dit que des mots vides de sens. […] Quel est le spectateur qui ne frissonne pas, lorsqu’il entend Roxane prononcer ce mot terrible : Sortez , et qu’il sait que ce mot est l’arrêt de mort de Bajazet ? […] Notre esprit actuel est tout entier dans des jeux et des oppositions de mots : il ne faut aucun esprit pour le saisir et l’entendre. […] Des combinaisons de mots, voilà l’esprit du jour : aussi Dieu sait à quel point nous sommes délicats sur les mots ! Nous avons surtout une grande aversion pour les mots énergiques ; il ne nous en faut que d’insignifiants.

1806. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « M. de Fontanes »

Il écrivait ce mot sur d’Alembert, et il allait tout à l’heure appuyer M. de Bonald. […] On y devine, à quelques mots jetés çà et là, combien Fontanes jugeait le moment peu favorable aux vers ; et il n’était pas homme à s’armer de l’ïambe. […] Mais il me faut du temps, à cause de ces gens (il disait un autre mot) qui m’entourent. » Je donne les paroles : les prendra-t-on maintenant pour sincères ? […] » Mot charmant, dont une moitié au moins reste plus vraie qu’on n’ose le dire ! […] » Je ne sais si le mot a été dit : il a été mainte fois répété, et avec variantes : ce sont de ces citations commodes.

1807. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. »

J’y joindrai les deux passages suivants, tirés également des lettres à M. de Latour : ils seront désormais inséparables du nom de Mme Tastu ; le souvenir auquel elle a droit dans la série des femmes poètes et son médaillon définitif nous y sont donnés en quelques mots : « Lyon, 7 février 1837. […] « …..Vous êtes ingénieux à cacher les fautes ou à leur créer des excuses, et j’en ai pleuré de reconnaissance, car tout ce que j’écris doit être, en effet, monstrueux d’incohérence, de mots impropres et mal placés. […] Je n’ai pas opposé un mot à cette résolution, la voyant très-lasse et n’ayant à lui offrir qu’un espace assez étouffé, et moins que jamais de cette gaieté calme qui convient au bien-être moral et à la santé d’une jeune fille. […] Il lui reproche en un mot, et pour résumer le sens de sa lettre, d’avoir trop pris parti pour l’émeute. […] Il lui restait encore à publier (et il n’en avait pas le premier mot écrit à l’avance) cette grande et dernière série d’articles qui suivit, et qui commencera le tome XIII, sur le général Jomini.

1808. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « I »

Or, je défie qu’on trouve un mot de tout cela dans Tristan, à moins qu’on ne commence par l’y mettre soi-même. […] Seulement, permettez-moi d’indiquer en peu de mots les causes de mon erreur. […] C’est un talent original et hardi qui se révèle à l’Allemagne, et qui n’a dit encore que ses premiers mots. […] Wilder, dans sa version française, n’ait pas conservé le mot Isolde. Le motif musical qui forme la base de la symphonie est établi sur ces trois syllabes ; un mot de deux syllabes le défigure.

1809. (1881) La psychologie anglaise contemporaine «  M. Georges Lewes — Chapitre I : L’histoire de la philosophie »

Ceci peut nous faire comprendre quel sens exact on doit donner au mot fait. […] Il se laisse duper par les mots : il croit expliquer toutes les facultés par les transformations de la sensation, sans s’apercevoir qu’il les suppose, et qu’en l’absence de facultés qui élaborent les sensations en perceptions, jugements, raisonnements, les sens n’élèveraient jamais sa statue au-dessus de la condition de l’idiot. […] Il nie donc la matière, non dans le sens vulgaire, mais dans le sens philosophique du mot. […] Ces mots sont en français dans le texte. […] Les derniers mots, entre guillemets, sont en français dans le texte.

1810. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Du docteur Pusey et de son influence en Angleterre »

Selon nous, ce besoin d’unité si profond, si consenti qu’il a fait son nom dans la langue et que le mot d’unitéisme se rencontre sous toutes les grandes plumes de ce temps, cache l’avenir d’une philosophie qui remonte vers la religion. […] On le vit bien quand, après l’apparition de son écrit sur le baptême (Scriptural views of baptism), le mot Puséyste devint populaire et la désignation d’un parti. […] Dans la solitude où cet ascète de la science s’est retiré, comme enveloppé d’une nuée de miséricorde, quelque chose lui dit-il tout bas que l’obéissance est plus auguste que la science qu’il aime et lui met-il le doigt, quand il ouvre sa Bible, — aux heures de la méditation et de la prière, — sur le mot de Samuel : « Obéir vaut mieux que sacrifier » ? […] Et le sentiment d’une position que nous appellerions fatale si le mot était plus chrétien, qui n’en a pas la pleine conscience, à l’heure qu’il est, en Angleterre ? […] … Après l’intérêt sacré de la conscience, — le plus haut intérêt pour les peuples comme pour les individus, — on peut parler de l’intérêt politique à une nation qui entend la puissance et qui n’a pas dit le dernier mot de ses destinées.

1811. (1874) Premiers lundis. Tome II « Alexis de Tocqueville. De la démocratie en Amérique. »

Sans prétendre conclure de là directement à l’Europe, M. de Tocqueville, dans l’un des chapitres suivants, discute la valeur d’un mot très souvent répété, et cherche à préciser ce qu’il faut entendre par centralisation. […] S’il devait arriver en France que la monarchie ou la république (peu importe), en s’armant de ce mot de centralisation mal entendu, fissent prévaloir, constamment la régularité administrative, soit douce, soit rigoureuse, sur la vie réelle, morale, animée de chaque point du pays ; si l’on ne parvenait enfin à introduire et à fonder parmi nous les institutions démocratiques en ce qu’elles ont d’essentiel, d’élémentaire et de vivace, c’est-à-dire l’existence communale, M. de Tocqueville paraît craindre qu’une des chances naturelles de cette égalité croissante ne fût un jour, tôt ou tard, l’assujettissement de tous par un seul, du moment qu’on n’aurait plus à espérer le gouvernement de tous par eux-mêmes. […] Lorsque son livre de la Démocratie parut, j’en écrivis quelques mots d’éloge que je fis insérer dans le journal le Temps, dirigé alors par M. 

1812. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Deuxième partie. Invention — Chapitre III. Du récit des faits. — Antécédents et conséquents. — Causes et effets »

 » Un ne pouvait dire plus de choses en moins de mots : mais, comme il suffisait de dire : « Je ne le trouvai pas chez lui », le grand nombre des circonstances fait longueur… La clarté consiste à dire d’abord ce qui s’est fait dès le premier instant, à garder l’ordre des temps et des faits, à raconter les choses comme elles se sont passées ou auront pu se passer. […] Les yeux lui roulaient étrangement dans la tête ; il ne connaissait personne, et ne disait mot. Voyez comment Michelet ramasse en trois lignes toutes les circonstances du fait : bruit du fer qui choque le fer, éveil soudain du roi, meurtre de quatre hommes ; il ne s’amuse pas à montrer le roi allant de l’un à l’autre, tuant tel et tel ; il en tue quatre, dit-il d’un mot.

1813. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — C — Coppée, François (1842-1908) »

. ; et pour trancher le mot, il a, en 1873, quoique avec la simplicité et la tenue élégante d’un parfait gentleman, quelque chose de foncièrement romantique ! […] À l’époque où la bourgeoisie était la plus acharnée contre les grèves, il écrit le Forgeron ; au moment où les grands mots de régénération et de revanche voltigeaient dans l’air, il fait réciter à l’Odéon Fais ce que dois. […] Il est le seul qu’aucun mot n’embarrasse ; il fait tout entrer dans son vers.

1814. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — T. — article » pp. 326-344

On se flattoit qu'en se formant sur les vrais modeles, son goût acquerroit les qualités nécessaires à un bon Ecrivain ; que son imagination renonceroit aux idées gigantesques ; qu'il perdroit l'habitude de peser sur les mots ; qu'il mettroit plus de liaison dans ses phrases, moins d'appareil dans ses réflexions, plus de nombre, d'aisance & de naturel dans son style ; qu'il se déferoit enfin d'un ton de prétention & de pédantisme, qui sentoit trop le nouveau venu de l'Université *. […] Le mérite de la premiere se réduit à deux ou trois Strophes, noyées dans un amas de grands mots vides de sens & de poésie ; la seconde offre, tout au plus, une douzaine de vers assez raisonnables. […] Il a cru sans doute que le sublime consistoit dans une expression pompeuse & forcée ; l'élévation des sentimens dans la recherche des grands mots ; la chaleur & l'énergie dans un amas de métaphores outrées ; la profondeur des pensées dans un jargon scientifique.

1815. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre premier. L’idée force du monde extérieur »

L’idéalisme répète sans cesse que tout ce que nous connaissons est par cela même dans notre conscience ; que les perceptions, sensations et autres choses semblables sont des faits de conscience ; que les phénomènes de la nature nous sont connus seulement sous forme de représentations, conséquemment comme processus psychiques ; en un mot, qu’on ne peut dépasser sa conscience. […] Une autre ambiguïté du mot conscience, c’est qu’il désigne tantôt une série de faits et d’événements, un contenu, tantôt une certaine manière de connaître, un acte de connaissance. […] Nous ne disons donc pas d’abord moi ; nous dirions plutôt nous, si nous pouvions parler et traduire en mots notre disposition cérébrale.

1816. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Joseph de Maistre »

Malheureusement, il n’en a soufflé mot. […] Comme les très grands écrivains qui ont su s’attendre, Joseph de Maistre, qui fut une créature beaucoup trop élevée et trop simple pour se jeter à la tête de la publicité et pour s’ébouriffer de ce mot de gloire, comme Diderot, Rousseau et tant d’autres, Joseph de Maistre, qui écrivit tard, apparaît, quand il paraît avec une beauté accomplie et une physionomie complète. […] Être doué d’un esprit prodigieux dans le sens le plus leste et le plus brillamment impertinent de ce mot d’esprit, qui souvent dominait chez Joseph de Maistre toutes les gravités du génie, et devenir d’autant plus spirituel qu’on est plus respectueux, et gagner, dans cette compression féconde, mais douloureuse, d’un respect même immérité, des formes toutes — puissantes ou délicieuses pour sa pensée, qu’on n’aurait peut-être jamais eues sans cela, voilà ce que nous tenions à faire remarquer, nous qui pensons que la moralité d’un homme ajoute toujours à la beauté de ses œuvres !

1817. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. Antoine Campaux » pp. 301-314

Né dans les ruisseaux de Paris, que Madame de Staël aimait seulement rue du Bac, François Villon (qu’on me permette ce mot moderne), le voyou du xve  siècle, l’escholier qui ne fut jamais maître, si ce n’est en poésie, est resté toujours un peu vautré dans la bouc noire de son origine et masqué comme un marmouset par cette fange, quoiqu’à plusieurs reprises un rayon d’or soit tombé sur lui. […] Il est aussi capable de rire que de pleurer, non l’un après l’autre, comme tout le monde, non pour cacher l’un par l’autre, comme le stoïcisme, mais en même temps, ce qu’il a exprimé par un mot homérique, dit très bien M. Campaux, qui s’est rappelé Astyanax et qui a fait de ce mot de Villon l’épigraphe de son livre : Je ris en pleurs !

1818. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Le comte de Fersen et la cour de France »

Cette éloquence est, en effet, dans les choses, et non dans les mots… Ce qui fait la force accablante de cette histoire, c’est le calme de celui qui l’a écrite. […] Dans ses notes comme dans ses lettres, à part quelques mots de mépris (comment, du mépris, n’en aurait-il pas eu ? […] Le mot de bêtise, dans sa crudité, échappe, en effet, plus d’une fois à cette plume de grand seigneur, si sobre, si mesurée et si polie.

