/ 3057
1113. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Chapitre III. Contre-épreuve fournie par l’examen de la littérature italienne » pp. 155-182

. — L’étranger s’étonne de la « combinazione », la blâme sans la comprendre ; elle est à la fois un art de la politesse et le dernier refuge des consciences opprimées. […] D’abord elle joue un rôle moins important qu’en France dans la vie intellectuelle, qui s’exprime tout aussi aisément dans les arts plastiques et dans la musique ; elle est concurrencée aussi par une autre littérature, en langue latine, et fortement soumise aux formes, aux traditions des littératures classiques ; la forme l’emporte souvent sur le fond, d’autant plus que la liberté de l’expression est souvent limitée. […] La nouvelle, je l’ai déjà dit, est une vision toute particulière, qui tient du drame autant que de l’épopée ; elle n’est pas un court roman, mais un drame en germe, tout en ayant d’ailleurs, comme forme d’art, sa vie à elle. […] Il y a plus encore : les nécessités immédiates d’une nation à faire, c’est-à-dire la politique, l’industrie, le commerce, l’agriculture, l’armée, l’école, la législation, tous ces devoirs impérieux ont absorbé et absorbent encore une quantité d’intelligences de premier ordre, qui, en d’autres circonstances, se seraient orientées vers les arts et la littérature.

1114. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre VI : M. Cousin philosophe »

Elle soutient le sentiment religieux, elle seconde l’art véritable, la poésie digne de ce nom, la grande littérature ; elle est l’appui du droit ; elle repousse également la démagogie et la tyrannie ; elle apprend à tous les hommes à se respecter et à s’aimer. » Pour mieux prouver que la science m’est indifférente, et que je ne me soucie que de morale, je range avec moi sous le même drapeau des philosophies sans métaphysiques, des métaphysiques opposées entre elles et des religions ; il me suffit qu’en pratique elles tendent au même but, et contribuent à nourrir dans l’homme les mêmes sentiments. […] Quatremère de Quincy la transportaient dans la littérature et les arts. » C’est une croisade que j’annonce, ce n’est pas une formule que j’établis. […] Puisque nous n’avons d’autre but que de produire la perfection morale, nous dirons qu’il n’y a d’autre beauté que la beauté morale, et que l’objet de l’art est de l’exprimer. L’art ainsi défini deviendra un auxiliaire de l’éloquence, et l’artiste devra se considérer comme un maître de vertu.

1115. (1886) Le naturalisme

Madame de Staël avait raison d’affirmer que ni l’Art ni la Nature ne récidivent avec une précision mathématique. […] Daphnis Et Chloé, Amadis n’ont que la vie de l’art, Le Grand Tacaño vit dans l’art et dans la réalité. […] Il ne ressemble ni à Balzac, ni à Flaubert ; et bien que disciple de Diderot, il ne lui emprunte que le coloris et l’art d’exprimer les sensations. […] Les Goncourt se distinguèrent par deux traits : la connaissance de l’art et des mœurs du dix-huitième siècle et l’expression des éléments esthétiques du dix-neuvième. […] Une page de Théophile Gautier définit fort bien cette manière de sentir l’Art.

1116. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Appendice. — [Baudelaire.] » pp. 528-529

Le poète Baudelaire, très raffiné, très corrompu à dessein et par recherche d’art, avait mis des années à extraire de tout sujet et de toute fleur un suc vénéneux, et même, il faut le dire, assez agréablement vénéneux ; il avait tout fait pour justifier ce vers d’un poète : La rose a des poisons qu’on finit par trouver. […] Vous êtes bien un poète de l’école de l’art, et il y aurait, à l’occasion de ce livre, si l’on parlait entre soi, beaucoup de remarques à faire.

1117. (1874) Premiers lundis. Tome I « Mémoires de madame de Genlis sur le dix-huitième siècle et la Révolution française, depuis 1756 jusqu’à nos jours — I »

Enfin, si nous remontons plus haut encore, si nous la suivons au Palais-Royal, dans le monde, nous la verrons sans cesse briguant avec fureur la célébrité, dans un temps où celle-ci était le prix des talents d’éclat, poursuivant tous ces talents, cultivant tous les arts, jusqu’à y trop exceller, transportant le théâtre dans les salons et l’école dans le théâtre, cumulant dans sa tête dévotion, galanterie, sensibilité, pédantisme, en un mot, toutes les inconséquences dont est capable une femme d’esprit, décidée à se créer en toute hâte une existence supérieure et plus que privée. […] L’art de sa composition est merveilleux sous ce point de vue : des réflexions générales, des portraits de société, des espiègleries bien innocences et bien drôles, lui ont rempli ses deux volumes de 400 pages, et l’ont insensiblement menée jusqu’à l’âge de trente ans environ, libre et pure de tout aveu un peu grave.

1118. (1874) Premiers lundis. Tome II « Poésie — I. La Thébaïde des grèves, Reflets de Bretagne, par Hyppolyte Morvonnais. »

Morvonnais consente à faire entrer l’art pour quelque chose dans ses préoccupations solitaires ; qu’en étudiant les Lakistes avec amour, il ne se borne pas à eux et ne s’y oublie pas jusqu’à laisser tout rivage. […] Plus il avancerait dans le secret de l’art, et plus ses poésies, toujours vraies, paraîtraient naturelles.

1119. (1875) Premiers lundis. Tome III « Maurice de Guérin. Lettre d’un vieux ami de province »

4º Au moment où l’école de David essaie, un peu en tâtonnant et en se guindant, de revenir à l’art grec, André Chénier y atteint en poésie. […] Dans l’étude de la statuaire grecque, on en resta ainsi longtemps au pur gracieux, à l’art joli et léché des derniers âges : ce n’est que tard qu’on a découvert la majesté reculée des marbres d’Égine, les bas-reliefs de Phidias, la Vénus de Milo.

1120. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — A — Augier, Émile (1820-1889) »

Vous êtes poète, j’ai voulu surtout marquer votre place, à ce titre, dans la grande littérature, honorer en vous cette constance qui vous porte à chercher les succès difficiles, et vous inviter à marcher résolument dans ce véritable domaine de l’art, que les auteurs comme le public semblent tentés d’abandonner : non que je porte à la comédie en vers une préférence académique et que je lui croie plus de dignité qu’à la comédie en prose ; une grande comédie en prose est assurément une œuvre très littéraire, surtout si elle est l’œuvre d’un seul auteur ; mais la comédie en vers a cet avantage d’une langue particulière qui parle à la mémoire, et d’un art choisi, précis, délicat, et d’autant plus difficile que les esprits auxquels il s’adresse sont plus cultivés.

1121. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Bouchor, Maurice (1855-1929) »

Art et philosophie : les vers, savants et froids, ne chantent pas ; les pensées, niant, ne créent pas. […] [L’Art dans les deux mondes (1890-1891).]

1122. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — D. — article » pp. 189-194

Sa Muse, à qui voudroit s’en former une idée, offriroit assez l’image d’une femme plus jolie qu’intéressante, sans cesse occupée à plaire, & plaisant en effet à ceux qui préferent l’Art à la Nature, l’esprit à la sensibilité, le ton pétillant & cavalier à la modestie & à la pudeur ; ou, pour se la peindre plus exactement, elle annonce le caractere & les manéges d’une Coquette, qui, au milieu de son changement perpétuel d’ajustemens, de fantaisies, de conversation & de cercle, a toujours la même façon de s’habiller, la même démarche, les mêmes manieres, le même jargon. […] Ses Comédies, toutes bien écrites, prouve qu’il possédoit l’art de saisir les ridicules, & de les peindre avec autant de fidélité que d’agrément.

1123. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Préface »

Sous ce titre à double face, l’ouvrage que je présente au public comprendra, en trois séries distinctes, quelques-unes des grandes époques de l’art dramatique. […] Ces découvertes capitales qui ont ouvert sur la Mythologie des points de vue si nouveaux, j’ai lâché de les amener en partie de l’érudition à la vie de l’art, en les introduisant dans le théâtre d’Athènes, par les personnes divines ou héroïques qui y jouent un rôle.

1124. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Un petit corollaire de ce qui précède [Mon mot sur l’architecture] » pp. 77-79

La nature et l’art qui la copie, ne disent rien à l’homme stupide ou froid ; peu de chose à l’homme ignorant. […] De là tant de productions presque aussitôt oubliées qu’applaudies ; tant d’autres ou inaperçues ou dédaignées qui reçoivent du temps, du progrès de l’esprit et de l’art, d’une attention plus rassise, le tribut qu’elles méritaient.

1125. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 28, de la vrai-semblance en poësie » pp. 237-242

Il ne me paroît donc pas possible d’enseigner l’art de concilier le vrai-semblable et le merveilleux. Cet art n’est qu’à la portée de ceux qui sont nez poëtes, et grands poëtes.

1126. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 28, du temps où les poëmes et les tableaux sont apprétiez à leur juste valeur » pp. 389-394

Les personnes qui en avoient jugé autrement que les gens de l’art, et en s’en rapportant au sentiment, s’entrecommuniquent leurs avis, et l’uniformité de leur opinion change en persuasion l’opinion de chaque particulier. Il se forme encore de nouveaux maîtres dans les arts qui jugent sans intérêt et avec équité des ouvrages calomniez.

1127. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Eugène Chapus »

Les livres que voici (livres de high life, s’il en fut jamais), quoique à l’adresse, par leur sujet et par le titre, d’un public d’élite et de choix, étendront, nous n’en doutons pas, une renommée qui avait commencé déjà, mais comme le jour commence, — en n’atteignant que les points les plus élevés de l’horizon, Jusqu’ici connu seulement des hommes de pensée et d’art, qui savaient ce qu’il en cachait et ce qu’il en faisait voir sous les formes gracieuses de l’homme du monde, Eugène Chapus ne s’était pas révélé au public véritable, à ce public qui, comme le Dauphin de la fable, porte parfois bien des singes sur son dos en croyant porter des hommes, mais qui est, en définitive, le soutien et le véhicule des talents sincères. […] Livre d’un art profond et d’une expression incomparable, ce n’est pas seulement réussi, c’est enlevé !

1128. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre IV. Des éloges funèbres chez les Égyptiens. »

Nous avons vu l’origine des éloges chez presque toutes les nations ; je voudrais maintenant suivre leurs différentes formes chez tous les peuples qui ont cultivé les arts. À la tête de ces pays civilisés, je vois d’abord l’ancienne Égypte, pays de superstition et de sagesse, fameux par ses monuments et par ses lois, et qui a été en même temps le berceau des arts, des sciences et des mystères.

1129. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Gustave Flaubert »

Mais c’est là l’erreur du Réalisme, de cette vile école, que de prendre perpétuellement l’exactitude dans le rendu pour le but de l’art, qui ne doit en avoir qu’un : la Beauté, avec tous ses genres de beauté. […] C’est cette école qui ne veut de sursum corda ni en art, ni en littérature. […] Pour les choses d’art, dont il doit être beaucoup plus préoccupé que des choses sociales et de gouvernement, il exprime des opinions opposées sans qu’on puisse présumer la sienne, et il les exprime comme il décrit les masques d’un bal masqué et leurs costumes. […] Il fait avec les idées d’art ce qu’il fait avec la nature. […] Et il n’y a qu’une littérature décrépite aussi et chinoise qui puisse accepter comme l’œuvre d’un Art sérieux ses calembredaines d’aujourd’hui !

1130. (1856) Articles du Figaro (1855-1856) pp. 2-6

En un mot, il fallait que l’art, de lyrique, se fit réaliste. […] À compter de ce moment, c’est-à-dire à dater de son berceau, l’endroit de l’art dramatique est l’apothéose, et son envers la parodie de l’humanité. […] Ainsi s’expliquent cette placidité majestueuse, cette sérénité impassible de l’art antique. […] Au lieu de jeter au panier la défroque de l’art classique, il la retourna pour son usage, et la toge devint un pourpoint. […] Dumas reste dans la double vérité de l’art et de la vie en menant la sienne à la seule réhabilitation possible et intéressante : la mort.

1131. (1886) Le roman russe pp. -351

je sais bien qu’en assignant à l’art d’écrire un but moral, je vais faire sourire les adeptes de la doctrine en honneur : l’art pour l’art. […] Certes, moralité et beauté sont synonymes en art ; un chant de Virgile vaut un chapitre de Tacite. […] L’art qui se pique d’imiter la nature a besoin comme elle de préparations lentes pour des effets rares et intenses. […] Quand on étudie le théâtre russe, il est facile de deviner pourquoi cette forme de l’art est bien moins développée que les autres. […] Le romancier mit tout son art à composer un personnage déplorable, mais nullement odieux.

1132. (1927) Les écrivains. Deuxième série (1895-1910)

*** La politique, par définition, est l’art de mener les hommes au bonheur ; dans la pratique, elle n’est que l’art de les dévorer. […] On a dit que l’art d’Oscar Wilde procédait de celui de M.  […] Il était le grand ouvrier de pensée, le maître des corporations, l’Ecclésiaste de chaque religion, le chantre de l’art et de la science. […] Quelques femmes — exceptions très rares — ont pu donner, soit dans l’art, soit dans la littérature, l’illusion d’une force créatrice. […] Albert Carré encadre dans une mise en scène où il est impossible d’allier à plus de pittoresque et à plus d’art la compréhension et le respect d’une œuvre… deux fois chef-d’œuvre !

