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758. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Pour encourager les riches. » pp. 168-175

Si, d’avoir donné vingt millions aux pauvres, cela vous attire de telles oraisons funèbres, nous avons donc deux raisons pour une de garder notre bel argent. » Ces personnes se tromperaient.

759. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — D — Dierx, Léon (1838-1912) »

En relisant ces deux tomes de poésies complètes (nous espérons bien que des vers nouveaux viendront encore augmenter sa gloire), on est surpris de l’initiale solidité, de cette œuvre et de voir combien tout, après les années écoulées, reste debout, ferme et gracieux, combien les mélancolies de Dierx ont gardé toute la fraîcheur du décor sylvestre dont il s’est plu à les parer.

760. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — H — Heredia, José Maria de (1842-1905) »

Comme nous, nous disons : « 1857, l’année de Bovary, des Fleurs du mal, des Poésies barbares, de Fanny », on dira seulement, mais c’est quelque chose : « 1893, l’année des Trophées », et dans un tiers de siècle, j’espère, les nouveaux me permettront de mentir un peu sur ce 1893 et sur cette apparition des Trophées, avec la grâce délicate que les jeunes gens ont tant raison de garder au bon chroniqueur devenu mûr et qui se souvient tout haut.

761. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — S — Saint-Pol-Roux (1861-1940) »

Et, d’avoir lu ces pages de clarté, j’ai gardé l’âme éblouie comme au passage d’une gloire lumineuse d’archange, telle qu’on peut la songer d’après l’or, le rouge et le bleu des images naïves, peintes pieusement autrefois.

762. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — S — Silvestre, Armand (1837-1901) »

Armand Silvestre garderait cette originalité d’avoir fait vibrer les deux cordes extrêmes de la Lyre, la corde d’argent et la corde de boyau… (l’épithète est dans

763. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — S — Sully Prudhomme (1839-1907) »

C’est une heureuse illusion que celle des âmes simples qui croient que ce poète est religieux ; n’a-t-il pas gardé de la religion la seule chose essentielle : l’amour et le respect de l’homme ?

764. (1863) Molière et la comédie italienne « Préface » pp. -

Il garda aussi l’ancien nom, mais adouci, et s’appela Polecenella.

765. (1887) Discours et conférences « Discours à l’Association des étudiants »

Je prie ceux d’entre vous qui ne me verront que cette fois de garder de moi, quand je ne serai plus de ce monde, un souvenir affectueux.

766. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — A — article » pp. 124-134

On ne doit cependant pas condamner cette réserve : il auroit pu faire comme beaucoup d’autres Philosophes, ses subalternes, ne garder aucune mesure, déclamer à outrance, insulter sans égard, prodiguer des épithetes dures, traiter de style de laquais les Ecrits anti-philosophiques, qualifier de libelles les Ouvrages où l’on venge l’honneur outragé de quelques Gens de Lettres, &c.

767. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Addisson, et Pope. » pp. 17-27

Cet écrivain méritoit ce ménagement par ceux qu’il avoit toujours gardés, même en donnant naissance à la cabale.

768. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre quatrième. »

Alexandre qui demande un tribut aux quadrupèdes, aux vermisseaux, ce lion porteur de cet argent, et qui veut le garder pour lui, tout cela pèche contre la sorte de vraisemblance qui convient à l’Apologue.

769. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — Lettre, à Madame la comtesse de Forbach, sur l’Éducation des enfants. » pp. 544-544

Surtout gardez-vous de lui prêcher toutes les vertus, et de lui vouloir trop de talents.

770. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 18, que nos voisins disent que nos poëtes mettent trop d’amour dans leurs tragedies » pp. 132-142

Gardez donc de donner ainsi que dans Clelie l’air et l’esprit françois à l’antique Italie, et sous des noms romains faisant notre portrait, peindre Caton galand et Brutus dameret.

771. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 29, si les poëtes tragiques sont obligez de se conformer à ce que la geographie, l’histoire et la chronologie nous apprennent positivement » pp. 243-254

Nous pouvons encore confirmer notre sentiment par ce qu’Aristote dit au sujet de la vrai-semblance historique qu’il faut garder dans les poëmes.

772. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Conclusion »

Parce que la sociologie est née des grandes doctrines philosophiques, elle a gardé l’habitude de s’appuyer sur quelque système dont elle se trouve ainsi solidaire.

773. (1818) Essai sur les institutions sociales « Préface » pp. 5-12

Je me garderai bien de rentrer dans une telle discussion.

774. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Paria Korigan » pp. 341-349

Et si un tel livre, qui à toute page fait oublier qu’il en est un, n’est au fond qu’un bouquet d’histoires recueillies dans le pays de cette Luçotte, qui est, par le langage, un chef-d’œuvre de vieille paysanne bas-bretonne, il faut féliciter sincèrement la femme qui les a réunies de tous les bonheurs de sa mémoire, et d’avoir gardé si fidèlement l’âme de son pays dans son âme.

775. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Préface » pp. -

La Poésie, l’Histoire et la Philosophie n’ont point, certes, perdu le rang qu’elles ont toujours tenu dans l’imagination ou la raison des hommes, et il est évident qu’elles le garderont.

776. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Léon Cladel »

Cladel, qui est un paysan et qui s’en vante, et qui a raison de s’en vanter ; Cladel, qui s’est voué à les peindre à fond, et qui les a peints une seconde fois dans sa Fête votive de saint Bartholomée Porte-glaive 51, avec une énergie plus grande encore que la première fois (dans le Bouscassié), s’est bien gardé, tout républicain qu’il puisse être, d’écrire sur ses deux volumes : « Mes ruraux » , qui serait ridicule, mais il a mis : « Mes paysans » , qui dit nettement que dans ses livres il ne s’agit exclusivement que des paysans de son pays.

777. (1912) Chateaubriand pp. 1-344

S’il a cessé de croire d’assez bonne heure, il se souvient d’avoir cru, il a gardé le respect de l’Église et la sensibilité chrétienne. […] Au reste, il me semble bien avoir gardé quelque chose de cette première rédaction. […] Elle la lui a gardée dix ans. […] Je n’avais pas lu cela depuis quarante ans et je n’en avais gardé aucun souvenir. […] L’empire romain était gardé par cent cinquante mille hommes, et César n’avait que quelques légions à Pharsale.

778. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Quelques « billets du matin. » »

Plusieurs fois j’ai passé à Croisset une après-midi tout entière : car, pour peu qu’on lui plût, il vous gardait, il ne vous laissait plus partir. […] Cette particularité, dont je me gardai bien de chercher les causes, me charma. […] Il n’est pas de jour où il ne soit exposé aux regards des autres hommes, obligé de garder interminablement une attitude à la fois digne et bienveillante, souriante et grave. […] Quant aux Peaux-Rouges et aux bons nègres, il y a longtemps qu’ils ne nous gardent plus de surprises. […] pendant que vous y êtes, ne pourriez-vous faire remplacer par de vraies femmes les vieilles dames d’honneur de la reine Amélie qui gardent le beau jardin du Luxembourg ?

779. (1902) Le critique mort jeune

Faguet en a gardé le meilleur : l’art de distribuer son savoir à autrui. […] Mais on n’épouse pas aussi longuement et aussi étroitement les idées d’un autre sans en garder un certain pli. […] Mais il gardait — comment le contraire serait-il possible ? […] C’est une bonne preuve de la possession de soi-même que Maurice Barrès sait garder en face des spectacles naturels. […] Ce ne fut pas pour en garder la discipline, mais le genre de sensibilité et le tour d’imagination qui étaient les plus propres à le rendre intelligible à un public français, d’éducation et de mœurs catholiques.

780. (1925) Les écrivains. Première série (1884-1894)

Gardons le rêve, car le rêve est notre plus précieux héritage. […] Jean Lombard avait gardé de son origine prolétaire, affinée par un prodigieux labeur intellectuel, par un âpre désir de savoir, par de tourmentantes facultés de sentir, il avait gardé la foi carrée du peuple, son enthousiasme robuste, son entêtement brutal, sa certitude simpliste en l’avenir des bienfaisantes justices. […] Il se gardait pur, intact, croyant. […] Paul Hervieu s’est constamment gardé de ce défaut, qui n’a de prise, d’ailleurs, que sur les petites âmes, mal défendues par de petits cerveaux. […] Jules Huret dédaigna, négligea, oublia de consulter, au lieu de le bénir à jamais, lui gardent des rancunes immortelles.

781. (1902) Le chemin de velours. Nouvelles dissociations d’idées

Si Gerbert n’est pas un de nos grands hommes aujourd’hui, il le sera peut-être demain ; il a gardé intactes toutes ses possibilités de résurrection. […] Le kantisme est une hérésie chrétienne, et qui a bien gardé, en les renforçant, les caractères essentiels du christianisme. […] Quand il garda la chambre, ce fut bref. […] Des provinces, jusqu’aux premières années de ce siècle, gardèrent la tradition des unions précoces. […] Du grand siècle lui-même la plupart de ces jeunes cœurs n’ont gardé le souvenir que des poètes qui parlent de l’amour.

782. (1925) Comment on devient écrivain

Le public parisien devait garder longtemps ce goût du mystère « persan ». […] Gardez toujours le ton d’un simple narrateur. […] Les livres d’histoire ont gardé leur public et sont toujours très lus. […] C’était un homme aimable et de beaucoup d’esprit, qui garda toujours quelque chose de sa première jeunesse élégante. […] Villey ; mais son style, comme celui d’Amyot, a gardé la naïveté du texte grec.‌

783. (1911) Visages d’hier et d’aujourd’hui

Toute sa vie, il garda le scrupule de qui a des doctrines à répandre. […] Toute mesure gardée, ce poète philosophe emporte une double louange. […] Il trouva, en tout cas, après une loyale tentative, que ce métier-là n’était pas celui qui le garderait. […] Si peu commune qu’en fin de compte on en parle souvent et, quant à la garder, c’est une autre affaire. […] Il te faudra improviser, au jour le jour, de médiocres ruses, qui te garderont mal de tentatives imprévues.

784. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — Chapitre II. Dryden. »

Dryden veut garder le fond du vieux drame anglais, et conserve l’abondance des événements, la variété des intrigues, l’imprévu des accidents et la représentation physique des actions sanglantes ou violentes. […] « La nature m’avait faite pour être une bonne épouse, une pauvre innocente colombe domestique ; tendre sans art, douce sans tromperie727. » Non, certes, ou du moins cette tourterelle n’eût point dompté ni gardé Antoine ; une bohémienne seule le pouvait par la supériorité de l’audace et la flamme du génie. […] Il y a des caractères virils : lui-même est un homme, et, sous ses complaisances de courtisan, sous ses affectations de poëte à la mode, il a gardé le naturel énergique et âpre. […] Vous me pourrez laisser à Athènes ; —  n’importe où ; je ne me plaindrai jamais. —  Je ne garderai que le stérile nom d’épouse — et vous serez quitte de tout autre ennui730. » Cela est grand ; cette femme a un cœur fier, et aussi un cœur d’épouse ; elle sait donner et elle sait souffrir ; ce qui est mieux, elle sait se sacrifier sans emphase et d’un ton calme ; ce n’est point une âme vulgaire qui a conçu une pareille âme. […] Né entre deux époques, il avait oscillé entre deux formes de vie et deux formes de pensée, n’ayant atteint la perfection ni de l’une ni de l’autre, ayant gardé des défauts de l’une et de l’autre, n’ayant point trouvé dans les mœurs environnantes un soutien digne de son caractère, ni dans les idées environnantes une matière digne de son talent.

785. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre IV. L’âge moderne. — Chapitre II. Lord Byron. » pp. 334-423

À ses yeux, en ce moment, l’Église et la constitution sont choses saintes : gardez-vous d’y toucher, si vous ne voulez point devenir ennemi public ! […] C’est ce moment que Byron choisit pour louer Voltaire et Rousseau, admirer Napoléon1250, s’avouer sceptique, réclamer pour la nature et le plaisir contre le cant et la règle, dire que la haute société anglaise, toute débauchée et hypocrite, fabrique des phrases et fait tuer des hommes pour garder ses sinécures et ses bourgs pourris. […] Voilà comme ils meurent, —  léguant leur rage héréditaire — à une race nouvelle d’esclaves-nés, qui recommenceront la guerre — pour garder leurs chaînes, et, plutôt que d’être libres, —  saigneront en gladiateurs, et toujours iront s’assaillant — dans cette même arène où ils voient — leurs compagnons tombés avant eux, comme les feuilles du même arbre1272. […] Cette mélodie, le poëte la respecte ; il évite de l’altérer par le mélange de ses idées ou de son accent ; tout son soin est de la garder intacte et pure. […] … » Du décorum et de la débauche ; des tartufes de mœurs, Qui mettent leurs vertus en mettant leurs gants blancs1299 ; une oligarchie qui, pour garder ses dignités et ses sinécures, déchire l’Europe, dévore l’Irlande et ameute le peuple avec les grands mots de vertu, de christianisme et de liberté : il y avait des vérités sous ces invectives1300.

786. (1866) Cours familier de littérature. XXII « CXXXIIe entretien. Littérature russe. Ivan Tourgueneff (suite) » pp. 317-378

Une ruche est faite de main d’homme, et gardée par des hommes. […] Son visage était ridé, ses joues creuses ; et ses lèvres plissées, qu’il remuait perpétuellement comme s’il mâchait quelque chose, aussi bien que le silence obstiné qu’il gardait d’ordinaire, lui donnaient une expression presque sinistre. […] Pendant ce temps le iamstchik restait immobile, penché de côté et regardant la porte fermée, tandis que le laquais de Lavretzky gardait la pose pittoresque qu’il avait prise en sautant à terre, une main appuyée sur le siège. […] Il salua froidement Lise, il lui gardait rancune de lui faire attendre sa réponse, et s’éloigna ; Lavretzky le suivit. […] Elle s’arrêta tout à coup et se tut à la vue d’un étranger ; mais ses yeux limpides, fixés sur lui, gardèrent leur expression caressante ; les frais visages ne cessèrent point de rire.