1819. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Vauvenargues » pp. 185-198

Il mourut au moment où Voltaire lui disait le mot de Virgile : « Tu seras Marcellus ! […] Elles lui ont fait écrire le mot terrible et réprobateur qui est le « raca » de messieurs les philosophes : le mot « capucin ». « Et de quoi, diable !

1820. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Félix Rocquain » pp. 229-242

C’était, pour moi : Anonyme Rocquain… J’ai entendu et j’entends tous les jours parler de grimauds dont on devrait se taire, et je connais assez de gens de talent dont on ne dit pas un seul mot pour que ce que j’écris là puisse l’offenser. […] Est-ce modestie ou défiance de soi qui le fait se couvrir de l’opinion et des mots des autres sur les choses qu’il raconte ? […] Félix Rocquain, qui, dans son livre, ne parle que par la voix des autres, doit penser, s’il en prend la peine, comme les voix dont son livre est l’écho… Évidemment, en effet, il doit être, dans l’intimité de sa conscience d’historien, de l’avis de ces hommes dont il répète les mots comme un commissionnaire qui fait sa commission, et sa pensée doit transpirer à travers les citations qu’il leur emprunte.

1821. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Abailard et Héloïse »

Les dernières pudeurs de la femme et de la chrétienne, le mystère et la honte de sa faute, ce qui reste à la plus coupable pour que le pardon descende sur sa tête, tout est sacrifié par Héloïse à cette vanité infernale d’avoir été la préférée d’un homme célèbre et sa fille de joie, — car le mot y est : meretrix, et M.  […] — un autre aurait été plus doux pour mon cœur, celui de votre CONCUBINE et de votre fille de joie, espérant que bornée à ce rôle j’entraverais moins vos glorieuses destinées. » On a vu dans ce dernier mot une abnégation à la sainte Thérèse, quelque chose qui, déplacé de l’ordre divin dans le désordre humain, rappelait le cri sublime de la religieuse espagnole : « Quand vous me damneriez, Seigneur, je vous aimerais encore, même en enfer !  […] voilà enfin le dernier mot de cette orgueilleuse empoisonnée par la science, et que la Philosophie, qui se mêle d’ausculter les cœurs, nous donne pour le type le plus tendre et le plus élevé de l’amour !

1822. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XV. Vauvenargues »

Il mourut au moment où Voltaire lui disait le mot de Virgile : « tu seras Marcellus, tu Marcellus eris !  […] Elles lui ont fait écrire le mot terrible et réprobateur qui est « le raca » de messieurs les philosophes : le mot : « capucin ».

1823. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XIX. Abailard »

Les dernières pudeurs de la femme et de la chrétienne, le mystère et la honte de sa faute, ce qui reste à la plus coupable pour que le pardon descende sur sa tête, tout est sacrifié par Héloïse à cette vanité infernale d’avoir été la préférée d’un homme célèbre et sa fille de joie, — car le mot y est, meretrix, — et M.  […] un autre aurait été plus doux pour mon cœur, celui de votre CONCUBINE et de votre fille de joie, espérant que bornée à ce rôle, j’entraverais moins vos glorieuses destinées. » On a vu dans ce dernier mot une abnégation à la sainte Térèse, quelque chose qui, déplacé de l’ordre divin dans le désordre humain, rappelait le cri sublime de la religieuse espagnole : « Quand vous me damneriez, Seigneur, je vous aimerais encore, même en enfer !  […] voilà enfin le dernier mot de cette orgueilleuse empoisonnée par la science et que la Philosophie, qui se mêle d’ausculter les cœurs, nous donne aujourd’hui pour le type le plus tendre et le plus élevé de l’amour !

1824. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Charles De Rémusat »

Ce jour-là, Rémusat me rappela, autant que si je le lisais, le mot cruel de ce cruel Veuillot qui, dans ses Librespenseurs, l’a comparé à un navet. […] Pour moi (ne nous trompons pas sur le mot !) […] Si j’avais, sur cette partie historique et désintéressée de l’Angleterre au xviiie  siècle, à dire en un mot ma pensée, je dirais que tout ce qui est vraiment intéressant dans ce livre, c’est précisément tout ce que Rémusat n’y a pas fait !

1825. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « La Bible Illustrée. Par Gustave Doré »

Pour être un critique d’art, il faut, avec la vocation dont personne ne peut se passer pour faire grandement quelque chose, c’est-à-dire avec les facultés intuitives ou réfléchies du génie spécial, avoir aussi ce qui constitue, qu’on me passe le mot ! […] De tempérament, il est un merveilleux moderne, je dirais presque un tempérament romantique, si le mot n’avait bien vieilli pour exprimer une chose si jeune et si vivante que son talent. […] En un mot, je ne peux et je n’ai voulu que signaler l’impression qui se fixe dans l’esprit, comme une acquisition nouvelle, quand, le livre immense feuilleté et parcouru comme une longue galerie, on se replie sur soi et on se demande ce qui reste sur l’imagination frappée de tout ce qu’on vient de traverser et de contempler.

1826. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Le Docteur Favrot »

Il y a bien fait de l’histoire, — de l’histoire plus ou moins amusante, si on peut employer ce mot en un sujet si lugubre, — plus ou moins intéressante pour la curiosité oisive. […] Capitales et nécropoles sont, en effet, des choses et des mots congénères Ce qui se passe sur la terre dans ces furieux entassements d’hommes, en un espace déterminé, se passe identiquement dessous, et la corruption de la mort est adéquate ainsi à la corruption de la vie. […] Ils ont prescrit les vingt-quatre heures à attendre, pour qu’on fût sûr que la vie, ce mystère qui se joue des hommes, eût dit, à point nommé, sans une minute de plus, son dernier mot !

1827. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Henri Cantel »

Cantel n’en est pas à son premier mot poétique, il a déjà publié un volume ; mais il n’en débute pas moins encore, dans un sens plus profond que celui qu’entend le public, car il cherche, avec les souples articulations d’un talent qui doit grandir, une forme arrêtée, une manière définitive. […] Et de fait, elle y est (il ne faut nier la beauté nulle part) ; mais qui l’y voit tant cesse, pour son compte, d’être pathétique, et fait douter de la sincérité d’une poésie qui pleure comme on met du fard, et rappelle le mot affecté de cette femme qui disait : « C’était là le bon temps, le temps où j’étais malheureuse !   […] ni commun de couleur ni même commun de sentiment… quand ce n’est pas sensuel ; — mais (et ce sera mon dernier mot cruel)… mais c’est commun d’intensité.

1828. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Charles Baudelaire. Les Fleurs du mal. »

On a beau être un artiste redoutable, au point de vue le plus arrêté, à la volonté la plus soutenue, et s’être juré d’être athée comme Shelley, forcené comme Leopardi, impersonnel comme Shakespeare, indifférent à tout, excepté à la beauté comme Gœthe, on va quelque temps ainsi, — misérable et superbe, — comédien à l’aise dans le masque réussi de ses traits grimés ; — mais il arrive que, tout à coup, au bas d’une de ses poésies le plus amèrement calmes ou le plus cruellement sauvages, on se retrouve chrétien dans une demi-teinte inattendue, dans un dernier mot qui détonne, — mais qui détonne pour nous délicieusement dans le cœur : Ah ! […] La littérature satanique, qui date d’assez loin déjà, mais qui avait un côté romanesque et faux, n’a produit que des contes pour faire frémir ou des bégaiements d’enfançon, en comparaison de ces réalités effrayantes et de ces poésies nettement articulées où l’érudition du mal en toutes choses se mêle à la science du mot et du rythme. […] Mais qu’il ait desséché sa veine poétique (ce que nous ne pensons pas) parce qu’il a exprimé et tordu le cœur de l’homme lorsqu’il n’est plus qu’une épongé pourrie, ou qu’il l’ait, au contraire, survidée d’une première écume, il est tenu de se taire maintenant, — car il a des mots suprêmes sur le mal de la vie, — ou de parler un autre langage.

1829. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Ferdinand Fabre »

sans avoir dit son dernier mot complet sur le prêtre, et peut-être est-ce ce dernier mot, qui n’a pas été dit, qui a tenté Ferdinand Fabre et lui a donné l’idée de faire, de face, lui, une grande figure de prêtre, comme il l’a faite dans son Abbé Tigrane, candidat à la Papauté ! […] Mais si ce n’est pas un chef-d’œuvre dans ce que ce mot a d’absolu, le livre de Ferdinand Fabre n’en est pas moins une œuvre rare.

1830. (1882) Types littéraires et fantaisies esthétiques pp. 3-340

Ce fameux mot d’idéal, par lequel on a coutume de justifier les rêveries où elle vous plonge, me paraît un mot vide de sens, plus décevant que ne le furent jamais la fontaine de Jouvence, la pierre philosophale et l’élixir de longue vie. […] Un mot sur cette question controversée. […] Un vieux Werther, quelle déplaisante image s’éveille en nous à ces mots ! […] Un mot encore. […] Pas un mot discourtois, pas une insistance pédantesque.

1831. (1893) Des réputations littéraires. Essais de morale et d’histoire. Première série

Murmurez-vous, lecteur, les mots de « vanité littéraire » ? […] Ce quelque chose, c’est, en deux mots, que l’auteur ait du génie, ou du talent au moins, et que son ouvrage soit bon. […] » Mais le mot de Dalembert demeure vrai, et l’œuvre de MM. de Goncourt pourrait bien elle-même servir plus tard à le justifier historiquement. […] Faut-il se payer de mots et de billevesées pour trouve ? […] Mais, par l’heureux hasard de ces deux petits mots qui ont fait fortune, personne ne peut plus ignorer ni le nom ni le trait caractéristique de Conrart.

1832. (1910) Variations sur la vie et les livres pp. 5-314

Ce dernier mot nécessite une explication. […] Le lendemain, il m’écrivit un petit mot gentil, en me reprochant ma discrétion. […] qu’il tremblait de laisser échapper quelque mot irrité ou amer ! […] pensant à tort serrer de près l’énergie du mot. […] Ce sont tous ceux qui s’imaginent défendre l’intégrité de l’art et qui sacrifient de la sorte aux méprises du mot à mot et de la fidélité inopportune.

1833. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Histoire du règne de Henri IV, par M. Poirson » pp. 210-230

Je dis là un grand mot, et qui sera cru de peu de gens ; il est ainsi néanmoins. […] Il se fâchera, il rabrouera, il dira un mot piquant, mais c’est tout aussi. […] Plus d’un homme des champs qui savait ses anciens put se dire alors, en parodiant légèrement Ménandre : « La paix nourrit bien le laboureur, même en Sologne ; et la guerre le nourrit mal, même en Beauce. » L’heureux mot de Sully, et qui est resté, « que le labourage et le pâturage étaient deux mamelles dont était alimentée la France », exprime ce même sentiment. […] Quand le soleil, sur les six heures du soir, commençait à perdre la force de ses rayons, on nous menait promener vers le champ des moissonneurs, et ma mère y venait aussi bien souvent elle-même, ayant toujours mes sœurs et quelques-unes de mes tantes avec elle… Elles s’allaient toutes reposer en quelque bel endroit d’où elles prenaient plaisir de regarder la récolte, tandis que nous autres enfants, sans avoir besoin de ce repos, nous allions nous mêler parmi les moissonneurs, et, prenant même leurs faucilles, nous essayions de couper les blés comme eux… Après la moisson, les paysans choisissaient un jour de fête pour s’assembler et faire un petit festin qu’ils appelaient l’oison de métive (c’est le mot de la province) ; à quoi ils conviaient non seulement leurs amis, mais encore leurs maîtres, qui les comblaient de joie s’ils se donnaient la peine d’y aller. […] Loin de moi de dire un mot désobligeant pour cette ancienne noblesse dont Henri IV est la personnification la plus attrayante !

