/ 1894
42. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre IX. Seconde partie. Nouvelles preuves que la société a été imposée à l’homme » pp. 243-267

Si l’industrieux Batave cesse un instant de réparer les digues qu’il sut élever à force de courage et d’art, bientôt la mer retombera de tout son poids, et les villes ne seront plus que d’affreux récifs, ou des phares pour les navigateurs. […] Nous trouvons un instant où la puissance guerrière et la puissance commerçante se sont disputé l’empire du monde. […] Les lois physiques ont été établies par Dieu au commencement ; et l’univers continue d’exister, soit par la persistance de ces lois premières, soit par un soin providentiel de tous les instants pour la durée et la continuelle existence de ces lois. […] L’ère nouvelle n’est donc point, comme on l’a cru, celle de la liberté civile, ni même celle de l’égalité devant la loi, et de l’admissibilité de tous à tous les emplois : c’est l’ère de l’indépendance et de l’énergie de la pensée ; celle des lois écrites substituées aux lois traditionnelles ; celle des institutions sociales et des institutions religieuses marchant sur deux lignes séparées ; celle du bien-être social appliqué à toutes les classes ; celle de la raison humaine devenue adulte, et s’ingérant de décider par sa propre autorité ; celle de la démonstration rigoureuse, qui repousse les axiomes en géométrie et les préjugés en politique ; celle du discrédit des faits antérieurs pris comme base convenue et incontestable ; celle de l’opinion consultée à chaque instant, et à part même de toute conjoncture nouvelle. […] Nous nous arrêterons ensuite quelques instants sur les résultats et les conséquences des idées qu’un tel développement aura fait naître en nous ; mais ce sera toujours sans nous permettre aucun conseil de direction, ni aucune vue pour l’application de ces résultats et de ces conséquences.

43. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre IV. Le rêve »

Elle consiste à garder les yeux fermés quand on se réveille, et à retenir pendant quelques instants le rêve qui va s’envoler — s’envoler du champ de la vision et bientôt aussi, sans doute, de celui de la mémoire. […] Ce sentiment, grandissant d’instant en instant, finit par le réveiller. […] Voilà l’instant à saisir. […] Or, une multitude aussi grande qu’on voudra d’images visuelles peut être donnée tout d’un coup, en panorama ; à plus forte raison tiendra-t-elle dans la succession d’un petit nombre d’instants. […] Qu’une lueur d’espoir s’allume en moi un instant — lueur fugitive, presque inaperçue — mon rêve de la nuit pourra me montrer le malade guéri ; en tous cas je rêverai guérison plutôt que je ne rêverai mort ou maladie.

44. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre VIII. La mécanique cérébrale »

Par quelle série d’états intermédiaires les centres nerveux élémentaires reviendront-ils à cet équilibre un instant perdu ? […] « Il est bien vrai, dit-il, que les changements organiques du cerveau font quelquefois disparaître la mémoire des faits qui se rapportent à certaines périodes ou à certaines classes de mots, tels que les substantifs, les adjectifs ; mais cette perte ne pourrait être expliquée au point de vue matériel qu’en admettant que les impressions se fixent d’une manière successive dans des portions stratifiées du cerveau, ce à quoi il n’est pas permis de s’arrêter un seul instant… La faculté de conserver ou de reproduire les images ou les idées des objets qui ont frappé les sens ne permet pas d’admettre que les séries d’idées soient fixées dans telles ou telles parties du cerveau, par exemple, dans les corpuscules ganglionnaires de la substance grise, car les idées accumulées dans l’âme s’unissent entre elles de manières très-variées, telles que les relations de succession, de simultanéité, d’analogie, de dissemblance, et ces relations varient à chaque instant. » Müller ajoute : « D’ailleurs, si l’on voulait attribuer la perception et la pensée aux corpuscules ganglionnaires et considérer le travail de l’esprit, — quand il s’élève des notions particulières aux notions générales, ou redescend de celles-ci à celle-là, — comme l’effet d’une exaltation de la partie périphérique des corpuscules ganglionnaires relativement à celle de leurs parties centrales ou de leur noyau relativement à leur périphérie, si l’on prétendait que la réunion des conceptions en une pensée ou en un jugement qui exige à la fois l’idée de l’objet, celle des attributs et celle de la copule, dépend du conflit de ces corpuscules et d’une action des prolongements qui les unissent ensemble ; si l’on prétendait que l’association des idées dépend de l’action soit simultanée, soit successive, de ces corpuscules, — on ne ferait que se perdre au milieu d’hypothèses vagues et dépourvues de tout fondement72. » De tout ce qui précède, je ne crois pas qu’il soit bien téméraire de conclure que nous ne savons rien, absolument rien, des opérations du cerveau, rien des phénomènes dont il est le théâtre lorsque la pensée se produit dans l’esprit.

45. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Tout ce que j’ai compris de ma vie du clair-obscur » pp. 26-33

Si dans un tableau la vérité des lumières se joint à celle de la couleur, tout est pardonné, du moins dans le premier instant. […] Peintres, donnez quelques instants à l’étude de la perspective ; vous en serez bien récompensés par la facilité et la sûreté que vous en retrouverez dans la pratique de votre art. […] C’est l’instant du jour, la saison, le climat, le site, l’état du ciel, le lieu de la lumière qui en rendent le ton général fort ou faible, triste ou piquant.

46. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre premier. De la louange et de l’amour de la gloire. »

ôtez-la de dessus la terre ; tout change : le regard de l’homme n’anime plus l’homme ; il est seul dans la foule ; le passé n’est rien ; le présent se resserre ; l’avenir disparaît ; l’instant qui s’écoule périt éternellement, sans être d’aucune utilité pour l’instant qui doit suivre. […] Dès que le mérite parut, l’envie naquit, et la persécution se montra ; mais au même instant la nature créa la gloire, et lui ordonna de servir de contrepoids au malheur.

47. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre IV. Shakspeare. » pp. 164-280

Ne pouvez-vous attendre un instant ? […] Un instant après, c’est contre quatre hommes. […] lumière d’un instant ! […] Elle vous a fait un instant illusion, c’est assez. […] Le besoin de chanter devient si pressant, qu’un instant après les chansons naissent d’elles-mêmes.

48. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Contes — IX. Chassez le naturel… »

De temps à autre, le singe se grattait de brefs coups de patte saccadés et le lièvre, qui redoute sans cesse d’être surpris par quelque ennemi de sa race, ne pouvait s’empêcher à tout instant de tourner la tête tantôt d’un côté, tantôt de l’autre. […] Quant au lièvre, il éprouvait de vives angoisses au sujet de sa sûreté depuis qu’il ne pouvait plus lancer à tout instant des coups d’œil furtifs vers chacun des points de l’horizon.

49. (1899) L’esthétique considérée comme science sacrée (La Revue naturiste) pp. 1-15

Et n’est-ce pas par leur entremise qu’il nous est aussi arrivé de faire oraison sur la terre à tout instant ? […] Quoi qu’il en soit, il est certain que la révélation de Dieu se fait par la littérature à tout instant. […] et si nous nous laissions amoindrir à tout instant ? […] Ne perdons pas une minute, car tout instant porte son bien.

50. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « De la question des théâtres et du Théâtre-Français en particulier. » pp. 35-48

Un théâtre offre aux yeux en même temps qu’aux oreilles quelque chose de vif, de sensible, d’immédiat ; il peut en résulter des conséquences telles, que les pouvoirs publics aient à y intervenir à chaque instant, comme on a le droit d’éteindre un incendie. […] Et c’est pour cela qu’on doit tant en vouloir à ceux qui ne négligent rien pour rendre Paris inhabitable et sauvage : laissez-les un instant à l’œuvre ; ce sont gens à faire baisser tout le niveau de la civilisation humaine en quelques jours, en quelques heures. […] Après 1814, la Comédie-Française eut à peine un instant d’éclipse ; durant toute la Restauration, nous l’avons vue briller du plus vif et du plus pur éclat. […] Est-ce dans l’intérêt même des auteurs et des théâtres, qui peuvent à tout instant (et nous en avons des exemples) être entraînés à des essais compromettants qu’il faut retirer ensuite, et qu’un peu de prudence eut fait éviter ?

51. (1767) Salon de 1767 « Dessin. Gravure — Cochin » p. 332

Quelle folie de chercher à caractériser autour d’un fait, d’un instant individuel, l’intervalle d’un règne ! […] Rends-moi bien cet instant ; laisse là tous ces monstres symboliques ; surtout donne de la profondeur à ta scène ; que tes figures ne soient pas à mes yeux des cartons découpés, et tu seras simple, clair, grand et beau.

52. (1867) Cours familier de littérature. XXIII « cxxxve entretien. Histoire d’un conscrit de 1813. Par Erckmann Chatrian »

Goulden, après avoir rêvé quelques instants, se mit à sourire. […] Mais au bout d’un instant, Catherine, joignant les mains, soupira tout bas : « Oh ! […] Un instant M.  […] … » Alors je me retournai ; nous nous jetâmes dans les bras l’un de l’autre, et quelques instants encore nous restâmes ainsi, sanglotant. […] J’aurais bien voulu m’arrêter là quelques instants ; mais la troupe marchait, il fallut suivre.

53. (1867) Cours familier de littérature. XXIII « cxxxiiie entretien. Littérature russe. Ivan Tourgueneff »

va-t’en ; — lui dit-il, après un instant de silence, et ayant repris sa physionomie habituelle, il sonna. […] Nous nous enfonçâmes dans le foin et quelques instants après nous dormions l’un et l’autre d’un profond sommeil. […] Je connaissais le moyen de lui faire passer quelques instants agréables. […] Après avoir gardé le silence pendant quelques instants, Iakof regarda autour de lui et se couvrit la figure avec la main. […] À chaque instant on se sent une larme au bord de la paupière.

54. (1874) Premiers lundis. Tome II « Sextus. Par Madame H. Allart. »

C’est ce qu’a fait madame Allart, et cela sans prodiguer les contrastes déclamatoires, sans s’arrêter à chaque instant pour s’étonner et faire remarquer, mais par le simple exposé, trop simple même et trop écourté souvent, de cette société qu’elle a observée à loisir. […] Et puis, dans toute espèce de roman, même le plus élevé, le plus sérieux, le plus digne, n’y a-t-il pas lieu, par instante aussi rares qu’on voudra, mais quelquefois enfin, à s’asseoir, à s’oublier, à s’épanouir ?

55. (1890) L’avenir de la science « A. M. Eugène Burnouf. Membre de l’Institut, professeur au Collège de France. »

Mais, si la science est la chose sérieuse, si les destinées de l’humanité et la perfection de l’individu y sont attachées, si elle est une religion, elle a, comme les choses religieuses, une valeur de tous les jours et de tous les instants. […] Or, s’il en était ainsi, si la science ne constituait qu’un intérêt de second ordre, l’homme qui a voué sa vie au parfait, qui veut pouvoir dire à ses derniers instants : « J’ai accompli ma fin », devrait-il y consacrer une heure, quand il saurait que des devoirs plus élevés le réclament ?

56. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — Chapitre VIII »

L’esprit y est, par instants, très vif et très net, quelquefois aussi entaché de blague et sentant l’argot des petits théâtres. […] L’instant d’avant, Jean s’indignait à l’idée de vendre son nom aux enchères du mariage d’argent ; un coup de baisse abat sa fortune de cartes, bâtie sur le terrain mouvant de la Bourse. […] Ce premier acte est un peu froid et tourne un peu court ; le joli passage où Fanny laisse échapper son chaste secret l’a un instant ranimé : il y jette la chaleur et la clarté d’un rayon. […] C’est pourquoi le duo du suicide rêvé un instant par M.  […] » Des applaudissements enthousiastes ont salué cette scène si simple et si grande où deux belles âmes, un instant en lutte, s’accordent dès que le devoir leur montre sa voie.

57. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre x »

… Ce qui m’adoucit toujours toute épreuve, c’est de vivre si près de la nature à tout instant et de la connaître mieux qu’aucun civlot ne le fit jamais. […] Bien des réalités de l’ordre spirituel, qui n’étaient que des fantômes, sont devenues chair et vie, par une expérience à chaque instant renouvelée. […] En ces heures où, à chaque instant, on expose sa vie, ils se montrent tels qu’ils sont, n’ayant plus la forfanterie du bien ni du mal. […] » à cet instant superbement tragique où l’on joue sa vie, je songerai à vous, soyez-en sûre : « En avant, les gars ! […] Toutes les mains en un instant se sont levées, et ce n’était qu’un seul cri : « Moi, moi ! 

58. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Le mariage du duc Pompée : par M. le comte d’Alton-Shée »

comment ne pas être tenté à tout instant et en chaque occasion de retomber, même quand on aurait cru dans un temps, et sous une influence bienfaisante, trouver la guérison morale et le bonheur ? […] M. de Noirmont se trouve à propos dans le parc pour les recevoir à leur arrivée et pour essuyer le premier choc : elles ignorent tout ce qui s’est passé, et que le duc Pompée est marié, et qu’il a nom désormais le comte Herman, et qu’il est converti à la vie régulière, amoureux de sa femme… Noirmont les informe et les instruit ; un instant, il essaye de décourager Pompéa et de lui ôter l’idée de revoir celui à qui elle doit tout. […] Je ne demande que la faveur de lui parler un instant ; pour l’obtenir, je m’adresserais à sa femme elle-même. » Noirmont n’insiste plus : il comprend qu’il vaut mieux pour Herman, puisqu’il faut tôt ou tard la rencontrer, revoir cette fois Pompéa, et à l’instant même, et livrer résolument le grand combat ; car c’est bien de ce côté que se présente la bataille rangée et que va être le fort du péril ; le reste n’est rien ou servira plutôt de diversion et de secours ; la coquetterie avec la future belle-sœur n’est qu’une escarmouche plus vive qu’effrayante, entamée à peine ; mais revoir Pompéa belle, jeune, ayant les droits du passé, dans la plénitude de la vie, à l’âge de vingt-six ans, avec ce je ne sais quoi d’impérieux et de puissant qu’une première douleur ajoute à la passion et à la beauté… le danger est là, danger d’une reprise fatale ; et, en pareil cas, mieux vaut affronter une bonne fois, qu’éluder. […] L’instant d’après, l’occasion lui venant jeter sous la main Lisette, la fille du jardinier, il propose à la petite un rendez-vous dans le parc pour minuit. […] Au milieu des vérités d’observation et d’expérience dont cette pièce est semée et qui sont exprimées d’une touche ferme et sans prétention, il y a donc, contrairement à plus d’un exemple à la mode, une veine de sentiment et de bonne nature ; il s’y rencontre à tout instant, à travers les faiblesses, de bonnes fibres en jeu.

59. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Madame de Maintenon. » pp. 369-388

Placée dans un couvent à Niort, puis à Paris, élevée par charité, la jeune d’Aubigné, devenue tout à fait orpheline, connut à chaque instant tout le poids de la dépendance. […] Quand, plus tard, elle sera devenue la personne indispensable de l’intérieur de Versailles, la compagne du roi, la ressource des princes, celle dont nul dans la famille royale ne pouvait se passer un seul instant, elle se montrera capable de miracles en fait de sujétion et d’ennui. […] Une femme de cœur et franche du collier n’aurait accepté ni supporté un tel rôle un seul instant. […] Humainement, elle remplit ses instants, elle amusa tant qu’il y eut moyen et combla ses heures, et, une fois entrée dans la famille royale, elle y apporta, avec un surcroît de zèle et d’exactitude, cette inépuisable multiplication d’elle-même qu’elle avait portée plus jeune chez les Montchevreuil, les Heudicourt, les Richelieu. […] Cette conduite, qui lui a été reprochée, prouve une seule chose : elle était de ces femmes qui, dans ces instants de séparation et d’adieu suprême, s’en remettent à leur confesseur encore, plutôt que de prendre conseil de leur cœur.

60. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre II. De l’ambition. »

L’action de l’espérance embellit tellement tous les caractères, qu’il faut avoir bien de la finesse dans l’esprit, et de la fierté dans le cœur, pour démêler et repousser les sentiments que votre propre pouvoir inspire : si vous voulez donc aimer les hommes, jugez-les pendant qu’ils ont besoin de vous ; mais cette illusion d’un instant est payée de toute la vie. […] Dans les situations communes de la vie, on se fait illusion sur son propre mérite ; mais un sentiment actif fait découvrir à l’ambitieux la mesure de ses moyens, et sa passion l’éclaire sur lui-même, non comme la raison qui détache, mais comme le désir qui s’inquiète ; alors, il n’est plus occupé qu’à tromper les autres, et pour y parvenir, il ne se perd pas de vue ; l’oubli d’un instant lui serait fatal, il faut qu’il arrange avec art ce qu’il sait, et ce qu’il pense, que tout ce qu’il dit ne soit destiné qu’à indiquer ce qu’il est censé cacher : il faut qu’il cherche des instruments habiles, qui le secondent, sans trahir ce qui lui manque, et des supérieurs pleins d’ignorance et de vanité, qu’on puisse détourner du jugement par la louange ; il doit faire illusion à ceux qui dépendent de lui par de la réserve, et tromper ceux dont il espère par de l’exagération. […] La gloire d’un grand homme jette au loin un noble éclat sur ceux qui lui appartiennent ; mais les places, les honneurs dont disposait l’ambitieux atteignent à tous les intérêts de tous les instants. […] Non : jamais un effort impuissant ne laisse revenir au point dont il voulait vous sortir, la réaction fait redescendre plus bas ; et le grand et cruel caractère des passions c’est d’imprimer leur mouvement à toute la vie, et leur bonheur à peu d’instants.

61. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface du « Roi s’amuse » (1832) »

Certes, si nous daignions descendre encore un instant à accepter pour une minute cette fiction ridicule, que dans cette occasion c’est le soin de la morale publique qui émeut nos maîtres, et que, scandalisés de l’état de licence où certains théâtres sont tombés depuis deux ans, ils ont voulu a la fin, poussés à bout, faire, à travers toutes les lois et tous les droits, un exemple sur un ouvrage et sur un écrivain, certes, le choix de l’ouvrage serait singulier, il faut en convenir, mais le choix de l’écrivain ne le serait pas moins. […] Cependant, à n’envisager la question pour un instant que sous le point de vue privé, la confiscation censoriale dont il s’agit cause encore plus de dommage peut-être à l’auteur de ce drame qu’à tout autre. […] C’est un de ces instants de fatigue générale où tous les actes despotiques sont possibles dans la société même la plus infiltrée d’idées d’émancipation et de liberté. […] Quand cela sera fait, quand il aura rapporté chez lui, intacte, inviolable et sacrée, sa liberté de poëte et de citoyen, il se remettra paisiblement à l’œuvre de sa vie dont on l’arrache violemment et qu’il eut voulu ne jamais quitter un instant.

62. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « II — Se connaître »

L’évolution du monde pourrait s’accomplir en dehors de nous, sans troubler un instant la sérénité de notre optimisme. […] La première est pratiquée par une foule de paisibles citoyens, à célébration lente et restreinte, ancrés dans un optimisme national atavique qui ne leur permet pas de douter un seul instant de la supériorité de la mère-patrie sur toute nation passée, présente ou future, supériorité pour eux indubitable, inébranlable, indiscutable, historique et légendaire, écrasante, immuable, inscrutable autant qu’un dogme ou qu’une loi de nature existant de toute éternité. […] Il faut que la réalité soit bien écrasante pour qu’elle ait pu un instant dominer l’intense sentiment nationaliste épanoui au cœur de ces trois hommes. […] Toute nation qui pense à s’endormir sur les lauriers acquis est, dès cet instant, condamnée à la décadence et à la mort.

63. (1874) Premiers lundis. Tome II « Henri Heine. De la France. »

Heine est plutôt celui d’un poète que celui de tout le monde ; il n’a pas seulement de ces traits inattendus, saisissants, courts, de ces rapports neufs et piquants qu’un mot exprime et enfonce dans la mémoire ; il a, à un haut degré, l’imagination de l’esprit, le don des comparaisons singulières, frappantes, mais prolongées, mille gerbes, à tout instant, de réminiscences colorées, d’analogies brillantes et de symboles. […] Béranger, dans la préface de ses dernières chansons, a montré à merveille comment on pouvait condenser le plus de comparaisons et d’images poétiques, sans cesser un seul instant d’être limpide, facile et logique. […] Je crois que l’artiste ne peut trouver dans la nature tous ses types, mais que les plus remarquables lui sont révélés dans son âme comme la symbolique innée d’idées, et au même instant. » Et il ajoute avec justesse que Decamps a le droit de répondre au critique qu’il a été, en peignant, fidèle à la vérité fantastique, à l’intention d’un rêve, à la vision nocturne de ces figures sombres courant sur un fond clair.

64. (1875) Premiers lundis. Tome III « Profession de foi »

Dans ce grand travail de recherche et d’analyse, le besoin de règle et de plan se faisait à chaque instant sentir. […] Mais c’était un tour de force, un équilibre de jour en jour plus instable ; l’association qu’un principe purement négatif unissait se relâchait à chaque instant davantage ; le chef lui-même se lassait à la peine : aussi dès que le triomphe du principe arriva, dès que le drapeau de liberté, reprenant ses vraies couleurs, flotta par toute la France, le chef actif sentit le besoin du repos, et l’association politique se rompit. […] Nous désirions qu’il prît la tête du progrès ; qu’il ne laissât pas la société, un instant unie dans une sympathie héroïque, se débander de nouveau et se dissoudre ; qu’il gardât, quelque temps du moins, leur prestige à ces idées de liberté qui n’avaient pas encore failli.

65. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Note sur les éléments et la formation de l’idée du moi » pp. 465-474

Un peu plus tard, à Genève, je m’accrochais avec terreur au bras de mon ami, me sentant perdu s’il me lâchait un instant. […] D’ailleurs l’idée d’une hémorragie cérébrale ne me préoccupait pas beaucoup ; je me crus plutôt empoisonné ; je le crus même si bien, que je traçai à la hâte quelques mots sur une feuille de papier, indiquant ce que j’éprouvais et craignant de ne plus pouvoir donner des renseignements quelques instants après. […] Sur ce point, presque tous emploient le même langage : « Je me sentais si complètement changé, qu’il me semblait être devenu un autre134 ; cette pensée s’imposait constamment à moi sans que cependant j’aie oublié une seule fois qu’elle était illusoire. » — « Quelquefois il me semble n’être pas moi-même, ou bien je me crois plongée dans un rêve continuel. » — « Il m’a littéralement semblé que je n’étais plus moi-même. » — « Je doutais de ma propre existence, et même par instants je cessais d’y croire. » — « Souvent il me semble que je ne suis pas de ce monde ; ma voix me paraît étrangère, et, quand je vois mes camarades d’hôpital, je me dis à moi-même : “Ce sont les figures d’un rêve.” » — Il semble au malade « qu’il est un automate » ; « il sent qu’il est en dehors de lui-même ». — Il ne « se reconnaît plus ; il lui semble qu’il est devenu une autre personne ».

66. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre XII. Suite des machines poétiques. — Voyages des dieux homériques. Satan allant à la découverte de la création. »

Tantôt il raconte que le char du dieu vole comme la pensée d’un voyageur qui se rappelle, en un instant, les lieux qu’il a parcourus ; tantôt il dit : Autant qu’un homme assis au rivage des mers Voit, d’un roc élevé, d’espace dans les airs, Autant des Immortels les coursiers intrépides En franchissent d’un saut81. […] L’instant où je chante verrait encore sa chute, si l’explosion d’un nuage tumultueux rempli de soufre et de flamme, ne l’eût élancé à des hauteurs égales aux profondeurs où il était descendu.

67. (1910) Muses d’aujourd’hui. Essai de physiologie poétique

Dans son premier recueil, l’Instant Eternel, la poétesse nous dit, avec une très belle sincérités le besoin d’amour de la jeune fille : en vérité, toutes ses pensées sont lourdes du désir de respirer la nudité de l’homme. […] cet instant lyrique où mon âme divague Avec l’universel et fou balbutiement ! […] La poétesse nous restitue, par ses vers, la lumière qui accompagna chacun de ses gestes, avec les nuances des instants, et cette lumière est la réverbération même de son émotion. […] Un autre été est revenu : elle ne veut pas le vivre et ferme ses yeux à la beauté des choses ; sa poésie ne décrit pas sa vision de l’instant, mais l’hallucination du passé qui s’interpose entre elle et la nature. […] Digne de Sapho, ce distique : Dans les jardins où se parfume le silence L’instant fuit avec les pieds blancs d’Atalante.

68. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre VI. La parole intérieure et la pensée. — Second problème leurs différences aux points de vue de l’essence et de l’intensité »

Nous avons déjà remarqué [§ 8] que le souvenir, même immédiat et sans intervalle d’oubli, est en raison directe de l’intensité de l’état dont on se souvient ; pour des états très faibles, le souvenir est impossible ; les traits spécifiques d’une idée, présents un court instant à la conscience, peuvent être alors suffisamment distincts pour satisfaire l’esprit et lui permettre de passer sans remords à une autre idée, sans pourtant l’être assez pour que, l’instant suivant, l’attention, s’attachant à l’idée qui vient de fuir, les retrouve et les reconnaisse296. […] Ces deux effets opposés ne peuvent avoir dans la succession psychique consciente une seule et même cause ; pour que les idées conservent entre elles leurs rapports logiques, il faut que toutes, même les plus effacées, présentent à la conscience leur aspect spécifique, au moins pendant un instant très court, mais non pas nul, et à un degré si faible que l’on voudra, pourvu qu’il soit positif. […] Ce qu’alors l’esprit fait, avec méthode et réflexion, il nous semble qu’il le fait à chaque instant d’une manière instinctive dans l’interprétation de la parole intérieure ou extérieure, c’est-à-dire dans la succession de nos pensées. […] L’habitude est comme l’extinction graduelle du feu par la combustion ; l’attention est comme une force qui ajouterait à chaque instant le combustible nécessaire à l’entretien du feu sacré. […] L’analyse logique, la version, et, en général, tous les exercices qui obligent à réfléchir, prennent les mots comme moyen, les idées comme but ; ils forment l’esprit à aimer ses idées, à les surveiller, à les regarder en toute occasion, soit pour les ranger dans un nouvel ordre et corriger leurs défauts, soit et plus souvent pour leur restituer ce que l’habitude à chaque instant tend à leur enlever d’existence et d’existence distincte.

69. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 43, que le plaisir que nous avons au théatre n’est point produit par l’illusion » pp. 429-434

Nous arrivons au théatre préparez à voir ce que nous y voïons, et nous y avons encore perpetuellement cent choses sous les yeux, lesquelles d’instant en instant nous font souvenir du lieu où nous sommes, et de ce que nous sommes.

70. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Pensées »

retirées, et c’est tout si parfois, à travers les sables, sous l’aride chaleur ou le froid mistral, je trouve un instant à m’asseoir à l’ombre d’un rare tamarin. […] XXII On a besoin de renouveler, de rafraîchir perpétuellement son observation et sa vue des hommes, même de ceux qu’on connaît le mieux et qu’on a peints, sans quoi l’on court risque de les oublier en partie et de les imaginer en se ressouvenant. — Nul n’a droit de dire : « Je connais les hommes. » Tout ce qu’on peut dire de juste, c’est : « Je suis en train de les connaître. » XXIII Assembler, soutenir et mettre en jeu à la fois dans un instant donné le plus de rapports, agir en masse et avec concert, c’est là le difficile et le grand art, qu’on soit général d’armée, orateur ou écrivain. […] La Nécessité, cette grande muse, m’a forcé brusquement d’en changer : cette Nécessité qui, dans les grands moments, fait que le muet parle et que le bègue articule, m’a forcé, en un instant, d’en venir à une expression nette, claire, rapide, de parler à tout le monde et la langue de tout le monde : je l’en remercie.

71. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section II. Des sentiments qui sont l’intermédiaire entre les passions, et les ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre IV. De la religion. »

La vie se passe au-dedans de soi, les circonstances extérieures ne sont qu’une manière d’exercer un sentiment habituel ; l’événement n’est rien, le parti qu’on a pris est tout, et ce parti, toujours commandé par une loi divine, n’a jamais pu coûter un instant d’incertitude. […] À travers tant de dangers, il persista à ne prendre pour guide que les maximes d’une piété superstitieuse ; mais c’est à l’époque où la religion seule triomphe encore, c’est à l’instant où le malheur est sans espoir, que la puissance de la foi se développa toute entière dans la conduite de Louis ; la force inébranlable de cette conviction ne permit plus d’apercevoir dans son âme l’ombre d’une faiblesse ; l’héroïsme de la philosophie fut contraint à se prosterner devant sa simple résignation ; il reçut passivement tous les arrêts du malheur, et se montra cependant sensible pour ce qu’il aimait, comme si les facultés de sa vie avaient doublé à l’instant de sa mort, il compta, sans frémir, tous les pas qui le menèrent du trône à l’échafaud, et dans l’instant terrible où lui fut encore prononcé cette sublime expression : Fils de Saint Louis, montez au Ciel. […] Par-delà ce qui est commandé, tout ce qu’on refuse, est légitime ; la justice dégage de la bienfaisance, la bienfaisance de la générosité, et contents de solder ce qu’ils croient leurs devoirs, s’il arrive une fois dans la vie où telle vertu clairement ordonnée exige un véritable sacrifice ; il est des biens, des services, des condescendances de tous les instants, qu’on n’obtient jamais de ceux qui ayant tout réduit en devoir, n’ont pu dessiner que les masses, ne savent obéir qu’à ce qui s’exprime.

72. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Baudouin » pp. 198-202

Feu notre ami Greuze n’eût pas manqué de prendre l’instant précédent, celui où un père, une mère, envoient leur fille à son époux. […] Ce peintre choisit mal ou son sujet ou son instant, il ne sait pas même être voluptueux. […] Voilà donc en un instant le fruit des veilles du talent le plus rare mis en pièces ; et qui de nous osera blâmer la main honnête et barbare qui aura commis cette espèce de sacrilège ?

73. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre X. Seconde partie. Émancipation de la pensée » pp. 300-314

Dieu ne répète pas à chaque instant l’acte de sa toute-puissance par lequel il créa le monde ; et le monde cependant est une suite de créations successives, qui s’opèrent par l’effet toujours le même de cet acte de la volonté de Dieu. […] De même la parole fut douée, au commencement, d’une puissance et d’une fécondité dont elle ne jouit plus, il est vrai, mais dont les effets se perpétuent encore, Dieu n’a pas besoin de renouveler à chaque instant les miracles de la première création. […] Notre attention a été fixée un instant sur un phénomène bien singulier de nos langues actuelles, qui manquent, avons-nous dit, du sentiment de la continuité d’existence ; et cependant il est impossible qu’un tel sentiment ait jamais été banni des conceptions de la pensée.

74. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Chapitre IV. De la délimitation, et de la fixation des images. Perception et matière. Âme et corps. »

À supposer que le mouvement d’un point à un autre forme un tout indivisé, ce mouvement n’en remplit pas moins un temps déterminé, et il suffit qu’on isole de cette durée un instant indivisible pour que le mobile occupe à ce moment précis une certaine position, qui se détache ainsi de toutes les autres. L’indivisibilité du mouvement implique donc l’impossibilité de l’instant, et une analyse très sommaire de l’idée de durée va nous montrer en effet, tout à la fois, pourquoi nous attribuons à la durée des instants, et comment elle ne saurait en avoir. […] Ne pouvons-nous pas concevoir, par exemple, que l’irréductibilité de deux couleurs aperçues tienne surtout à l’étroite durée où se contractent les trillions de vibrations qu’elles exécutent en un de nos instants ? […] Supposons un instant que la vue ne nous renseigne originairement sur aucune des relations d’espace. […] Relégué dans l’espace, et dans l’espace abstrait, où il n’y a jamais qu’un instant unique et où tout recommence toujours, le mouvement renonce à cette solidarité du présent et du passé qui est son essence même.

75. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Le président Jeannin. — I. » pp. 131-146

Mais quand tout s’écroule et se renouvelle, quand les institutions antiques tombent en ruines et que l’état futur n’est pas né, que toutes les règles de conduite et d’obéissance sont confondues, que la justice et le droit hésitent entre les cupidités, les intérêts révoltés qui courent aux armes, c’est alors que le don de sagesse est bien précieux en quelques-uns, et que les hommes qui le possèdent sont bientôt appréciés des chefs dignes de ce nom, qu’ils sont appelés, écoutés longtemps en vain et en secret, qu’ils ne se lassent jamais (ce trait est constant dans leur caractère), qu’ils attendent que l’heure du torrent et de la colère soit passée pour les événements et pour les hommes, et qu’habiles à saisir les instants, à profiter du moindre retour, ils tendent sans cesse à réparer le vaisseau de l’État, à le remettre à flot avec honneur, à le ramener au port, non sans en faire eux-mêmes une notable partie et sans y tenir une place méritée. […] Cela fut cause que je demeurai, à sa très instante prière, près de lui ; car, encore qu’il sût bien mon inclination à la paix et que j’étais obligé à servir le roi, il ne laissa pourtant de prendre cette assurance de ma franchise que je ne servirais pas d’un espion près de lui pour le tromper. […] Dans tous les actes de modération ou de sage vigueur du duc de Mayenne aux instants critiques de la Ligue, il est facile de sentir l’influence du président. […] C’est sur un esprit d’une trempe si inégale que le président Jeannin avait à agir, à opérer avec lenteur, à revenir vingt fois à la charge pour saisir les bons instants.

76. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Mélanges religieux, historiques, politiques et littéraires. par M. Louis Veuillot. » pp. 44-63

Veuillot a dit qu’une citation de Voltaire « se place tout naturellement dans la bouche des sots. » — Et puis, je plaisante ; car, lui-même, dans les courts instants où il n’a voulu être que littérateur, je l’ai trouvé, pour mon compte, très-indulgent. […] Balzac imagine et invente beaucoup plus dans ses portraits de provinciaux ; il surcharge et surajoute à tout instant : M.  […] Est-il possible de venir afficher à tout instant comme modèle, de proposer pour remède, ses recettes morales, ses pratiques dévotieuses, le secret des confessionnaux et des oratoires, devant des esprits, sensés d’ailleurs, quoique très-divers d’opinions, qui trouvent cela au moins de mauvais goût, ou qui se révoltent de la prétention et s’en irritent ? […] Mais faut-il transporter ce scandale, le risquer et le multiplier à proposde tout, à chaque instant et sur chaque point de la société, et sous sa forme la plus offensive, la plus provocante ?

77. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Térence. Son théâtre complet traduit par M. le marquis de Belloy »

Et ce n’est qu’ainsi qu’on peut bien goûter les poètes anciens ; il ne suffit pas de les comprendre, de les lire purement et simplement comme on consulterait un texte, et de passer outre ; il faut avoir vécu avec eux d’un commerce aisé, continuel et de tous les instants : Nocturna versale manu… Or les traductions en vers qui, pour les ignorants et les non doctes, étaient une dispense de remonter au-delà, devenaient un prétexte, au contraire, et une occasion perpétuelle pour les gens instruits, un peu paresseux (comme il s’en rencontre), de revenir à la source, et d’y revenir tout portés sur un bateau. […] » — Pour le bien expliquer, il faut, dit le père, reprendre les choses dès l’origine. » Et ici commence tout un récit fort admiré des Anciens, proposé comme un modèle de narration aux orateurs eux-mêmes par Cicéron, qui y fait remarquer le développement approprié, le mouvement dramatique, le parfait naturel des personnages introduits et des paroles qu’on leur prête, et, par instants, mais par instants seulement, la brièveté excellente, qui à toute cette abondance persuasive ajoute une grâce. […] C’est à ce moment que cette sœur éplorée s’étant approchée imprudemment trop près de la flamme, Pamphile éperdu, hors de lui, s’élance, déclarant en cet instant tout cet amour si longtemps caché ; il accourt, il saisit la femme par le milieu du corps : « Ma chère Glycère, s’écrie-t-il, que fais-tu ?

78. (1894) Propos de littérature « Chapitre III » pp. 50-68

  Il faut aimer les midis sur la mer et l’été dans les champs, il faut aimer l’instant ébloui où, à travers notre humide septentrion, tous les rayons unissent leurs triomphales merveilles, pour goûter ensuite leurs dégradations perdues et faire vibrer les sensations du plein air. […] Mais le geste particulier, le mouvement qui indique l’état d’âme d’un instant laissent croire qu’une action nouvelle suivra l’instant d’après, avec son geste et son mouvement nouveaux ; il y a en eux de l’inachevé et lorsqu’ils se montrent dans la sculpture surtout, ils contredisent l’essence de cet art en un rythme qui suppose le temps11. […] Il y a, chez l’auteur des Cygnes, des lignes un instant arrêtées en silhouette radieuse, bientôt fondues.

79. (1888) Journal des Goncourt. Tome III (1866-1870) « Année 1870 » pp. 321-367

me répondit-il, après quelques instants de silence. […] Dimanche 12 juin Ayant besoin de dévorer à l’aise mon désespoir, je l’ai abandonné, un instant, dans le jardin, et me suis promené dans les allées de la villa ; mais bientôt le bruit joyeux des assiettes, le rire des enfants, la gaîté perçante des femmes, le bonheur de ces dîneurs en plein air, m’ont chassé chez moi. […] … » Suivit bientôt un instant de calme, de tranquillité, ses regards doux, sourieurs fixés sur moi… Je crus à une crise semblable au mois de mai… Mais tout à coup, il se renversa la tête en arrière, et poussa un cri rauque, guttural, effrayant, qui me fit fermer la fenêtre. […] Il y avait de rapides instants, où ses yeux errants, courants, s’arrêtaient sur mes yeux, sur ceux de Pélagie, et semblaient nous reconnaître par un regard, une seconde, obstinément fixé sur nous, avec un sourire effacé de la physionomie… mais bien vite ils étaient emportés vers les visions terribles ou riantes. […] Les yeux du mourant, s’il lui était accordé un instant de reconnaissance des siens, ne doivent pas rencontrer une figure étrangère.

80. (1907) L’évolution créatrice « Chapitre I. De l’évolution de la vie. Mécanisme et finalité »

Car notre durée n’est pas un instant qui remplace un instant : il n’y aurait alors jamais que du présent, pas de prolongement du passé dans l’actuel, pas d’évolution, pas de durée concrète. […] Notre personnalité, qui se bâtit à chaque instant avec de l’expérience accumulée, change sans cesse. […] Il n’y a pas, il ne peut pas y avoir d’instant immédiatement antérieur à un instant, pas plus qu’il n’y a de point mathématique contigu à un point mathématique. L’instant « immédiatement antérieur » est, en réalité, celui qui est relié à l’instant présent par l’intervalle dt. […] En ce sens on pourrait dire de la vie, comme de la conscience, qu’à chaque instant elle crée quelque chose 10.

81. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Entretiens de Gœthe, et d’Eckermann »

Porchat attendent, l’un ou l’autre, le signal : l’honorable éditeur qui est leur ami a différé jusqu’ici de le donner et de croire l’instant propice ; et il sait mieux que personne ces sortes d’instants. […] Peu d’instants après, Gœthe prévenu arrive « en redingote bleue et en souliers. » — « Noble figure ! […] À Paris on a tout sous la main et à tout instant ; on est informé, éveillé, excité, au risque d’en être harcelé ; on se sent dérouillé avant d’être rouillé, et au risque d’en être usé. […] Énumérons un peu : — Riemer, bibliothécaire, philologue, helléniste : avec lui Gœthe revoit ses ouvrages au point de vue de la langue et cause de littérature ancienne ; — Meyer, peintre, historien de l’art, continuateur et disciple de Winckelmann : avec lui, Gœthe causera peinture et se plaira à ouvrir ses riches portefeuilles où il fait collection de dessins et de ce qui est parfait en tout genre ; — Zelter, musicien : celui-là est à Berlin, mais il ne cesse de correspondre avec Gœthe, et leur correspondance (non traduite) ne fait pas moins de six volumes ; Zelter tient Gœthe au courant des nouveautés musicales, des talents et des virtuoses de génie, et, entre autres élèves célèbres, il lui envoie un jour Mendelssohn, « l’aimable Félix Mendelssohn, le maître souverain du piano », à qui Gœthe devra des instants de pure joie par une belle matinée de mai 1830 ; — puis Coudray encore, un architecte, directeur général des bâtiments à la cour.

82. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE PONTIVY » pp. 492-514

Il la put voir quelques instants du fond de l’entrée, avant qu’elle l’aperçut. […] Mme de Pontivy remarquait par instants ce peu de rayonnement d’un cœur au fond si pénétré, et elle lui en faisait des plaintes tendres qu’apaisaient bientôt de parfaites paroles ou mieux des soupirs brûlants ; et puis, son propre soleil, à elle, couvrait tout. […] Aux raisonnements aimables de M. de Murçay, Mme de Pontivy, charmée par instants et souriant en toute complaisance, répondait que c’était juste, mais au fond ne de meurait pas convaincue. […] En ces instants de vrai délire, elle était capable de tout témoignage. […] Après plus d’une heure d’attente et de propos saccadés, frivoles, par où s’exhalait une irritation étouffée, après avoir essuyé quelques traits de Mme de Noyon, et avoir fait une espèce de paix suffisante pour le moment, M. de Murçay, allant droit à Mme de Pontivy, toujours entourée, lui dit assez haut pour que sa voisine du coin de la cheminée l’entendît, qu’il désirait l’entretenir quelques instants de ce qu’elle savait, et qu’il lui en demandait la faveur avant qu’elle se retirât. « Certainement, » répondit Mme de Pontivy ; et la voisine, qui voulut bien comprendre à demi, se leva après quelques minutes.

83. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Madame Necker. » pp. 240-263

Placée, dès les premiers mois de son arrivée en France, à la tête d’une maison où elle recevait ce qu’il y avait de plus en vogue parmi les gens de lettres de Paris, jalouse d’y suffire et y parvenant, émule et disciple de Mme Geoffrin, elle eut à prendre sans cesse sur elle, sur sa santé, sur ses habitudes chéries, sur ses autres goûts : Je dois à cette occasion vous faire un aveu, écrivait-elle en 1771 à une amie de Suisse, c’est que, depuis le jour de mon arrivée à Paris, je n’ai pas vécu un seul instant sur le fonds d’idées que j’avais acquises ; j’en excepte la partie des mœurs, mais j’ai été obligée de refaire mon esprit tout à neuf pour les caractères, pour les circonstances, pour la conversation. […] il sera sûr de s’amuser toute sa vie. » Si elle est un peu trop atteinte par le goût de l’esprit et de l’analyse, qui est la maladie du temps, elle s’en détache par une inspiration plus haute et qui domine les erreurs du goût : « L’instant présent et Chacun pour soi, voilà, dit-elle, les deux devises du siècle ; elles rentrent l’une dans l’autre. […] Je crois le voir environné de toutes nos heures, et je cherche auprès de lui et les instants et les personnes qui semblent ne plus exister pour nous : alors mon âme se calme ; ma pensée errante et désolée trouve un asile. […] Un jour pourtant (elle venait d’avoir trente-cinq ans), elle laisse échapper comme une plainte légère : J’ai bien de la peine, écrit-elle à une amie, à m’habituer à tous changements ; l’âge, qui vient si lentement en apparence, m’a surprise précisément par cette marche sans bruit ; je crois être dans un monde nouveau, et je ne sais si l’instant de ma jeunesse fut un songe, ou si c’est à présent que le rêve commence. […] J’ai voulu montrer cet exemple singulier d’une certaine éloquence onctueuse et solennelle, bien singulier exemple en effet, si l’on songe qu’il est sorti de la dernière moitié du xviiie  siècle, du milieu de cette société en proie à la dissolution, et qu’il vient d’une personne qui y vécut trente années sans se laisser entamer un seul instant ni atteindre.

84. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « I — L’art et la sexualité »

Pour ce raffiné dilettante, jouir d’une chose importe peu : c’est la méthode à suivre pour n’en pas jouir, qui occupe tous ses instants. […] C’est ce que nous constatons à chaque instant dans la réalité. […] Panizza : « La cohabitation sexuelle, dit-il, fait table rase dans l’âme, ne laisse aucun germe et détruit ce qui existait auparavant… Le suprême enthousiasme de la vie est détruit, corrompu par cet instant… Il est incontesté que l’assouvissement sans bornes des appétits sexuels engourdit chez l’homme les forces intellectuelles, en tous cas ne les augmente pas ». Il est trop évident que dans l’instant qui suit l’acte sexuel, l’être humain, secoué dans ses fondements, subit un affaissement momentané, une sorte de semi-conscience passagère, une « annihilation de l’âme », si l’on veut, comme après toute fatigue musculaire d’ailleurs. […] Malgré la distance considérable qui sépare la nutrition de la copulation, il n’est pas impossible de comparer un instant ces deux fonctions de l’animal humain dans leur rapport avec la pensée.

85. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section III. Des ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre premier. Que personne à l’avance ne redoute assez le malheur. »

Les tragédies, les ouvrages d’imagination, vous représentent l’adversité comme un tableau où le courage et la beauté se déploient ; la mort, ou un dénouement heureux terminent, en peu d’instants, l’anxiété qu’on éprouve. […] Les indifférents, les connaissances intimes mêmes, vous représentent, par leurs manières avec vous, le tableau raccourci de vos infortunes : à chaque instant, les mots, les expressions les plus simples, vous apprennent de nouveau ce que vous savez déjà, mais ce qui frappe à chaque fois comme inattendu ; si vous faites des projets, ils retombent toujours sur la peine dominante ; elle est partout, il semble qu’elle rende impraticable les résolutions mêmes qui doivent y avoir le moins de rapport ; c’est contre cette peine alors qu’on dirige ses efforts, on adopte des plans insensés pour la surmonter, et l’impossibilité de chacun d’eux, démontrée par la réflexion, est un nouveau revers au-dedans de soi.

86. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Remarque finale. Le Temps de la Relativité restreinte et l’Espace de la Relativité généralisée »

À chaque instant, un univers de Relativité restreinte est tangent à l’Univers de la Relativité généralisée. […] Descartes ramenait la matière — considérée dans l’instant — à l’étendue : la physique, à ses yeux, atteignait le réel dans la mesure où elle était géométrique.

87. (1927) Quelques progrès dans l’étude du cœur humain (Freud et Proust)

Arrivera-t-il jusqu’à la surface de ma claire conscience, ce souvenir, l’instant ancien que l’attraction d’un instant identique est venue de si loin solliciter, émouvoir, soulever tout au fond de moi ? […] Pendant un instant elle ne fit que frapper d’irréalité tout ce qui m’entourait. […] Aucune apparence psychologique ne l’arrête, ne fût-ce qu’un instant, à elle-même, ne se présente à lui comme opaque et suffisante. […] Tenons-nous en pour l’instant au simple domaine pratique. […] Mais laissons ce point pour l’instant.

88. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre deuxième. La connaissance des corps — Chapitre II. La perception extérieure et l’éducation des sens » pp. 123-196

Son existence se prolonge ainsi indéfiniment en avant et en arrière, et la même en tous ces instants distincts. […] Mais, un instant après, il dit la même chose d’un petit carton carré, puis d’un autre, triangulaire. […] Or nous pouvons imaginer ces mouvements avec une vitesse extrême ; nous pouvons donc ainsi avec cette seule ressource concevoir plusieurs lignes, partant une surface, et même un solide entier, presque en un instant. […] En un instant, par une simple diminution de la convergence des yeux, nous jugeons qu’un objet est de vingt pas plus éloigné qu’un autre. En un instant, par un simple mouvement continu de l’œil, nous jugeons que telle surface est carrée ou triangulaire.

89. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La marquise de Créqui — III » pp. 476-491

Ces lettres, en effet, ne sont le plus souvent que des billets, mais ce sont des billets parlants ; on n’a nulle part mieux le ton de la conversation qui se faisait l’instant d’avant ou l’instant d’après. « Retirez-vous, polisson ! […] Et Garat, « qui s’est fait député du Tiers, et qui va être de l’Académie : c’est un pauvre mérite que ce Garat » ; — et le Chamfort, quelle force bel et bien de rétracter une de ses atrocités sur une pauvre morte qui n’est plus là pour se défendre ; — et le Raynal, dont elle se prive très volontiers à la lecture : « Je ne connais que sa conversation, très fatigante, et ses prétentions, très satisfaites : mon âme est naturellement chrétienne, et tout ce qui me ferait perdre ce sentiment, si cela était possible, il m’est facile de m’en abstenir » ; — et Cérutti, qui avait alors son instant de lueur et jetait sa première et dernière étincelle : L’administrateur Cérutti vient d’achever sa rhétorique : il promettait beaucoup, il y a vingt ans ; il n’a pas fait un pas depuis ce temps-là. […] Plus rien de libre ni de léger ; comme chez les fabuleux Phéaciens, ce qui l’instant d’auparavant était le navire ailé qui allait et venait sans cesse et volait aussi vite que la pensée, s’était tout d’un coup changé en un rocher fixe, en une écrasante montagne qui barrait la vue et couvrait la ville d’effroi.

90. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Légendes françaises. Rabelais par M. Eugène Noël. (1850.) » pp. 1-18

Causer avec Rabelais, si on le pouvait en effet, s’il était donné de le saisir un instant tel qu’il fut en réalité, et de l’entendre, que ne donnerait-on point pour cela ? […] La personne de l’homme, si noble de prestance et si vénérable qu’elle pût être au premier aspect, devait par instants s’animer et se réjouir aux mille saillies de ce génie intérieur, de cette belle humeur irrésistible qui s’était jouée dans son roman, ou plutôt dans son théâtre. […] Si j’ai péri d’une manière infamante, voilà qu’en un instant j’obtiens plus que personne n’eût osé espérer de la faveur du grand Jupiter. […] , et curé après avoir été moine, Molière venu dans un siècle où tout esprit libre avait à se garder des bûchers de Genève comme de ceux de la Sorbonne, Molière enfin sans théâtre et forcé d’envelopper, de noyer dans des torrents de non-sens, de coq-à-l’âne et de propos d’ivrogne son plus excellent comique, de sauver à tout instant le rire qui attaque la société au vif par le rire sans cause, et il m’a semblé qu’on aurait alors quelque chose de très approchant de Rabelais.

91. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. A. Thiers : Histoire de la révolution française — I. La Convention après le 9 thermidor. »

»On applaudissait un instant ces belles paroles, puis on en revenait aux récriminations. […] A l’instant où on leur prononça l’arrêt, ils remirent au greffier des lettres, des cachets et des portraits destinés à leurs familles. […] A l’instant où il allait recevoir le coup fatal, on s’aperçut que le couteau n’avait pas été remonté ; il fallut disposer l’instrument : il employa ce temps à proférer encore quelques paroles ; il assurait que « nul ne mourait plus dévoué à son pays, plus attaché à son bonheur et à sa liberté. »Depuis le désastre de prairial, le jacobinisme perdit le rang de parti, et retomba à l’état de secte, jusqu’à l’affaire de Gracchus Babeuf, où il acheva de se dissoudre.

92. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « Mme de Girardin. Œuvres complètes, — Les Poésies. »

Il est peut-être, pour la Critique aux besognes routinières, plus piquant de tourner le dos à l’œuvre dernière, qui n’est bien souvent qu’une redite de ce qu’on avait mieux dit déjà, quand le génie, qui monte à chaque œuvre dans une assomption plus haute, n’y est pas, et de s’avancer à travers les succès équivoques et les œuvres laborieusement manquées, vers le premier instant du début heureux, cette fleur d’amandier qui n’a qu’un jour, la première fraîcheur de la source ! […] Quand elle était seulement Delphine Gay, c’était son quart d’heure de poésie, et la femme, encore bien plus que l’homme, n’a que des instants de poésie, des instants qui sont des éclairs !

93. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Ch. Bataille et M. E. Rasetti » pp. 281-294

L’auteur, qui a sa fierté après tout, a beau se mettre de la famille de Noé vis-à-vis des animaux de l’arche, purs ou impurs, il est englobé, à tout instant, par eux. […] Bataille, un instant combattu chez son docteur Quérard, un brave homme auquel il essaie de nous intéresser, et qui fait des choses que la Critique va vous raconter, mais en prenant ses précautions ; l’amour, chez tous les personnages de ce livre sanguin et matériel, ou plutôt la notion même de l’amour, dans la tête de M.  […] L’amour même, comme les auteurs semblent l’admettre un instant, l’amour virginal de Rosette pour le jeune Paul ne la purifie point, ne l’arrache point à l’abominable concubinage dans lequel elle vit avec son beau-frère.

94. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre iv »

A chaque instant correspondra certainement un devoir précis de cet instant : praeceptum Domini lucidum illuminans oculos. […] Le carnet qui les enfermait déposé après les obsèques de Francis chez le pasteur de Reims, a disparu au cours de l’atroce bombardement qui, en quelques instants, a détruit tout le presbytère… »‌ Cette préoccupation de leur responsabilité d’officier hante les jeunes gens, au cours de cette guerre, dès qu’ils entrevoient d’avoir un galon.

95. (1874) Premiers lundis. Tome I « Mémoires sur Voltaire. et sur ses ouvrages, par Longchamp et Wagnière, ses secrétaires. »

Or, il semble dans la nature des choses que, tout immortelle, toute légitime qu’elle soit, une telle renommée doive, un jour ou l’autre, perdre tant soit peu, non pas en estime, non pas en reconnaissance, mais en vogue, en enthousiasme auprès de la postérité ; bien plus, il semble désirable que l’instant arrive, et qu’il arrive au plus tôt, où, la victoire étant décidée et le libre usage de la raison à jamais reconquis, on se mette, sans plus craindre d’être harcelé et distrait, à marcher dans les voies nouvelles plus loin que ses devanciers, et si loin que, tout en les voyant encore et les saluant toujours du regard, on ne les voie plus qu’à distance et dans le passé, environnés d’une consécration à la fois plus auguste et plus calme. Mais, par malheur, cet instant à venir n’existe que dans nos vœux et s’éloigne même de jour en jour dans nos espérances.

96. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — D — Dupont, Pierre (1821-1870) »

La Révolution de 1848 l’a, un instant, détourné de sa voie, mais après les événements il y est vite revenu. […] Pierre Dupont amène l’homme à se réjouir de sa royauté d’un instant ; il lui persuaderait, à force d’optimisme et de bonne humeur, que l’univers se rapporte à lui.

97. (1874) Premiers lundis. Tome I « Mémoires relatifs à la Révolution française. Le Vieux Cordelier, par Camille Desmoulins ; Les Causes secrètes ou 9 thermidor, par Villate ; Précis du 9 thermidor, par Ch.-A. Méda, Gendarme »

A ses instants de loisir, il relisait sans cesse Paul et Virginie, et, après le 10 août ou le 30 mai, il revenait, à son humble foyer, cacher son âme émue dans le sein de sa jeune épouse. […] « La Montagne est inattaquable par le côté droit et le Marais, s’écrie Camille ; elle n’est prenable, comme les Thermopyles, que par les hauteurs. » Effrayé enfin de cette sombre licence dont il a été le promoteur imprudent, il ne se lasse pas de présenter la liberté sous la forme aimable et sage dont il l’a toujours conçue ; il revient à chaque instant à cette idée, on dirait qu’elle l’obsède, et qu’il sent que ce rêve brillant couvrira seul dans l’avenir les taches de sa mémoire.

98. (1866) Cours familier de littérature. XXII « CXXXIe entretien. Littérature russe. Ivan Tourgueneff » pp. 237-315

répliqua Pierre, dont la physionomie avait pris depuis quelques instants une expression marquée de mécontentement. […] — Mais, reprit Boris après un instant de réflexion, qui donc vous plaît ? […] Quelques instants encore s’écoulèrent. […] Quelques instants après, Étienne parvint pourtant à se relever et essaya de marcher dans sa chambre. […] La troupe, assemblée un instant auparavant, se dispersa, à l’exception de quelques enfants et de quelques curieux.

99. (1893) Du sens religieux de la poésie pp. -104

L’œuvre faite dit : Je suis, c’est l’éternisation d’un instant, et des siècles n’y sauraient plus rien changer. […] Quant aux grands poèmes modernes, tels que la Divine Comédie ou le Paradis perdu, ce sont d’admirables suites de petits poèmes séparés par de longs instants de remplissage sensibles dans l’œuvre surtout du poète anglais. […] Il y a un instant (dans ce vaste poème auquel la forme dramatique a permis de tels développements) où le Faust rajeuni adore la Beauté et la choisit pour guide vers la vérité. […] Le monde oscille entre ces deux instants de crise, qui reviennent périodiquement dans la suite de son développement. […] L’autre, au contraire, plus sensuel, risque de tomber dans l’excès d’une sorte de matérialisme mystique et répond mal au désir philosophique de l’instant moderne.

100. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre quatrième. L’idée du temps, sa genèse et son action »

De là un embarras comme celui qu’on éprouve quand on veut construire l’espace avec des points indivisibles : le temps ne saurait davantage se construire avec des instants indivisibles ; c’est là vouloir former le concret avec l’abstrait, les choses réelles avec des limites idéales, les contenus avec les enveloppes qui les contiennent. […] Le présent mathématique est une limite entre le passé qui s’en va et l’avenir qui vient ; or, nous ne pouvons pas percevoir cet instant limite ; le présent de la conscience, encore une fois, est une longueur de temps ; c’est par un artifice qu’on suppose un présent indivisible pour y enfermer la conscience et la délier de sentir la durée. […] Les actions réciproques des phénomènes sont des déterminations mutuelles dans l’espace ; si on dit que la pierre qui tombe accélère son mouvement en fonction du temps, ce n’est réellement point le temps qui agit, ce sont des actions moléculaires qui s’exercent à travers l’espace, qui s’accumulent, qui sont autres aux divers instants du temps, mais indépendamment du temps lui-même. […] Plongez-le à chaque instant dans le fleuve du Léthé, ou supposez que, soit par un arrêt de développement cérébral, soit par une lésion cérébrale, l’animal s’oublie sans cesse lui-même à chaque instant : les images continueront de surgir dans sa tête ; il y aura des liens cérébraux entre ces images et certains mouvements parle seul fait que, une première fois, images et mouvements auront coïncidé : l’animal aura donc, à chaque instant, un ensemble de représentations et accomplira un ensemble de mouvements déterminés par des connexions cérébrales, le tout sans la représentation de succession… Cet état, quelque hypothétique qu’il soit, doit ressembler à celui des animaux inférieurs. […] Nous ne sentons plus la succession dc nos états ; nous sommes en chaque instant tout entiers à cet instant même, réduits à l’état d’esprits momentanés, sans comparaison, sans souvenir. » 128.

101. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « La princesse Mathilde » pp. 389-400

Sa pensée nette n’a jamais un instant de trouble, d’hésitation ; elle ne conçoit que ce qui est clair et ce qui s’explique clairement. […] Un ancien ami avec qui elle se croyait brouillée et qu’elle savait blessé, mortifié et à jamais éloigné par la politique, avait passé près d’elle, près de sa voiture, n’avait point paru la reconnaître, et, l’instant d’après, en descendant, elle l’avait trouvé qui l’attendait pour lui prendre et lui serrer cordialement la main. […] Elle a senti tout le prix et toute l’intention de ce sympathique accueil, et elle en a rapporté l’hommage à qui de droit, à celui qui, du fond de sa prudence, ne perd pas un seul instant de vue la consommation et la confirmation d’un si bel ouvrage.

102. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Alfred de Musset » pp. 364-375

Au bal, dans les réunions et les fêtes riantes, quand il rencontrait le plaisir, il ne s’y tenait pas, il cherchait par la réflexion à en tirer tristesse, amertume ; il se disait, tout en s’y livrant avec une apparence de fougue et d’abandon, et pour en rehausser même la saveur, que ce n’était qu’un instant fugitif, aussitôt irréparable, et qui ne reviendrait plus jamais sous ce même rayon ; et en tout il appelait une sensation plus forte, plus aiguë, d’accord avec le ton auquel il avait monté son âme. […] Il s’insinue donc dans sa familiarité, et devient son complice et son instrument, guettant l’heure et l’instant propice : mais, en attendant, il a trop vécu, il a trop plongé chaque jour dans la vase immonde, il a trop vu la lie de l’humanité ; il s’est réveillé de ses rêves. […] Que manquait-il donc en ces années au poète, bien jeune encore, pour être heureux, pour vouloir vivre et aimer la vie, pour laisser son esprit courir et jouer en conversant sous des regards prêts à lui sourire, et son talent désormais plus calme, plus apaisé, s’animer encore par instants et combiner des inspirations renaissantes avec les nuances du goût ?

103. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Deuxième partie. Invention — Chapitre II. Définition. — Énumération. — Description »

Voici une description de Buffon : Qu’on se figure un pays sans verdure et sans qu’au, un soleil brûlant, un ciel toujours sec, des plaines sablonneuses, des montagnes encore plus arides, sur lesquelles l’œil s’étend et le regard se perd sans pouvoir s’arrêter sur aucun objet vivant ; une terre morte et, pour ainsi dire, écorchée par les vents, laquelle ne présente que des ossements, des cailloux jonchés, des rochers debout ou renversés, un désert entièrement découvert, où le voyageur n’a jamais inspiré sous l’ombrage, où rien ne l’accompagne, rien ne lui rappelle la nature vivante : solitude absolue, mille fois plus affreuse que celle des forêts ; car les arbres sont encore des êtres pour l’homme qui se voit seul ; plus isolé, plus dénué, plus perdu dans ces lieux vides et sans bornes, il voit partout l’espace comme son tombeau : la lumière du jour, plus triste que l’ombre de la nuit, ne renaît que pour éclairer sa nudité, son impuissance, et pour lui présenter l’horreur de sa situation, en reculant à ses yeux les barrières du vide, en étendant autour de lui l’abîme de l’immensité qui le sépare de la terre habitée : immensité qu’il tenterait en vain de parcourir ; car la faim, la soif et la chaleur brûlante pressent tous les instants qui lui restent entre le désespoir et la mort. […] On invitait les élèves à décrire les angoisses du voyageur en cet instant […] Voyez de quelle façon l’écrivain russe Tolstoï représente un homme dans un état de joie extrême : il fait sa première visite à sa fiancée : Il rôda dans les rues pour passer le temps qui lui restait à attendre, consultant sa montre à chaque instant, et regardant autour de lui.

104. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XI. Le royaume de Dieu conçu comme l’événement des pauvres. »

Ces maximes, bonnes pour un pays où la vie se nourrit d’air et de jour, ce communisme délicat d’une troupe d’enfants de Dieu, vivant en confiance sur le sein de leur père, pouvaient convenir à une secte naïve, persuadée à chaque instant que son utopie allait se réaliser. […] L’amour du peuple, la pitié pour son impuissance, le sentiment du chef démocratique, qui sent vivre en lui l’esprit de la foule et se reconnaît pour son interprète naturel, éclatent à chaque instant dans ses actes et ses discours 518. […] Tous croyaient à chaque instant que le royaume tant désiré allait poindre.

105. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre III. Besoin d’institutions nouvelles » pp. 67-85

Nos murmures ont éclaté aussi : nous avons redemandé un instant les dieux de l’Égypte, le pain des esclaves ; nous avons été punis aussitôt, en voyant briser sous nos yeux les tables de la loi qui venait de nous être donnée au milieu des foudres et des éclairs. […] On a fait, en quelque sorte, solution de continuité ; et, s’il faut le dire d’une manière sévère, les déplorables événements de 1792 et 1793 ont prononcé un divorce éternel, divorce qu’une usurpation courte par la durée du temps, mais longue par l’intensité du despotisme et par la multiplicité des événements, avait été sur le point de revêtir du manteau légal de la prescription ; divorce enfin qui fut un instant consacré par ce qu’il y a de plus éclatant parmi les hommes, la gloire militaire. […] Agis mourut pour avoir voulu rendre un instant la vie aux lois antiques de Lycurgue, lois qui firent la gloire et la force de Sparte, mais qui étaient tombées en désuétude.

106. (1907) L’évolution créatrice « Chapitre III. De la signification de la vie. L’ordre de la nature et la forme de l’intelligence. »

Mais supposons, un instant, que la matière consiste en ce même mouvement poussé plus loin, et que le physique soit simplement du psychique inverti. […] Effort douloureux, que nous pouvons donner brusquement en violentant la nature, mais non pas soutenir au-delà de quelques instants. […] Envisagé de ce point de vue, un monde tel que notre système solaire apparaît comme épuisant à tout instant quelque chose de la mutabilité qu’il contient. […] C’est une lampe presque éteinte, qui ne se ranime que de loin en loin, pour quelques instants à peine. […] Comme les actions possibles, dont un état de conscience contient le dessin, reçoivent à tout instant, dans les centres nerveux, un commencement d’exécution, le cerveau souligne à tout instant les articulations motrices de l’état de conscience ; mais la se borne l’interdépendance de la conscience et du cerveau ; le sort de la conscience n’est pas lié pour cela au sort de la matière cérébrale.

107. (1892) Un Hollandais à Paris en 1891 pp. -305

Ils étaient ici, ils étaient là, pas un seul instant ils ne restaient en place. […] Je vous demande bien pardon, mais je ne peux pas perdre un instant de vue l’éducation à donner à François. […] Bruant étreignait à cet instant des fantômes de souvenirs qui l’obsédaient. […] Voulez-vous me tenir compagnie pendant quelques instants, au café de l’Université ? […] Ainsi, à chaque instant il y a un tournant dans le raisonnement et la conclusion ne correspond plus nu début.

108. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Le prince de Ligne. — II. (Fin.) » pp. 254-272

On se doute aisément de tout ce que mon désir de faire plaisir et de faire la guerre m’inspira dans l’instant. […] Le prince de Ligne qui, malgré ses alliances d’esprit avec le xviiie  siècle, n’hésita pas un instant dans son antipathie contre la Révolution, fut des premiers à bien juger du grand mouvement nouveau, de sa portée et de ses conséquences dans l’avenir. […] Une lettre piquante adressée à son ancien ami Ségur qui avait donné quelque adhésion aux premiers actes de la Révolution, nous montre le prince de Ligne à la date d’octobre 1790, dans le premier instant de son irritation et de sa colère : La Grèce avait des sages, dit-il, mais ils n’étaient que sept ; vous en avez douze cents à dix-huit francs par jour, … sans mission que d’eux-mêmes, … sans connaissance des pays étrangers, sans plan général, … sans l’Océan qui peut, dans un pays dont il fait le tour, protéger les faiseurs de phrases et de lois… Messieurs les beaux esprits, d’ailleurs très estimables, ont bien peu de talent pour former leurs semblables. […] Chaque instant apporte avec lui l’idée du décroissement.

109. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Sylvain Bailly. — II. (Fin.) » pp. 361-379

Bailly ne paraît pas s’être préoccupé longtemps à l’avance de cette Révolution dont il devait accueillir et servir avec une fermeté simple les débuts et les principes, et où il remplit si longtemps avec droiture le rôle d’Ariste ou d’Aristide : Le vendredi 29 décembre 1786, dit-il en ses mémoires, je dînai chez M. le maréchal de Beauvau : cc fut le premier instant où la nouvelle d’une Assemblée des notables me parvint. […] Lorsque, après bien des retards, des difficultés et des périls, la réunion des ordres est opérée tant bien que mal le samedi 27 juin, Bailly en profite pour accorder à lui et à ses collègues quelques jours de congé et de fête ; il part aussitôt, il court pour se reposer quelques instants à sa maison de Chaillot, où il n’était pas allé depuis qu’il était président à l’Assembléel : Je partis sur-le-champ pour Chaillot, et j’emportai cette joie (de la réunion des trois ordres) que je voulus répandre tout le long de mon chemin. […] Mais au moment où les députés se disposaient à sortir de la salle de l’Hôtel de Ville, une acclamation générale déclare La Fayette commandant de la milice parisienne, et, au même instant, une improvisation du même genre proclame M.  […] Les beaux jours de Bailly sont passés, il n’aura plus désormais que des instants ; il le reconnaît lui-même, du moment qu’il est nommé maire et premier magistrat de la capitale, « ce jour-là, mon bonheur a fini ».

110. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Mathurin Regnier et André Chénier »

Une conversation brusque, franche et à saillies ; nulle préoccupation d’art, nul quant-à-soi ; une bouche de satyre aimant encore mieux rire que mordre ; de la rondeur, du bon sens ; une malice exquise, par instants une amère éloquence ; des récits enfumés de cuisine, de taverne et de mauvais lieux ; aux mains, en guise de lyre, quelque instrument bouffon, mais non criard ; en un mot, du laid et du grotesque à foison, c’est ainsi qu’on peut se figurer en gros Mathurin Regnier. […] Il le sentait bien, et ne se livrait à elles que par instants, pour revenir ensuite avec plus d’ardeur à l’étude, à la poésie, à l’amitié. « Choqué, dit-il quelque part dans une prose énergique trop peu connue44, choqué de voir les lettres si prosternées et le genre humain ne pas songer à relever sa tête, je me livrai souvent aux distractions et aux égarements d’une jeunesse forte et fougueuse : mais, toujours dominé par l’amour de la poésie, des lettres et de l’étude, souvent chagrin et découragé par la fortune ou par moi-même, toujours soutenu par mes amis, je sentis que mes vers et ma prose, goûtés ou non, seraient mis au rang du petit nombre d’ouvrages qu’aucune bassesse n’a flétris. Ainsi, même dans les chaleurs de l’âge et des passions, et même dans les instants où la dure nécessité a interrompu mon indépendance, toujours occupé de ces idées favorites, et chez moi, en voyage, le long des rues dans les promenades, méditant toujours sur l’espoir, peut-être insensé, de voir renaître les bonnes disciplines, et cherchant à la fois dans les histoires et dans la nature des choses les causes et les effets de la perfection et de la décadence des lettres, j’ai cru qu’il serait bien de resserrer en un livre simple et persuasif ce que nombre d’années m’ont fait mûrir de réflexions sur ces matières. » André Chénier nous a dit le secret de son âme : sa vie ne fut pas une vie de plaisir, mais d’art, et tendait à se purifier de plus en plus. […] Dès l’instant où Vénus me doit être ravie, Que je meure !

111. (1902) L’observation médicale chez les écrivains naturalistes « Chapitre IV »

Ça partait toutes les trois ou quatre secondes, roulait un instant ; puis ça s’arrêtait et ça reprenait, juste le petit frisson qui secoue les chiens perdus, quand ils ont froid l’hiver, sous une porte » (p. 555). […] Il s’arrête un instant à l’anthropologie préhistorique, disserte sur les mégalithes, effleure l’anatomie, la physiologie, définit, en passant, l’amour avec des grâces lourdes, parvient à la pathologie et s’y multiplie. […] « … En s’arrêtant à chaque instant, dans le cours de son roman, pour se livrer à des dissertations pseudo-scientifiques, M.  […] Richepin, « fils d’un médecin militaire des plus distingués, avait eu lui-même un instant la velléité d’aborder la carrière médicale ». 

112. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXVIIe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (5e partie) » pp. 145-224

Par instants elle entendait à une certaine distance des espèces de secousses sourdes, et elle disait : — C’est singulier qu’on ouvre et qu’on ferme les portes cochères de si bonne heure ! […] « À cet instant du solstice, la lumière du plein midi est, pour ainsi dire, poignante. […] « Pour l’instant les cygnes nageaient, ce qui est leur talent principal, et ils étaient superbes. […] Celle qui soufflait en cet instant-là apporta nettement des roulements de tambour, des clameurs, des feux de peloton, et les répliques lugubres du tocsin et du canon. […] La France a ses rechutes de matérialisme, et, à de certains instants, les idées qui obstruent ce cerveau sublime n’ont plus rien qui rappelle la grandeur française et sont de la dimension d’un Missouri ou d’une Caroline du Sud.

113. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre V. Du jeu, de l’avarice, de l’ivresse, etc. »

Sans doute, c’est un sentiment très pénible que craindre à l’avance le péril qui menace, c’est de la souffrance dans le calme : mais l’instant de la décision, mais le jeu, quelque cher qu’il soit dans le moment où il se hasarde, est une espèce de jouissance, c’est-à-dire d’étourdissement. […] Mais, indépendamment de tout ce qu’il faut hasarder et perdre pour se mettre dans une situation qui vous procure de telles sortes de jouissances, il n’existe rien de plus pénible que l’instant qui succède à l’émotion ; le vide qu’elle laisse après elle, est un plus grand malheur que la privation même de l’objet dont l’attente vous agitait.

114. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre viii »

Il écrit, dans la dédicace de l’Étang de Berre (1915) : « Ce petit livre — dit — la ville et la province — épanouies — dans le royaume — pour les progrès — du genre humain » ; dans la préface de Quand les Français ne s’aimaient pas (1916), mettant en lumière « les services rendus à la beauté et à la vérité par les hommes de sang français », il spécifie que cela doit être considéré « sans perdre un seul instant de vue que la raison et l’art ont pour objet l’universel ». Des écrits plus anciens, remontant comme certains chapitres d’Anthinea à 1896 et 1898, font de même observer qu’« au bel instant où elle n’a été qu’elle-même, Athènes fut le genre humain. »

115. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Gavarni. (suite) »

Son bonheur d’ailleurs, lorsqu’elle s’accorde des instants, est toujours inquiet, agité, mêlé de craintes. […] L’amour est une démangeaison de manquer de respect à chaque instant. […] Ceux qui s’intitulent philosophes et qui ne sont que des professeurs ou des raisonneurs de philosophie, ne se doutent pas du degré de philosophie véritable auquel atteignent naturellement et de prime saut quelques-unes de ces natures qu’on appelle artistes. — Mais Michel, après avoir fait voir et dire à l’oiseau babillard tant de choses merveilleuses et à étonner les simples, se rabattait l’instant d’après à donner à Marie d’aimables et riants conseils, bien capables de l’apprivoiser : « La vie, telle qu’elle est, est pleine de choses heureuses, Marie ; les plaisirs de la pensée sont infinis. […] Le fait est que Michel, malgré ses instants de joie et de triomphe, ne l’a point complètement soumise et domptée ; il n’a pu parvenir à la réduire dans son orgueil, dans son raffinement d’esprit ; il ne lui a pas donné le sentiment qu’elle était vaincue : et la conscience qu’il a de ce peu de succès intérieur le décourage à son tour et le refroidit.

116. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « DISCOURS DE RÉCEPTION A L’ACADÉMIE FRANÇAISE, Prononcé le 27 février 1845, en venant prendre séance à la place de M. Casimir Delavigne. » pp. 169-192

C’est marcher tout d’abord dans cette voie, Messieurs, que de venir retracer devant vous un caractère et un talent comme celui de Casimir Delavigne : il a eu dès le premier jour la célébrité, il a obtenu la gloire, et il n’a pas cessé un seul instant depuis d’y joindre l’estime. […] Si, dans cette seconde phase de son talent, il lui fallut défendre pied à pied sa position acquise, transiger même par instants, on doit convenir qu’il le fit avec bien de l’habileté et de l’à-propos. […] Il y a une autre façon qui se conçoit, surtout dans le drame, mais je ne crains pas d’ajouter en toute poésie : serrer davantage à chaque instant la pensée et le sentiment, l’exprimer plus à nu, sans violer sans doute l’harmonie ni encore moins la langue, mais en y trouvant des ressources mâles, franches, brusques parfois, grandioses et sublimes si l’on peut, ou même simplement naïves et pénétrantes. […] Comme s’il avait compté ses moindres instants, il venait même assez peu à vos séances, Messieurs, et ne se permettait qu’à peine de se distraire à vos libres travaux : c’est par ce seul point peut-être de l’assiduité académique que celui qui a l’honneur de lui succéder peut espérer de le remplacer sans trop de désavantage.

117. (1829) De la poésie de style pp. 324-338

Enfin, pour dernière raison, qui pourrait au besoin servir à justifier l’éditeur du recueil que nous annonçons3, si on venait à lui reprocher qu’il a tiré à peine quelques paillettes d’or d’une mine si riche, nous rappellerons le jugement de madame de Staël dans son livre de l’Allemagne : « La poésie du style de Jean Paul ressemble aux sons de l’harmonica, qui ravissent d’abord, et nous font mal au bout de quelques instants. » À tout prendre, ce petit livre est donc un présent dont nous devons remercier l’éditeur. […] Et il y a un grand charme dans cette sorte de comparaison, qui nous fait passer en un seul instant de l’un des deux mondes dans l’autre. […] Il faut croire que ses ouvrages en fourmillent, et voilà ce qui explique et justifie le mot de madame de Staël que nous avons déjà cité : « La poésie du style de Jean Paul ressemble aux sons de l’harmonica, qui ravissent d’abord et nous font mal au bout de quelques instants. » II. […] Il faut que l’eau s’épuise à courir les vallées ; Il faut que l’éclair brille, et brille peu d’instants ; Il faut qu’avril jaloux brûle de ses gelées Le beau pommier, trop fier de ses fleurs étoilées,         Neige odorante du printemps.

118. (1861) La Fontaine et ses fables « Première partie — Chapitre III. L’écrivain »

Toutes les grâces de ce style sont « légères. » Il s’est comparé lui-même « à l’abeille, au papillon » qui va de fleur en fleur, et ne se pose qu’un instant au bord des roses poétiques. Tous les sentiments chez lui sont tour à tour effleurés, puis quittés ; un air de tristesse, un éclair de malice, un mouvement d’abandon, un élan d’éloquence, vingt expressions passent en un instant sur cet aimable visage. […] Vous entrevoyez le museau fin d’un renard, et un instant après la physionomie avisée d’un courtisan.

119. (1912) L’art de lire « Chapitre V. Les poètes »

Musset avait écrit dans Carmosine : Depuis le jour où le voyant vainqueur, D’être amoureuse, amour, tu m’as forcée, Fût-ce un instant, je n’ai pas eu le cœur De lui montrer ma craintive pensée, Dont je me sens à tel point oppressée, Mourant ainsi, que la mort me fait peur. […] Mais au point de vue du nombre, la faute, qu’on lui faisait commettre était encore plus grave ; car ces vers forment une strophe de six vers couplés, menés deux à deux, avec, ce qui est très conforme aux lois générales du rythme, un repos assez fort après le premier distique, un repos un peu moins fort, mais un repos encore, après le second distique : Depuis le jour où le voyant vainqueur, D’être amoureuse, amour, tu m’as forcée, || Fût-ce un instant, je n’ai pas eu le cœur De lui montrer ma craintive pensée, | Dont je me sens à tel point oppressée, Mourant ainsi, que la mort me fait peur. […] Depuis le jour où le voyant vainqueur D’être amoureuse, amour, tu m’as forcée, | Fût-ce un instant, je n’ai pas eu le cœur De lui montrer ma craintive pensée, Dont je me sens lourdement oppressée.

120. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre VII. Les hommes partagés en deux classes, d’après la manière dont ils conçoivent que s’opère en eux le phénomène de la pensée » pp. 160-178

Ceux-là pensent que les libertés d’un peuple résultent de ses droits, et non point des concessions des princes, non plus que d’états antérieurs ; ils pensent que l’homme fait une sorte d’acte libre en entrant dans une association politique, et qu’à cet instant, qui est une fiction convenue, il cède une partie de ses droits, pour jouir de certains avantages qu’il n’aurait pas sans la société, comme, par exemple, celui de la propriété. […] Les générations se succédant les unes aux autres, sans aucune interruption, ils ne voient pas d’instant où une génération puisse sortir, d’elle-même, par ses propres forces, et tout à coup, des liens dont elle est entourée, puisse adopter simultanément d’autres règles que celles qui ont régi les générations précédentes. […] Rendons sensible, par un seul fait, le point que nous discutons en cet instant.

121. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Léon Gozlan » pp. 213-230

La préoccupation si inférieure du théâtre dont il a toujours été fêlé, à toutes les époques de sa vie, depuis l’instant de sa jeunesse où il ne voyait qu’un sujet heureux de vaudeville dans ces Intimes que Raymond Brucker et Michel Masson lui infligèrent comme un roman terrible en l’y faisant travailler avec eux, jusqu’à l’heure où, en pleine maturité, il ne craignit pas de s’amincir dans de petites pièces plus petites que tout ce qu’il avait jamais écrit, lui, le travailleur si souvent en petit cependant ; la préoccupation du théâtre lui fit maintes fois terminer en queue de poisson ses plus belles œuvres commencées en têtes de sirènes (voyez son Notaire de Chantilly, son Dragon rouge, ses Nuits du Père Lachaise, sa Famille Lambert, etc., etc.). […] Ni l’histoire de ces Cent trente femmes, inouïe, magnifique d’expression et de terreur ici et là, mais coupée à chaque instant par les platitudes d’un récit officiel de journal anglais, qui devrait être écarté s’il est vrai et qui n’aurait pas dû être inventé s’il est faux. […] Il avait plus piraté dans les connaissances humaines et les livres qu’il n’y avait fait des acquisitions régulières et légitimes, et cela se voit suffisamment quand, par exemple, dans Les Martyrs inconnus, il change de siècle et dresse son roman dans l’histoire, et cela se voit encore dans La Sœur grise, où son ignorance catholique est presque honteuse, et semble donner raison à ceux qui ont prétendu un instant qu’il n’avait pas été baptisé.

122. (1901) L’imagination de l’artiste pp. 1-286

Mais un instant nous l’avions oublié. […] Si bref qu’il soit, et quand il ne durerait qu’un instant, il est dangereux, car pendant cet instant l’image a été confiée à la pure vision mentale. […] Qu’on y pense un instant, on verra la différence. […] À chaque instant les critiques d’art les rapprocheront dans leurs comparaisons. […] Pas un instant on ne doit perdre de vue le modèle.

123. (1888) Études sur le XIXe siècle

Nous avions passé ensemble vingt-trois ans sans nous séparer un instant, nous nous aimions très tendrement, et il était presque mon préféré ! […] Une ballade, un refrain populaire suffisent pour vous représenter un instant ce caractère sous les traits les plus arrêtés et les plus frappants. […] À chaque instant, de la meilleure foi du monde, il se met en contradiction avec celles qu’il professe. […] Je restai un instant en attente. […] Presque en même temps, une épidémie de choléra, comme il en passe à chaque instant sur cette plage malsaine, emporte Maruzza.

124. (1904) Essai sur le symbolisme pp. -

Pour l’instant, sans dédaigner les questions de forme et de métrique, j’irai au plus pressé et m’abstiendrai de toute particularité, de toute controverse, de toute illustration. […] Chez nous spécialement, abondent les exemples de ces réactions occasionnées par la notion de vie un instant méconnue. […] Aux instants propices où les chaînes de la matière nous emprisonnent moins rudement, qu’on relise Rodenbach. […] Ainsi j’ai participé au sentiment de la nature ; je me suis donné la forêt ; j’ai pensé la forêt ; j’ai voulu la forêt, un instant je l’ai vécue28. […] Or, il suffit de réfléchir un instant, pour s’apercevoir, en premier lieu, que si nous suivons les données d’un sens à l’intérieur de ce sens, nous pouvons passer de l’une à l’autre d’une façon absolument insensible.

125. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre troisième. La connaissance de l’esprit — Chapitre premier. La connaissance de l’esprit » pp. 199-245

Je puis ainsi remonter très loin et très vite, en sautant de cime en cime, atteindre en un instant à dix, vingt années de distance. — Joignez à cela le calendrier, les chiffres, tous les moyens que nous avons et qui manquent aux enfants, aux sauvages, pour mesurer cette distance. […] Par cette opération plus ou moins perfectionnée, nous embrassons de très longs fragments de notre être en un instant et pour ainsi dire d’un seul regard. […] Voilà ce qui dure en moi et ce qui, à tous les instants de ma durée, sera toujours le même. — Il est manifeste que ce n’est pas là une notion primitive. […] Là aussi, le point du départ de l’erreur est dans un procédé d’esprit bien connu, celui du romancier ou de l’auteur qui se met à la place de ses personnages, épouse leurs passions, éprouve leurs émotions. — Nulle part on ne voit si nettement l’opération que dans l’hypnotisme ; l’attention du patient, limitée et concentrée, ne porte alors que sur une suite d’idées ; celle-ci se déroule seule ; toutes les autres sont engourdies et, pour un temps, incapables de renaître ; partant, les souvenirs ordinaires manquent et n’exercent plus de répression ; l’illusion qui, dans l’auteur et le romancier, se trouve défaite à chaque instant, n’est plus enrayée et poursuit son cours75. […] Au bout de quelques instants, on lui demanda son nom.

126. (1898) Les personnages de roman pp. 39-76

Jules Lemaître, qu’à moins d’un mensonge sacrilège, qui ne doit guère se rencontrer, tout prêtre, quelles qu’aient pu être ensuite ses faiblesses, a accompli, le jour où il s’est couché tout de son long aux pieds de l’évêque qui le consacrait, la plus entière immolation de soi que l’on puisse imaginer ; qu’il s’est élevé, à cette heure-là, au plus 54] haut degré de dignité morale, et qu’il a été proprement un héros, ne fût-ce qu’un instant. » On ne saurait mieux dire. Et si cela est compris, il me semble que le curé de campagne, si complaisamment et indulgemment évoqué par les écrivains, ne saurait plus être le vieillard paterne, timide et solitaire, qui vit dans une pauvreté quotidienne, relevée de quelques instants de gourmandise, quand il va dîner au château ou dans les conférences, et qui bénit la naissance, l’amour ou la mort. […] Je pensais, dans ce court instant qui ne se renouvellera jamais, que ces jeunes filles seraient demain dispersées à travers le monde, afin de se dévouer, elles, chefs-d’œuvre de pureté, à l’éducation des filles perdues ; elles toucheraient de leurs mains, de leurs lèvres, les créatures les plus rejetées ; elles vivraient avec celles dont le vice leur était le plus détestable ; elles se pencheraient sur toutes les hontes et se relèveraient avec une pensée intacte ; elles donneraient leur amour, qu’elles ont refusé au monde, à ce que le monde a corrompu, puis abandonné. […] Et l’on peut dire que, dans ses traits essentiels, un roman est l’œuvre d’un instant. […] Autant qu’il est permis d’affirmer et de généraliser, dans une question éminemment subjective et complexe, je crois donc que l’esquisse d’un roman est une opération rapide de l’esprit, ordonnant en un instant une matière déjà rassemblée.

127. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « M. THIERS. » pp. 62-124

Le brouillard, que j’avais un instant auparavant sur la tète, était alors au-dessous de mes pieds ; il s’étendait comme une mer immense et allait flotter contre les montagnes et jusque dans leurs moindres sinuosités. […] Ce spectacle avait le prestige d’un songe ; mais, un instant après, cette pluie retomba, l’air se retrouva aussi pur, le brouillard aussi épais, mais moins élevé. […] Thiers nous en avertit) qu’un instant rapide et qu’un éclair : hâtons-nous de rentrer avec lui dans la pratique et la réalité. […] L’auteur ne raffine jamais sur le détail, et on ne s’arrête pas un instant chez lui à l’écrivain. […] Thiers est un esprit toujours prêt, qui se jette en pleine idée, en plein sujet, à tout instant ; c’est en un mot un des esprits les plus résolus et les moins paresseux qui se puissent concevoir.

128. (1813) Réflexions sur le suicide

Peut-être dans cet instant le regard de la foi les lui fit-il apercevoir. […] On dirait que l’âme, en commettant cet acte terrible, éprouve je ne sais quel accès de fureur qui concentre en un instant l’éternité des peines. […] La main retient les rênes des coursiers qui nous conduisent, la pensée ne peut conquérir un instant sur la mort. […] J’ai refusé cet instant dans lequel la joie et le désespoir se confondraient de trop près. […] Alors d’un consentement mutuel l’homme a brûlé la cervelle à la femme, et s’est tué lui-même l’instant d’après.

129. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « La comtesse de Boufflers (suite et fin.) »

Quand notre visite eut assez duré, elle et moi nous le quittâmes, et nous étions déjà dans le passage intérieur du Temple, lorsque tout d’un coup nous entendîmes un bruit comme un tonnerre : c’était Johnson, qui, à ce qu’il paraît, après un instant de réflexion, s’était mis en tête qu’il devait faire les honneurs de sa résidence littéraire à une dame étrangère de qualité, et qui, tout empressé de se montrer galant, se précipitait du haut en bas de l’escalier dans une violente agitation. […] encore pour son esprit jusque sous les premières neiges de la vieillesse, tout d’un coup, on ne sait plus et qu’elle devient, elle disparaît dans le gouffre commun, elle ne surnage pas un instant, ou, si elle surnage, personne ne fait, plus attention à sa présence ou à son absence ; elle va échouer où elle peut et sans qu’on le remarque ; elle n’est une perte et un regret pour personne ; elle n’obtient pas la moindre mention funéraire de la part d’une société bouleversée ou renouvelée, qui toute à ses soucis, à ses craintes, à ses espérances ou à ses ambitions renaissantes, n’a que faire des anciennes idoles, et qui, après avoir renversé coup sur coup avec tous ses temples ses anciens dieux, et les plus grands, n’a plus même un regard de reste pour les demi-déesses d’hier ! […] Horace Walpole, dans une lettre écrite de Paris (janvier 1766) à l’un de ses amis de Londres, disait, de ce tour agréable qui est le sien : « Je vais m’habiller dans un instant pour aller chez la comtesse de La Marche qui m’a donné audience pour ce soir neuf heures. […] » Malgré ces infidélités extérieures, Mme de Boufflers n’était pas moins restée pour le prince l’amie essentielle et honorable, celle de tous les jours et des derniers instants.

130. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Madame de La Tour-Franqueville et Jean-Jacques Rousseau. » pp. 63-84

L’instinct de son sexe, c’est-à-dire son bon sens, lui dit bien tout bas par instants qu’elle a peu à attendre de lui, qu’elle peut à peine en tirer quelque réponse, qu’il n’est guère séant après tout à une femme de se jeter ainsi à la tête d’un homme bourru (fût-il grand écrivain), qui ne se soucie nullement d’elle et qui la rebute. […] Quelques phrases de lui, à elles adressées, dans les premiers billets, phrases toutes littéraires dont elle s’exagérait le sens, et qu’elle relisait sans cesse, lui avaient fait croire qu’elle avait pu, un instant, occuper dans son cœur je ne sais quelle place qui n’était plus vacante pour personne, depuis que Mme d’Houdetot y avait passé. […] » Ce fut là le plus bel instant : Savez-vous bien qu’elle est charmante votre lettre, répond Mme de La Tour, et que, pour ne pas vous trouver trop charmant vous-même, j’ai été obligée de me rappeler de combien de nuages vous avez obscurci les beaux jours que vous m’avez quelquefois procurés ? […] Quant au fond des idées, tout est douteux chez lui, tout peut paraître à bon droit équivoque et suspect ; les idées saines se combinent à tout instant avec les fausses et s’y altèrent.

131. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « M. Necker. — I. » pp. 329-349

Quand il fut question, plus tard, de conduire le char de l’État sur une pente rapide, et que pas un instant n’était à perdre, on conçoit que ce fond d’indécision dut être fatal : dans l’habitude de la vie, ce n’était qu’une singularité piquante. […] De même, Mazarin, à l’heure de sa mort, désigne-t-il Colbert à Louis XIV par ce mot si connu : « Sire, je vous dois tout, et je crois m’acquitter en partie en vous donnant Colbert » ; l’écrivain, gâtant la belle simplicité du mot, et dénaturant l’inspiration toute politique de Mazarin, dira : « Dans ce moment terrible où l’Éternité qui s’ouvre à nos yeux étouffe nos passions, et nous presse de dévouer un dernier instant à la justice et à la vérité, Mazarin adressa ces paroles à Louis XIV… » Les médisants prétendaient avoir trouvé de la ressemblance entre la manière du nouvel écrivain et celle de Thomas, avec qui on le savait très lié ; si toutes les phrases avaient été dans cette forme, la médisance aurait pu prendre crédit ; mais la plupart des défauts de M.  […] Il y avait, d’ailleurs, quelques belles pensées, mais rendues dans une langue gênée et contrainte : « À chaque instant le bien public, disait-il, lui demande le sacrifice de son intérêt, de ses affections et même de sa gloire. […] Necker, l’expression est presque toujours forcée ou solennisée, et l’on est tenté de lui répéter à chaque instant : Soyons simples !

132. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « M. Necker. — II. (Fin.) » pp. 350-370

… Chacun est autour de sa moisson ; chacun vit dans son affaire ; chacun est englouti dans l’instant présent. […] Ce n’est qu’à ce prix qu’il est donné à quelques-uns d’agir en un instant sur tous les hommes. […] Pour mettre sa sensibilité plus à son aise, par un singulier et subtil accommodement il supposait que c’était d’un autre que lui qu’il parlait : C’est d’un moi que je parle, et non pas de moi ; car, loin des hommes, au pied des hautes montagnes, au bruit d’une onde monotone qui ne présente d’autre idée que la marche égale du temps, et sans autre aspect qu’une longue solitude, une retraite silencieuse que bordent déjà les ombres d’une éternelle nuit, je n’ai plus de rapport avec ce ministre naguère emporté par les événements, agité par les passions du monde, et sans cesse aux prises avec l’injustice ; je n’ai plus de rapport avec lui que par les émotions d’une âme sensible… Il revient à chaque instant, avec des cris de David ou de Job, sur cette calamité, qui véritablement n’était pas si grande qu’il le supposait : Quelquefois seulement, au pied de ces montagnes où l’ingratitude particulière des représentants des Communes m’a relégué, et dans les moments où j’entends les vents furieux s’efforcer d’ébranler mon asile, et renverser les arbres dont il est environné, il m’arrive alors peut-être de dire comme le roi Lear : « Blow, winds, … Soufflez, vents impétueux ! […] Chacun de ces instants est gravé dans ma mémoire… J’avais obtenu le retour de la paix, je l’avais obtenu sans autre moyen que le langage de la raison et de la vertu : cette idée me saisissait par toutes les affections de mon âme, et je me crus un moment entre le ciel et la terre.

133. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Œuvres de Frédéric le Grand (1846-1853). — I. » pp. 455-475

La conversation de M. de Suhm avait un charme particulier qui nous arrive jusque dans ses lettres, quelque chose d’affectif et de pénétrant : Frédéric y était sensible autant qu’esprit peut l’être : « Si désormais vous alliez vous résoudre à ne parler et à n’écrire qu’en chinois, lui disait-il, je serais homme à l’apprendre pour profiter de votre conversation. » Quant à M. de Suhm, il a, dès les premiers instants, deviné et senti la grandeur de Frédéric ; il lui a voué une admiration tendre, ardente, perspicace, qui lui révèle à l’avance la gloire du prochain règne, et qui déborde prophétiquement en toutes ses paroles. […] Sire, C’est en vain que l’on me berce encore d’espérances ; c’est en vain que l’amour de la vie et les puissants attraits qu’y ajoute encore la riante perspective qui m’était ouverte, cherchent à nourrir l’illusion de mon cœur par l’ardeur de ses désirs ; c’est en vain, en un mot, que je voudrais me le cacher à moi-même : chaque heure, chaque instant me le fait sentir plus profondément, et m’avertit que la fin de ma vie approche. Et quelque désir que j’eusse d’épargner à Votre Majesté la douleur de cette nouvelle, s’il était possible qu’elle ne lui parvînt jamais, et ne troublât ainsi aucun instant le repos de son grand et sensible cœur, un devoir trop important et trop sacré y est attaché pour que je pusse cependant la lui cacher, Oui, Sire, il n’est que trop certain, après bien des soins inutiles pour prolonger mes jours, je me vois enfin sur le bord de la tombe. […] Une lettre à Algarotti, du 16 novembre, est toute remplie de sa douleur dans le premier instant, et elle supplée aux autres témoignages : Remusberg, 16 novembre 1740.

134. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. A. Thiers : Histoire de la Révolution française. Ve et VIe volumes. »

Sans doute, en le lisant, il est bien vrai qu’on sent naître en soi une idée de nécessité qui subjugue ; dans l’entraînement du récit on a peine à concevoir que les événements aient pu tourner d’une autre façon, et à leur imaginer un cours plus vraisemblable, ou même des catastrophes mieux motivées ; la nature humaine, ce semble, voulait que les choses se passassent dans cet ordre, que les partis se succédassent dans cette génération ; étant donnée chaque crise nouvelle, on dirait qu’on en déduit presque irrésistiblement la suivante, et qu’on procède à chaque instant par voie de conclusion, du présent à l’avenir : non pas, au moins, que dans sa manière purement narrative ; M.  […] Et d’abord, il est incontestable, qu’en général, l’instant qui suit dépend beaucoup de celui qui précède ; que pour qui saurait bien l’un, l’autre ne serait plus guère un mystère ; et qu’un être auquel serait accordée la connaissance pleine et entière du présent n’aurait pas grand effort à faire pour y voir immédiatement et comme par intuition l’avenir.

135. (1874) Premiers lundis. Tome I « Deux révolutions — I. De la France en 1789 et de la France en 1830 »

A une époque comme celle-ci, où la marche est libre, dégagée, où il ne s’agit point de renverser le mauvais, mais seulement de ne plus le reconstruire, où les passions ardentes et aveugles ont cédé à une raison calme, patiente et vigoureuse, il faut se garder des fausses analogies ; et, puisqu’on a tout loisir d’étudier le passé, de le comparer avec le présent et d’en tirer des leçons, puisque l’expérience est invoquée à chaque instant, il importe de ne point s’abuser sur ces réponses de l’histoire, et que le passé, au lieu de nous éclairer, ne nous embrouille pas. […] Mais ce ne put être que l’illusion d’un instant.

136. (1874) Premiers lundis. Tome II « E. Lerminier. Lettres philosophiques adressées à un Berlinois »

Lerminier s’est emparé, pour sa bonne part, de cet empire vacant ; il n’a fléchi ni bronché un seul instant sous la tâche immense. […] Après s’être incliné, et avoir levé un instant, puis baissé l’épée devant l’individualité brillante et aventureuse de M. de Chateaubriand, le jeune écrivain arrive à l’homme le plus constant et le plus uni des temps modernes, à celui dont l’individualité solennelle, depuis cinquante ans, consiste à exprimer la patiente et invariable pensée de la démocratie victorieuse.

137. (1913) Le bovarysme « Troisième partie : Le Bovarysme, loi de l’évolution — Chapitre II. Bovarysme essentiel de l’être et de l’Humanité »

Qu’importe, en effet, l’exploitation de l’individu par le Génie de l’Espèce ou par le Génie de la Connaissance, si le moi individuel n’est qu’une apparence inconsistante, le point où, à quelque moment de la durée, se fixent, en un équilibre instable, des forces multiples, complexes et insaisissables, qui l’instant d’après, sous une même étiquette, auront formé des combinaisons nouvelles ? […] Dès lors toutes les consciences individuelles et tous les instants d’une même conscience individuelle sont les fenêtres où luisent les yeux avides de la connaissance, contemplant le spectacle, changeant de l’univers.

138. (1900) Taine et Renan. Pages perdues recueillies et commentées par Victor Giraud « Renan — III »

Nul des sentiments que nous connaissons à Ernest Renan ne nous permet de le considérer comme ayant accepté le catholicisme à un instant quelconque de sa vie intellectuelle. […] Renan est tantôt un humaniste, tantôt un naturaliste, un Gœthe enfin (avec une âme moins virile, quelque chose de serf dans les mœurs), mais ce n’est dans aucun instant de son développement un catholique.‌

139. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Frochot, Préfet de la Seine, histoire administrative, par M. Louis Passy. »

Mais, Napoléon apprécia jusqu’à la fin cette sage, pure et paternelle administration du préfet qu’il tenait dans ses mains, qu’il inspirait de son souffle et de sa volonté ; et quand il jugea l’instant venu d’élever son traitement à un chiffre considérable, il répondait à Frochot qui l’en remerciait : « Il faut bien que je pense à vous, puisque vous ne pensez qu’à moi. » Pourquoi faut-il qu’un jour, une heure de malencontre et de faiblesse ait tout gâté ! […] Il ne parut pas soupçonner un seul instant l’usurpation et l’imposture. […] Frochot. » — On a des lettres écrites par Frochot dans ces premiers instants d’anéantissement à son ami Regnaud, à M. de Montalivet : elles sont vraies et touchantes5 ; elles ajoutent à l’idée honorable qu’on peut se faire de cet excellent homme, à qui il arriva comme à tel bon général de perdre en une seule et dernière journée de défaite une réputation justement acquise et jusque-là des mieux méritées.

140. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « HOMÈRE. (L’Iliade, traduite par M. Eugène Bareste, et illustrée par M.e Lemud.) —  second article  » pp. 342-358

Ce vaisseau noir à l’extrémité de l’aile droite du camp domine tout ; les regards à chaque instant s’y retournent comme vers une divinité muette ; il recèle la foudre presque à l’égal de l’Ida. Si Ajax, le grand Ajax, occupe le premier plan de la défense et résiste comme une tour, il est toujours dit qu’il n’est que le second des Grecs, de même que l’autre Ajax, aux instants de poursuite, s’appelle le plus léger, mais toujours après Achille. […] Lorsqu’on lit l’Iliade, on sent à chaque instant qu’Homère a fait la guerre, et n’a pas, comme le disent les commentateurs, passé sa vie dans les écoles de Chio ; quand on lit l’Énéide, on sent que…, etc., etc. » Je supprime le reste comme par trop irrévérencieux.

141. (1842) Essai sur Adolphe

Il ne tremblera pas à la vue de ces convoitises empressées, qui, pour un cœur vraiment épris, sont un supplice de tous les instants. […] S’il arrive à l’un des deux d’oublier un instant la servitude où il s’est cloué, au premier mouvement de liberté le bruit de sa chaîne le réveille en sursaut. […] Dès que son amant fait un pas, il trouve devant lui un œil curieux qui attend sa réponse ; s’il s’échappe un instant, il trouve au retour une bouche impérieuse dont chaque baiser est un ordre sans réplique.

142. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre XV, l’Orestie. — les Choéphores. »

Ces larmes d’Électre, les seules qui ne soient pas amères, le rafraîchissent un instant. […] » L’instant d’après, Oreste reparaît sous le costume d’un voyageur phocéen ; il va prendre en parlant l’accent des montagnards du Parnasse : l’exécuteur se masque pour faire son office : — « Car, dit-il, c’est par la ruse qu’ils ont tué le héros, ils mourront aussi par la ruse. » Son appel à l’esclave de garde — Παι ! […] L’instant d’avant, elles l’excitaient tout d’une voix ; elles auraient tourné vers sa mère le pouce inflexible des Vestales romaines achevant le gladiateur renversé, si le fer avait tremblé dans sa main.

143. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre II. Le Roman (suite). Thackeray. »

Nul auteur n’est plus fécond en dissertations ; il entre à chaque instant dans son récit pour nous tancer ou nous instruire ; il ajoute la morale de théorie à la morale en action. […] Votre femme lui envoie à chaque instant de petits témoignages d’affection ; vos petites filles font pour elle un nombre infini de corbeilles, coussins et tabourets en tapisserie. […] Il s’humilie, se prosterne, et un instant après jure et tempête, pour retomber dans l’abattement de la plus extrême lâcheté. […] Pour achever de peindre cette nature impétueuse, supérieure et mobile, Balzac, au dernier instant, la fait repentante. […] Il finit par mener en Angleterre le prétendant, frère de la reine Anne, et le tient déguisé à Castlewood, attendant l’instant où la reine mourante et gagnée va le déclarer héritier du trône.

144. (1767) Salon de 1767 « Peintures — La Grenée » pp. 90-121

De cet Ulisse si fin, si rusé, d’un caractère si connu, et dans un instant dont l’expression est si déterminée, scavez-vous ce qu’il en a fait ? […] Il faut auparavant que je vous montre comment un poête en quatre lignes, fait succéder plusieurs instants différents, et croyant n’ordonner qu’un seul tableau, il en accumule plusieurs. […] Premier instant, premier tableau, celui où Mars las de carnage se rejette entre les bras de Vénus. Second instant, second tableau ; celui où la tête du dieu repose sur les genoux de la déesse, et où il puise l’yvresse dans ses regards. Troisième instant, et troisième tableau, celui où la déesse panchée tendrement sur lui et l’enveloppant de son céleste corps, lui parle et lui demande la paix.

145. (1889) Essai sur les données immédiates de la conscience « Chapitre II. De la multiplicité des états de conscience. L’idée de durée »

Car si une somme s’obtient par la considération successive de différents termes, encore faut-il que chacun de ces termes demeure lorsqu’on passe au suivant, et attende, pour ainsi dire, qu’on l’ajoute aux autres : comment attendrait-il, s’il n’était qu’un instant de la durée ? […] Remarquons que cette dernière image implique la perception, non plus successive, mais simultanée, de l’avant et de l’après, et qu’il y aurait contradiction à supposer une succession, qui ne fût que succession, et qui tînt néanmoins dans un seul et même instant. […] Mais nous n’insisterons pas, pour le moment, sur ce point : qu’il nous suffise d’avoir montré que, dès l’instant où l’on attribue la moindre homogénéité à la durée, on introduit subrepticement l’espace. […] Or, supprimons pour un instant le moi qui pense ces oscillations du pendule, une seule position même de ce pendule, point de durée par conséquent. […] Encouragés par lui, nous avons écarté pour un instant le voile que nous interposions entre notre conscience et nous.

146. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Chapitre III. De la survivance des images. La mémoire et l’esprit »

Le propre du temps est de s’écouler ; le temps déjà écoulé est le passé, et nous appelons présent l’instant où il s’écoule. Mais il ne peut être question ici d’un instant mathématique. […] Bien plus : admettons un instant que le passé se survive à l’état de souvenir emmagasiné dans le cerveau. […] Supposons en effet, un instant, que notre vie psychologique se réduise aux seules fonctions sensori-motrices. […] De ce double effort résultent, à tout instant, une multitude indéfinie d’états possibles de la mémoire, états figurés par les coupes A′B′, A″B″, etc., de notre schéma.

147. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Histoire du règne de Henri IV, par M. Poirson » pp. 210-230

On ne se figure pas qu’il s’est rencontré des instants uniques, où toute une nation avec son avenir était comme sur le tranchant du rasoir, et où un rien pouvait la précipiter presque indifféremment à droite ou à gauche. […] Que serait-il arrivé si, dans ces premiers instants, Henri IV avait été relégué au bout du royaume, cantonné en sa Rochelle, au cœur de son refuge de calvinisme ? […] Dès l’instant où il hérita du sceptre, de ce sceptre de saint Louis, et où il reçut les serments de la noblesse près du lit ensanglanté de Henri III, Henri IV avait dû, par une déclaration expresse (3 août 1589), donner à la religion catholique toutes les promesses rassurantes pour le maintien de sa prédominance à titre de religion, du royaume, en même temps qu’il garantissait aux calvinistes une pleine liberté de conscience, et l’exercice public de leur culte dans de justes limites : il ne pouvait faire moins. […] Oh voit ici bien naturellement cette première forme du roi capitaine et guerrier dans Henri IV, tout prêt néanmoins à entendre toutes choses et à devenir un grand roi politique et civil dès qu’il en aura le besoin et l’instant.

148. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Corneille. Le Cid (suite.) »

J’ai souvent pensé que ce serait à un jeune homme plutôt qu’à un critique vieilli d’expliquer le Cid, de le lire à haute voix et de dire ce qu’il en ressent : je me suis donné, une fois, cette sorte de satisfaction et j’ai fait cette épreuve ; je me suis fait lire le Cid par un jeune ami : c’était lui qui me le commentait comme à vue d’œil par la fraîcheur, la vivacité des sentiments qui s’éveillaient, qui se levaient à tout instant en lui. […] Ils gardent ainsi quelque chose de plus abstrait que dans la pièce espagnole, où ces changements de lieu sont fortement accusés, et que dans la réalité de la vie, où mille particularités du discours avertissent à tout instant de l’endroit précis où l’on est et où l’on parle. […] On vient annoncer la mort du comte, et, au même instant, Chimène entre en s’écriant : Sire, Sire, justice ! […] Et quand l’instant d’après elle dit : Va-t’en, on sent que cela veut dire : Reste.

149. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Maurice comte de Saxe et Marie-Joséphine de Saxe dauphine de France. (Suite et fin.) »

Je ne sais pas comment elle a pu se tenir huit ou neuf heures sur ses pieds avec ce poids énorme. » Le maréchal de Saxe, qui à cet instant du règne a plus que personne l’oreille du roi, travaille de son côté auprès du ministre du roi son frère, et par le canal de la Saxe, à persuader aux Alliés (les alliés de l’Angleterre) de se montrer modérés dans leurs prétentions et de conclure sans retard la paix. […] Le maréchal rêva un instant pour elle le rôle d’une duchesse de Bourgogne auprès de Louis XV : les circonstances s’y prêtèrent encore moins que le caractère de la princesse. […] Je dis on, car le maréchal de Saxe n’était pas de cet avis, et il est évident, et par ses aveux et par les sollicitations instantes qu’il essuya de la part du maréchal de Noailles et de la Cour, qu’il céda à la pression du dehors et à cette idée dominante qu’après une victoire, et pour prouver qu’on l’a bien remportée en effet, il faut faire quelque chose coûte que coûte, et pouvoir montrer à tous un gage signalé. […] Le maréchal sentit que l’heure était venue, et près de mourir, dans un instant lucide, il dit à Senac ce mot souvent cité : « Mon ami, J’ai fait un beau songe ! 

150. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Le général Jomini. [II] »

Je prie Son Exc. le ministre de la guerre de le placer près de moi comme aide de camp capitaine. » Les demandes de Ney devinrent plus instantes au moment où la campagne d’Ulm fut entamée. […] Pour moi en particulier, aide de camp d’un général qui ne s’était pas informé un instant si j’avais un cheval en état de supporter de pareilles fatigues, si je comprenais un service si nouveau pour moi, l’on me confiait un ordre de mouvement à porter au milieu de la nuit, dans un moment où tout avait une grande importance, et l’on ne me permettait pas même de demander où je devais aller. […] Corbineau, tué un moment plus tard, arrive au même instant et s’écrie précipitamment : Les Russes ! […] Mais il n’a jamais varié sur la part personnelle à faire à la présence d’esprit et au courage de Napoléon pendant l’instant critique où il l’avait vu à l’œuvre.

151. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Le général Jomini. [V] »

L’esprit de parti a pu vous diviser un instant, mais le sang de Winkelried coule encore dans vos veines… Dites-vous bien qu’une nation assez faible pour supporter un attentat contre son territoire est une nation perdue, et qu’il vaut mieux encore succomber avec honneur comme les Bernois en 1798, que d’imiter l’exemple des hommes pusillanimes de 1813. […] « Pour moi, mon lot n’est pas si agréable : c’est avec de lourds tacticiens et avec de froides descriptions de combats qui ne ressemblent guère à ceux d’Homère, que je suis forcé de passer tous les instants que je consacre aux événements antérieurs. […] Mon cadre est tracé, il faut le remplir, et je compte les minutes que la Parque me laisse ; à chaque instant je sens ses ciseaux chatouiller le fil65, et il n’est guère possible, après avoir glissé deux ou trois fois entre ses serres, que je l’évite au prochain tour. […] Il a souvent le ton digne, élevé, et par instants la nuance ingénieuse.

152. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — Chapitre II »

Augier, et nous y reviendrons tout à l’heure, de méconnaître, à chaque instant, les convenances de l’époque qu’elle a choisie, du cadre dans lequel elle s’est placée, du rang et de la figure des personnages qu’elle met en scène ; il introduit les mœurs de la tonnelle et de la taverne dans ce château aristocratique : Immitit liquidis fontibus aprum… Ce qu’on pourrait traduire : il lâche le… sanglier de Rabelais dans le boudoir de porcelaines du dix-huitième siècle. […] Croyant faire peur à l’amour, Tu n’étais qu’une enfant, ma soeur, jusqu’à ce jour, Tu viens, en un instant, de faire un pas immense, Car c’est à la pudeur que la femme commence, Et la pudeur, au fond, n’est que le sentiment Qu’un homme peut nous voir avec des yeux d’amant. […] La margrave, qui est, elle aussi, quelque peu cousine du comte Sigismond, ne doute pas un instant qu’elle ne soit l’héritière, et elle vient remplir le vœu du défunt en achetant à Frantz des airs d’enterrement ; mais Frantz n’a plus son Requiem ; le baron vient de l’emporter. […] La scène est belle, éloquente, indignée ; elle n’a qu’un tort, celui de s’être fait trop longtemps attendre, et de retenir le soufflet que Spiegel suspend un instant sur la joue du misérable, au moment où il ose, après tant de bassesses, offrir de l’argent à sa fiancée, pour l’indemniser de la trahison.

153. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Correspondance entre Mirabeau et le comte de La Marck (1789-1791), recueillie, mise en ordre et publiée par M. Ad. de Bacourt, ancien ambassadeur. » pp. 97-120

Non pas que, dans sa vie besogneuse depuis sa sortie de Vincennes jusqu’à son entrée aux États généraux, Mirabeau, pour subvenir à ses besoins de tout genre, intellectuels et autres, n’ait eu souvent recours à des expédients dont on aimerait mieux que la fortune l’eût affranchi ; mais, en mainte circonstance notable, manquant de tout, lui homme de puissance et de travail, qui ne pouvait se passer à chaque instant de bien des instruments à son usage, lui qui était naturellement de grande et forte vie (comme disait son père), manquant même d’un écu, réduit à mettre jusqu’à ses habits habillés et ses dentelles en gage, il avait résisté à rien écrire qui ne fût dans sa ligne et dans sa visée politique, à prendre du moins les choses dans leur ensemble. […] En le lisant, on éprouve à tout instant le sentiment vif de la beauté et de la grandeur de l’idée politique, cette beauté sévère, judicieuse, vivante pourtant, et qui aspire à se réaliser en pratique et en action. […] Les défauts qu’on y remarque encore par instants, les déviations et les écarts qui naissent surtout de l’impétuosité et du conflit de ses talents divers, ne tiennent peut-être qu’à ce qu’il n’a pas été mis à même par la fortune d’être tout entier et toujours cet homme d’État qu’il est si souvent ; on peut croire qu’il ne lui a manqué que d’être élevé, une fois pour toutes, à son niveau et dans sa plus haute sphère. […] Supposez un instant Mirabeau ministre, défenseur avoué du trône constitutionnel, et s’honorant de l’être, il eût fait ce sacrifice sans nul doute, ou plutôt il n’eût pas eu de sacrifice à faire : l’orateur se serait simplement retourné, et aurait fait face à l’attaque sur la brèche même ouverte par lui.

154. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Deuxième partie — Chapitre I. La quantité des unités sociales : nombre, densité, mobilité »

Dès que le cercle des républiques s’élargit, il faudrait, pour que tous les membres du souverain continuassent à exercer leurs droits, que la vie sociale fût à chaque instant arrêtée, et toute affaire cessante : dans un État qui grandit, le gouvernement direct devient un leurre. […] Si donc, de par la constitution de notre société, nous avons à chaque instant affaire à un nombre très grand, pratiquement indéfini, de « semblables », cette sorte de représentation ne nous sera-t-elle pas plus aisée que si nous n’avions affaire qu’à un nombre petit et limité de « concitoyens » ? […] N’est-ce pas dans les associations dont les membres se meuvent le plus aisément que nous avons le plus de chances de nous trouver, à chaque instant, en relations étroites avec des gens qui nous étaient, l’instant d’avant, totalement inconnus ?

155. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre premier. Ce que devient l’esprit mal dépensé » pp. 1-92

En cet instant, Molière devait être admirable. […] Vous savez l’instant où M.  […] M. le roi Louis XIV lorsque nous écrirons Les Fâcheux, tout exprès pour amuser le roi un instant. […] L’instant d’après, l’avocat arrive. […] La scène est si belle, que Fabre d’Églantine oublie, un instant, sa déclamation et son emphase habituelles.

156. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « VICTORIN FABRE (Œuvres mises en ordre par M. J. Sabbatier. (Tome II, 1844.) » pp. 144-153

Cela nous coûte à dire, mais il nous fait comprendre ce qu’il peut y avoir de bon, au moins par instants, chez les libertins en littérature. […] Victorin Fabre parut ; accueilli par un tonnerre d’applaudissements, il fut quelques instants à se remettre.

157. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section III. Des ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre IV. De la bienfaisance. »

Elle n’a rien à faire avec le passé, ni l’avenir ; une suite d’instants présents composent sa vie ; et son âme, constamment en équilibre, ne se porte jamais avec violence sur une époque, ni sur une idée ; ses vœux et ses efforts se répandent également sur chacun de ses jours, parce qu’ils appartiennent à un sentiment toujours le même, et toujours facile à exercer. […] Voyez Almont, sa fortune est restreinte, mais jamais un être malheureux ne s’est adressé à lui sans que, dans cet instant, il ne se soit trouvé les moyens de venir à son aide, sans que, du moins, un secours momentané n’ait épargné à celui qui prie, le regret d’avoir imploré en vain ; il n’a point de crédit, mais on l’estime, mais son courage est connu ; il ne parle jamais que pour l’intérêt d’un autre ; il a toujours une ressource à présenter à l’infortune, et il fait plus pour elle que le ministre le plus puissant, parce qu’il y consacre sa pensée tout entière.

158. (1897) La crise littéraire et le naturisme (article de La Plume) pp. 206-208

Si l’on médite un instant, on se persuadera que notre situation n’est guère différente. […] Pas un instant moins tragique, le matin se couche sur un monde d’aurore.

159. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — Chapitre X »

Un vent de désordre souffle sur cette zone ambiguë ; elle flotte, elle change de forme ; elle renouvelle, à chaque instant, ses peuplades ; elle a l’anomalie et l’excentricité des choses amphibies. […] Un instant après, Olivier apprend que M. de Nanjac est passionnément amoureux de la femme qui vient de lui donner son congé, et c’est alors que son zèle s’allume, que sa conscience se soulève, et qu’il entre résolument en campagne contre l’intrigante. […] Il est le premier à rire des bévues mondaines qui, par instants, lui échappent. […] Supposons, d’ailleurs, un instant, la vérité de cette thèse ; alors ce n’est plus une Bourse qu’il faut ériger à la Fortune, c’est un temple. […] — elle la fait attendre vainement jusqu’au bout, sans un instant d’impatience.

160. (1889) La littérature de Tout à l’heure pp. -383

Mais les apothéoses ne durent qu’un instant de raison. […] Il sait l’instant mauvais, il en voudrait sortir ou en avoir raison. […] À coup sûr, s’ils ont des « instants de Poëte », ils jouent au baccarat ou fument des cigares, dans ces instants-là. […] L’impassibilité fut une vérité qui est une erreur, — la nécessité d’un instant. […] Maurice Rollinat est la plus intéressante victime de cet instant mauvais.

161. (1856) Cours familier de littérature. I « VIe entretien. Suite du poème et du drame de Sacountala » pp. 401-474

Dans cet instant, mon petit faon favori était auprès de nous : « Bois le premier », lui dis-tu avec douceur, en lui tendant la coupe végétale ; mais le timide animal, peu habitué à ta vue, n’osa pas s’incliner pour boire, tandis qu’il but sans défiance quand je pris la coupe de ta main, et que je la lui tendis dans la mienne. […] Je ne sais, mais je soupçonne que cet anneau a, dans l’instant même, rappelé à son souvenir quelque objet tendrement aimé ; car, à peine l’eut-il considéré, que notre souverain, naturellement si profond et si calme, a trahi dans tous ses traits le trouble de son âme. […] C’est en vain qu’il cherche le repos sur sa couche tourmentée, où, durant la nuit entière, il ne peut goûter un seul instant les douceurs du sommeil. […] « Nous touchons », dit-il à son compagnon, « à cette sphère étincelante de clarté qui, dans ses révolutions rapides, entraîne les astres innombrables et les flots sacrés du Gange, à cette sphère à jamais sanctifiée par l’empreinte divine des pas de Wichnou… J’en juge par la seule impression du mouvement de ce char, par cette légère rosée que font jaillir au loin les roues humides, par ces coursiers à la crinière rebroussée et toute brillante de la lueur des éclairs qu’ils traversent, par ces aigles qui abandonnent de tous côtés leurs nids placés dans les fentes des rochers, et qui volent effarés tout autour de nous. » Puis, abaissant ses regards sur la terre : « Quel spectacle admirable et varié me présente, d’instant en instant, grâce à la descente précipitée du char, le séjour habité par l’homme ! […] — « Voyez cet autre tableau », lui dit Sita ; « il représente l’instant où vous vous revêtez de l’habit de pénitence parmi les saints cénobites. » — « Oui », réplique le héros, « cet état de vie austère que les anciens rois de notre race adoptaient pour se sanctifier quand ils avaient abdiqué l’empire en faveur de leurs enfants, nous l’avons adopté à la fleur de notre âge, nous avons été heureux de languir dans ces ermitages au fond des forêts, pour nous former à la sagesse sous des maîtres inspirés des dieux.

162. (1900) Le rire. Essai sur la signification du comique « Chapitre III. Le comique de caractère »

Nous pouvons avoir fréquenté longtemps une personne sans rien découvrir en elle de risible : si l’on profite d’un rapprochement accidentel pour lui appliquer le nom connu d’un héros de drame et de roman, pour un instant au moins elle côtoiera à nos yeux le ridicule. […] Je veux dire que nous nous mettons pour un très court instant à sa place, que nous adoptons ses gestes, ses paroles, ses actes, et que si nous nous amusons de ce qu’il y a en lui de risible, nous le convions, en imagination, à s’en amuser avec nous : nous le traitons d’abord en camarade. […] Pendant un instant au moins, nous nous mêlons au jeu. […] Mais nous ne nous reposons qu’un instant. […] L’enfant qui joue près de là vient en ramasser une poignée, et s’étonne, l’instant d’après, de n’avoir plus dans le creux de la main que quelques gouttes d’eau, mais d’une eau bien plus salée, bien plus amère encore que celle de la vague qui l’apporta.

163. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Fanny. Étude, par M. Ernest Feydeau » pp. 163-178

On dirait d’un instrument plus perfectionné ; le rayon avec ses jeux et ses reflets y est saisi et fixé tout vif ; à chaque instant le soleil est pris sur le fait. […] Jamais dans Adolphe nous ne voyons nettement, pleinement, le jour, le lieu, l’heure, l’instant inoubliable, l’instant nonpareil et ce qui le grave.

164. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Léonard »

De plus, ses vers à chaque instant la rappellent et en empruntent une teinte mélancolique, une note plaintive et bien vraie. […] Welbruck était un prince aimable et léger, qui ne cherchait qu’à, s’amuser, et qui n’a paru favoriser un instant les belles-lettres et les arts que pour imiter ce qu’il voyait faire à presque tous les souverains de l’Europe. » (Mélanges, 1810, page 62.) […] Welbruck était un prince aimable et léger, qui ne cherchait qu’à, s’amuser, et qui n’a paru favoriser un instant les belles-lettres et les arts que pour imiter ce qu’il voyait faire à presque tous les souverains de l’Europe. » (Mélanges, 1810, page 62.)

165. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Raphaël, pages de la vingtième année, par M. de Lamartine. » pp. 63-78

Oui, en partie ; il y a des instants où l’on croit voir et entendre cette charmante et délicate créature. Mais, à d’autres instants et par d’autres endroits, le personnage est devenu en partie systématique. […] Je dirai donc, en raisonnant exactement comme M. de Lamartine, et en opposant les éléments contradictoires dont il compose l’amante de Raphaël : Si Julie est incrédule, elle ne doit point parler de Dieu à chaque instant.

166. (1890) Causeries littéraires (1872-1888)

à son insu, il fait à chaque instant le récit de Théramène. […] Il a pu lui arriver, en quelque instant de lassitude, de douter, de s’inquiéter au moins. […] vraiment l’instant est bien choisi, mes petites odalisques ! […] Cependant minuit sonne, l’instant psychologique. […] C’est un instant d’oubli, c’est le rêve.

167. (1874) Premiers lundis. Tome II « Poésie — Poésie — I. Hymnes sacrées par Édouard Turquety. »

Les modèles qui l’ont introduit dans la langue qui n’est pas la sienne et sur lesquels il s’est façonné, ne resteront-ils pas présents à ses yeux et ne lui imposeront-ils pas à chaque instant leur empreinte ? […] Quand, par ces nuits d’hiver, l’homme de la campagne,   Si vigilant et soucieux, Veut connaître l’instant de quitter sa compagne   Pour le travail, alors ses yeux Cherchent le Chariot qui toujours au ciel reste    Exposant ses trains éclatants : Là sept étoiles d’or dans le livre céleste Indiquent le chiffre du temps.

168. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XIV. Moralistes à succès : Dumas, Bourget, Prévost » pp. 170-180

. — Y a-t-il dans la salle une fille-mère de bonne volonté qui veuille bien me prêter un instant sa fausse situation ? […] Dès l’instant que ces aimables bouquets à Clitoris sont sans prétention artistique, j’y applaudis, et au besoin, j’y mets le nez.

/ 1894