787. (1867) Cours familier de littérature. XXIII « cxxxviiie entretien. Littérature germanique. Les Nibelungen »

« Trois rois la gardaient, nobles et puissants : Gunther et Gêrnôt, guerriers illustres, et Gîselhêr, le plus jeune, un guerrier d’élite. […] « Je vous le dis, par ma foi, ils se garderaient de trop d’arrogance. […] Mais l’âme du héros était ainsi faite qu’il n’en voulut rien garder. […] Si ton honneur t’est cher, tu aurais mieux fait de garder le silence. […] « Il dit à son seigneur : « Nous nous garderons bien de les laisser partir, avant que nous ne soyons prêts à les suivre nous-mêmes sept nuits après leur départ.

788. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre VI. La parole intérieure et la pensée. — Second problème leurs différences aux points de vue de l’essence et de l’intensité »

En apparence pourtant, il fait l’unité de notre vie individuelle, comme le signe extérieur fait l’unité de la vie sociale : il sert d’intermédiaire entre plusieurs apparitions d’une même idée dans la même conscience ; sans lui, nous oublierions nos idées, et notre passé s’évanouirait à mesure ; les mots gardent pour l’avenir nos pensées d’autrefois ; à notre appel, ils nous les rendent, et nous permettent ainsi de nous en servir comme de matériaux pour de nouvelles entreprises intellectuelles ; les mots semblent la matière propre de la remémoration et, par suite, l’unité empirique de notre existence, dont la loi du souvenir est l’unité formelle. […] Le mot n’a donc pas à garantir l’idée contre une dissolution chimérique ; seulement, s’il est impartial, il assure la pureté logique de l’idée générale en fixant à ses éléments la hiérarchie qu’ils doivent garder ; une pensée se particularise fatalement quand elle s’exprime elle-même par un des éléments qui la composent ; pour acquérir et garder intacte sa généralité, elle doit prendre son expression dans un ordre de phénomènes qui lui soit hétérogène. […] Vraisemblablement, tel est le cas des caractères distinctifs de nos idées les plus usuelles ; on s’explique ainsi comment elles gardent pour l’esprit toute leur valeur logique bien qu’elles soient si étrangement affaiblies pour la conscience. […] A ces misères inévitables de notre nature, le remède est en nous pourtant, et, si nous ne pouvons atteindre la perfection et garder jusqu’au dernier soupir notre attention toujours jeune, du moins nous pouvons, par une lutte incessante, nous rapprocher de l’idéal. […] Constant, Adolphe, Paris, Flammarion, « GF », 1989, p. 62-63). « les idiomes étrangers rajeunissent les pensées et les débarrassent de ces tournures qui les font paraître tour à tour communes et affectées » : idée qu’on peut rapprocher de l’éloge des traductions des littératures étrangères dans l’article de Mme de Staël en janvier 1816 à Milan (« De l’esprit des traductions ») et de l’utilité qu’elles gardent quelque chose du style de la langue originale pour contribuer à lutter contre ces fameuses « tournures communes ».]

789. (1782) Essai sur les règnes de Claude et de Néron et sur la vie et les écrits de Sénèque pour servir d’introduction à la lecture de ce philosophe (1778-1782) « Essai, sur les règnes, de Claude et de Néron. Livre second » pp. 200-409

Et quand on égalerait Fénelon dans la prose, Racine ou Voltaire dans la poésie, serait-on dispensé de garder un ton modéré, à moins qu’il ne fût question de défendre l’innocence calomniée ?’ […] Jusqu’à ce que la suffisance soit devenue la mesure du mérite, il faudrait se garder d’en prendre le ton. […] Au théâtre le spectateur, dans l’école le disciple ne rompent le silence que parce qu’ils ne peuvent plus le garder. […] Mais gardez-vous de dédaigner un ouvrage plein d’idées sublimes, qui vous détrompera ou qui vous affermira dans votre opinion. […] et quand ils les y auraient appelés, comment les y garderaient-ils ?

790. (1924) Critiques et romanciers

Et le jeune Dupont gardait de son enfance une ferveur assez mystique. […] « Je suis d’une génération à qui la vie s’est montrée peu clémente et qui en a gardé quelque amertume », dit-il un jour aux mânes de Töpffer. […] Cependant, il avait gardé un certain goût du néologisme, qui n’est pas ce qu’on louera dans sa manière d’écrire, autrement si habile, originale et, par certains côtés, classique. […] Les vieux l’avaient oubliée : les gamins en gardaient la rancune. […] Du moins, disait-il, « je me suis gardé de rien tirer de mon propre fonds, ayant tâché seulement d’éviter les gens qui mentent.

791. (1866) Nouveaux essais de critique et d’histoire (2e éd.)

Il aime les unes autant que les autres, et veut les garder toutes. […] Séparons donc la science de la poésie et de la morale pratique comme nous l’avons séparée de la religion ; gardons à chacune ses preuves, son autorité et sa méthode ; gardons à chacune son domaine, et surtout gardons à la philosophie le sien. […] Aussi personne ne peut-il la garder impunément auprès de soi. […] Sa lésine est d’autant plus basse qu’il est né riche bourgeois, et que son rang l’oblige à garder valets, diamants et voitures. […] Mais la chose était si énorme qu’on avait dû garder un peu de mesure et prendre quelques précautions.