1834. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Entretiens de Gœthe, et d’Eckermann »

Après une longue étude de ce poëte et bien des essais pour reproduire en poésie ce que j’avais gagné à le méditer, je me tournai vers quelques-uns des meilleurs écrivains des autres temps et des autres pays, et je lus non seulement Shakspeare, mais Sophocle et Homère dans les meilleures traductions… » Eckermann, en un mot, travaille à se rendre digne d’approcher Gœthe quelque jour. […] Pour son valet de chambre, soit, et encore s’il a l’âme servile ; mais s’il l’a libérale comme on en a vu, si cet homme de la maison est en même temps un ami, si ce n’est pas un espion comme on en a vu aussi, s’il est comme le page, comme le noble écuyer était au chevalier, si c’est en un mot un vrai secrétaire de cœur comme de nom, il n’a fait, en voyant de plus près l’esprit supérieur avec qui il a vécu, qu’être plus à même que personne de l’apprécier dans sa riche et haute nature. […] Conduit au premier étage par un domestique babillard, Eckermann est introduit dans une pièce qui a pour inscription, au-dessus de la porte, le mot Salve, présage d’un cordial accueil, et de là dans une autre pièce un peu plus grande. […] La réalité donne le motif, les points principaux, en un mot l’embryon ; mais c’est l’affaire du poëte de faire sortir de là un ensemble plein de vie et de beauté. […] Le mot est bien près d’être injuste ; il l’est, et c’est par trop aussi tirer Gœthe du côté de Méphistophélès.

1835. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Catinat (suite.) »

Catinat, en écrivant, avait de ces mots heureux et d’autant plus remarqués qu’ils ne lui sortaient pas en abondance. […] Mme Pucelle, la mère du célèbre abbé de ce nom, méritait-elle donc qu’on lui appliquât le mot de La Fontaine : Rien ne pèse tant qu’un secret : Le porter loin est difficile aux dames. […] Le mot de Catinat achève de nous le peindre. […] Il avait écrit gaiement et pour dernier mot à Tessé enfermé et bloqué dans Pignerol, en lui promettant une prompte délivrance : « Préparez de l’oseille pour nous faire des soupes vertes. » Catinat chercha immédiatement l’ennemi et le joignit entre Turin et Pignerol ; il lui livra bataille le 4 octobre, à La Marsaille. […] On aura déjà remarqué que, dans sa langue inélégante mais saine, Catinat prend volontiers les mots dans une acception un peu plus ancienne que sous Louis XIV ; quand il écrit, il est comme Vauban, un peu suranné de langage.

1836. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Mémoires de Malouet (suite et fin.) »

En un mot, tout ce que Malouet nous apprend de Raynal l’excuse peut-être et l’innocente, mais ne le grandit pas. […] Malouet. reprit la reine, n’oubliez jamais son nom. » — Ce mot mérite de rester attaché au nom de Malouet dans l’histoire. Si quelqu’un de tout-puissant, mais d’inattentif, l’accusait un jour d’avoir « coopéré à la ruine de l’ancienne monarchie », il n’aurait — et on n’aurait, — pour sa défense qu’à opposer ce mot mémorable : c’est le bouclier de diamant. […] Louis xvi, informé par M. de Montmorin, dit un mot de regret qui suffit pour le retenir. […] Mais cette demande généreuse est un des titres d’honneur de Malouet, et elle justifie le mot de Burke : « M. 

1837. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Le général Jomini. [V] »

Non pas seulement assister d’une bonne place à ce savant et terrible jeu à combinaisons non limitées qu’on appelle la grande guerre, non pas seulement être appelé à donner en quatre ou cinq occasions des conseils plus ou moins suivis, mais être une bonne fois à même d’appliquer son génie, ses vues, sa manière d’entendre et de diriger les mouvements d’un corps d’armée, être compté, en un mot, lui aussi, dans la liste d’honneur des généraux qui ont eu leur journée d’éclat, qui ont combiné et agi, qui ont exécuté ce qu’ils avaient conçu. […] Lisez bien ce portrait : sous sa touche flatteuse, il ne dément pas absolument le mot célèbre de Napoléon qu’on ne saurait oublier : C’est un Grec du Bas-Empire. […] La Bruyère même eût été embarrassé de le définir exactement… (Et plus loin, après les entretiens d’Erfurt) : Je crus avoir jeté de la poudre aux yeux de mon rival de gloire et de puissance ; la suite me prouva qu’il avait été aussi fin que moi. » Napoléon, obligé de juger lui-même sa campagne de 1812 et de se condamner, se souvient à propos d’un beau mot de Montesquieu : « Les grandes entreprises lointaines périssent par la grandeur même des préparatifs qu’on fait pour en assurer la réussite. » Un trait fort juste sur Napoléon et qu’ont trop oublié ses détracteurs aussi bien que ses panégyristes, c’est que cette volonté de fer était souvent bien mobile comme celle de tous les joueurs passionnés, et qu’elle remettait souvent ses résolutions ultérieures les plus graves aux chances les plus fortuites. […] Dans sa charmante retraite de Passy, il était intéressant à visiter : il aimait la conversation, et bien qu’un cornet acoustique fût nécessaire, il suffisait d’y jeter quelques mots pour amener sur ses lèvres des récits vivants et où l’âge ne se faisait sentir que par plus d’à-propos et d’expérience. […] Le colonel pense, après examen et discussion dos lettres de la Correspondance de Napoléon à la date de septembre 1806, que la désignation de Bamberg comme lieu de concentration des troupes pour l’entrée en campagne et comme clef des prochaines opérations stratégiques n’était pas si clairement désigné que je l’ai cru, et que par conséquent, dans la conversation qu’il eut avec Jomini le 28 septembre, à Mayence, l’Empereur put très bien en effet lui recommander de n’en dire mot à personne, pas même à Berthier.

1838. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. CHARLES MAGNIN (Causeries et Méditations historiques et littéraires.) » pp. 387-414

En un mot, chaque critique de cette génération lie sa gerbe et fait son livre. […] Cela est difficile à trouver178. » Il ajoute encore : « Les artistes sont les juges compétents de l’art, il est vrai ; mais ces juges compétents sont presque tous corrompus… Il y a environ trois mille ans qu’Hésiode a dit : Le potier porte envie au potier, le forgeron au forgeron, le musicien au musicien. » Sans doute un artiste, sur l’objet qui l’occupe et qu’il possède, aura des vues, perçantes, des remarques précises et décisives, et avec une autorité égale à son talent ; mais cette envie, qui est un bien vilain mot à prononcer, et que chacun à l’instant repousse du geste loin de soi comme le plus bas des vices, il l’évitera difficilement s’il juge ses rivaux ; sa noble jalousie (appelons ainsi la chose) le tiendra éveillé aux moindres défauts, et il sera prompt à voir et à noter ce qu’involontairement il désire ; ou bien, si la générosité du cœur s’en mêle, il ira au-devant du défaut, il passera outre et tombera alors dans des indulgences extrêmes, dans des libéralités qui ne sont plus d’un juge. […] On a cité ce mot de M. […] ne nous exagérons rien) on le cite quelquefois, on feuillette au besoin son recueil pour le consulter comme un témoin véridique, on rappelle son jugement sur ces livres, un moment fameux, qu’on ne lit plus et qu’on ne juge en abrégé que par quelques mots tirés de lui. […] Mais combien d’autres, dans sa position, sans lâcher le mot, auraient pensé la chose, et, à l’occasion, se seraient efforcés indirectement de la démontrer !

1839. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre I. Littérature héroïque et chevaleresque — Chapitre III. L’Histoire »

Il ne lui plaît pas qu’on sache aussi de quelle façon le pape vit cet accomplissement du vœu fait en prenant la croix : et il ne souffle pas mot des remontrances, des menaces d’innocent III, des négociations par lesquelles Boniface essaye de le ramener. […] Assurément il s’entendait à manier les âmes, ce bon maréchal de Champagne et Romanie, qui savait que, là où échouent tous les arguments, quand il s’agit de persuader ce que le devoir, la conscience et parfois l’intérêt réprouvent, le mot magique qui perce les cœurs et l’ait tout faire, c’est l’honneur, l’honneur qu’on définit : « rester avec les autres, ne pas dépecer l’armée » : en langage moderne, ne pas lâcher les camarades. […] Autour d’eux, on voit poindre une aurore de vie mondaine : c’est Lancelot, et non le Graal, qui donne le ton ; et le mot du comte de Soissons à Mansourah : « Nous parlerons de cette journée dans les chambres des dames », enregistre une orientation définitive du tempérament français. […] Peu de chose l’amuse, le mot d’une bonne femme, la plaisanterie du comte d’Eu, qui consiste à casser la vaisselle de Joinville avec une baliste, pendant qu’il dîne. […] Après cinquante ans, il voit encore la toile peinte en bleu, qui revêtait le pavillon du soudan d’Égypte, la cotte vermeille à raies jaunes d’un garçon qui est venu en Syrie lui offrir ses services : quand il s’attendait à avoir la tête coupée, il entend la confession de son compagnon sans qu’il lui en reste un mot dans la mémoire, mais il voit le caleçon de toile écrue d’un Sarrasin, et ce caleçon toute sa vie lui restera devant les yeux.

1840. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Anatole France »

Il a naïvement frémi d’admiration en expliquant Homère et les tragiques grecs, il a vécu de la vie des anciens, il a senti la beauté antique, il a connu la magie des mots, il a aimé des phrases pour l’harmonie des sons enchaînés et pour les visions qu’elles évoquaient en lui. […] Il s’efforça, avec quelques autres jeunes gens, de pousser plus loin qu’on ne l’avait fait encore l’art de combiner exactement de beaux mots qui suscitent de belles images. […] Aujourd’hui le père et la mère sont revenus pour six semaines sous le toit du vieillard… Jeanne monte lentement l’escalier, m’embrasse et murmure à mon oreille quelques mots que je devine plutôt que je ne les entends. […] Ce fonds sérieux d’idées générales n’est jamais absent : souvent, à l’improviste, à propos de quelque observation particulière, il apparaît comme dans un éclair, et l’on voit tout à coup, derrière le souvenir ou l’impression notée en passant, s’ouvrir, par la vertu de quelques mots, des lointains qui troublent et qui font songer. […] Anatole France, les choses ont coutume de se réfléchir deux ou trois fois ; car, outre qu’elles se réfléchissent les unes dans les autres, elles se réfléchissent encore dans les livres avant de se réfléchir dans son esprit. « Il n’y a pour moi dans le monde que des mots, tant je suis philologue !

1841. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre premier »

Nous sommes trop heureux que la postérité ait pris soin elle-même de distinguer par un mot si expressif cette époque des précédentes. […] La reconnaissance a imaginé ce mot ; c’est pour cela qu’il est à la fois si respectable et quelque peu exagéré. […] Après trois siècles, notre langue n’aurait pas d’autres mots pour les mêmes pensées, et, sauf quelques passages indifférents, nous entendons l’aimable auteur comme l’entendaient ses contemporains. […] C’est de ces poésies-là, heureusement les plus nombreuses, que La Bruyère a pu dire : « Entre Marot et nous il n’y a guère que la différence de quelques mots. » Ce qui était vrai au temps de La Bruyère n’a pas cessé de l’être pour nous, qui sommes plus loin de Marot de plus d’un siècle et demi ; tant le tour d’esprit et la langue en sont conformes au génie de notre pays. […] Cependant, on ne lit pas longtemps Marot sans reconnaître la justesse de ce mot d’un contemporain célèbre41 : « L’esprit sert à tout, mais ne suffit à rien. » Cet esprit marotique tourne dans un cercle étroit.