1133. (1894) La bataille littéraire. Septième série (1893) pp. -307

Est-ce bien l’esthétique, l’art, le goût, la morale qu’ils défendent ? […] Et pendant ce temps-là, quelques-uns de chez nous crient à tue-tête : Les arts et les lettres se meurent en Franc ! […] C’est un art difficile. […] À Paris donc, l’art de guillotiner a acquis la dernière perfection. […] Tout a son tour en art, même, hélas !

1134. (1928) Quelques témoignages : hommes et idées. Tome I

C’est la perfection de l’art, et vous ne saisissez l’art nulle part, tant chaque mot est nécessaire d’une nécessité profonde, absolue. […] Au nom de quoi les arts, si Pococurante a raison dans ses dégoûts, écœuré de Raphaël et d’Homère ? […] Le nihilisme, où ses doctrines et son art l’ont confiné, lui est une atmosphère irrespirable. […] Quel art de toucher les cordes les plus intimes de l’âme ! […] Cf. dans le présent volume l’essai sur l’art du roman chez Balzac.

1135. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Ducis épistolaire (suite et fin). »

Je ne voudrais pas qu’on se méprît sur ma pensée, ni qu’on crût le moins du monde que j’exclus l’artiste des vraies, sincères et profondes affections de la vie ; tellement que ce qu’il gagne du côté de la tendresse, il le perde du côté de l’art, et que, pour arrondir le domaine de l’un, il faille nécessairement circonscrire l’autre. […] Il n’en est pas moins vrai que, pour occuper les premiers rangs dans l’ordre de l’art, la condition est un certain équilibre et une ordonnance entre les éléments humains, une volonté supérieure qui en dispose, tout en les déchaînant, une élévation qui, au sommet, triomphe des orages eux-mêmes et se rit des déchirements au sein d’une sereine clarté. L’art aussi est un monde, et l’artiste souverain a du dieu. […] Donnez une base solide à votre bonheur par votre raison et par votre conduite ; et, croyez-moi, votre bonheur profitera à votre beau et original talent que personne ne vous contestera. » Quelle juste leçon donnée à ceux qui cultivent l’art du comédien, et qui sont trop tentés d’oublier que cet art brillant, loin d’être l’ami des mœurs déréglées et de ne jamais mieux s’inspirer que dans le désordre, a besoin, comme tous les arts où il s’agit avant tout d’exceller, d’une juste économie de la vie et de beaucoup de conduite !

1136. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « DES MÉMOIRES DE MIRABEAU ET DE L’ÉTUDE DE M. VICTOR HUGO a ce sujet. » pp. 273-306

Cette disposition a pénétré dans les jugements de l’histoire, elle prévaut dans l’art ; mais je ne saurais y voir qu’un retentissement de l’époque impériale, une imitation involontaire, développée sur la fin des loisirs de la Restauration et se poussant parmi beaucoup de pressentiments plus vrais de l’art de l’avenir. […] c’est son rôle, à elle, Mais la science elle-même, mais l’art…. […] Je concevrais qu’un art délicat, sans le dire, eût altéré, omis, et quelque peu arrangé cette fin des choses. […] Hugo a tout d’abord tendu la main à ce haut et grave vieillard ; c’est ainsi qu’il les aime, qu’il les peint et qu’il les rêve : don Ruy Gomès de Sylva, dans Hernani, n’est pas d’une autre souche ; et lui-même, poëte, il m’a fait souvent l’effet de représenter cette sorte de type inflexible, transporté, dépaysé dans la littérature et dans l’art de nos jours : de là en partie, j’imagine, ce qu’il y a de faussé dans sa puissance. […] Lerminier a l’art d’exceller en ces sortes de statues qu’il dresse ; l’orateur, on le sent par lui, s’adresse volontiers aux masses comme le statuaire ; la solennité, l’ampleur, le sacrifice des détails, l’exagération poussée au colossal, leur vont à tous deux et sont conformes à leurs fins.

1137. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « La Bruyère »

D’Olivet trouve à La Bruyère trop d’art, trop d’esprit, quelque abus de métaphores : « Quant au style précisément, M. de La Bruyère « ne doit pas être lu sans défiance, parce qu’il a donné, mais « pourtant avec une modération qui, de nos jours, tiendroit « lieu de mérite, dans ce style affecté, guindé, entortillé, etc. » Nicole, dont La Bruyère a paru dire en un endroit qu’il ne pensoit pas assez 148, devait trouver, en revanche, que le nouveau moraliste pensait trop, et se piquait trop vivement de raffiner la tâche. […] Fabre, après une analyse complète de ses mérites, conclut à le placer dans le si petit nombre des parfaits modèles de l’art d’écrire, s’il montrait toujours autant de goût qu’il prodigue d’esprit et de talent 152. […] Par exemple, au lieu de ce genre de sentences familières à l’auteur de l’Art poétique : Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement, etc. […] Il a déjà l’art (bien supérieur à celui des transitions qu’exigeait trop directement Boileau) de composer un livre, sans en avoir l’air, par une sorte de lien caché, mais qui reparaît, d’endroits en endroits, inattendu. […] Aujourd’hui que l’Art poétique de Boileau est véritablement abrogé et n’a plus d’usage, la lecture du chapitre des Ouvrages de l’Esprit serait encore chaque matin, pour les esprits critiques, ce que la lecture d’un chapitre de l’Imitation est pour les âmes tendres.

1138. (1897) Un peintre écrivain : Fromentin pp. 1-37

Maupassant et Pierre Loti, pour ne citer que deux auteurs, nous ont communiqué des émotions d’art autrement profondes et complètes. […] Fromentin a compris d’intuition que la description trop appuyée n’est pas du grand art, par cette raison qu’elle n’est pas humaine, qu’elle n’est pas vraie. […] Nous sommes, nous serons toujours des primitifs, et trois ou quatre notes simples, dans tous les arts, résumeront cette perception, et suffiront à rendre toute la grandeur, toute la valeur poétique de cette apparition de la beauté. […] Il se sent maître du sujet qui est son art, maître de l’histoire, voisin d’atelier de tous ceux dont il parle, en possession de tous les secrets de métier ignorés des profanes, et il ose ! […] Les vues hardies sur la fin propre de l’art, sur le rôle du peintre, sur sa formation, sur la science des couleurs et leur emploi, abondent aussi bien que les mots pittoresques, dans les Maîtres d’autrefois.

1139. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Chapitre IV. Conclusions » pp. 183-231

C’est précisément dans la poésie, dans l’art en général, que nous constatons cette tendance irrésistible de l’homme vers l’humanité, de l’esclave vers la liberté, du relatif vers l’absolu. […] Ce terme s’applique ordinairement à tous ceux qui manient les formes d’art de la littérature, de la peinture, de la sculpture, de la musique, et exclusivement à eux. […] Plus étroit : celui qui manie les formes d’art sans originalité, sans pensée, sans amour, n’est pas un artiste, quelle que soit son habileté ; c’est un ouvrier, souvent un mauvais ouvrier, un plagiaire, un charlatan. […] Il y a de l’art dans toute création. […] Gœthe a dit un jour : « La poésie c’est la délivrance. » Donnons à ces mots un sens que Gœthe ne renierait pas : l’art est le défi superbe que l’esprit lance à la matière périssable ; il est le chant d’espoir d’une humanité qui marche à la liberté.

1140. (1823) Racine et Shakspeare « Chapitre II. Le Rire » pp. 28-42

— Sublimes et parfaitement soutenus, surtout les majuscules. » Bodoni, enthousiaste de son art, ne voyait, dans la tragédie de son ami, que la beauté des caractères d’imprimerie. […] Remarquez que très souvent le narrateur répète deux fois les cinq ou six mots qui font le dénouement de son histoire ; et, s’il sait son métier, s’il a l’art charmant de n’être ni obscur ni trop clair, la moisson de rire est beaucoup plus considérable à la seconde répétition qu’à la première. […] Il dépend de la police de Paris d’arrêter la décadence de l’art dramatique.

1141. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Mademoiselle de Condé »

Rien de l’art d’écrire, rien du sentiment de l’écrivain n’est dans cette adorable chose pour laquelle on cherche un nom, difficile à trouver… Quoi qu’il en soit, un tel recueil n’en est pas moins bon à opposer aux livres actuels. […] Nous avons donc l’amour de la crapule pour la crapule, comme on disait l’amour de l’art pour l’art, dans les temps bêtes… Publiées par Ballanche pour faire contraste aux romans infects du Directoire, les Lettres intimes de Mademoiselle de Condé republiées par M. 

1142. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XI. Gorini »

M. l’abbé Gorini n’a pas non plus cet amour en cercle de serpent qui se mord la queue, qu’on appelle l’amour de l’art pour l’art ou de la science pour la science. […] Je ne sais pas ce qu’il dirait, mais je dis, moi, que c’est dommage de n’avoir pas fait descendre avec un peu d’art dans la publicité, la grande et commune publicité, une érudition trop concentrée entre érudits par la forme même qu’elle a revêtue, une érudition qui ne fût allée à rien moins, sous une forme plus agréable ou plus habile, qu’à discréditer profondément et une fois pour toutes l’histoire contemporaine en tout ce qui touche à l’Église.

1143. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Théophile Gautier. » pp. 295-308

Théophile Gautier, eut un jour la fantaisie d’art de faire un livre du passé dans le style du passé, et, dans le passé, il prit, pour se couler tout vivant dans son génie, le plus difficile génie auquel l’imitation pût atteindre. […] Il est aux plus grands ce que le diamant taillé est à la rose, ce bijou de Dieu, que personne ne taille : mais écrivain, il est peut-être celui de tous qui, par un miracle de précision dans les mots, ait le plus fait ressembler l’art d’écrire avec une plume à l’art de peindre avec un pinceau.

1144. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre IX. Suite des éloges chez les Grecs. De Xénophon, de Plutarque et de Lucien. »

Il n’est pas mutile d’observer que c’était alors dans la Grèce le caractère général des arts. […] Son grand art surtout est de faire connaître les hommes par les petits détails. […] Ses parents l’avaient destiné à l’art de sculpteur, et il eut cela de commun avec Socrate ; mais celui-ci travailla quelque temps, et fit même trois Grâces qui furent longtemps célèbres, et parce qu’elles étaient vêtues et parce qu’elles étaient de Socrate : au lieu que Lucien demeura peu en apprentissage.

1145. (1878) Nos gens de lettres : leur caractère et leurs œuvres pp. -316

Ici, l’art a des airs de primesaut. […] Dans la salle à manger, l’art populaire ou familier ; ici, l’art fantastique : vous voyez peu à peu l’écrivain sortir de l’homme. […] Les critiques spéciaux (et je m’en étonne) n’insistent pas assez sur cette cause de la décadence de l’art dramatique… L’art ? […] Et voulez-vous donc abaisser « l’art divin » jusqu’à l’âme humaine ? […] Rien d’absolu ni d’immuable dans le domaine de l’Art.

1146. (1907) Jean-Jacques Rousseau pp. 1-357

Avec quel art ils l’ont mise (ma conduite) dans le jour le plus odieux ! […] — sur la corruption des mœurs par les sciences et les arts. […] Le grand ennemi des sciences et des lettres, des arts et du luxe est plus que jamais répandu dans le monde du luxe, des lettres, des sciences et des arts. […] C’est qu’il lui faut renchérir sur le Discours des sciences et des arts. […] L’art d’être heureux est l’art de supporter, l’art de resserrer sa vie.

1147. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) «  Essais, lettres et pensées de Mme  de Tracy  » pp. 189-209

Pour ceux-ci elle a de bonne heure une prédilection, un art de les apprivoiser et de les élever, qui, avec les années, deviendra une science et ira jusqu’à une légère singularité ; Mme de Tracy n’en mangeait jamais. […] Les parois extérieures de ce cocon étaient entièrement garnies d’un lichen argenté et moussu, recueilli sur l’arbre même et ajusté avec un art si merveilleux, qu’on aurait pu passer vingt fois devant l’arbre sans croire à autre chose qu’à une rugosité de l’écorce. […] Mme de Tracy eut cet art, et la lecture attentive de ces volumes pourrait en donner une leçon. […] Évidemment, tout l’art de vieillir est de quitter, quand l’heure est venue, les désirs et les passions qui nous quittent ; de ne pas se faire une passion unique et fixe de celle qui n’a qu’un temps et ne doit avoir qu’une ou deux saisons ; de ne point opiniâtrer son imagination en arrière ; d’adoucir par degrés quelques-unes de nos passions, et de les terminer en goûts ; de saisir à propos, d’avancer, s’il se peut, quelques-uns de nos goûts derniers et durables et d’en faire presque des passions. […] Mais tous ces conseils naturels, et qui reviennent à dire qu’il faut avoir l’esprit de son âge, ne sont rien encore et ne servent tout au plus qu’à adoucir les regrets, si une pensée plus haute n’intervient et n’y préside, si la religion n’élève l’homme et ne lui enseigne l’art véritable d’espérer.