1842. (1890) L’avenir de la science « XIX » p. 421

Mais les vrais critiques n’emploient qu’avec une extrême réserve ce mot si trompeur de décadence. […] La question, en un mot, était de savoir si le vieil édifice, où tant de matériaux nouveaux demandaient à entrer se renouvellerait par une lente substitution de parties qui n’interrompît pas un instant son identité, ou s’il subirait une démolition complète pour être rebâti ensuite avec combinaison des nouveaux et des anciens matériaux, mais toujours sur l’ancien plan. […] Ce mot dit sa nature, son essence ; il n’est que cela, une machine humaine qui fait des meubles, des souliers. […] Mais, s’ils avaient la tête pleine de littérature, d’histoire, de philosophie, d’humanisme, en un mot, s’ils pouvaient, en travaillant, causer entre eux des choses supérieures, quelle différence ! […] L’idéal de la vie humaine serait un état où l’homme aurait tellement dompté la nature que le besoin matériel ne fût plus un mobile, où ce besoin fût satisfait aussitôt que senti, où l’homme, roi du monde, eût à peine à dépenser quelque travail pour le maintenir sous sa dépendance, et cela presque sans y penser, et par la partie sacrifiée de sa vie, où toute l’activité humaine en un mot se tournât vers l’esprit, et où l’homme n’eût plus à vivre que de la vie céleste.

1843. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre IX. La littérature et le droit » pp. 231-249

Il aura des adversaires aussi, tel Alphonse Karr, qui mettrait l’initiative du progrès social en de singulières mains, si l’on s’avisait de prendre au sérieux son mot fameux : « Que messieurs les assassins commencent !  […] » ― En dépit de ces oppositions, les écrivains ont continué et continueront avec raison à dire leur mot sur des problèmes qui nous concernent tous comme citoyens et comme hommes et à croire que le talent ne perd rien à servir la cause de la civilisation ; et selon leurs opinions, leurs tempéraments, le milieu où ils vivent, retenant ou poussant en avant la société dont ils font partie, ils ne cesseront d’entrecroiser d’une façon étroite l’histoire de la littérature et celle du droit. […] On connaît le mot de Duclos. […] Pas plus que la gloire future de l’écrivain, la langue et le style ne se trouvent bien de ces perpétuelles improvisations ; en revanche, certains genres naissent ou prospèrent  ; la polémique sur les affaires publiques prend une intensité et aussi une violence extrêmes ; la critique au jour le jour, le roman débité en tranches, la nouvelle, l’essai, en un mot l’exposé, le commentaire et la discussion de tout ce qui est actuel, susceptible d’être présenté en peu d’espace et compris sans effort, croissent et fleurissent avec énergie. […] Je ne veux pas la détailler ; il me suffira de dire qu’en fixant pour combien de temps une œuvre appartient à l’auteur et à ses héritiers, au bout de quelle durée elle tombe dans le domaine collectif, elles ont permis aux écrivains de prendre dans le monde la situation confortable et nouvelle pour eux de propriétaires ; qu’elles leur ont fourni l’occasion et les moyens de s’organiser en corporation, de former des associations nationales et internationales ; bref qu’elles ont contribué puissamment à régulariser le métier littéraire avec ce que ce mot implique de bon et de mauvais : d’une part, l’indépendance de l’homme qui vit de son travail et ne relève que du public ; d’autre part, la littérature industrielle fabriquant à la vapeur des romans ou des pièces comme on fabrique des robes de soie ou des bas de laine.

1844. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « V »

Lamoureux, sûr apparemment de terrifier la Revue Wagnérienne, m’affirma que de toute sa puissance il combattrait la Revue et par tous les moyens ; enfin à ses engagements personnels (dont hélas, je n’avais pas pris la simple précaution de demander un écrit) il répondait, ne les niant pas, par cet authentique mot : « je me mets en faillite avec vous37… » Ce qui, d’ailleurs, paraît n’infirmer aucunement « la probité bien connue », etc. […] Un soir, à la tombée du crépuscule, assis dans le salon déjà sombre, devant le jardin, — comme de rares paroles, entre de longs silences, venaient d’être échangées, sans avoir troublé le recueillement où nous nous plaisions, — je demandai, sans vains préambules, à Wagner, si c’était pour ainsi dire, artificiellement — (à force de science et de puissance intellectuelle, en un mot) — qu’il était parvenu à pénétrer son œuvre, Rienzi, Tannhæuser, Lohengrin, le Vaisseau Fantôme, les Maîtres Chanteurs même — et le Parsifal auquel il songeait déjà — de cette si haute impression de mysticité qui en émanait, — bref, si, en dehors de toute croyance personnelle, il s’était trouvé assez libre-penseur, assez indépendant de conscience, pour n’être chrétien qu’autant que les sujets de ses drames-lyriques le nécessitaient ; s’il regardait, enfin, le Christianisme, du même regard que ces mythes scandinaves dont il avait si magnifiquement fait revivre le symbolisme en ses Niebelungen. […] Le nom de Dieu, prononcé par ce traître, non seulement ne signifie pour personne ce qu’il semble énoncer, mais, comme c’est un mot, c’est-à-dire un être, même ainsi usurpé, il porte, en sa profanation suprême, le simple mensonge de celui qui le proféra. […] Mais ce qui est évident, c’est qu’elle a été faite avec le parti-pris tellement marqué d’incriminer les relations du roi de Bavière et de Wagner, que le sens des mots est parfois dénaturé : et il est trop facile de traduire « enthousiasme » par « passion » et « amitié » par « amour », c’est ce que M.  […] J’estime que de toute cette histoire il n’y a pas un mot sur lequel M. 

1845. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Gil Blas, par Lesage. (Collection Lefèvre.) » pp. 353-375

Les traits de Lesage, ce sont de ces mots piquants et vifs qui échappent en courant. […] D’après les deux mots qu’il laisse échapper à regret sur Gil Blas, Voltaire ne paraît pas se douter qu’il sera infiniment plus glorieux bientôt d’avoir fait ce roman-là que le poème de La Henriade. […]  » il semblait s’être appliqué ce mot d’un ancien : « Que je rentre en vieillissant dans ces rangs obscurs dont je suis un moment sorti !  […] La mort remit bientôt Lesage à son rang, et celui qui n’avait rien été de son vivant, et de qui on ne parlait jamais sans mêler à l’éloge quelque petit mot de doléance et de regret, se trouve aujourd’hui classé sans effort dans la mémoire des hommes, à la suite des Lucien et des Térence, à côté des Fielding et des Goldsmith, au-dessous des Cervantes et des Molière. […] Voici de lui un mot que cite Spence et qui rentre bien dans la philosophie de Gil Blas : quelqu’un faisait de grands récits des doléances qu’on entend perpétuellement en Angleterre, en dépit de tous les droits et des avantages dont on jouit : « Certainement, dit Lesage, le peuple anglais est le plus malheureux peuple de la terre, avec la liberté, la propriété, et trois repas par jour. » 21.

1846. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Œuvres de Condorcet, nouvelle édition, avec l’éloge de Condorcet, par M. Arago. (12 vol. — 1847-1849.) » pp. 336-359

En un mot, au sein de cette prodigalité amicale et sensible, et de ces lumières intellectuelles de Condorcet, on entrevoit distinctement un grain de fanatisme qui ne demande qu’à lever. […] Aucune vertu, dans quelque sens qu’on prenne ce mot, ne dispense de la justice. […] Turgot et moi qui aimions le peuple. » — « Ce discours est très vrai », écrivait Condorcet à Voltaire à cette date, en lui rapportant le mot de Louis XVI. […] Il croit, en un mot, que ce qui était permis avant le 10 août ne l’est plus après. […] De talent véritable, au sens littéraire du mot, n’en demandez point à Condorcet dans tous les écrits sortis de sa plume pendant la Révolution.

1847. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Madame Necker. » pp. 240-263

Mieux informée, elle rétractera ce mot, et, après quelques années, elle dira : « Malgré le préjugé, j’ai trouvé au milieu de Paris des gens de la vertu la plus pure, et susceptibles de la plus tendre amitié. » Mais ce discernement demande plus d’un jour. […] Mme Necker s’était formé une idée des auteurs et des gens d’esprit de Paris uniquement par les livres, et elle vit que le monde où elle avait à se gouverner était bien autrement divers, varié et plein de nuances : « En arrivant dans ce pays-ci, dit-elle, je croyais que les lettres étaient la clef de tout, qu’un homme ne cultivait son esprit que par les livres, et n’était grand que par le savoir. » Mais le genre de conversation qui s’accommodait avec cette idée n’était guère de mise que dans le tête-à-tête, et elle ne tarda pas à s’apercevoir de sa méprise : Je n’avais pas un mot à dire dans le monde, ajoute-t-elle ; j’en ignorais même la langue. […] Ce qu’on appelait franchise en Suisse devenait égoïsme à Paris ; négligence des petites choses était ici manque aux bienséances ; en un mot, détonnant sans cesse et intimidée par mes bévues et par mon ignorance, ne trouvant jamais l’à-propos, et prévoyant que mes idées actuelles ne s’enchaîneraient jamais avec celles que j’étais obligée d’acquérir, j’ai enfoui mon petit capital pour ne le revoir jamais, et je me suis mise à travailler pour vivre et pour accumuler un peu si je puis. […] Voyez les Hollandais, ils font une digue à la mer avec des brins de paille. » L’œuvre des Hollandais contenant la mer avec des digues est industrieuse et grande, mais elle n’est nullement en harmonie avec l’idée qu’éveille le mot de goût ; une telle comparaison déroute l’esprit, loin d’éclaircir la pensée. […] En un mot, on sent beaucoup trop que les comparaisons, chez cette femme d’esprit, ne s’offrent point d’elles-mêmes, qu’elles ne naissent point sous ses pas et du sein même du sujet qu’elle traite, qu’elles ne sont point inspirées par l’à-propos du discours, mais qu’elle les tire de quelque magasin plus ancien, de quelque cahier de conversation où elle les avait en réserve.

1848. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Rollin. » pp. 261-282

Et d’Aguesseau, le félicitant sur son ouvrage, entrait dans sa pensée, quand il lui disait : « Vous parlez le français comme si c’était votre langue naturelle. » C’est que Rollin, en effet, était du Pays latin, et ce mot avait alors toute la signification qu’il a perdue depuis. […] Une autre ordonnance du recteur Rollin, c’est de faire réciter chaque jour aux élèves, dans toutes les classes, quelques passages choisis des Écritures et particulièrement des Évangiles : « Car, dit-il, si nous empruntons aux écrivains profanes l’élégance des mots et tous les ornements du langage, ce ne sont là que comme ces vases précieux qu’il était permis de dérober aux Égyptiens sans crime, mais gardons-nous d’v verser le vin de l’erreur. » — Par ces diverses prescriptions et ordonnances, qui datent de son rectorat, on voit combien Rollin était peu novateur, combien il s’acheminait lentement et avec circonspection dans les pas qu’il faisait vers le siècle. […] Je ne voudrais rien faire entendre au-delà de ma pensée : les modestes, sans doute, pas plus que les présomptueux, ne doivent être pris au mot ; l’homme, dans la plupart des cas, vaut plus ou moins qu’il ne se croit et surtout qu’il ne se montre. […] Aujourd’hui, s’il faut en toucher un mot, d’autres générations sont venues et ont pris rang, animées elles-mêmes d’une inspiration toute différente, mais qui n’ont pas fait pour cela un seul pas de retour vers le passé ; car le passé, pour la masse des générations humaines, ne revient jamais. […] Il faut, en un mot, des vues et un langage que je ne me charge pas de trouver, que quelques-uns sont en voie de découvrir peut-être, mais qui auraient pour effet ce qu’il y a de plus difficile au monde : créer de nouveau un besoin élevé, réveiller un désir !