1148. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « François Villon, sa vie et ses œuvres, par M. Antoine Campaux » pp. 279-302

Les Repues franches ne sont autre chose que l’art de vivre aux dépens d’autrui ; c’est ce qu’on appelle aujourd’hui l’art de faire des dettes et de ne pas les payer. […] Campaux, plus prudent, n’ose affirmer qu’il ait dépassé dans la Faculté des arts le grade de licencié. […] Campaux qui a veillé et pâli sur cette œuvre gothique bizarre, et qui a pu y saisir un secret et un art de composition qui n’y paraît pas d’abord ; il va même jusqu’à y remarquer trois inspirations bien distinctes et comme trois époques. […] Oui, — j’aime fort aussi les arts et la peinture.

1149. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Le général Jomini. [V] »

Art, science et métier, le sang-froid dans l’extrême péril, la liberté du jugement et la fermeté d’action au fort du combat, l’ensemble et le concert des grandes opérations, l’à-propos et le pied à pied de la tactique, il avait rêvé d’unir toutes ces qualités et toutes ces parties ; — tout un idéal complet du savant capitaine et du brave. […] Ces idées, qui se fondaient sur les plus saines notions de l’art moderne, ne prévalurent pas entièrement. […] Ce fut dans ce but qu’il rédigea son Tableau analytique des principales Combinaisons de la Guerre et de leurs rapports avec la Politique des États, qui est devenu dans les éditions suivantes le Précis de l’Art de la Guerre (2 vol.), un résumé condensé de tous les principes posés et démontrés dans ses divers ouvrages. Ce Traité est la quintessence de l’art militaire ; il en restera la base permanente. […] On pourra s’y faire une idée très-approximative de la manière dont Jomini appréciait les derniers événements en eux-mêmes et dans leurs conséquences relatives à l’art de la guerre.

1150. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Œuvres françaises de Joachim Du Bellay. [I] »

Achille Genty, semblait s’être attaché de prédilection à Vauquelin de La Fresnaye dont il nous a rendu l’Art poétique (1862), mais qu’il n’a pu cependant faire réimprimer en entier, au grand regret de tous ceux pour qui le volume original, tout à fait rare et hors de prix, est inabordable. […] Pour les imiter dignement et conformément à l’esprit, c’était donc en français qu’il les fallait non pas seulement traduire, mais reproduire avec art, avec sentiment et choix, qu’il les fallait sinon transplanter tout entiers, du moins renouveler par quelques-uns de leurs rameaux, les faisant refleurir et fructifier à souhait par une greffe heureuse, afin qu’on pût dire de la langue française, à son tour, en toute vérité : Nec longum tempus, et ingens Exiit ad cœlum ramis felicibus arbos, Miraturque novas frondes et non sua poma. […] On le sait maintenant, grâce aux travaux qui se poursuivent avec ardeur et qui ne remontent guère au-delà de ces trente dernières années : dans le haut moyen âge, époque complète, époque franche, qui, sortie d’un long état de travail et de transformation sociale, avait rempli toutes ses conditions et s’était suffi à elle-même, la langue, la littérature française qui était née dans l’intervalle, qui était sortie de l’enfance, qui était arrivée à la jeunesse (de même que l’architecture, que la théologie, que la science en général et que les arts divers), avait eu son cours de progrès et de croissance, une sorte de premier accomplissement ; elle avait eu sa floraison, son développement, sa maturité relative : poétiquement, une belle et grande végétation s’était produite sur une très-vaste étendue, à savoir l’épopée historique, héroïque. […] Anatole de Montaiglon, a pu dire : « Le Roman de la Rose, qui n’était d’abord qu’une glose le l’Art d’aimer d’Ovide, vint apporter un élément nouveau, un nouveau contingent dans la poésie française : l’allégorie philosophique. […] Mais comment reprocher à des hommes de vingt-cinq ans qui, en présence d’une littérature contemporaine futile, fade, puérile, triviale ou sophistiquée, viennent de se plonger dans ces belles lectures de l’Antiquité dont l’art de l’imprimerie ressuscitait les textes désormais tout grands ouverts et accessibles, comment leur reprocher d’en être tout remplis, d’en vouloir communiquer l’émotion généreuse, d’en vouloir verser la sève et comme transfuser le sang dans une langue moderne qui, certes, à cette date (je ne parle ni de Rabelais ni de sa prose), laissait si fort à désirer pour les vers et pour toute élocution sérieuse, élevée ?

1151. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre VIII. L’antinomie économique » pp. 159-192

Et cette communauté relative s’oppose à l’extrême variabilité des sentiments, des croyances et des désirs, en art, en religion ou en morale. […] En tous cas elle est infiniment plus faible qu’en art, en religion, en poésie, en philosophie. […] Il emploie donc dès lors, instinctivement et sans cesse, ce type de la taxation : à propos de tout ; donc aussi à propos des productions des arts et des sciences, des penseurs, des savants, des artistes, des hommes d’État, des peuples, des partis et même d’époques tout entières : il s’informe à propos de tout ce qui se crée, de l’offre et de la demande, afin de fixer, pour lui-même, la valeur d’une chose. […] En dépit du mot si vrai de Schopenhauer : « En morale la bonne volonté est tout, en art, elle n’est rien » on verra la société couronner l’effort laborieux, le mérite médiocre et respectueux du goût général plutôt que l’originalité heureuse, hardie et dédaigneuse du goût moyen, de l’esthétique de tout le monde. […] Sous le même vocable, produit, par exemple, on range à la fois les produits matériels et les produits dits immatériels, brouillant pêle-mêle les découvertes et leur propagation, les créations de l’art et leurs reproductions industrielles.

1152. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XI. La littérature et la vie mondaine » pp. 273-292

Le langage des précieuses, une fois engagé dans cette voie, pouvait être défini : l’art de ne pas appeler les choses par leur nom. […] On cause, donc, et alors se développe l’art si français de la conversation. […] La perfection du style épistolaire correspond à l’apogée de la vie mondaine, et ce sont souvent des femmes du monde qui excellent à laisser courir leur plume la bride sur le cou, comme elles sont passées maîtresses dans l’art de diriger et d’animer la causerie vagabonde d’un salon. […] C’est là que pourrait bien avoir pris naissance un art encore très français, celui de séculariser la philosophie et de populariser la science, j’entends le talent de mettre à la portée des intelligences à demi cultivées les mystères réservés d’abord aux initiés. […] Le monde n’apprécie l’art que rapetissé à sa taille, qui est petite.

1153. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — CHAPITRE VII »

Le père a un maître, l’art ; le fils a une maîtresse, madame Léa de Clère, une jeune femme séparée de son mari, qu’il aime avec le feu de la jeunesse et l’emportement d’un premier amour. […] Ce vétéran de l’art en est presque aujourd’hui le prêtre. […] Le texte de son sermon, c’est la jalousie de l’art, qui admet l’amour paisible et pur du mariage, mais qui repousse la passion coupable comme une rivalité dégradante. […] Il répondit amèrement : « Donne-moi donc plutôt un art d’oublier !  […] Augier, c’est l’ardeur du coeur et des sens, l’analyse profonde de la passion poussée jusqu’au vice, l’art de marcher sur la corruption sans s’y enfoncer, et des éclats presque tragiques de sentiments comprimés.

1154. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Chansons de Béranger. (Édition nouvelle.) » pp. 286-308

On pourrait diviser les chansons de Béranger en quatre ou cinq branches : 1º L’ancienne chanson, telle qu’on la trouve avant lui chez les Collé, les Panard, les Désaugiers, la chanson gaie, bachique, épicurienne, le genre grivois, gaillard, égrillard, Le Roi d’Yvetot, La Gaudriole, Frétillon, Madame Grégoire : ce fut par où il débuta. 2º La chanson sentimentale, la romance, Le Bon Vieillard, Le Voyageur, surtout Les Hirondelles ; il a cette veine très fine et très pure par moments. 3º La chanson libérale et patriotique, qui fut et restera sa grande innovation, cette espèce de petite ode dans laquelle il eut l’art de combiner un filet de sa veine sensible avec les sentiments publics dont il se faisait l’organe ; ce genre, qui constitue la pleine originalité de Béranger et comme le milieu de son talent, renferme Le Dieu des bonnes gens, Mon âme, La Bonne Vieille, où l’inspiration sensible donne le ton ; Le Vieux Sergent, Le Vieux Drapeau, La Sainte-Alliance des peuples, etc., où c’est l’accent libéral qui domine. 4º Il y faudrait joindre une branche purement satirique, dans laquelle la veine de sensibilité n’a plus de part, et où il attaque sans réserve, avec malice, avec âcreté et amertume, ses adversaires d’alors, les ministériels, les ventrus, la race de Loyola, le pape en personne et le Vatican ; cette branche comprendrait depuis Le Ventru jusqu’aux Clefs du paradis. 5º Enfin une branche supérieure que Béranger n’a produite que dans les dernières années, et qui a été un dernier effort et comme une dernière greffe de ce talent savant, délicat et laborieux, c’est la chanson-ballade, purement poétique et philosophique, comme Les Bohémiens, ou ayant déjà une légère teinte de socialisme, comme Les Contrebandiers, Le Vieux Vagabond. […] Béranger, même comme chansonnier, a trop d’art, trop de ruse et de calcul, il pense à trop de choses à la fois, pour être parfaitement et innocemment gai. […] Quand on a une fois, en âge déjà mûr, chanté et célébré à ce point la gaudriole et la goguette, et qu’on s’y est délecté avec un art si exquis et une si délicieuse malice, on a ensuite beau faire et beau dire, on peut la recouvrir sous les plus graves semblants et la combiner avec des sentiments très élevés, très sincères ; mais elle est et restera toujours au fond de l’âme une chose considérable, le lutin caché qui rit sous cape, qui joue et déjoue. […] L’habileté, l’art, la ruse du talent de Béranger a été de faire croire à sa grandeur ; il a fait des choses charmantes, et il semble que, pour la grandeur, il n’y ait que l’espace qui lui ait manqué. […] Son art, son adresse et son triomphe, ç’a été de toucher si bien les cordes chères au grand nombre, qu’il a ainsi enlevé son monde (le malin qu’il est), et qu’il n’y a plus eu de public distinct en face de lui, mais un seul chorus à la ronde.

1155. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Rollin. » pp. 261-282

Dans les discussions qu’excita la bulle Unigenitus, et par suite du rôle qu’il y prit, il en vint à compromettre et à sacrifier cette œuvre d’enseignement de la jeunesse, qui était chez lui un art et un don. […] Ce fut un bonheur du moins que, dans une des dernières occasions publiques où il se produisit, un discours latin qu’il prononça avec applaudissement ait fait naître un désir unanime de ses collègues de la faculté des arts, et qu’on l’ait engagé à écrire son Traité des études, par lequel il se rouvrit cette carrière de l’enseignement qu’on lui fermait. […] Dans la grande assemblée de la faculté des arts du 11 mai 1739, où l’Université, amenée à se rétracter de sa longue opposition, accepta la bulle, Rollin, à la tête de quatre anciens, et comme doyen de la nation de France, s’avança au milieu de la salle et protesta, malgré le silence que lui imposa le jeune recteur, l’abbé de Rohan-Ventadour. […] Parmi les études qu’il conseille non pas dans son Traité, mais dans les lettres qu’il écrivait à ceux qui le consultaient, Rollin, si timide à tant d’égards, n’excluait pourtant ni la physique, ni les arts, ni l’agriculture : Je désire fort, par exemple, disait-il, qu’on apprenne aux enfants mille choses curieuses pour la nature et pour les arts, ce qui regarde les métaux, les minéraux, les plantes, les arbres, les fourmis, les abeilles, etc.

1156. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Volney. Étude sur sa vie et sur ses œuvres, par M. Eugène Berger. 1852. — II. (Fin.) » pp. 411-433

et, s’il s’agit d’art, combien plus de lumière et de mélancolique reflet en quelques pages de Chateaubriand ! […] On peut remarquer de la coquetterie sans doute et de l’arrangement dans cette rêverie qui n’oublie rien, dans cette lune qui se lève tout exprès entre deux urnes cinéraires ; ce n’est pas du grand art primitif, c’est de l’art moderne selon Canova. […] Volney, content de ne pas mourir et s’enfonçant dans son fauteuil, s’appliquait aussi le mot de Franklin, qui disait en les voyant, Cabanis et lui, tous deux jeunes alors et pleins d’ardeur : « À cet âge, l’âme est en dehors ; au mien elle est en dedans, elle regarde par la fenêtre le bruit des passants sans prendre part à leurs querelles. » Volney, qui n’était point orateur et qui avait l’organe assez faible, causait bien dans un salon ; il parlait comme il écrivait, avec la même netteté, et cela coulait de source ; on aimait à l’écouter. — Son honneur durable, si on le dégage de tout ce qui a mérité de périr en lui, sera d’avoir été un excellent voyageur, d’avoir bien vu tout ce qu’il a vu, de l’avoir souvent rendu avec une exactitude si parfaite que l’art d’écrire ne se distingue pas chez lui de l’art d’observer, et une fois au moins, dans son tableau de la Syrie, d’avoir le premier offert un modèle de la manière dont chaque partie de la terre devrait être étudiée et décrite.