1849. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Mémoires de Daniel de Cosnac, archevêque d’Aix. (2 vol. in 8º. — 1852.) » pp. 283-304

Mme de Sévigné, qui, en revenant de Provence de chez Mme de Grignan, visitait Cosnac dans son évêché de Valence où il était avant de devenir archevêque d’Aix, écrivait à sa fille, le 6 octobre 1673 : « M. de Valence (Cosnac) m’a envoyé son carrosse avec Montreuil et Le Clair, pour me laisser plus de liberté : j’ai été droit chez le prélat ; il a bien de l’esprit ; nous avons causé une heure ; ses malheurs et votre mérite ont fait les deux principaux points de la conversation. » Ses malheurs ; — en effet, Cosnac, qui n’avait guère que quarante-trois ans à l’époque où Mme de Sévigné en parlait de la sorte, et qui était évêque depuis l’âge de vingt-quatre ans, avait eu jusque-là une vie très active, très intrigante (comme il le dit lui-même, en ne prenant pas le mot en mauvaise part), et très bigarrée. […] Payé à vingt-quatre ans de ce service par un bon évêché, de la familiarité du cardinal et du jeu de la reine, Cosnac, par tempérament, par goût et par esprit d’intrigue (je mets toujours le mot comme lui-même, indifféremment), se mêlait alors de beaucoup de choses, et on l’y jugeait propre. […] À l’époque où Cosnac le connut d’abord, Mme de Longueville disposait de son frère à sa volonté ; elle excitait ou apaisait d’un mot sa colère et réveillait son affection, qui n’était pas celle d’un frère pour une sœur, mais bien d’un amant jaloux et soumis pour une impérieuse maîtresse. Elle jouait de lui, en un mot, et s’en jouait. […] Ce qui tempérait l’effet de ces brusqueries et les empêchait de tourner autant qu’elles auraient pu contre celui qui se les permettait, c’est qu’il s’y mêlait de la gaieté, de la jovialité, et (je demande pardon du mot) un peu de turlupinade.

1850. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Bernardin de Saint-Pierre. — I. » pp. 414-435

» Que de fois ces mots nous ont rappelé la scène touchante où Paul et Virginie, assis près de la source de la rivière des Lataniers, s’entretiennent pour la dernière fois, et où le vieillard, à la vue de la Croix du Sud, les avertit qu’il est temps de se séparer ! […] Je pourrais citer d’autres délicieux petits tableaux tout à côté, notamment celui qui commence par ces mots : « Si jamais je travaille pour mon bonheur, je veux faire un jardin comme les Chinois… » Malgré ces touches heureuses, il manquait pourtant au Voyage de l’île de France, et à son exactitude complète, cette vie intime et magique que Bernardin, en y revenant, saura mêler plus tard à ces mêmes peintures, quand il les reverra de loin, non plus dans l’ennui de l’exil, mais avec la tendresse du regret et avec la vivacité de l’absence. […] Ce mot sur M.  […] Hennin, qu’il désolait, lui écrivait ce mot, qui résume tout notre jugement : « Vous êtes bon, simple, modeste, et il y a des moments où vous semblez avoir pris pour modèle votre ami Jean-Jacques, le plus vain de tous les hommes. » Cependant, à travers ces boutades et ces quintes d’un cerveau tant soit peu malade, Bernardin ne cesse de solliciter auprès de tous les ministères, et, grâce à de bons amis, parmi lesquels M.  […] Ces lettres, dont je n’ai cité dans l’article précédent que quelques mots, se rapportent, la première, au refus de la gratification accordée par M. de Vergennes, et la seconde, au refus de la gratification sur le Mercure, accordée par M. de Breteuil : ces deux refus de Bernardin, est-il besoin de le dire ?

1851. (1888) Préfaces et manifestes littéraires « Histoire » pp. 179-240

C’est dire que derrière le plus petit fait avancé dans ces pages, derrière le moindre mot, il est un document que nous nous tenons prêts à fournir à la critique. […] Un dernier mot. […] * * * Il nous reste à dire quelques mots du présent livre : Les Maîtresses de Louis XV, pour en définir la moralité et l’enseignement. […] Avec le temps le plâtre tomba, laissant voir aux marins battus des flots : Sostrate de Cnide, fils de Dexiphane… « Voilà comment il faut écrire l’histoire », dit Lucien, et c’est le dernier mot de son Traité de l’histoire. […] Même ces souveraines de l’amour que nous avions tenté de faire revivre, ne m’apparaissaient pas assez pénétrées dans l’intimité et le vif de leur féminilité particulière, de leur manière d’être, de leurs gestes, de leurs habitudes de corps, de leur parole, du son de leur voix… pas assez peintes, en un mot, ainsi qu’elles auraient pu l’être par des contemporains.

1852. (1889) L’art au point de vue sociologique « Introduction »

On sait que, dans son Irréligion de l’avenir, Guyau considère la religion comme étant, par essence, un « phénomène sociologique », une extension à l’univers et à son principe des rapports sociaux qui relient les hommes, un effort, en un mot, pour concevoir le monde entier sous l’idée de société. […] Aussi, pour Guyau, la métaphysique même est une expansion de la vie, et de la vie sociale : c’est la sociabilité s’étendant au cosmos, remontant aux lois suprêmes du monde, descendant à ses derniers éléments, allant des causes aux fins et des fins aux causes, du présent au passé, du passé à l’avenir, du temps et de l’espace à ce qui engendre le temps même et l’espace ; en un mot, c’est l’effort suprême de la vie individuelle pour saisir le secret de la vie universelle et pour s’identifier avec le tout par l’idée même du tout. […] En un mot, le grand art se fait admirer à la fois de tout un peuple (même de plusieurs peuples), et du petit nombre d’hommes assez compétents pour y découvrir un sens plus intime. […] Hugo, et le mot a toujours servi ; de là l’impossibilité d’exprimer l’émotion. » — « Eh bien non, répond Guyau, et c’est là ce qu’il y a de désolant pour le poète, l’émotion la plus personnelle n’est pas si neuve ; au moins a-t-elle un fond éternel ; notre cœur même a déjà servi à la nature, comme son soleil, ses arbres ses eaux et ses parfums ; les amours de nos vierges ont trois cent mille ans, et la plus grande jeunesse que nous puissions espérer pour nous ou pour nos fils est semblable à celle du matin, à celle de la joyeuse aurore, dont le sourire est encadré dans le cercle sombre de la nuit : nuit et mort, ce sont les deux ressources de la nature pour se rajeunir à jamais. » La masse des sensations humaines et des sentiments simples est sensiblement la même à travers la durée et l’espace, mais ce qui s’accroît constamment et se modifie pour la société humaine, c’est la masse des idées et des connaissances, qui elles-mêmes réagissent sur les sentiments. « L’intelligence peut seule exprimer dans une œuvre extérieure le suc de la vie, faire servir notre passage ici-bas à quelque chose, nous assigner une fonction, un rôle, une œuvre très minime dont le résultat a pourtant chance de survivre à l’instant qui passe. […] Il insiste surtout sur l’évolution par laquelle la prose devient de plus en plus « poétique », non au vieux sens de ce mot, qui désignait la recherche des ornements et les fleurs du style, mais au sens vrai, qui désigne « l’effet significatif et surtout suggestif » produit, par l’entière adoption de la forme au fond, du rythme et des images à la pensée émue.

1853. (1920) Action, n° 4, juillet 1920, Extraits

La biographie n’existe pas ; chaque mot qui n’a pas été créé, a subi un viol muet. […] Tableaux futuristes aériens. — Mots en liberté aériens. […] Dans nos vols dialogues et non mots et liberté aériens, le sexe des acteurs sera mis en relief par la forme des aéroplanes, la voix du moteur et le rythme spécial du vol.  […] Cette chute peut désigner la captation et le détournement que Breton tente d’effectuer sur l’héritage poétique d’Apollinaire et dont témoignera l’utilisation, dans un tout autre sens, du mot apollinarien de « surréalisme ». […] Tokine opère quelques coupes, notamment du premier paragraphe et du point 4 terminant le programme de ce « théâtre aérien », coupant également les derniers mots du point 3 : « commerciale et industrielle ».

1854. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « I — L’art et la sexualité »

… Le dérivé mental de l’onanisme tel que nous venons de le dépeindre, c’est en effet, la conception fixe que pour parvenir dans le calme de la félicité, à une vision esthétique de l’univers, il faut se détourner méthodiquement de tout ce que colore un rayon de vie, de tout ce qui respire et frémit, de tout ce qui pourrait ressembler même lointainement, à une action, en un mot de tout ce que la vie vulgaire pourrait ternir de sa matérialité sans goût. […] L’usage des plus simples actions lui cause une perpétuelle horreur, qui se manifeste tantôt par un trouble éperdu et sans cesse croissant, tantôt par de stupéfiantes maladresses, qui provoqueraient l’hilarité du plus petit portefaix dans la rue ; soit par des accidents bizarres que le manque d’audace de la victime empêche seul d’être funestes ; soit encore par un balbutiement qui appelle à son secours les plus précieuses et les plus subtiles finesses du dialogue esthétique, mais qui ne parvient pas à trouver les plus simples mots du langage de tous ; soit enfin par une ignorance, aristocratique mais absolue, des diverses et primaires méthodes par lesquelles un animal des premiers degrés de la création ose instinctivement jouir de la vie. […] S’il parle de choses pratiques d’importance vulgaire, il saura employer de telles périphrases qu’il vous est impossible, après l’avoir quitté, de répéter un seul mot de son langage, d’une imprécision tellement esthétique, que l’homme le mieux doué ne pourrait en saisir le sens réel. […] En un mot ce lamentable personnage contient en lui, à doses différentes, des éléments d’involontaire bouffonnerie et de tragique faiblesse qui en font l’une des plus singulières floraisons de la multicolore humanité.‌ […] On peut mieux encore observer la vérité de ce fait, chez les individus dont le désir d’un autre être n’est pas satisfait, en un mot chez les amoureux éconduits, dont la morne tristesse et la sombre rêverie sont demeurés classiques en tout pays. « Languir d’amour » est la traduction, en langage proverbial et populaire, de cette vérité biologique : l’excitation sexuelle non satisfaite déprime les facultés cérébrales.

1855. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Académie française — Réception de M. Émile Augier » pp. 317-321

Augier a cité un mot heureux de M. de Chateaubriand, disant-de M. de Salvandy qu’il avait de la fougue dans la modération. Il a cité un mot de M. de Salvandy sur lui-même, dans une lettre qu’il écrivait à M. 