1157. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Notes et éclaircissements. [Œuvres complètes, tome XII] »

J’ai aimé la physique tant qu’elle n’a point voulu dominer sur la poésie ; à présent qu’elle a écrasé tous les arts, je ne veux plus la regarder que comme un tyran de mauvaise compagnie. […] » Et premièrement, chrétiens, si vous regardez son extérieur, il avoue lui-même que sa mine n’est pas relevée221 : Præsentia corporis infirma ; et si vous considérez sa condition, il est méprisable, et réduit à gagner sa vie par l’exercice d’un art mécanique. […] Il ira, cet ignorant dans l’art de bien dire, avec cette locution rude, avec cette phrase qui sent l’étranger, il ira en cette Grèce polie, la mère des philosophes et des orateurs ; et, malgré la résistance du monde, il y établira plus d’églises que Platon n’y a gagné de disciples par cette éloquence qu’on a crue divine. […] Quoique Vitruve prétende qu’Anaxagore et Démocrite avaient parlé de la perspective en traitant de la scène grecque, on peut encore douter que les anciens connussent cette partie de l’art, sans laquelle toutefois il ne peut y avoir de paysage. […] Au dedans du temple, des fleurs de toutes couleurs, des instruments de différents arts, et d’autres figures grotesques et emblématiques y sont dépeintes.

1158. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Le Prince » pp. 206-220

Cependant qu’est-ce qu’un paysage, sans le travail et les ressources extrêmes de l’art ? […] L’art de lever un pan du voile et de montrer aux hommes un coin ignoré ou plutôt oublié du monde qu’ils habitent. […] Et puis une tête de jeune fille est si belle à peindre, une tête de vieille prête tant à l’art ! […] Les grecs si uniment vêtus ne pouvaient même souffrir leurs vêtemens dans les arts. […] Je vous le répète, il ne faudrait qu’assujettir la peinture et la sculpture à notre costume pour perdre ces deux arts si agréables, si intéressans, si utiles même à plusieurs égards, surtout si on ne les emploie pas à tenir constamment sous les yeux des peuples ou des actions déshonnêtes ou des atrocités de fanatisme, qui ne peuvent servir qu’à corrompre les mœurs ou à embéguiner les hommes, à les empoisonner des plus dangereux préjugés.

1159. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Académie française — Réception de M. Émile Augier » pp. 317-321

On est très prompt, dans notre pays, à faire intervenir la morale dans les questions d’art : le jugement public, porté par M.  […] Lebrun « le plus jeune des poètes du premier empire. » Il a gardé, des temps où il a préludé, l’habitude d’un art sérieux, noble, et qui se respecte toujours ; il y a introduit, dans une seconde époque, une veine de franchise et de naturel qui, en ce temps-là, était neuve encore ; il a été novateur avec frugalité.

1160. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XII » pp. 47-52

C'est une de ces théories fondamentales comme depuis longtemps l’École n’en fait plus, une tentative hardie de réforme de toute la science de la vie et par suite de l’art de guérir, une façon de Contrat social de la physiologie et de la thérapeutique : c’est encore quelque chose à l’allemande plutôt qu’à la française. […] 2° Le gros du monde, même des gens d’esprit, est dupe des genres : il admire à outrance, dans un genre noble et d’avance autorisé, des qualités d’art et de talent souvent moindres que celles qu’il laissera passer inaperçues dans des genres moyens non titrés.

1161. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre III. De la comédie grecque » pp. 113-119

L’art comique, tel qu’il était du temps des Grecs, ne pouvait se passer d’allusions : on n’avait pas assez approfondi le cœur humain dans ses passions secrètes, pour intéresser seulement en les peignant ; mais il était très aisé de plaire au peuple en tournant ses chefs en dérision. […] Je ne sais si de telles comédies sont un signe de liberté ; mais elles sont nécessairement la perte de l’art dramatique.

1162. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Troisième partie. Disposition — Chapitre VI. Exordes. — Péroraisons. — Transitions. »

Certains écrivains médiocres et patients triomphent dans cette partie : c’est un mince succès et un art inférieur. […] Faute d’avoir pris ce parti, dans le second chant de son Art poétique, Boileau a sué pour trouver des transitions, et elles sont telles, qu’il vaudrait mieux qu’il n’y en eût pas.

1163. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — G — Giraud, Albert (1848-1910) »

Il a cru que l’art possédait une vertu intrinsèque qui consolait de tout, et il semble tout d’abord avoir fait de l’art pour oublier, mais bientôt repris par son démon, — qui était sa vie et sa flamme, — il en a poursuivi l’essence même et il a voulu tâter de ses mains et presser contre son cœur la pomme d’or dont les poètes s’étaient jusqu’à présent contentés de sentir la folle caresse des rayons.

1164. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — K — Karr, Alphonse (1808-1890) »

. — L’Art d’être heureux (1876). — L’Art d’être malheureux (1876). — On demande un tyran (1876). — L’Esprit d’Alphonse Karr (1877)

1165. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Laforgue, Jules (1860-1887) »

Paul Adam Il faut mesurer notre effort à l’étalon de son art (de Gustave Flaubert) ; à celui encore de deux octrois œuvres comme le Satyre, de Victor Hugo, l’Ève future, de Villiers de l’Isle-Adam, les Moralités légendaires, de Laforgue ; et puis courageusement mettre les mains au travail de synthèse. […] Autorisé par son sujet, le poète négligeait l’habit noir traditionnel, élidait la voyelle du même droit qu’un vaudevilliste, sacrifiant quand il lui plaisait la rime à l’œil… L’Imitation de Notre-Dame la Lune, tantôt parlant à Séléné, tantôt à cette bonne lune, à une lune d’autres paysages, à des lunatiques, à des lunaires, d’un art plus concentré que les Complaintes, et semé au long de belles chansons personnelles sans égotisme, et de grands vers picturaux s’amoncelant aux petits détails… Et formulons, en terminant, que M. 

1166. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — R — Rodenbach, Georges (1855-1898) »

. — L’Art en exil (1889). — Le Règne du silence (1891). — Bruges-la-Morte (1892). — Le Voyage dans les yeux (1893). — Le Voile, un acte, en vers (1894). — Musée de béguines (1894) […] Francis Vielé-Griffin C’est un art indubitablement mièvre, fluide et décadent que professe l’auteur de l’Aquarium mental  ; l’aberration esthétique que dénote, seul, le choix d’un pareil titre, l’a mené loin — trop loin, pour que cette notice reste, comme nous l’eussions souhaitée, totalement élogieuse.

1167. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 331-337

Nulle autre cause de cette étonnante supériorité, que la connoissance profonde du cœur humain, qu’une observation subtile qui saisissoit avec justesse les vices & les ridicules par-tout où ils se trouvoient, qu’une délicatesse de tact qui discernoit, à coup sûr, ce qu’il y avoit de plus saillant dans les travers de la Société, que l’art enfin de les présenter sous un jour propre à les rendre sensibles, & à les corriger par une plaisanterie sans aigreur, sans apprêt, & toujours si naturelle, que l’effet en étoit immanquable. […] Mais le grand art est de les présenter dans le jour qui leur convient, d’en former un tableau assez énergique, pour que chacun s’y reconnoisse : la surcharge est même alors nécessaire, afin que l’optique ne dérobe aucun trait à la peinture : & le comble du génie est d’ôter à la laideur ce qu’elle a de hideux ; de savoir l’apprivoiser à se considérer elle-même, pour la convaincre & lui faire haïr plus sûrement sa propre difformité.

1168. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Avant-Propos. » pp. -

Et qui doute qu’elles ne servent souvent à faire découvrir la vérité ; qu’il ne résulte de grandes lumières du choc des sentimens sur le même sujet ; que les efforts de chaque écrivain, pour défendre son opinion & pour combattre celle de son adversaire, les raisonnemens, les preuves, les autorités, l’art, employés de part & d’autre, ne répandent un plus grand jour sur les matières. […] Dans tous les âges, chez toutes les nations où les sciences & les arts ont fleuri, l’esprit de jalousie & de division les a toujours accompagnés.

1169. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome I « Lettre a monseigneur le duc de**. » pp. -

Ce n’est point l’histoire des Sciences & des Arts que j’ai prétendu faire ; un tel projet auroit été au-dessus de mes connoissances & de mes forces. Mon dessein a été seulement d’indiquer les meilleurs Livres sur les Sciences & les Arts.

1170. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 1, de la necessité d’être occupé pour fuir l’ennui, et de l’attrait que les mouvemens des passions ont pour les hommes » pp. 6-11

L’art supplée mal à la nature, et tous les rafinemens ne sçauroient apprêter, pour ainsi dire, le plaisir aussi bien que le besoin. […] Un petit nombre peut apprendre cet art qui, pour me servir de l’expression d’Horace, fait vivre en amitié avec soi-même : quod te tibi reddat amicum.

1171. (1848) Études critiques (1844-1848) pp. 8-146

La grande difficulté comme le suprême mérite de l’art est de vaincre cette imperfection des instruments dont il dispose, et de faire pénétrer le lecteur jusqu’à l’essence des sentiments humains. […] Plus d’un écrivain ne s’effraya pas de l’isolement dont le menaçaient ses lecteurs dégoûtés, et l’on perfectionna l’art d’écrire, en décrétant qu’un vrai poète devait travailler pour lui-même. […] C’est là de l’art et de la littérature. […] Théophile Gautier nous dit qu’il a été peintre ; il aurait dû comprendre en quittant la toile pour le papier, que les différents arts ont mieux à faire que de se doubler, et que, dans une transformation, le vieil homme devait disparaître. […] Ses diamants sont des verroteries peut-être ; mais il les dispose avec un art tout particulier, et quoi qu’on en dise, il sait parfaitement leur faire rendre de l’éclat.

1172. (1858) Du roman et du théâtre contemporains et de leur influence sur les mœurs (2e éd.)

On n’eut plus le culte désintéressé de l’art, ni même la sérieuse passion de la gloire. […] L’anarchie s’accroît dans le domaine de l’art comme dans celui de la morale. […] C’est au nom de l’art qu’ils ont parlé ; c’est la beauté idéale, c’est la pureté de la forme qu’ils ont invoquées. […] Ces nudités éhontées, ce paganisme dans l’art ont eu, disons-le, peu de succès. […] Si l’art est chose divine, n’est-ce pas parce qu’il prête à l’âme des ailes pour s’élever vers l’idéal ?

1173. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre III. La critique et l’histoire. Macaulay. »

Si l’art et la beauté y perdent, la vérité et la certitude y gagnent ; et, par exemple, personne n’ose lui savoir mauvais gré d’avoir inséré la démonstration suivante dans la vie d’Addison : Pope voulait refondre son poëme sur la Boucle de cheveux enlevée. […] L’inconvénient de cet art, c’est l’emploi du lieu commun. […] Pour moi, ce que je trouve complet ici, c’est l’art de développer. […] All those arts which are the natural defence of the weak are more familiar to this subtle race than to the Ionian of the time of Juvenal or to the Jew of the dark ages. […] There too was she, the beautiful mother of a beautiful race, the St Cecilia whose delicate features, lighted up by love and music, art has rescued from the common decay.

1174. (1841) Discours aux philosophes. De la situation actuelle de l’esprit humain pp. 6-57

art de l’Humanité, ne devrais-tu pas faire couler dans son cœur quelques gouttes d’enthousiasme ? […] L’ordre social autrefois se peignait dans tous les arts ; l’art était comme un grand lac qui n’est ni la terre ni le ciel, mais qui les réfléchit. Tous les arts qui sont l’expression d’une société véritable font défaut aujourd’hui, comme cette société. […] Il en est de la société comme de tous les êtres, et aussi comme de toutes les œuvres du génie de l’homme, de tous les ouvrages de l’art, de toutes les machines. […] Et de même, séparés et ayant perdu leurs connexions qui constituaient le corps social, quelle est la vie à part de la politique, de l’art, de la science, de l’industrie ?

1175. (1809) Tableau de la littérature française au dix-huitième siècle

Il s’écarta entièrement de cet art où triomphait Racine, de cet art de s’emparer entièrement du cœur, en arrivant par des nuances successives, et toujours pleines de vérité, aux mouvements les plus passionnés ; de conduire ainsi, par une route continue, le spectateur à partager la situation et les sentiments des personnages. […] Voltaire, dans le règne de Louis XIV, n’a vu que l’éclat dont il a brillé par les victoires, par les lettres, par les arts. […] Dumarsais, marchant sur les traces de Port-Royal, avait travaillé à rattacher la grammaire d’une manière immédiate avec l’art de raisonner. […] C’est prendre l’art d’écrire pour un art mécanique. […] Il paraît qu’elles sont exactes pour tout ce qui se rapporte au commerce et aux arts.

1176. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXIVe entretien. Cicéron (3e partie) » pp. 257-336

« L’éloquence, dit-il, est un art populaire. […] On voit, par ce moyen, quels sont les rapports d’une chose avec l’autre, et là-dessus on invente les arts nécessaires, soit pour la vie, soit pour l’agrément. […] « Mais nos mains, de quelle commodité ne sont-elles pas, et de quelle utilité dans les arts ! […] Admirez seulement avec quel art d’écrivain Cicéron embellit l’aridité de son sujet par les charmants péristyles du premier et du second discours sur les Lois : Atticus. […] Grâce à mes travaux, ceux qui sont étrangers aux lettres grecques, même ceux à qui elles étaient familières, pensent avoir fait beaucoup de profit et dans l’art de la parole et dans la sagesse.

1177. (1857) Cours familier de littérature. III « XIVe entretien. Racine. — Athalie (suite) » pp. 81-159

Œuvre d’art faite pour la scène et pour la déclamation, c’est du point de vue de la scène et de la déclamation qu’il convient d’en jouir. […] L’art, et le mécanisme, et le coup de théâtre, et la brièveté laconique qui concentre une situation dans un mot, me manquaient. […] Seulement il y a çà et là trop de jeunesse et trop de déclamation poétique, au lieu d’art dramatique. […] Un peu plus grand que nature, il plaisait dans les sentiments surhumains ; il était l’art, Talma était la nature. […] Mais l’art y est aussi parfait que l’inspiration y est divine.

1178. (1857) Cours familier de littérature. III « XVIIIe entretien. Littérature légère. Alfred de Musset » pp. 409-488

C’est la littérature de la raison, du sentiment, de l’émotion par l’art, de la vérité, de la vertu, la littérature de l’âme. […] Il apprit de l’un l’art des vers ; il apprit trop peut-être de l’autre l’art de dépenser sa jeunesse en loisirs infructueux, en nonchalances d’imagination, en voluptés paresseuses d’esprit. […] On se sentait en présence d’un être dont le feu sacré de l’art avait dévoré le tissu. […] Elle épousa un homme supérieur dans l’art qu’elle aimait. […] un sacrilège, au lieu d’une adoration du bien et du beau dans l’art ?

1179. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Robert » pp. 222-249

C’est celui-là, Monsieur Robert, qui sait avec un art infini entremêler le mouvement et le repos, le jour et les ténèbres, le silence et le bruit ! […] On ne songe pas à l’art, on admire, et c’est de l’admiration même que l’on accorde à la nature. […] La beauté de l’idéal frappe tous les hommes, la beauté du faire n’arrête que le connaisseur ; si elle le fait rêver, c’est sur l’art et l’artiste, et non sur la chose, il reste toujours hors de la scène, il n’y entre jamais. […] Il y a un grand art, une merveilleuse intelligence de clair-obscur ; mais ce qui achève de confondre, c’est d’apprendre que ce tableau a été fait en une demi-journée. […] Cela se conçoit en nature, mais le conçoit-on dans l’art ?

1180. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Marivaux. — II. (Fin.) » pp. 364-380

Ce ne sont pas des pointes que fait Marianne ; elle prétend être simple, revenir à la simplicité à force d’art et d’adresse ; elle reste à coup sûr en chemin, mais son manège, quand il ne dure pas trop longtemps, ne déplaît pas : il laisse voir tant d’esprit ! […] Voilà le ton que Marivaux chérissait et qu’il aurait voulu voir régner autour de lui, une simplicité exquise, coquette, attentive, résultat d’un art consommé : moins ce qu’il a été que ce qu’il aurait voulu être. […] En se promenant dans les musées d’anatomie, on voit ainsi des pièces très bien figurées et qui ont forme humaine ; mais, à l’endroit où l’anatomiste a voulu se signaler, la peau est découverte et le réseau intérieur apparaît avec sa fine injection : c’est un peu l’effet que produit l’art habile de Marivaux. […] J’ai ouï dire que Mlle Mars elle-même avait peu de sensibilité proprement dite ; mais elle était née pour jouer du Marivaux avec cette ingénuité habile, avec cet art du naturel, avec cet organe charmant, enchanteur, et cette voix sonore à travers laquelle se dessinaient les moindres intentions comme les perles dans une eau limpide.

1181. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Vicq d’Azyr. — I. » pp. 279-295

Il fut peut-être le premier médecin qui pratiqua son art à Paris sans porter perruque. […] Quoiqu’il eût de la fermeté dans le caractère, il s’y mêlait quelque faiblesse : aimant les louanges, il paraissait les négliger ; sensible aux contrariétés, il avait l’art de se contraindre, mais sa rougeur le trahissait, et les impressions étaient durables. […] Deux grosses passions avaient en lui subjugué toutes les autresi : l’une était celle de s’instruire, et l’autre de se distinguer… Vicq d’Azyr avait gardé, même au milieu de ses succès académiques, un vif sentiment de ces premiers cours qu’il avait professés dans sa jeunesse et dans lesquels il s’était épanoui tout entier : « C’est un bel art, disait-il, que celui de l’enseignement. […] Les nombreux éloges de Vicq d’Azyr ne portent pas tous sur des sujets importants ni sur des hommes supérieurs ; mais dans tous, même dans les plus tempérés, on sent des parties vives, l’art de connaître et de faire aimer les hommes.

1182. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Léopold Robert. Sa Vie, ses Œuvres et sa Correspondance, par M. F. Feuillet de Conches. — II. (Fin.) » pp. 427-443

Mais, avant que le mal ait pris le dessus et que la manie s’en mêle, quand l’art tient encore chez lui le gouvernail, il se rend très bien compte de l’effet ; c’est un effet triste et assombri, il le veut tel ; c’est bien un jour d’hiver qu’il veut faire régner sur l’ensemble, et avec lequel il saura mettre en accord toutes les figures : J’aime bien voir là (à Venise) le caractère d’un jour d’hiver ; je ne veux pas faire de la neige, c’est trop froid ; mais je voudrais donner l’idée d’un de ces jours qui ont une poésie si je puis dire, et qui laissent dans l’âme une mélancolie profonde. […] Artiste supérieur en quelques parties, incomplet par d’autres, mais si distingué par son principal cachet et qui mérite de vivre, quel est le rôle de Léopold Robert dans le travail moderne et dans le renouvellement de l’art ? […] Il disait de la gravure des Moissonneurs, par Mercuri : D’après tout ce que j’avais entendu dire de la planche de Mercuri, je la supposais bien, mais j’y ai trouvé surtout ce qu’on ne trouve pas toujours dans les productions des arts : je veux parler du sentiment d’amour et de plaisir que l’on devrait toujours avoir pour l’exécution : c’est le véritable charme des arts.

1183. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Histoire de la littérature française à l’étranger pendant le xviiie  siècle, par M. A. Sayous » pp. 130-145

L’art et le travail s’y trouvent joints à des talents de nature, et le poète a su employer heureusement les plus beaux traits des poètes anciens et s’en parer. […] Ces deux talents s’appellent et se complètent naturellement : l’art de fronder égal à l’art de louer. […] Victor Cherbuliez qui, dans ses Causeries athéniennes, a traité les plus délicates questions de l’art avec une verve, un savoir, une élévation de vues, auxquels je ne trouve à dire que pour le trop de densité.

1184. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Salammbô par M. Gustave Flaubert. (Suite.) » pp. 52-72

L’auteur a seulement transposé, avec beaucoup d’art, et mythologisé cette sourde plainte du cœur et des sens. […] On est au cœur d’une œuvre sérieuse ; on est, si l’on se rend bien compte de la composition et de la construction du livre, à ce point central, intérieur et élevé, qui, dans tout monument d’art, fait clef de voûte ; pourquoi un semblant de gaudriole s’y est-il glissé ? […] De grosses questions d’art sont engagées en tout ceci ; je ne veux pas les éluder plus longtemps, ni les étrangler non plus. Qu’on me permette de m’étendre et de dire, une bonne fois, comment j’entends qu’on soit vrai dans l’art, et comment, selon moi, on peut cesser de l’être en y visant trop.

1185. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre IX. Inquiets et mystiques » pp. 111-135

Elle est dangereuse à moins qu’elle ne s’asservisse à la religion laïque qui n’est pas encore promulguée, mais pour la Bible de laquelle tant de fidèles demandent à souscrire ; la science est dangereuse parce qu’elle est autonome, et que nul ne saurait prévoir les conclusions qu’elle commandera et qui contrediront peut-être les dogmes moraux improvisés ; l’art est à proscrire aussi, s’il ne veut pas servir, s’il prétend vivre pour lui-même, non pour l’adorable je ne sais quoi dont de tendres consciences ont cure. […] Maurice Maeterlinck n’est pas un simple fantastique, et cet art n’est chez lui qu’une méthode, plus au juste une expression naturelle de son tempérament. […] Le premier est séduisant par l’élégance raffinée et fatiguée qu’il indique, et pour un épris d’art et d’histoire c’est toujours un enviable refuge : un contemporain, M.  […] Ce traité est tout à fait élégant pour ce que, en concision et en lumière, il dessine une théorie cohérente d’art, d’éthique et presque de philosophie.

1186. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Qu’est-ce qu’un classique ? » pp. 38-55

Il définit auteurs classiques ceux « qui sont devenus modèles dans une langue quelconque » ; et, dans tous les articles qui suivent, ces expressions de modèles, de règles établies pour la composition et le style, de règles strictes de l’art auxquelles on doit se conformer, reviennent continuellement. […] Et cependant, malgré ce qu’il y a d’admirablement simple et de majestueux dans l’accomplissement de telles productions uniques, nous voudrions, dans l’habitude de l’art, détendre un peu cette théorie et montrer qu’il y a lieu de l’élargir sans aller jusqu’au relâchement. […] Leurs trois noms sont devenus l’idéal de l’art : Platon, Sophocle et Démosthène. […] [NdA] Goethe, qui est si favorable à la libre diversité des génies et qui croit tout développement légitime pourvu qu’on atteigne à la fin de l’art, a comparé ingénieusement le Parnasse au mont Serrat en Catalogne, lequel est ou était tout peuplé d’ermites et dont chaque dentelure recelait son pieux anachorète : « Le Parnasse, dit-il, est un mont Serrat qui admet quantité d’établissements à ses divers étages : laissez chacun aller et regarder autour de lui, et il trouvera quelque place à sa convenance, que ce soit un sommet ou un coin de rocher. »

1187. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre IX et dernier. Conclusion » pp. 586-601

On désire d’abord, et les rois même sont de cet avis, que la littérature et les arts fassent des progrès. […] Est-ce de l’esprit que l’art de tromper ? est-ce de l’esprit que l’art de tourmenter les individus et les nations ?

1188. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre I. La préparations des chefs-d’œuvre — Chapitre I. Malherbe »

Car, si d’autres avaient eu plus de génie, personne avant lui n’avait mieux vu que la poésie est un art, et que la forme d’art ne s’improvise pas. […] Mais s’il satisfaisait par tant de côtés l’esprit de son temps, il l’enrichissait aussi, et, par un juste instinct de la grande poésie, il imposait au rationalisme le respect de la forme d’art, que celui-ci n’aurait eu que trop de pente à méconnaître.

1189. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XV. Les jeunes maîtres du roman : Paul Hervieu, Alfred Capus, Jules Renard » pp. 181-195

On désigne ainsi un assemblage de pièces de métal, destiné à soutenir ou à contenir les parties moins solides, ou lâches, d’un objet déterminé… Là-dessus on dispose la garniture, l’ouvrage d’art, c’est-à-dire les devoirs, les sentiments, etc. » Eh bien non, cette thèse est fausse. […] On nous conte ses petits malheurs, et une tristesse en sort d’autant plus vive que Poil de Carotte est plus philosophe, d’une résignation précoce qui désole : « Tout le monde ne peut pas être orphelin. » Le mal n’est pas d’avoir les oreilles tirées ; c’est, tout jeune, de n’apprendre pas l’art d’espérer qui est tout l’art de vivre.

1190. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « VIII »

On peut également relire dans notre Art d’écrire, à propos de l’emploi des qui et des que par les grands auteurs, une partie des constatations qu’on m’oppose naïvement. […] Or, ce passage, je l’ai précisément cité moi-même dans l’Art d’écrire, pour établir qu’il ne faut pas pousser les choses trop loin et qu’on ne doit jamais reculer devant certaines répétitions. […] Nous ne l’avons prise un instant au sérieux que parce qu’elle nous a fourni l’occasion de dégager quelques leçons complémentaires sur l’art d’écrire.‌

1191. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Louis XVI et sa cour »

Il a été le peintre à fond de ce triste roi ; mais en le peignant ressemblant, non plus à faire peur, mais à faire pitié, il a agi comme les grands peintres qui, à force d’art, savent idéaliser les réalités les plus basses, et ici ce n’est plus magnanimité d’historien, c’est de l’art, l’art de l’homme qui sait écrire.

1192. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Maurice de Guérin »

Dans l’introduction aux Reliquiæ de Maurice de Guérin dont on l’a chargé, je trouve cette dernière phrase tout à fait dans les cordes indécises de son agréable, mais petite voix : « Ce que Guérin n’a pas eu le temps de tresser et de transformer selon l’art, devient sa plus belle couronne, a et qui ne se flétrira point, si je ne m’abuse !  […] S’il a parfois, comme les rivages qui ont des anses et les forêts qui ont des clairières, de petits coins de descriptions bornées qui ravissent les contemplateurs au microscope comme Sainte-Beuve, il n’en est pas moins vrai qu’il est particulièrement le poète du mystérieux et de l’immense ; quand, au contraire, André Chénier, le graveur sur onyx avec un poinçon d’or, le faiseur de camées en deux vers et qui en incruste ses plus longues pièces, cet artiste puissamment fin, qui fait tenir tout un combat de Lapithes et de Centaures ou tout un univers émergeant des ondes sur une facette de saphir, est le poète de la ligne ramassée et du contour, cette borne de l’âme à laquelle, pour l’en consoler, Dieu, et l’Art qui répète Dieu, ont donné cette forme divine du contour ! […] Et cependant, moi qui connais le langage poétique que Guérin a laissé derrière lui, j’aurais voulu qu’on eût ajouté aux quelques pièces éditées plusieurs autres, inférieures aussi d’art, de rhythme, et même de rime, mais qui n’en serviraient pas moins à caractériser le génie personnel d’un poète qui n’a cherché à imiter personne !