1856. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XII » pp. 47-52

Il me semble que l’on pourrait, sous le titre de On dit sur Lucrèce, mettre à la file une assez jolie série de petits mots de nos illustres, une brochette de Judicia recentiorum. […] L'auteur caractérise d’un mot la différence entre Pétersbourg et Paris : « A Paris on s’amuse de tout en blàmant tout ; à Pétersbourg on s’ennuie de tout en louant tout. » — M. de La Gournerie, ancien rédacteur de l’ancien Correspondant et probablement aussi du nouveau ; ami de Cazalès, de l’abbé Gerbet, de ce groupe, — je ne le connais pas, mais ce doit être un brave homme ; — une différence capitale entre les néo-catholiques de 1843 et les catholiques de 1828 (dont est La Gournerie), c’est que ceux-ci n’ont jamais dit d’injures aux gens, aux voisins plus ou moins religieux, mais non catholiques.

1857. (1874) Premiers lundis. Tome II « La Comtesse Merlin. Souvenirs d’un créole. »

Cette nature vive, fraîche et sensible de l’auteur des Souvenirs, se peignait à mes yeux à travers ces récits plus ou moins semés de jolis mots et sur lesquels courait sa plume facile. […] « Elle parlait pourtant assez bien espagnol, nous dit l’auteur du récit, mais elle n’en prononça pas un mot.Il semble que dans les grandes douleurs, on revient à la langue naturelle, comme on se réfugie dans le sein d’un ami. » L’arrivée de la jeune Mercedès à Cadix, puis à Madrid où elle retrouve sa mère, sa famille ; l’état de la société peu avant l’invasion des Français ; les accidents gracieux qui formaient de légers orages ou des intérêts passagers dans cette existence de jeune fille, puis l’invasion de Murat, la fuite de Madrid, le retour, la cour de Joseph, et le mariage ; tels sont les événements compris dans ces deux premiers volumes de Souvenirs.

1858. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Troisième partie. Disposition — Chapitre VI. Exordes. — Péroraisons. — Transitions. »

Il n’y a pas à chercher finesse, et le soin qu’on met souvent à inventer un exorde, à trouver une entrée en matière, à hausser le ton dans la péroraison, et à finir par un mot fort ou fin, par un effet, ce soin est une puérilité. […] Pareillement ne croyez pas qu’il faille se guinder à la fin : point de grands mots, point d’emphase, point de tragédie : exposez votre conclusion ; si elle sort nécessairement de ce qui précède, si elle est mise dans tout son jour, il n’en faut pas davantage.

1859. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre troisième. Suite de la Poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions. — Chapitre VII. Suite du précédent. — Paul et Virginie. »

Ce qu’il nous importe d’examiner dans cette peinture, ce n’est pas pourquoi elle est supérieure au tableau de Galatée (supériorité trop évidente pour n’être pas reconnue de tout le monde), mais pourquoi elle doit son excellence à la religion, et, en un mot, comment elle est chrétienne. […] On reconnaît encore le chrétien dans ces préceptes de résignation à la volonté de Dieu, d’obéissance à ses parents, de charité envers les pauvres ; en un mot, dans cette douce théologie que respire le poème de Bernardin de Saint-Pierre.

1860. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « XII »

Il me blâme seulement d’y trop croire et de toujours répéter le même mot : La refonte ! […] Nous ne cesserons de répéter ce mot, tant qu’on s’obstinera à mépriser le travail et à croire qu’il est facile de bien écrire.‌

1861. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « XIII »

L’originalité est chose si importante que M. de Gourmont lui-même m’approuve d’avoir divisé le style en style banal et en style original, ce qui est gros de conséquences, puisqu’il sait que j’entends par originalité la recherche de l’image, le mot vivant, l’expression en relief, la force, la couleur, le pittoresque, toutes les surprises du style. […] Leurs perpétuelles « trouvailles » de style jouissent de quelque renommée dans le monde, et il y a longtemps qu’on s’extasie sur leurs surprises de mots, d’images et d’expressions.

1862. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Remarque finale. Le Temps de la Relativité restreinte et l’Espace de la Relativité généralisée »

Celle-là nous apporte surtout une formule nouvelle pour des résultats déjà acquis ; elle est bien, au sens propre du mot, une théorie, un mode de représentation. […] Disons seulement deux mots de la différence entre le Temps de l’une et l’Espace de l’autre.

1863. (1895) Journal des Goncourt. Tome VIII (1889-1891) « Année 1889 » pp. 3-111

C’est chez nous l’incomparable Molière, et Dieu sait que presque tout son théâtre, ses scènes célèbres, ses mots que tout le monde a dans la mémoire, c’est presque toujours un vol, vol dont les critiques lui font un mérite, mais moi, non. […] Je ne réponds de rien. » Vendredi 15 mars Dire qu’on en est réduit aujourd’hui, avec cet imbécile de public de première, à substituer dans l’acte de Verdun, le mot passeport au mot passe, qui est le vrai mot militaire, et je ne suis pas bien sûr, diable m’emporte, qu’au premier acte, l’envoi à Sa Majesté des faucons par le procureur de l’ordre de Malte ne sera pas égayé par un intelligent gandin. […] Les mots spirituels du premier acte tombent dans un silence de glace, et Antoine me jette : « Nous avons une salle sur la réserve, toute disposée à empoigner n’importe quoi, une phrase quelconque, une perruque d’actrice, une culotte d’acteur !  […] Ils sont tout à la bataille des mots, et ne se doutent guère qu’à l’heure présente, il s’agit de bien autre chose : il s’agit d’un renouvellement complet de la forme pour les œuvres d’imagination ; d’une forme autre que le roman, qui est une forme vieille, poncive, éculée. […] Un petit Breton héroïque, inconscient de son héroïsme, blessé aux deux bras avec un morceau d’obus dans la poitrine, ne connaissant pas un mot de français, et qui, au crépuscule, se mettait à chantonner les vêpres en latin bas-breton.

1864. (1866) Dante et Goethe. Dialogues

Mais quelle idée bizarre a eue Dante d’inscrire le mot amour sur les portes de l’enfer ! […] vous le murmurez dans vos sphères sacrées, Étoiles du matin, ce mot triste et charmant. […] Ils ne diffèrent que dans les mots. […] Jamais Gœthe ne séduit, au sens bourgeois du mot, jamais il ne raille, même la femme facile. […] Demande-t-il au cœur d’une femme le dernier mot de la vie, ce sont des larmes encore qui lui répondent.

1865. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — chapitre VI. Les romanciers. » pp. 83-171

Allons, ma chère maussade silencieuse, dites-moi un seul mot ; vous en direz bientôt deux à M.  […] Par exemple il écrit à sa fiancée : « Et maintenant, ô la plus aimable et la plus chère des femmes, permettez-moi d’attendre de vous l’honneur d’un mot qui me dira combien de jours de cet ennuyeux mois vous aurez la bonté de réduire. […] À ce mot, elle reprend ses supplications ; il grince les dents, il serre les poings, il frappe du pied. « Tu l’épouseras, tu l’auras ! […] Lord Chesterfield, qui a perdu sa faveur, essaye en vain de la regagner en proposant de lui décerner, sur tous les mots de la langue, l’autorité d’un pape. […] À peine servi, il se précipitait sur sa nourriture « comme un cormoran, les yeux fichés sur son assiette, ne disant pas un mot, n’écoutant pas un mot de ce qu’on disait autour de lui », avec une telle voracité que les veines de son front s’enflaient et qu’on voyait la sueur en découler.

1866. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre III. La critique et l’histoire. Macaulay. »

Il est libéral dans le plus large et le plus beau sens du mot. […] C’est pourquoi si l’on veut bien prouver, on doit avant tout présenter ces spécimens, insister sur eux, les rendre visibles et tangibles au lecteur autant qu’on le peut avec des mots. Cela est difficile, car les mots ne sont pas les choses. La seule ressource de l’écrivain est d’employer des mots qui mettent les choses devant les yeux. […] Vous savez ce mot d’un directeur de revue à qui Pierre Leroux proposait un article sur Dieu. « Dieu !

1867. (1841) Discours aux philosophes. De la situation actuelle de l’esprit humain pp. 6-57

Elle ne peut en conclure qu’une chose, cette logique : c’est que tout dépend du hasard et de la fatalité ; qu’il n’y a par conséquent ni droit ni devoir ; que rien n’est vrai, que rien n’est juste ; que vérité, vertu, justice, sont des mots et ne sont que des mots. […] ces mots-là n’ont plus de sens. […] Paul qui explique ce grand mot de la Bible : « Vous serez deux dans une même chair » ; l’explique-t-il par l’égalité ? […] Quel est, je vous le demande, le grand mot de la Régence ? N’est-ce pas le mot de la fille du Régent : Courte et bonne , c’est-à-dire « jouir ou mourir ».

1868. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 juin 1885. »

En un mot, ne tentez jamais de vous assimiler son double génie poétique et musical ! […] Ne voyait-il pas écrit devant lui, en l’œuvre de Bach, le mot expliquant l’énigme de son Rêve intérieur ; ce mot que, jadis, le pauvre Cantor de Leipzig avait tracé, comme le symbole éternel d’un Univers inconnu et nouveau ? […] Mais précisément, dans cette œuvre, règne, incontestablement, cette Volonté de l’artiste créateur, qui est placée sous les choses et qui les ordonne ; et nous trouvons son expression immédiate lorsque Beethoven, s’adressant aux transports furieux, qui reparaissent constamment après chaque accalmie, les appelle, comme avec le cri d’angoisse de l’homme s’éveillant hors d’un rêve terrible, et leur crie le Mot réellement parlé dont le sens idéal n’est autre que : « Et, pourtant, l’homme est bon !  […] Ainsi que le littérateur peut, par le même moyen des mots constants d’une langue, nous communiquer, immédiatement, la suite de ses pensées — et c’est la Prose — ou bien, aussi, — dans la Poésie — négligeant, presque, le sens habituel des mots, avec le seul agencement des rythmes et des sons, évoquer en nous, plus exacte, la vie intense de l’émotion ; ainsi peuvent les peintres, par le même moyen des procédés plastiques, traduire, immédiatement, leur vision du monde objectif, — ou bien, aussi, négligeant, presque, le sens habituel des figures, avec le seul agencement des lignes et des teintes, évoquer en nous, réelles, précises, des émotions que nulle poésie, nulle musique, ne sauraient exprimer. […] Le Mot est, pour l’exposition dramatique, ce qu’est le Motif pour la musique. — L’Acteur : il trouve, dans la musique, la révélation de l’essence des caractères et des situations, et, en même temps, un commentaire perpétuel pour son jeu ; où le Motif s’intercale dans un discours, de façon à compléter la phrase, le chanteur doit s’identifier par le Geste avec la Parole musicale. « C’est dans de tels moments, que le Drame et la Musique révèlent, de la manière la plus saisissante, leur intime connexité ».

1869. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Le buste de l’abbé Prévost. » pp. 122-139

Dans ce premier jet, le style moins correct, moins court, est peut-être encore plus naturel, plus lié, et offre des traits qui se rapprochent davantage de la réalité telle quelle : l’auteur, sans viser ensuite à rien ennoblir, a pourtant songé évidemment à adoucir certains tours ou certains mots qui avaient semblé trop bas. […] Ce sont les expressions les plus simples de la langue ; les mots de tendresse, de charme, de langueur, y reviennent souvent et ont sous la plume de l’abbé Prévost une douceur et une légèreté de première venue qu’ils semblent n’avoir qu’une fois : par exemple, au moment où, au sortir de sa captivité, Des Grieux revoit Manon et où, accompagné de son libérateur, M. de T., il s’empresse d’aller pour la délivrer à son tour : « … Elle comprit que j’étais à la porte. […] Dans Le Pressoir, cette jolie comédie-idylle de Mme Sand, un paysan dit d’une jeune fille sans fortune dont il ne veut pas pour son fils : « J’avoue qu’elle est charmante et très douce. » Ce dernier mot, dit d’une certaine façon villageoise, fait un gracieux effet : et pourtant c’est un peu cherché et calculé en fait de naturel : celui de l’abbé Prévost coulait de source. […] Mais, même dans ces besognes obligatoires que la nécessité lui imposait, une fois la plume à la main, que ce soit la grande compilation de l’Histoire générale des voyages qu’il entreprenne (1746) que ce soit un simple Manuel lexique ou Dictionnaire portatif des mots français obscurs et douteux (1750), un de ces vocabulaires comme Charles Nodier en fera plus tard par les mêmes motifs ; que ce soit le Journal étranger, ce répertoire varié de toutes les littératures modernes, dont il devienne le rédacteur en chef (1755) ; de quelque nature de travail qu’il demeure chargé, remarquez le tour noble et facile, l’air d’aisance et de développement qu’il donne à tout ; il y met je ne sais quoi de sa façon agréable et de cet esprit de liaison qui est en lui.