1193. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Ch. Bataille et M. E. Rasetti » pp. 281-294

— de ne point les mettre dans leurs livres, sous prétexte d’art bien compris. […] Ils appartiennent tous les deux à cette École de la peinture, fausse même en peinture, en littérature, exécrable, que l’on appelle le Réalisme, et que la littérature enivrée, ces derniers temps, d’art plastique, n’a pas eu le cœur de renvoyer aux ateliers d’où elle est sortie pour venir insolemment se planter chez nous ! […] Quant aux détails du livre en question, sont-ils assez soignés, assez trouvés, assez puissants du reste, pour que l’art ait caché de son voile de prestiges les monstruosités du sujet ?

1194. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XIX. Panégyriques ou éloges composés par l’empereur Julien. »

On voit que l’opinion qui a fait de l’ignorance, en Europe, un titre de noblesse, et a défendu aux hommes qui ont ou croient avoir un nom, de l’avilir par l’art de penser et d’écrire ; opinion introduite par les sauvages du nord qui ne savaient que détruire, consacrée par des seigneurs de châtellenies barbares, qui ne savaient qu’opprimer, combattre et chasser ; opinion bien digne en effet de ces deux époques, et qui, au bout de quatorze siècles, n’est pas encore éteinte, et subsiste même aujourd’hui beaucoup plus qu’on ne croit, n’était pas encore née sur la terre. […] C’est une chose remarquable en philosophie, en éloquence, et dans tous les arts, qu’il ait toujours fallu aux hommes un objet de culte. […] Eusébie, qui avait commencé l’ouvrage de sa grandeur, eut l’art de le maintenir : elle enchaîna les fureurs de Constance ; et malgré sa renommée, le nouveau César échappa aux assassins.

1195. (1853) Propos de ville et propos de théâtre

R…, riche propriétaire aux colonies, venu à Paris pour y passer quelque temps, dînait aux Provençaux en compagnie d’artistes de tous les arts. […] Que voulez-vous qu’on ramone quand la cheminée n’est plus qu’un objet d’art ? […] Pour ces deux jolies jambes, il a mis au pillage tous les magasins où les merveilles de l’art et de l’industrie agacent les yeux des passants. […] qui est-ce qui se préoccupe de l’art aujourd’hui ? […] Cette création scabreuse, et traitée avec un art infini, a été acceptée par le public.

1196. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Gilbert Augustin-Thierry »

Il faut lire le livre, il faut voir la mise en œuvre, avec quel art subtil et sûr toute l’histoire est conduite, et comment, dès les premières pages, M.  […] Quoi qu’il fasse, des récits comme la Tresse blonde ne sauraient être que des divertissements d’art d’une horrifique ingéniosité  rien de plus que Lokis ou la Vénus d’Ill, ce qui est déjà beaucoup.

1197. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — C — Chénier, André (1762-1794) »

Anatole France Loin d’être un initiateur, André Chénier est la dernière expression d’un art expirant. […] Il achève un art et il en recommence un autre.

1198. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre III. Des moyens de trouver la formule générale d’une époque » pp. 121-124

Il nous suffit de constater que, en un temps et en un pays donnés, l’art, la littérature, le costume, l’habitation, l’état politique et religieux sont rattachés par des traits d’union que nul ne songe plus sérieusement à contester. […] A vrai dire, l’historien d’une langue et d’une littérature devrait être universel au profit de l’histoire spéciale qu’il construit ; il devrait connaître les relations sans nombre que l’une et, l’autre soutiennent, les actions et réactions sans nombre que l’une et l’autre exercent et subissent dans leur contact perpétuel avec la science, l’art, la religion, en un mot avec toutes les manifestations diverses de la vie nationale.

1199. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — S. — article » pp. 196-203

Ses Réflexions sur les divers Génies du Peuple Romain, dans les divers temps de la République ; les Considérations sur Annibal ; son Traité de l’Amitié & celui de la Conversation ; ses Jugemens sur quelques Auteurs Latins ; ses Remarques sur les Traducteurs, les Historiens, sur l’Art de la guerre ; ses maximes, ses Pensées détachées, sont autant de Productions exquises qui le placent parmi les plus estimables Littérateurs. […] Il ne s’est attaché qu’à ce qu’il y a de plus délicat dans leurs Ouvrages, & il a eu l’art de s’approprier leurs pensées, en leur donnant une tournure qui n’appartient qu’à lui.

1200. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « La course à la mort » pp. 214-219

Et si l’on veut remonter plus haut, si l’on réfléchit quel abîme sépare la littérature française de ce siècle de celle des époques passées, on trouvera au pessimisme contemporain assez d’ascendants pour se convaincre que la tristesse est l’essence même du nouvel art, et peut-être de tout art noble.

1201. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Jean-Baptiste Guarini, et Jason de Nores. » pp. 130-138

Tous les arts, transportés de Grèce dans cette terre heureuse, y prenoient une vie nouvelle. […] Guarini s’en vengea par une réponse qui parut à Ferrare, & dans laquelle il se moque d’un critique assez borné pour condamner le genre pastoral, & resserrer la carrière des lettres & des arts, pendant qu’on ne sçauroit trop l’étendre.

1202. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre premier. Vue générale des épopées chrétiennes. — Chapitre IV. De quelques poèmes français et étrangers. »

Cependant on y remarque quelques morceaux d’un sentiment vrai, et c’est sans doute ce qui avait adouci l’humeur du chantre de l’Art poétique. […] Boissonade, m’a envoyé la note suivante des hommes ressuscités dans l’antiquité païenne par le secours des dieux ou de l’art d’Esculape : « Esculape, qui ressuscita Hippolyte, avait fait d’autres miracles.

1203. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 6, que dans les écrits des anciens, le terme de chanter signifie souvent déclamer et même quelquefois parler » pp. 103-111

Horace avant que d’exposer dans son art poëtique ce qu’il faut faire pour composer une bonne comedie, définit une bonne comedie celle qui retient les spectateurs jusqu’à ce que le chantre leur dise applaudissez. […] Ce même auteur dit encore dans un passage que j’ai déja cité, que ceux qui joüoient les comedies ne s’éloignoient point de la nature dans leur prononciation, du moins assez pour la faire méconnoître dans leur langage, mais qu’ils relevoient par les agrémens que l’art permet, la maniere de prononcer usitée dans les entretiens ordinaires.

1204. (1896) Écrivains étrangers. Première série

Et n’a-t-il pas enfin soutenu à mainte reprise que la littérature et l’art de l’Allemagne étaient une littérature et un art d’imitateurs maladroits ? […] Mais dans le domaine de l’art comme dans tous les autres, c’est à la désillusion que mènent tous les chemins. […] Et son seul plaisir d’art était la musique : il se privait de dîner pour aller à l’Opéra. […] Il n’y a personne dans notre temps qui puisse sentir sans effort cet art d’un tout autre temps. […] Car telle est la force de l’art, que ceux mêmes qui le dédaignent ne peuvent agir sur nous que par lui.

1205. (1907) Propos littéraires. Quatrième série

Ils inventeront l’art de ne pas mourir, et dans ce temps-là je serai morte !  […] L’art consiste à donner à une idée une vie sensible. […] Comme art, il n’y a que l’art grec, et il faut pleinement y revenir. […] Les Grecs, comme art, faisaient de la tragédie le concours et la conspiration amicale de toutes les formes d’art qu’ils connaissaient. […] C’est l’« impérieux fanatisme d’art ».

1206. (1923) Nouvelles études et autres figures

Les Géorgiques de Virgile et l’Art poétique de Boileau nous offrent des modèles du genre. […] Il y a là, en même temps qu’une naïveté de peintre primitif, un art savant de poète. […] Il se défie de la couleur locale qui, selon lui, est une impasse où l’art n’a plus qu’à s’arrêter et à mourir. […] L’art seul en était français. […] Si vous y joignez un petit livre d’impressions d’art recueillies au cours d’un voyage en Hollande, vous avez tout son bagage.

1207. (1889) Impressions de théâtre. Troisième série

Gréard, Bréal, Lavisse, Gebhard, Himly, et autres docteurs ès arts. […] C’est bien l’art qui convient à ces poupées. […] C’est par l’Art de la lecture qu’il réconcilie le théâtre et la vertu. […] L’art dramatique devient naturellement le dernier des arts quand les théâtres se transforment en hammans où il faut garder son habit. […] C’est une des merveilles de l’art gothique.

1208. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Eugène Gandar »

Les Anciens avaient poussé loin l’art de la rhétorique et toutes les préparations par où devait passer un orateur qui aspirait à exceller. […] Son séjour à Metz fut marqué, d’ailleurs, par la participation très vive qu’il prit au mouvement des arts. […] Notre jeune professeur de rhétorique ne crut point sortir de sa sphère ni abuser de l’art de persuader en conviant ces jeunes talents chers au pays à se former en une société dite de l’Union des Arts. […] Cherchons donc, cherchons toujours : c’est l’art et c’est la vie ; et grâce à Dieu, les joies de l’effort, si sévères qu’elles soient bien souvent, valent mieux que les joies passagères et stériles du succès. » Quelle digne et loyale nature ! […] Commençant par saint Augustin et Boëce et la vive influence qu’ils avaient exercée sur Dante et Pétrarque, il aurait marqué le caractère propre de ce sentiment chez ces deux poètes ; il aurait montré chez Shakespeare et Molière l’art profond sous lequel se voile sans jamais s’étaler, sans jamais nuire à l’action, leur personnalité discrète.

1209. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLIVe entretien. Examen critique de l’Histoire de l’Empire, par M. Thiers » pp. 81-176

J’ai consacré à écrire l’histoire trente années de ma vie, et je dirai que, même en venant au milieu des affaires publiques, je ne me séparais jamais de mon art, pour ainsi dire. […] Est-ce l’esprit, l’imagination, la critique, l’art de composer, le talent de peindre ? […] Avec un art de composition magistral, M.  […] Thiers est l’historien des événements ; il les prépare, il les éclaire, il les groupe, il les accomplit avec un art sans égal ; mais les événements sous sa main ressemblent un peu trop à des abstractions ; l’homme y manque, et l’homme cependant est l’âme de l’événement. […] Il faut, pour y dominer, outre cet art de la flatterie, qui procure des succès dans les cours, cet art si différent de la parole, quelquefois vulgaire, quelquefois sublime, qui est indispensable pour se faire écouter des hommes réunis ; il faut encore, ce qui n’est pas un art, ce qui est un don, ce caractère avec lequel on parvient à braver et à contenir les passions soulevées.

1210. (1923) Au service de la déesse

Il accueille les bons dévots de l’art, il les recommande à la foule incertaine. […] L’art du xviiie  siècle ? […] Les Goncourt, amateurs d’art et historiens de l’art le plus élégant, sont la délicatesse même : toute délicatesse les abandonne, dès qu’ils écrivent Germinie Lacerteux. […] Giraudoux rachète plusieurs de ses torts en aimant son art, quitte à l’aimer d’une façon qui n’est pas la plus raisonnable ; et, puisque la littérature est l’art des mots, il aime les mots. […] Les arts libéraux ont quitté la terre de Gaule.

1211. (1862) Notices des œuvres de Shakespeare

En fait de génie, Shakespeare n’a peut-être point de rivaux ; dans les hautes et pures régions de l’art, il ne saurait être un modèle. […] Il fallait un grand maître dans l’art dramatique comme Shakespeare pour répandre sur cinq actes tant de vie et de variété. […] Les caractères dramatiques et les caractères grotesques sont placés par lui dans le même tableau avec d’autant plus d’art que l’art ne s’aperçoit nullement. […] On peut lui appliquer le vers de lord Byron : Thou art not false, but thou art fickle. […] La pièce offre deux intrigues distinctes, mais liées et fondues ensemble avec beaucoup d’art, de manière à former un tout.

1212. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « La Fontaine de Boileau »

Fut d’enseigner leur siècle et de le maintenir, De lui marquer du doigt la limite tracée, De lui dire où le goût modérait la pensée, Où s’arrêtait à point l’art dans le naturel, Et la dose de sens, d’agrément et de sel, Ces talents-là, si vrais, pourtant plus que les autres Sont sujets aux rebuts des temps comme les nôtres, Bruyants, émancipés, prompts aux neuves douceurs, Grands écoliers riant de leurs vieux professeurs. Si le même conseil préside aux beaux ouvrages, La forme du talent varie avec les âges, Et c’est un nouvel art que dans le goût présent D’offrir l’éternel fond antique et renaissant.

1213. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — Q. — article » pp. 572-580

Tout dépend des vrais talens qui le produisent, & de l’art qui sait l’embellir. […] Tous ces Grands Hommes, qui avoient bien acquis le droit d’être difficiles, ne pouvoient tolérer que l’on mît au rang des chef-d’œuvres, des Poëmes ordinairement dépourvus de vraisemblance, libres des trois unités, & dans lesquels presque toutes les regles de l’Art sont nécessairement violées.