1870. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Œuvres de François Arago. Tome I, 1854. » pp. 1-18

Pour moi, qui n’ai pas même l’honneur de comprendre et de lire dans leur langue les mémoires de haute science où il s’est montré inventeur, ces considérations sur les profondes et fines parties de l’optique et du magnétisme où il a gravé son nom ; qui n’ai eu que le plaisir de l’entendre quelquefois, soit dans ses cours à l’usage des profanes, soit dans les séances publiques de l’Académie, je ne puis ici que m’approcher respectueusement de lui par un aspect ouvert à tous ; je ne puis que l’aborder, si ce n’est point abuser du mot, par son côté littéraire. […] Fontenelle, qu’on cite toujours comme le premier maître dans le genre de l’éloge appliqué aux savants, n’eut pas à triompher de cette difficulté ; il se contentait d’indiquer d’un mot les points et les sujets de science, il ne les traitait pas. […] Dans sa biographie de Monge, il appliquera quelque part, et sans croire faire une injure, la qualification de brutale à une parole de Fontenelle qui n’est que noble et digne, comme si ce mot de brutal ne criait pas et ne jurait pas avec tout ce qui est sorti de la bouche et de la plume de ce sage discret. […] » Et il prononce là-dessus le mot de caste, il s’élève contre cette prétention de parquer les hommes.

1871. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Sénac de Meilhan. — I. » pp. 91-108

Sans accorder à M. de Meilhan les derniers mots de l’éloge, ou peut du moins lui appliquer l’excuse. […] Il était dans le vrai : les deux extrêmes déshonorent par leur scandale. » — Eh bien, ce mot cité par M. de Meilhan était un mot même de son frère Sénac, le fermier général, parlant à sa femme ; c’était un mot de famille.

1872. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Le président Jeannin. — III. (Fin.) » pp. 162-179

Le président Jeannin, amateur de la paix et sachant qu’au fond c’était aussi la politique de Henri IV, sut dissimuler dans l’origine et ne pas donner son dernier mot : Il était, a dit Grotius, si puissant en paroles et tellement maître des mouvements de son visage, que, quand il cachait le plus ses sentiments, il semblait toujours qu’il parlât à cœur ouvert (Vultus autem sermonisque adeo potens, ut cum maxime abderet sensus apertissimus videretur). […] En un mot, et pour marquer son effort aussi brièvement que possible, je dirai qu’il travaillait à la fois sur Henri IV pour le disposer d’avance à consentir à une longue trêve dont ce monarque rejetait l’idée, et sur les Hollandais pour les contenir à n’accepter une paix que moyennant les conditions essentielles et sans y courir à bride abattue. […] Les archiducs étaient sincères ; leurs habiles députés désiraient véritablement une conclusion : mais on était loin de Madrid, qui ne disait pas son dernier mot, et qui le retenait jusqu’au dernier instant. […] Le point était habilement choisi par l’Espagne, si elle avait voulu rompre décidément en rendant odieux le roi de France allié des Hollandais, et en le présentant comme opposé aux intérêts et aux droits de sa propre religion : mais il n’entrait point en cela une si profonde politique, et bientôt, lorsque le président Jeannin eut introduit dans l’assemblée des États-Généraux (27 août 1608) sa proposition d’une trêve à longues années au lieu d’une paix, on vit (tant les mots sont puissants sur les hommes !)

1873. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Tallemant et Bussy ou le médisant bourgeois et le médisant de qualité » pp. 172-188

En un mot, Bussy a donné dans l’Histoire amoureuse des Gaules une sorte de plat de son métier, une rabutinade qui a un ragoût particulier pour les palais qui n’en sont pas restés aux mets de l’âge d’or. […] À un certain endroit, j’en voudrais effacer les mots de synthèse et d’entités (p. 78), qui jurent avec le ton général de la langue. […] On a de sa façon une épître au père Rapin, qui était de ses amis ; il n’y a pas le plus petit mot pour rire : Pour moi, rien ne m’est cher comme les bons amis ; C’est ce qu’en mon estime au plus haut rang j’ai mis. […] Allant partout, frayant avec les plus qualifiés et lié avec les plus gens d’esprit, aimant à tout écouter, à tout recueillir et à en faire de bons contes, né « anecdotier » comme La Fontaine était « fablier » (le mot est de M. 

1874. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « L’abbé de Marolles ou le curieux — I » pp. 107-125

On a souvent cité de lui un mot qui ressemble presque à une saillie. […] Taschereau, et sans ce secours unique, sans l’ensemble de notes manuscrites qui y sont jointes, je n’aurais pas eu le moyen, je l’avoue, de me faire une juste idée de Marolles, de l’œuvre de Marolles, si l’οn peut employer le mot sans rire ; je n’en aurais pu parler tout à fait pertinemment. […] laissons ce grand mot. […] [NdA] Je demande qu’on me passe ce mot de collectionneur qui m’est nécessaire et qui exprime la manie ; collecteur ne dit pas assez.

1875. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Mémoires pour servir a l’histoire de mon temps. Par M. Guizot »

 » ; et enfin ce mot qu’on a fort relevé : « Je ne connais guère l’embarras, et je ne crains pas la responsabilité. » C’est le signe d’une disposition chez lui fondamentale ; c’est le geste de son esprit, de son caractère qui se trahit et qui tranche, qui repousse et chasse, pour ainsi dire, les difficultés et leur interdit de reparaître. — Une remarque matérielle et qui n’est pas vaine vient à l’appui, le caractère de son écriture : pas une hésitation, pas une fatigue ; jamais un jambage qui bronche. […] Les romantiques, s’il m’en souvient, lui trouvaient le style un peu pâteux ; c’était leur mot. […] Je ne saurais donc adhérer au mot sévère d’un éminent et ingénieux critique, M.  […] J’insiste, parce que l’exactitude du mot a été contestée.

1876. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Sainte-Hélène, par M. Thiers »

Là, en un mot, comme dans toutes les prisons, les gardiens songèrent plus à leur commodité qu’à celle du prisonnier. […] Et si l’on en vient au style tant discuté, tant contesté, qu’on me permette d’y revenir encore moi-même dans un dernier mot. […] Royer-Collard répliqua : « N’ayez pas peur, vous vous défendez contre tout le monde. » Le mot est charmant, et, de plus, il est juste et a tout son poids dans la bouche d’un homme qui ne faisait guère de compliments. […] Que ne puis-je détacher ces trois pages de résumé admirable sur le caractère de Napoléon (p. 710-713), depuis ces mots : Napoléon était né avec un esprit juste, … jusqu’à ceux-ci : Telle fut cette nature extraordinaire !

1877. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « De la poésie en 1865. (suite et fin.) »

Luzel a déjà dû s’impatienter, s’il nous lit, et je suis sûr que, s’il était à portée de voix, il aurait demandé plus d’une fois la parole ; car, lui, il a la prétention d’être dans un cas tout différent : « Nous autres Bretons, dit-il dans sa préface, nous avons l’avantage précieux de posséder une langue à nous : je dis langue et je repousse vigoureusement le mot flétrissant de patois. » Loin de moi l’idée de le contredire et de porter atteinte à sa patriotique pensée ! […] Pour moi, une pièce qui me paraît touchante de forme et de sentiment est celle que M.Luzel a consacrée à la mémoire de Brizeux, l’amoureux de Marie, le barde qui s’est écrié en l’un de ses meilleurs chants, voulant exprimer d’un mot sa terre natale : Ô terre de granit, recouverte de chênes ! […] Si l’on avait voulu définir d’un mot Boulay-Paty, il aurait fallu dire : « C’est un jeune homme. » — Jeune homme, il l’avait été de bonne heure et presque dès l’enfance : il l’était resté toujours, tant le regret de ne plus l’être était vif et sensible en lui ! […] C’est dommage, vraiment, que de telles strophes n’aient pas été faites il y a deux siècles, au lendemain de Malherbe : on s’en souviendrait peut-être ; mais elles viennent trop tard ; c’est trop de mots pour trop peu de sens : Ô Rose, en toi que l’amour rende Hommage aux fragiles destins !

1878. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Jean-Baptiste Rousseau »

En un mot, tout annonçait à J. […] Or, sans faire d’hypothèse gratuite, sans demander aux hommes plus que leur siècle ne comporte, on conçoit, ce me semble, dans cette atmosphère de souvenirs et d’affections, une âme tendre, chaste, austère, effrayée de la contagion croissante et du débordement philosophique, fidèle au culte de la monarchie de Louis XIV, assez éclairée pour dégager la religion du jansénisme, et cette âme, alarmée, avant l’orage, de pressentiments douloureux, et gémissant avec une douceur triste ; quelque chose en un mot comme Louis Racine, d’aussi honnête, et de plus fort en talent et en lumières. […] Deux mots suffiront. […] Les quatre premiers vers de la première strophe sont bien, et les six derniers passables grâce à l’harmonie, quoiqu’un peu vides et chargés de mots ; mais il fallait tenir compte du verset si touchant d’Isaïe : « Hélas !

1879. (1902) L’observation médicale chez les écrivains naturalistes « Chapitre II »

« Ce lundi, il lisait une page des Mémoires d’outre-tombe quand il est pris d’une petite colère, à propos d’un mot qu’il prononce mal. […] Il lit le cardinal Pa(cca) puis plus rien, impossible de finir le mot. […] Une respiration ronflante comme une basse, coupée d’une plainte continue et râlante qui vous déchire… Du milieu de cette plainte jaillissent des mots, des phrases qu’on ne peut saisir, et parmi lesquels il me semble entendre : “Maman, maman, à moi maman !” […] Trousseau en exprima l’intérêt, même au point de vue médical pur, dans les pages savoureuses qui ouvrent le recueil de ses magistrales cliniques : « Que les nosologies soient utiles à celui qui commence l’étude de la médecine, j’y consens au même titre qu’une clef analytique est assez bonne, au même titre que le système si faux de Linné peut être fort utile à celui qui essaie l’étude de la botanique ; mais, Messieurs, si vous connaissez assez pour pouvoir reconnaître, permettez-moi cette espèce de jeu de mots, hâtez-vous d’oublier la nosologie, restez au lit du malade, cherchant sa maladie comme le naturaliste étudie la plante en elle-même dans tous ses éléments.

1880. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Conclusion. »

Excluant, jusqu’au mot de pardon, qui semble détruire la douce égalité qui doit exister entre le consolateur et l’infortuné ; ce n’est pas des torts, mais de la douleur qu’il importe de s’occuper ; c’est donc au nom du bonheur seul que j’ai combattu les passions. […] La fureur, la vengeance s’allient, sans doute, avec l’enthousiasme, mais ces mouvements qui rendent cruels momentanément, n’ont point d’analogie avec ce qu’on a vu de nos jours, un système continuel, et, par conséquent, à froid de méconnaître toute pitié : Or quand cet affreux système existe dans les soldats, ils jugent leurs chefs tout comme leurs ennemis, ils conduisent à l’échafaud ce qu’ils avaient estimé la veille, ils appartiennent uniquement à la puissance d’un raisonnement, et dépendent par conséquent de tel enchaînement de mots qui se placera dans leurs têtes comme un principe et des conséquences. […] Enfin, la pitié est encore nécessaire pour trouver un terme à la guerre intérieure ; il n’y a point de fin aux ressources du désespoir, et les discussions les plus habiles, et les victoires les plus sanglantes ne font qu’augmenter la haine ; une sorte d’élan de l’âme, tout composé d’enthousiasme et de pitié, arrête seul les guerres intestines, et rappelle également le mot de patrie à tous les partis qui la déchirent. […] C’est bien là certainement l’une des causes de la pitié ; mais l’inconvénient de cette définition, comme de toutes, est de resserrer la pensée que faisait naître le mot qu’on a défini : il était revêtu des idées accessoires et des impressions particulières à chaque homme qui l’entendait, et vous restreignez sa signification par une analyse toujours incomplète quand un sentiment en est l’objet ; car un sentiment est un composé de sensations et de pensées que vous ne faites jamais comprendre qu’à l’aide de l’émotion et du jugement réunis.

1881. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre deuxième. Les mœurs et les caractères. — Chapitre III. Inconvénients de la vie de salon. »

Le nombre des actions permises s’est restreint comme le nombre des mots autorisés. […] Néanmoins la mousse de l’enthousiasme et des grands mots laisse au fond des cœurs un résidu de bonté active, de bienveillance confiante, et même de bonheur, à tout le moins d’expansion et de facilité. […] On rencontre alors des actions, des mots d’une grâce suprême, uniques en leur genre, comme une mignonne et adorable figurine de vieux Sèvres. […] Contre le taureau populaire, leurs armes sont des traits de salon, épigrammes, bons mots, chansons, parodies et autres piqûres d’épingle324.

1882. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre I. La littérature pendant la Révolution et l’Empire — Chapitre III. Madame de Staël »

Ne lui demandons ni couleur ni énergie sensible, ni rythme expressif, ni forme en un mot ; mais une parole agile, souple, claire qui forme d’ingénieuses combinaisons de signes, qui dégage avec aisance des idées toujours intéressantes, souvent nouvelles ou fécondes, voilà ce que Mme de Staël nous offre : son style, c’est de l’intelligence parlée. […] Dans sa seconde partie, Mme de Staël reprend son idée de l’opposition du Nord et du Midi : et cette fois, elle la caractérise par les mots qui ont fait fortune : le Nord est romantique et le Midi classique. […] Elle dit un mot sur l’épopée, de façon à ruiner l’idée française, née à la Renaissance, que l’épopée est un roman allégorique et mythologique : l’Iliade et l’Odyssée n’étaient originairement que des contes de nourrice. […] « Les uns déclarent que la langue a été fixée tel jour de tel mois, et que depuis ce moment l’introduction d’un mot nouveau serait une barbarie.

1883. (1914) Enquête : L’Académie française (Les Marges)

Théoriquement, c’est logique : la vertu n’est qu’un mot dont le sens, réduit à l’échelle bourgeoise, devient : philanthropie, dévoûment, servilité. […] Et, lorsque ses représentants ont de la valeur, ils peuvent oser des interruptions, faire accepter des mots qui, lancés par d’autres, seraient couverts par les hurlements parlementaires. […] Or la véritable jeunesse est active, fait l’école buissonnière, joint l’enthousiasme à l’irrespect, trouve le mot juste. Le mot juste !

1884. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre XVI. Les derniers temps de la comédie italienne en France » pp. 311-338

Quelques mots nous donneront tout de suite le ton du recueil ; voici, par exemple, les aphorismes humoristiques qu’on y prodigue : « Une femme mariée, dit Arlequin, est comme une maison dont le propriétaire n’occupe que le plus petit appartement, et où cependant toutes les grosses réparations se font sur son compte. » Mezzetin, reprend : « Comme ainsi soit que le naturel des corneilles est d’abattre des noix et de parler gras, celui des pies d’avoir la queue longue, et des perroquets d’être habillés de vert, de même la nature des femmes est de faire enrager leur mari. » Colombine trouve son maître Persillet triste et soucieux : « Qu’est-ce que c’est, Monsieur ? […] À cela, mot, point de réponse. […] En peu de mots, je vous prie, car il faut que je me rende au Bureau. […] Le notaire, enchérissant même sur ce programme, propose aux créanciers de les transformer en actionnaires ; le mot n’y est pas, mais la chose y est : ARLEQUIN aux créanciers.

1885. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Marie Stuart, par M. Mignet. (2 vol. in-8º. — Paulin, 1851.) » pp. 409-426

On peut dire tout ce qu’on voudra, maint noble cœur prendra parti pour Marie Stuart, même quand tout ce qu’on a dit d’elle serait vrai. » Cette parole que Walter Scott met dans la bouche de l’un des personnages de son roman (L’Abbé), au moment où il prépare le lecteur à l’introduction auprès de la belle reine, reste le dernier mot de la postérité comme des contemporains, la conclusion de l’histoire comme de la poésie. […] C’est un poète (Ronsard) qui a parlé de l’or de ses cheveux annelés et tressés , et les poètes emploient, on le sait, les mots un peu vaguement. […] Le mot était lâché, il ne s’agissait, pour Marie comme pour son frère Murray, que de regarder à travers ses doigts, selon l’expression vulgaire, et de laisser faire sans se mêler de rien. […] Marie Stuart justifia en tout le mot de Shakespeare : « Fragilité, ton nom est Femme ! 

1886. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Th. Dostoïewski »

Il excelle, et ce mot d’art est glacial pour désigner la profondeur de compassion qui le motive, dans la peinture des éperdûments suprêmes de l’âme humaine meurtrie, déchirée, pleurante et saignante, tressaillant de ses cris et se répandant en paroles tremblées. […] Les gens chez lui se parlent parfois en mots suprêmes, comme dans l’ombre d’un mot obscur et vide, oublieux de tout le convenu, et se communiquant, d’humain à humain, le secret de leur être, en des mots qui retentissent jusqu’aux viscères.

1887. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre III : La science — Chapitre I : De la méthode en général »

De la méthode géométrique ; pas un mot sur la méthode expérimentale. […] On répétait sans cesse sous mille formes le célèbre mot de Newton : Hypotheses non fingo , je ne fais point d’hypothèses. […] En un mot, le fait suggère l’idée, l’idée suggère l’expérience, et l’expérience juge l’idée : voilà l’ordre logique et naturel des opérations scientifiques. […] Le doute, en un mot, n’est autre chose que la liberté de l’esprit.

1888. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Préface de la seconde édition »

Ce ne sont pas les particules non-vivantes de la cellule qui se nourrissent, se reproduisent, en un mot, qui vivent ; c’est la cellule elle-même et elle seule. […] La psychologie sociale, qui devrait avoir pour tâche de les déterminer, n’est guère qu’un mot qui désigne toutes sortes de généralités, variées et imprécises, sans objet défini. […] III Il nous reste à dire quelques mots de la définition que nous avons donnée des faits sociaux dans notre premier chapitre. […] Ainsi qu’on l’a fait remarquer7, il y a un mot qui, pourvu toutefois qu’on en étende un peu l’acception ordinaire, exprime assez bien cette manière d’être très spéciale : c’est celui d’institution.

1889. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre V. Mme George Sand jugée par elle-même »

Je prendrai donc la liberté que ses éditeurs me refusent, et je vous dirai quelques mots de ce livre de critique très inattendu, dans lequel Mme George Sand a pris, sans se manquer de respect à elle-même, la liberté de se juger. […] Elle se soucie plus de tranquillité que de vérité… Mais nous sommes en France, dans un pays qui lui a laissé parfaitement tout dire, pendant trente ans, depuis Indiana jusqu’à ses Mémoires, et qui aux jours les plus durs, a répété ces mots ou l’équivalent de ces mots, flatteurs encore, quand son scepticisme les a dits : « Elle peut avoir de mauvaises opinions, mais il faut convenir qu’elle a diablement de talent, cette femme !  […] » ce mot babéliquement insensé, mais renversant d’inattendu ; mais en sera-t-elle moins Prudhomme pour cela ?

1890. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XX. Du dix-huitième siècle, jusqu’en 1789 » pp. 389-405

Racine lui-même fait à la rime, à l’hémistiche, au nombre des syllabes, des sacrifices de style ; et s’il est vrai que l’expression juste, celle qui rend jusqu’à la plus délicate nuance, jusqu’à la trace la plus fugitive de la liaison de nos idées ; s’il est vrai que cette expression soit unique dans la langue, qu’elle n’ait point d’équivalent, que jusqu’au choix des transitions grammaticales, des articles entre les mots, tout puisse servir à éclaircir une idée, à réveiller un souvenir, à écarter un rapprochement inutile, à transmettre un mouvement comme il est éprouvé, à perfectionner enfin ce talent sublime qui fait communiquer la vie avec la vie, et révèle à l’âme solitaire les secrets d’un autre cœur et les impressions intimes d’un autre être ; s’il est vrai qu’une grande délicatesse de style ne permettrait pas, dans les périodes éloquentes, le plus léger changement sans en être blessé, s’il n’est qu’une manière d’écrire le mieux possible, se peut-il qu’avec les règles des vers, cette manière unique puisse toujours se rencontrer ? […] fais-lui donc un mal que tu ne sentes pas. » Comment distinguer dans de tels mots ce qu’il faut attribuer à l’invention ou à l’histoire, à l’imagination ou à la réalité ? […] M. de Buffon s’est complu dans l’art d’écrire, et l’a porté très loin ; mais quoiqu’il fût du dix-huitième siècle, il n’a point dépassé le cercle des succès littéraires : il ne veut faire, avec de beaux mots, qu’un bel ouvrage ; il ne demande aux hommes que leur approbation : il ne cherche point à les influencer, à les remuer jusqu’au fond de leur âme ; la parole est son but autant que son instrument ; il n’atteint donc pas au plus haut point de l’éloquence.

1891. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Stendhal, son journal, 1801-1814, publié par MM. Casimir Stryienski et François de Nion. »

« Si quelqu’un s’étonne de ce fragment, il n’a qu’à me le dire, et, parlant de la définition de la vertu, qu’il me donnera, je lui prouverai par écrit, aussi clairement que l’on prouve que toutes nos idées arrivent par nos sens, c’est-à-dire aussi évidemment qu’une vérité morale puisse être prouvée, que mon père à mon égard a eu la conduite d’un malhonnête homme et d’un exécrable père, en un mot d’un vilain scélérat. » Ce défi est assez bizarre. […] Cela nous surprend un peu, car, si Stendhal fut un inventeur, il n’était nullement poète au sens ordinaire et naturel du mot, et il n’avait à aucun degré le génie comique. […] Cet oubli est un des défauts capitaux du théâtre français. » Je n’ai pas le loisir de développer ici mon impression ; mais on sent que, plus tard, le romantisme, qu’il défendra, ne sera pas tout à fait la même chose pour lui que pour les romantiques, qu’il ne mettra pas les mêmes idées sous les mêmes mots, que cette révolution littéraire ne sera à ses yeux qu’un développement naturel du génie national dans le sens de la vraie simplicité et de la franchise d’observation… L’histoire de cette seconde entreprise de Beyle est donc l’histoire d’un second échec.

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