1214. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « VI »

Ce désir d’art entrevu, cette formation en perspective, c’est la volonté, c’est le labeur qui les déterminent. […] Taine était, d’ailleurs, persuadé que l’art d’écrire s’enseigne, et il croyait très certainement à l’assimilation et à la démonstration technique du style, lorsqu’il adressait ces conseils à un ami, au sujet d’une jeune femme : « Il faut qu’elle se dise résolument et tous les matins : Je veux être écrivain.

1215. (1899) Les industriels du roman populaire, suivi de : L’état actuel du roman populaire (enquête) [articles de la Revue des Revues] pp. 1-403

Entre ces deux solutions : abaisser la forme littéraire au niveau des goûts les plus infimes, ou, au contraire, élever ceux-ci progressivement à la compréhension d’un art moins vulgaire et plus vrai, ils croient d’un bien meilleur calcul de s’arrêter à la première opération. Ils ont gardé la conviction que la foule ne prise en art que ce qui lui ressemble, qu’elle est trop affamée pour être friande et que toujours elle préférera la quantité à la qualité. […] Le grand art simple a prise sur les âmes simples. […] C’est malheureux, si vous le voulez, au point de vue de l’art, mais cela n’empêche point que ce sentiment soit très respectable et très émouvant. […] Mais, pour le faire entendre du public, M. de Curel a dû recourir à un art que beaucoup de bons esprits considèrent comme inférieur : il a dû faire une pièce !

1216. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIVe entretien. Épopée. Homère. — L’Odyssée » pp. 445-524

Ces émotions, qui n’étaient que les émotions de la nature et du cœur pour nous, auraient été les émotions de l’art pour un grand poète primitif. […] L’art est une déchéance pour la femme : elle est bien plus que poète, elle est la poésie. La sensibilité est une révélation, l’art est un métier ; elles doivent le laisser aux hommes, ces ouvriers de la vie ; leur art, à elles, est de sentir, et leur poésie est d’aimer. […] Malheur aux femmes qui excellent dans les lettres ou dans les arts ! […] Les arts sont donc aussi vieux que le monde !

1217. (1753) Essai sur la société des gens de lettres et des grands

C’est surtout dans les gens de lettres, c’est même uniquement parmi eux que ces hommes se rencontrent : c’est aux personnes seules de l’art qu’il est réservé d’apprécier les vraies beautés d’un ouvrage, et le degré de difficulté vaincue ; s’il appartient aux grands d’en porter un jugement sain, ce n’est qu’autant qu’ils seront eux-mêmes gens de lettres dans toute la rigueur Rarement un simple amateur raisonnera de l’art avec autant de lumières, je ne dis pas qu’un artiste habile, mais qu’un artiste médiocre. […] Je sais que la plupart des grands se récrieront contre un tel reproche ; mais qu’ils interrogent leur conscience, qu’ils nous laissent même examiner leurs discours, et nous demeurerons convaincus que le nom d’homme de lettres est regardé par eux comme un titre subalterne qui ne peut être le partage que d’un État inférieur ; comme si l’art d’instruire et d’éclairer les hommes n’était pas, après l’art si rare de bien gouverner, le plus noble apanage de la condition humaine. […] Il est une dernière sorte d’amateurs qui méritent avec quelque raison d’être plus considérés que les autres, et qu’on peut regarder comme des protecteurs plus réels de la littérature ; ce sont ceux qui cherchent à contribuer au progrès des sciences et des arts par leurs bienfaits. […] Corneille, La Fontaine et beaucoup d’autres ont été sans elles ; et sans elles apparemment Racine aurait fait ses tragédies, et Despréaux son Art Poétique ; sans elles notre siècle a produit la Henriade, l’Esprit des Lois, Hippolyte et Aricie, et plusieurs beaux ouvrages des mêmes auteurs et de quelques autres. […] La Prusse par une raison contraire sera redevable à Frédéric des progrès qu’elle va faire dans les sciences et dans les arts.

1218. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « M. Charles Magnin ou un érudit écrivain. »

Vitet en tête) inauguraient une théorie des arts, une esthétique, comme on disait déjà, chaleureuse, éloquente, compréhensive, curieuse des monuments et de toutes les manifestations de la beauté ou de la vie dans tous les ordres et dans tous les âges. […] Son art est précisément de saisir ces demi-teintes, ces nuances indécises qui craindraient le grand jour de la scène comique ; son secret est de nous montrer, à distance et de profil, certains objets qui, vus autrement, perdraient une partie de leur grâce. […] Magnin fit au National des articles plus sérieux sur le plébéianisme dans les arts, sur la Confédération germanique. […] L’article sur la reine Nantechild, publié dans la Revue (15 juillet 1832), fit sensation et presque événement par les vues neuves qui vêtaient exposées pour la première fois avec ensemble sur l’art du Moyen-Age, sur les diverses époques bien distinctes et les phases qu’il avait traversées. […] Magnin prenait occasion de tracer tout un tableau magistral et d’exposer une histoire abrégée de l’art (architecture et sculpture) pendant plusieurs siècles ; il en déroulait les transformations graduelles et en décrivait les manières successives avec une science, un goût, une précision qui supposaient vraiment une longue pratique : c’était à faire illusion.

1219. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XIV. La littérature et la science » pp. 336-362

Cela ne veut pas dire non plus que la science, en s’efforçant de débrouiller le mystère qui nous enveloppe, fasse fi de l’ordre, de l’élégance, du bien dire, de tous les attraits que l’art prête à l’exposé des idées et des faits ; elle aussi, suivant les temps, les matières traitées et les goûts individuels, elle aspire plus ou moins à charmer, ne fût-ce que pour les tenir en éveil, les intelligences qu’elle veut avant tout éclairer. […] L’histoire, qui est et sera toujours science et art, a renversé l’ordre jusqu’alors accepté dans la proportion de ces deux éléments. […] Voilà sa destinée pour longtemps ; elle sera philosophique. ; elle sera, non plus un jeu de l’esprit, un caprice mélodieux de la pensée légère et superficielle, mais l’écho profond, réel, sincère des plus hautes conceptions de l’intelligence.  » La poésie sera sans doute autre chose aussi ; bien téméraire qui voudrait enfermer l’incessante mobilité de l’art dans une formule rigide ; mais il est certain qu’elle peut et doit réaliser la prophétie de Lamartine. […] Sans doute c’est à condition que le poète soit poète ; qu’il sache transformer des idées en émotions ; qu’il ne rime pas des formules techniques, mais les sentiments éprouvés par une âme enthousiaste ; qu’il ne se pique pas d’enseigner, mais qu’il travaille à suggérer des impressions  ; qu’il s’appuie sur les données fournies par les savants, mais pour s’élancer jusqu’à des élévations qui les dépassent ; qu’il soit en un mot capable de comprendre et d’appliquer ce précepte d’André Chénier : L’art ne fait que des vers ; le cœur seul est poète ; ou, mieux encore, qu’il se conforme à cette définition de l’art proposée par Tolstoï124 : « C’est un organe vital de l’humanité, qui transporte dans le domaine du sentiment les conceptions de la raison. » Ces conditions marquent une fois de plus la limite que la science ne peut franchir dans son alliance avec la littérature sans lui faire tort. […] Qu’est-ce que l’art ?

1220. (1904) En méthode à l’œuvre

Diverse et perpétuelle, en vérité, pour de la Matière en mouvement exprimée, l’adéquat Poème, s’impose la manière d’art qui soit elle-même mouvement, — de mouvements pensants. Émotivement représentative de la diversité et la perpétuité mouvementées : par la splendeur des instruments, dont les ondes alors qu’elles ont hauteurs, longueurs et modes, suivent de plus une mesure propre, et pour lesquels a des phases d’intensité variante la même note, — a été la manière d’art le plus douée d’universalité, la Musique instrumentale. […] Cette image est le mot. » Et, — c’est aux poésies de l’Inde pourtant, encore ainsi qu’aux sources de tout Émoi, que nous remonterons pour avoir, non plus d’hésitants et partiellement entendus et presque étonnés avisements qui ne paraissent venus que d’elles, mais la mise en œuvre, en un art supérieur aux secrètes et intenses Beautés, où, — correspondance des sons et des idées, un sens adventice suggéré en sonorités appropriées, vient en prolongement du sens des mots précisément exprimé. […] … Et ainsi s’authentique une poésie qu’on peut dire imitative, d’imiter de l’Univers, par la parole, la musique, la plastique et l’art pictural, — les rythmes. […] En même temps, et en production d’universalité : Qui est Parole, et donne à la parole son vrai sens qui la veut musique de mots en lui rapportant son naturel et primordial élément de phonalité, Qui est graphique et Plastique, par la détermination morphologique du Rythme, — par la science des durées dans le vers et l’ordre prémédité du poème, du livre et de l’Œuvre, Qui est d’art Pictural, par le moins de hasard lumineux donné naturellement aux mots, selon couleurs des timbres-vocaux, Qui est Musique : Qui est manière-d’art en laquelle les manières-d’art s’unissent en Synthèse, — de même que les sensations, indépendantes et localisées, entre-muées sous l’empire de la pensée re-créatrice agissent l’une sur l’autre en mille nuances, et ainsi se multiplient en plus aiguë puissance d’apporter de nouveaux et plus rares matériaux à notre entendement : Et qui est mouvement adéquat à la Matière pensante : Est « l’instrumentation-Verbale », dont, de sens et d’appellation, nous douons l’Art poétique.

1221. (1902) La métaphysique positiviste. Revue des Deux Mondes

On a pu dire que l’art consistait dans l’altération des rapports réels des choses6. […] Nous ne la connaissons pas, cette diversité ; l’apparence en tombe seule sous nos sens ; mais nous pouvons affirmer qu’elle existe ; et sans nous embarrasser ici de subtilités assez inutiles, c’est ce qui nous suffit pour être en droit d’affirmer, ou de « poser », ainsi qu’on dit, « l’objectivité du monde extérieur. » Il n’y a pas, on le sait, de problème que la philosophie, depuis son origine, ait plus souvent agité, ni, si l’on en croyait du moins les historiens, résolu plus diversement, et, certes, c’est un bel exemple de l’art de compliquer ou d’embrouiller les questions. […] Mais de la conception d’Auguste Comte, ce qu’il faut pourtant retenir, c’est que, s’il appartient à quelqu’un d’approfondir et de préciser la notion de l’Inconnaissable, c’est à ceux qui font de la destinée de l’humanité le principal objet de leurs préoccupations ; qui ne sont curieux ni de l’art, ni de la science en soi, mais des services que l’art ou la science peuvent rendre à l’éducation morale de l’humanité ; et qui considèrent enfin que la sociabilité faisant le premier caractère de l’homme, c’est elle que notre perpétuel effort doit avoir pour ambition de développer, d’assurer, et de perfectionner. […] C’est la définition première sur laquelle Taine a édifié sa Philosophie de l’Art ; et je la crois trop étroite. Si nous la prenions au pied de la lettre, elle exclurait de l’art tout le naturalisme.

1222. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Victor Hugo — Victor Hugo, romans (1832) »

Dans Notre-Dame l’idée première, vitale, l’inspiration génératrice de l’œuvre est sans contredit l’art, l’architecture, la cathédrale, l’amour de cette cathédrale et de son architecture. […] Après nous l’avoir montré poëte tragique, sifflé et délaissé, il nous le fait voir examinant dévotement les sculptures extérieures de la chapelle de For-l’Évêque, dans un de ces moments de jouissance égoïste, exclusive, suprême, où l’artiste ne voit dans le monde que l’art et voit le monde dans l’art. […] Mais style et magie de l’art, facilité, souplesse et abondance pour tout dire, regard scrutateur pour beaucoup démêler, connaissance profonde de la foule, de la cohue, de l’homme vain, vide, glorieux, mendiant, vagabond, savant, sensuel ; intelligence inouïe de la forme, expression sans égale de la grâce, de la beauté matérielle et de la grandeur ; reproduction équivalente et indestructible d’un gigantesque monument ; gentillesse, babil, gazouillement de jeune fille et d’ondine, entrailles de louve et de mère, bouillonnement dans un cerveau viril de passions poussées au délire, l’auteur possède et manie à son gré tout cela.

1223. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Appendice sur La Fontaine »

Qu’il nous suffise d’avoir rappelé que, durant les vingt ans écoulés depuis l’aventure de l’ode jusqu’à la publication de Joconde (1662), il ne cessa de cultiver son art ; qu’il composa, dans le genre et sur le ton à la mode, un grand nombre de vers dont très-peu nous sont restés, et que s’il y porta depuis 1664, c’est-à-dire depuis les débuts de Boileau et de Racine, plus de goût, de correction, de maturité, et parut adopter comme une seconde manière, il garda toujours assez de la première pour qu’on reconnût en lui le commensal du vieux Colletet, le disciple de Voiture, et l’ami de Saint-Évremond. […] Ces circonstances réunies nous semblent propres à expliquer la défaveur de La Fontaine à la cour, et l’injustice dont on accuse l’auteur de l’Art poétique de s’être rendu coupable envers lui. […] Mais ce ne serait pas assez pour motiver l’omission du nom de La Fontaine dans l’Art poétique, si l’on ne songeait que, par son attachement pour Fouquet, et principalement par la publication de ses contes, le bonhomme avait provoqué le mécontentement du monarque, si sévère en fait de convenance, et qu’il eut sa part de cette rancune glaciale et durable dont les Saint-Évremond et les Bussy, beaux-esprits espiègles et libertins, furent également victimes.

1224. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Réception de M. Vitet à l’Académie française. »

Vitet, l’un des écrivains qui ont le plus contribué comme critiques à l’organisation et au développement des idées nouvelles dans la sphère des arts, un de ceux qui avaient le plus travaillé à mettre en valeur la forme dramatique de l’histoire et à la dégager des voiles de l’antique Melpomène ; homme politique des plus distingués, il se trouvait en présence d’un homme d’État chargé de le recevoir sur un terrain purement littéraire. […] Molé ne trouverait à y opposer, a-t-il dit, que le « for intérieur du promeneur pensif et solitaire, auquel notre vie, notre civilisation active et compliquée fait chercher, avant tout, le calme, le silence et la fraîcheur. » Analysant avec détail le beau travail sur Lesueur et sur les révolutions de l’art, insistant sur l’accord mémorable avec lequel ces trois jeunes gens, Poussin, Champagne et Lesueur, se dégagèrent du factice des écoles et vinrent retremper l’art dans le sentiment intérieur et dans la nature, le directeur de l’Académie a fait entendre de nobles et bien justes paroles : « Constatons-le, a-t-il dit, ces trois hommes étaient de mœurs pures, d’une âme élevée ; tout en eux était d’accord.

1225. (1911) La valeur de la science « Deuxième partie : Les sciences physiques — Chapitre V. L’Analyse et la Physique. »

Ceux-là ne méritent pas qu’on leur réponde ; c’est à eux plutôt qu’il conviendrait de demander à quoi bon accumuler tant de richesses et si, pour avoir le temps de les acquérir, il faut négliger l’art et la science qui seuls nous font des âmes capables d’en jouir, et propter vitam vivendi perdere causas. […] Peu de privilégiés sont appelés à la goûter pleinement, cela est vrai, mais n’est-ce pas ce qui arrive pour les arts les plus nobles ? […] Eh bien, pour poursuivre la comparaison, les écrivains qui embellissent une langue, qui la traitent comme un objet d’art, en font en même temps un instrument plus souple, plus apte à rendre les nuances de la pensée.

1226. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre troisième. De la sympathie et de la sociabilité dans la critique. »

Parfois on voit mieux une belle statue, un beau tableau, une scène d’art en fermant les yeux et en fixant l’image intérieure, et c’est à la puissance de susciter en nous cette vue intérieure qu’on peut le mieux juger les œuvres d’art les plus hautes. […] Le grand art est celui qui réussit à grouper autour de la représentation qu’il nous donne le plus de représentations complémentaires, autour de la note principale le plus de notes harmoniques. […] S’il ne suffit pas toujours, en critiquant un philosophe, de vouloir avoir raison contre lui pour se paraître à soi-même raisonnable, il suffit trop souvent, dans l’art, de vouloir ne pas être touché ne pour pas l’être ; on est toujours plus ou moins libre de se refuser, de se renfermer dans son moi hostile, et même de s’y perdre.

1227. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — L’abbé d’Aubignac, avec Ménage, Pierre Corneille, Mademoiselle de Scudéri et Richelet. » pp. 217-236

Mais on n’avoit rien dit de l’art de préparer les incidens & de réunir les temps & les lieux. […] Il dut voir qu’il n’étoit pas plus initié dans le grand art d’exciter fortement les passions, que ne l’est, dans les secrets de l’architecture, un manœuvre servile & sans talent. […] Elle a fait ces vers sur son portrait : Nanteuil, en faisant mon image, A de son art divin signalé le pouvoir.

1228. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Troisième Partie. De la Poësie. — La déclamation. » pp. 421-441

C’est l’art de rendre le discours en chaire, au barreau, au théâtre, & toutes les fois qu’on fait une lecture à voix haute. […] Riccoboni, ce chef de troupe de comédiens, & qui a fait des observations sur son art, condamne cette pratique. […] Les principes, de quelque art que ce soit, ne sont jamais mieux sentis que par l’étude des modèles.

1229. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre septième. »

C’est l’art des grands maîtres de savoir se jouer à propos de leur sujet. […] La Fontaine possède cet art, qui dit sans s’avilir les plus petites choses, selon l’expression de Boileau ; mais nous verrons cette idée exprimée encore bien plus poétiquement dans la fable quinzième du livre 10. […] Unir, ainsi que vous, les arts avec la paix !

1230. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre second. Philosophie. — Chapitre premier. Astronomie et Mathématiques. »

Au reste, remarquons bien que l’Église a presque toujours protégé les arts, quoiqu’elle ait découragé quelquefois les études abstraites : en cela elle a montré sa sagesse accoutumée. […] Mais on applique, dit-on, les découvertes des sciences aux arts mécaniques ; ces grandes découvertes ne produisent presque jamais l’effet qu’on en attend. […] Entêtés de leurs calculs, les géomètres-manœuvres ont un mépris ridicule pour les arts d’imagination : ils sourient de pitié quand on leur parle de littérature, de morale, de religion ; ils connaissent, disent-ils, la nature.

1231. (1763) Salon de 1763 « Peintures — Deshays » pp. 208-217

L’art du musicien qui, en touchant sur l’orgue l’accord parfait d’ut, porte à votre oreille les dissonants ut, mi, sol, ut, sol#, si, ré, ut, en est venu là ; celui du peintre n’y viendra jamais. […] L’art de sauver un certain nombre de dissonances, d’esquiver les difficultés supérieures à l’art. […] Il en est en ce point de la peinture comme de l’art dramatique.

1232. (1860) Ceci n’est pas un livre « Le maître au lapin » pp. 5-30

Il aurait pu certainement, en aidant son talent d’un peu d’intrigue, — à l’instar de ses camarades de la littérature et des arts, — arriver, lui aussi, c’est-à-dire vivre. […] Ils sont, avec l’Art, sa seule joie et sa seule sollicitude. […] Donc, sous peine de froisser l’art dans un de ses principes les plus susceptibles, ne séparons jamais la forme de l’idée.

1233. (1811) Discours de réception à l’Académie française (7 novembre 1811)

La chanson est une fleur qui se plaît sous le ciel de la France : elle y réussit sans art, sans culture, et c’est un des ornements de notre guirlande poétique. […] C’est ainsi que Marivaux écrivant des comédies, faisait encore des romans, et que Lesage écrivant des romans, faisait encore des comédies ; car, ce n’est pas seulement la facilité de combiner des scènes et de développer une intrigue qui constitue l’auteur comique, c’est l’art de saisir les caractères, d’observer les mœurs, et d’en présenter un tableau dramatique et fidèle. […] On trouvera mon système plus spécieux que solide ; on pourra l’attribuer à mon enthousiasme pour un art auquel je dois l’honneur de siéger parmi vous ; mais je rappellerai l’hypothèse dans laquelle je me suis placé ; et je répondrai d’ailleurs que l’histoire de certains peuples de l’antiquité repose sur des traditions bien plus incertaines et sur des conjectures bien moins vraisemblables.

1234. (1760) Réflexions sur la poésie

Les ouvrages philosophiques, quand ils réunissent ces deux avantages, sont peut-être les plus propres à maintenir le bon goût dans l’art d’écrire : ils nous font sentir combien des idées nobles et grandes, revêtues d’ornements simples et vrais comme elles, sont préférables à des riens agréables et frivoles. […] Puisque la poésie est un art d’imagination, il n’y a donc plus de poésie, dès qu’on se borne à répéter l’imagination des autres. […] Nous avons senti que la poésie étant un art d’agrément, c’était en diminuer le plaisir que d’y multiplier les licences, comme ont fait dans la leur la plupart des étrangers.

1235. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XV. Mme la Mise de Blocqueville »

Mme de Blocqueville raffine tellement, que bientôt elle ne s’entend plus… « Le caprice et la fantaisie, — dit-elle encore, — fleurissent aux époques de décadence, d’une manière si furibonde qu’ils étouffent l’art sincère… » Mais à part cette floraison furibonde qui est une manière de fleurir de la Villa des Jasmins, qu’y a-t-il donc de plus sincère que le caprice et la fantaisie, qui tuent l’art sincère ? […] et jusqu’à l’art chinois !

1236. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « La Chine »

une population de Phidias-Téniers, concevant l’Art comme Hugo l’a compris, et tirant de la Laideur qui est infinie un bien autre parti que ces pauvres Grecs de la Beauté, qui ne l’est pas. […] Sera-ce le Chinois, le Chinois, le plus faible de tous les peuples, qui se multiplie par la polygamie et se consomme par l’infanticide ; dont les troupes innombrables n’ont pu résister, même avec de l’artillerie, à quelques hordes armées de flèches ; qui, même avec l’imprimerie et quatre-vingt mille caractères, n’a pas su encore se faire une langue que l’étranger puisse apprendre ; qui, avec quelques connaissances de nos arts et la vue habituelle de notre industrie, n’a pas fait un pas hors du cercle étroit d’une routine de plusieurs mille ans… peuple endormi dans l’ombre de la mort, cupide, vil, corrompu, et d’un esprit si tardif qu’un célèbre missionnaire écrivait qu’un Chinois n’était pas capable de suivre dans un mois ce qu’un Français pourrait lui dire dans une heure. […] Enfin, comme intelligence de la race, ils prennent la mesure du plus fort cerveau chinois qui ait jamais existé, ils nous peignent en pied ce Confucius (Koung-fou-Tseu) qu’ils comparent, on ne sait trop pourquoi, à notre glorieux cardinal de Richelieu, lequel n’a pas grand’chose, pourtant, de ce quaker Oriental, dont la haute philosophie ressemble à une Civilité puérile et honnête… Et c’est ainsi qu’ils confirment, au lieu de la détruire, cette grande accusation portée contre la Chine par des esprits sévères auxquels des potiches et des porcelaines, et une originalité grotesque dans les arts et dans la vie, n’ont pas tout fait pardonner !

1237. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Odysse Barot »

Mais c’est là une vue erronée : la littérature et les arts, et ceux qui en écrivent l’histoire, n’ont point à se préoccuper de l’émancipation définitive de l’humanité. La littérature et les arts n’ont à se préoccuper que d’une chose, tout aussi importante d’ailleurs que l’émancipation de l’humanité : c’est de la beauté à exprimer, — à inventer ou à reproduire, — mais à exprimer dans des œuvres fortes et parfaites, si l’homme de lettres ou l’artiste peuvent atteindre jusque-là… La littérature et les arts sont désintéressés de tout, excepté de la beauté qu’ils expriment pour obéir à cette loi mystérieuse et absolue de l’humanité, qui veut de la beauté, pour le bonheur de son être, tout aussi énergiquement qu’elle veut des vêtements et du pain… Je parle, bien entendu, de l’humanité à son sommet, élevée à sa plus haute puissance ; je ne parle pas d’elle à l’époque de ses besoins inférieurs… Mais c’est le vice justement des libres penseurs, strangulés par la logique que leur a faite l’épouvantable matérialisme de ce temps, de ne voir jamais que les besoins les plus bas de l’humanité.

1238. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Jacques Cœur et Charles VII »

L’histoire pour l’histoire, — comme on disait l’art pour l’art. Seulement, l’art pour l’art était une chimère, tandis que l’histoire pour l’histoire peut être une réalité.

1239. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Auguste Vacquerie » pp. 73-89

Et, cependant, c’est lui qui a écrit, avec un style que nous avons vu luire ailleurs et dont il est le grippe-soleil : « Les poètes, dans les coups de vent de l’action, dans les flamboiements du style, réfléchissent, tourbillons pensifs, salamandres de l’art ! » Dirait-on que ce tourbillon pensif, que cette salamandre de l’art, ait réfléchi en décrivant la critique comme il l’a décrite, la plume chaude encore de ses flamboiements contre le doux Racine, au sourire et au marbre éternels ? […] … Mais, excepté en matière d’art, où Vacquerie est stationnaire et où il entend bien que Les Burgraves et Tragaldabas ne puissent être effacés par les drames de l’avenir, l’auteur de Profils et Grimaces est un philosophe de ces derniers temps.

1240. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Jules De La Madenène » pp. 173-187

Elle est l’industrie et l’art en enfance, dans la pensée et sous la main de cet homme plongé encore dans la gaine du paysan, mais qui s’en détire comme le lion de Milton de son argile, et qui respire à pleines narines la civilisation qui s’en vient vers son pays et pour laquelle il est plus fait que les autres hommes qui l’entourent. Placé sur la frontière des deux mondes, Espérit (nous aimons ce nom presque symbolique), est, de fait, l’esprit même, l’intuition, le pressentiment, la vie plus haut, l’art et ses divinations. […] Dans la littérature contemporaine, nous ne connaissons rien de plus habilement et de plus finement tracé que ce caractère d’Espérit, ce génie de village venu en pleine terre et qui n’est pas seulement le génie de l’industrie, moins étonnant et tout de suite compris parmi ces populations actives et âprement utilitaires, mais le génie, l’inutile et contemplatif génie de l’art, cette divine paresse, que, de tous les genres de génie qu’il a donnés aux hommes, Dieu a fait certainement le plus beau !

/ 3057