792. (1890) Journal des Goncourt. Tome IV (1870-1871) « Année 1870 » pp. 3-176

On s’arrête à cette phrase : « La condamnation sera exécutée, séance tenante, par le piquet commandé pour garder le lieu de la séance. » Et on songe avec un petit frisson qu’on entre dans le dramatique et le sommaire du siège. […] qui gardez-vous ? […] Elle ne savait pas, cette sentinelle, que le gouvernement qu’elle gardait, avait été changé. […] Toutes les maisons abandonnées, gardent des écriteaux de location, ô ironie ! […] gardez-vous du beurre de coco ; ça infecte une maison, au moins pendant trois jours.

793. (1896) Le IIe livre des masques. Portraits symbolistes, gloses et documents sur les écrivains d’hier et d’aujourd’hui, les masques…

Aussi quand il se crut mis en demeure de choisir entre ses idées et son état, il choisit de garder ses idées, sans se demander si l’abandon de son état n’allait pas diminuer l’intérêt même de ses idées. […] Donné par le poète (lui-même, il est très vrai) le mot d’ordre du silence a été gardé depuis sept ans avec une religion vraiment exemplaire, mais ceux qui ont souffert de se taire me pardonneront peut-être d’avoir parlé. […] Car, tandis que, dans la série des notions générales, positivisme prenait le sens, tout moderne, de réalisme philosophique, pour les adeptes, le mot gardait un sens religieux, sentimental et presque amoureux. […] Autrefois le grand mot des voleurs (et des autres), l’argent, ne gardait que très peu de temps son manteau argotique ; constamment rhabillé, il échappait à la connaissance immédiate des non-initiés. […] Plus tard, tandis que les uns gardaient la seule poésie et, par Musset, arrivaient à Octave Feuillet, les autres, rejetant toute poésie, venant de Stendhal, aboutissaient aux sèches analyses de Duranty, ― qu’aucun effort n’a pu tirer de son sépulcre.

794. (1911) Études pp. 9-261

Elles la gardent condensée comme une liqueur faite pour séduire le souvenir. […] Elle est faite de flammes soumises, mais qui gardent la violence attachée du feu. […] Elle gardait dans la volupté la plus mièvre et déjà la plus retombée une gravité déconcertante. […] Son premier mouvement est en effet de se garder. […] Gardez-moi d’un bonheur que je pourrais trop vite atteindre !

795. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « LEOPARDI. » pp. 363-422

On me fait remarquer que ceux de Leopardi, en se rattachant à cette dernière école pour la netteté, paraissent avoir gardé de la facilité de l’autre : les connaisseurs diront le degré exact et à quel point ils les jugent bien frappés. […] Mais de plus lui-même, sans s’en douter, il avait gardé du christianisme en lui ; les anciens n’aimaient pas, à ce degré de passion qu’on lui verra, l’amour et la mort : quelques-unes de ses pièces semblent être d’un Pétrarque incrédule et athée (pardon d’associer ces mots !) […] Chez Leopardi, je le rappelle, pas un mot inutile n’est accordé ni à la nécessité du rhythme ni à l’entraînement de l’harmonie : la simplicité grecque primitive diffère peu de celle qu’il a gardée et qu’il observe religieusement dans sa forme. […] Mais ma santé ici a été jusqu’à présent si mauvaise que je ne puis vous donner aucune information satisfaisante à ce sujet, étant obligé de garder presque toujours la maison.

796. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCVe entretien. Alfred de Vigny (2e partie) » pp. 321-411

« Il me parut qu’il gardait, ma foi ! […] Je me gardai de parler, de peur de détourner ses idées ; il reprit en frappant sa poitrine : * * * « — Ce moment-là, je vous le dis, je ne peux pas encore le comprendre. […] Je leur tournai le dos, et je la gardai avec moi. […] C’est là une œuvre divine à faire. — Pour moi, frappé de ce signe heureux, je n’ai voulu et ne pouvais faire qu’une œuvre bien humble et tout humaine, et constater simplement ce que j’ai cru voir de vivant encore en nous. — Gardons-nous de dire de ce dieu antique de l’Honneur que c’est un faux dieu, car la pierre de son autel est peut-être celle du Dieu inconnu.

797. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CIVe entretien. Aristote. Traduction complète par M. Barthélemy Saint-Hilaire (2e partie) » pp. 97-191

Je me garderai bien de ranimer les querelles des romantiques et des classiques, tout en reconnaissant volontiers et en regrettant ce qu’avaient d’honorable et d’élevé ces passions intellectuelles, remplacées par de moins dignes et de moins innocentes. […] Il rappelle dans une épître nonchalante des idées cent fois répétées dans les causeries familières, et il s’est bien gardé de se faire précepteur ; les Pisons n’auraient point reconnu leur spirituel ami sous l’austérité d’un pédagogue. […] Mais, en cherchant une réponse à ces questions, gardons-nous de séparer Platon de Socrate, puisque le pieux disciple a voulu que la postérité ne l’écoutât jamais que par l’intermédiaire et sous la garantie de son incomparable maître. […] Je ne parle pas de cette philosophie qui écrivait en vers et conservait, au grand préjudice de la pensée, les indécisions de la poésie, sans en garder les grâces.

798. (1867) Cours familier de littérature. XXIV « CXXXIXe entretien. Littérature germanique. Les Nibelungen »

Je les ferai bien garder. » — Par ma foi, dit Hagene, il n’en sera point ainsi. […] dit dame Kriemhilt, pourquoi mon frère et Hagene ne veulent-ils pas donner à garder leurs boucliers ? […] « — Puisque je suis camérier, répondit l’intrépide jeune homme, — et il me semble que je saurai bien servir de si puissants rois, — je garderai ces marches à mon honneur. » Rien ne pouvait être plus funeste pour les guerriers de Kriemhilt. […] Oui, les mains de deux héros ont mis le verrou à la porte d’Etzel ; elles valent bien mille barreaux. » Quand Hagene de Troneje vit la porte si bien gardée, il jeta son bouclier sur l’épaule, le vaillant et illustre guerrier.

799. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Figurines »

Il déchirait, dans les livres du dix-huitième siècle, les pages qui l’offensaient et n’en gardait que les pages innocentes dans leurs reliures à peu près vidées. […] Parce qu’il a gardé, avec une coquetterie hautaine, la syntaxe du dix-septième siècle, on le croit contemporain de Bossuet par les idées. […] M. de Vogüé est de ceux qui ont le mieux gardé, sur un fond rajeuni, le geste de la prose du temps de Louis-Philippe. […] Elles se sont mises à écrire à leur tour ; et la grâce la plus aisée, l’expérience la plus fine et la plus clémente, le spiritualisme le plus délicat ornent leurs récits ; et c’est en ajoutant au meilleur de ce qu’il passait pour représenter qu’elles gardent le nom dont elles sont dépositaires.

800. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre X, Prométhée enchaîné »

C’étaient l’Égide de Zeus, le Char du Soleil, la Flèche qui, lancée par Apollon, revenait, après avoir transpercé son but, se replacer dans la main du dieu, les deux Chiens d’or et d’argent qui gardaient la maison d’AIcinoüs, les Taureaux de bronze qui effrayaient par leurs beuglements ceux qui approchaient de la Toison d’or. […] Io n’était, en effet, à la naissance de son mythe, que la Lune elle-même dont Zeus, représentant le ciel de l’air, était amoureux, et gardée par Argos, personnification du firmament étoilé. […] Ô jeune fille, ne dédaigne point le lit de Zeus, mais sors de ta demeure, et va dans la vaste prairie de Lerne, où sont les étables et les troupeaux de ton père, afin que l’œil du dieu ne brûle plus de désirs. » Ce frère de douleur qu’elle a rencontré sur sa voie fatale a gardé le don de la prescience. […] Quelques-unes de ses épithètes, « le Blanc », « le Brillant », — λευϰος, — gardent trace de ses couleurs primitives.

801. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Appendices » pp. 235-309

Trente ans après, c’est un Suisse qui la découvre. » Nous en arrivons donc à conclure, que, d’une façon générale, il faut bien se garder de considérer tous les emprunts non avoués comme des plagiats. […] Issue en bonne partie de fêtes religieuses, puis nourrie de récits légendaires, la tragédie grecque a gardé toujours (plus ou moins, selon les temps et les poètes) des traces sensibles de ses origines lyriques et épiques. […] — Et les principes directeurs offrent une probabilité du même genre : le christianisme, qui fut un élément essentiel du moyen Âge, semble étranger au principe de la Renaissance et à celui de la Révolution ; en théorie, oui ; dans la pratique, il a gardé une importance considérable, non seulement en ce qu’il a d’éternellement vrai, mais aussi en ce que ses dogmes ont de suranné et d’inhumain : l’Église romaine commande encore à des millions de consciences ; la notion chrétienne du Mal trouble encore notre morale et même notre droit pénal ; bien plus : l’intolérance haineuse des « libres penseurs » est elle-même une action du christianisme qui entrave ainsi l’évolution de cette humanité qu’il avait jadis délivrée. […] Plus encore : si elle savait que, demain, notre planète sera réduite en poussière, l’humanité pensante n’en garderait pas moins cette fierté d’avoir pesé les soleils, d’avoir créé l’idée de justice, et d’avoir, par l’amour, rempli sa journée d’un rêve d’éternité.

802. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Sully, ses Économies royales ou Mémoires. — I. » pp. 134-154

Une tentation dont on a d’abord à se garder quand on se débarrasse ainsi du Sully de convention pour vouloir retrouver le réel, c’est d’aller à l’extrémité contraire, c’est de lui chercher un défaut précisément à la place de la qualité dont on l’avait loué, c’est de diminuer sa grandeur, parce qu’elle n’est pas tout à fait celle qu’on avait, dans les derniers temps, préconisée. […] La première partie de la carrière de Rosny se passera à n’être en apparence qu’un homme de guerre et un soldat ; mais ce fonds d’études, cet amour d’une instruction solide et sérieuse, vertueuse en un mot, il le gardera et le cultivera en toutes les circonstances, dans les intervalles de loisir et jusqu’au milieu des camps.

803. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Joinville. — II. (Fin.) » pp. 513-532

« Les barons, qui auraient dû garder du leur pour le bien employer en temps et lieu, se prirent à donner les grands mangers et les outrageuses viandes » ; sans compter le reste. […] C’est un peu (toute proportion gardée) la méthode de Socrate chez Xénophon, en tenant compte de toutes les différences.

804. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. de Stendhal. Ses Œuvres complètes. — I. » pp. 301-321

Je nomme M. de Tracy parce qu’il fut un des parrains intellectuels de Beyle, que celui-ci lui garda toujours de la reconnaissance et lui voua, jusqu’à la fin, de l’admiration ; parce que l’école philosophique de Cabanis et de Tracy fut la sienne, qu’il affichait au moment où l’on s’y attendait le moins. […] Il nous reproche d’aimer dans les arts à recevoir les opinions toutes faites, les recettes commodes, et à les garder longtemps même après que l’utilité d’un jour en est passée76.

805. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Journal et mémoires du marquis d’Argenson, publiés d’après les manuscrits de la Bibliothèque du Louvre pour la Société de l’histoire de France, par M. Rathery » pp. 238-259

D’Argenson n’aime pas seulement les vieux mots à la gauloise, victuailles, crevailles, qui, bien placés, ont leur franchise ; il a gardé du xvie  siècle des débris de locutions qui effaroucheraient même le plumitif du greffe et qu’il emploie sans hésiter, sans barguigner ; par exemple : ains au contraire ; — icelle ; iceluy. […] Fils d’un père à qui l’on trouvait un coin de ressemblance avec le grand cardinal de Richelieu, il en avait gardé quelques restes.

806. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Madame Swetchine. Sa vie et ses œuvres, publiées par M. de Falloux. »

Mlle Roxandre, aux traits réguliers, à l’œil tendre, à la voix touchante et mélodieuse (il n’y avait un peu à redire chez elle qu’à la taille), était une Grecque attrayante et persuasive qui avait gardé du charme et des douceurs ioniennes du Bosphore ; elle méritait de s’entendre dire dans sa candeur : « Il n’est pas un de vos regards qui ne soit une pensée. » Mme Swetchine, plus hardie, plus sauvage et d’une séve qui lui arrivait peut-être de par-delà le Caucase, était autrement trempée, autrement avide et d’une ambition morale plus exigeante. […] Je crois bien qu’il faut se garder de juger les choses du Ciel par celles de la terre ; mais celles-ci n’en sont-elles pas une ombre, un écho ?

807. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Merlin de Thionville et la Chartreuse du Val-Saint-Pierre. »

Il se fit remarquer d’abord par des motions terribles, et tout au moins d’une rédaction malheureuse, contre les prêtres réfractaires ; c’était une rancune mortelle qu’il gardait à ce Clergé où il avait failli entrer. […] Gardez-vous donc de devenir chartreux… » Et tout ce qui suit. — Et l’on conçoit, en effet, cet enfer de la réclusion et de la solitude, quand la contemplation mystique n’est plus qu’un vain mot, et que le rayon céleste ne descend plus.

808. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Mémoires de l’abbé Legendre, chanoine de Notre-Dame secrétaire de M. de Harlay, archevêque de Paris. (suite et fin). »

« Cette crainte de perdre son crédit, qu’il estimait plus que la pourpre, fut peut-être, nous dit Legendre, ce qui le détermina à ne point garder de mesure » au risque de donner barre sur lui, en cette circonstance, à tous ses ennemis du dehors. […] Pour faire sa paix avec la Faculté à laquelle il était alors suspect et réputé hostile, il affecta de ne prendre pour assistants que des docteurs qui en fussent membres : « Ces Conférences, nous dit Legendre qui, dans son enthousiasme, les appelle le plus bel endroit de la vie de M. de Harlay, ces Conférences les plus célèbres dont on ait gardé mémoire, se tinrent dans la salle de l’archevêché qui, après celle du Palais, est la plus grande de Paris.

809. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Sismondi. Fragments de son journal et correspondance »

Elle ne garda à Genève qu’une maison champêtre, Chêne, vendit le domaine principal et bien regretté, la maison patrimoniale de Châtelaine, un vrai « paradis perdu », et s’en alla émigrer non loin de Lucques et près de Pescia, où elle dressa sa tente dans une heureuse vallée, le val de Nievole, et dans un coin plus clos que les autres et appelé Valchiusa (val fermé ou Vaucluse). […] Cependant sa famille n’avait pas rompu avec Genève ; elle y avait gardé un coin de domaine, même en s’établissant en Italie.

810. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Lettres inédites de Michel de Montaigne, et de quelques autres personnages du XVIe siècle »

Il se loue donc d’avoir gardé la juste mesure dans l’exercice des charges publiques, de s’être donné à autrui sans s’être ôté à soi-même, « sans s’être départi de soi de la largeur d’un ongle. » On ne conduit jamais mieux la chose publique que lorsqu’on se possède ainsi. […] Tout s’était bien passé pendant trois années ; Montaigne avait suffi aux affaires de la ville au-dedans, aux négociations du dehors et aux sollicitations en Cour ; il était même populaire ; sa réélection, un moment contestée comme contraire aux statuts, avait été maintenue à la satisfaction générale ; on était au commencement de la quatrième année (1585) : ce fut cette fin de magistrature qui devait accumuler en quelques mois tous les ennuis et garder en quelque sorte pour le bouquet tous les genres de difficultés et de périls.

811. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Collé. »

Lors même qu’il y eut renoncé, il garda toujours du financier sous le chansonnier, et il ne se considéra point comme déshonoré plus tard d’être récompensé de ses pièces de société pour le duc d’Orléans par un intérêt dans les fermes de ce prince. […] Le bonhomme a toujours manqué d’une élévation d’âme, même commune ; pour peu qu’il en eût eu, il aurait été le plus malheureux des hommes. » Collé donc, à la différence de Panard, avait de l’élévation d’âme : il voyait les grands, les gens riches, les amusait, leur plaisait, mais ne se donnait pas ; il restait lui ; il se défendait de leur trop de familiarité par le respect ; il gardait de sa dignité hors de sa gaîté ; il savait que, si bon prince qu’on fût avec lui, on ne l’était pas autant à Villers-Cotterets qu’à Bagnolet ; assez chatouilleux de sa nature, il allait au-devant des dégoûts par sa discrétion, et se tenait sur une sorte de réserve, même quand il avait l’air de s’abandonner : quand il sortait ces jours-là de sa maison bourgeoise, il disait qu’il allait s’enducailler, comme d’autres auraient dit s’encanailler ; puis, son rôle joué, sa partie faite, il revenait ayant observé, noté les ridicules, et connaissant mieux son monde, plus maître et plus content à son coin du feu que le meunier Michau en son logis.

812. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Catinat (suite et fin.) »

Saint-Gratien a gardé le culte de Catinat. […] Ceux qui l’ont entendu, ont gardé le meilleur souvenir de cet Éloge véridique et approprié au sujet ; des allusions à nos récentes victoires d’Italie fournirent d’heureux mouvements à l’orateur.

813. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « MME DESBORDES-VALMORE. (Les Pleurs, poésies nouvelles. — Une Raillerie de l’Amour, roman.) » pp. 91-114

Au moment où ce navire Argo qui portait les poëtes, après maint effort, maint combat durant la traversée contre les prames et pataches classiques qui encombraient les mers et en gardaient le monopole, — au moment où ce beau navire fut en vue de terre, l’équipage avait cessé d’être parfaitement d’accord ; l’expédition semblait sur le point de réussir, mais on n’apercevait guère en face de lieu de débarquement ; les principaux ouvraient des avis différents, ou couvaient des arrière-pensées contraires. […] Elle et lui, Lamartine et Mme Valmore, ont de grands rapports d’instinct et de génie naturel ; ce n’est point par simple rencontre, par pure et vague bienveillance, que l’illustre élégiaque a fait les premiers pas au-devant de la pauvre plaintive ; toute proportion gardée de force et de sexe, ils sont l’un et l’autre de la même famille de poëtes.

814. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « QUELQUES VÉRITÉS SUR LA SITUATION EN LITTÉRATURE. » pp. 415-441

Le folliculaire surtout était mis à sa place ; les honnêtes gens gardaient le devant et le dessus. […] La première règle à se poser, dans cette série recommençante, serait de se garder de cette sorte de sévérité qui naît moins du fond des choses que du contraste et du désaccord entre les espérances exagérées et le résultat obtenu.

815. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre cinquième. Le peuple. — Chapitre III »

Déjà en 1752749, autour de Paris, on en voit « des rassemblements de cinquante à soixante, tous armés en guerre, se comportant comme à un fourrage bien ordonné, infanterie au centre et cavalerie aux ailes… Ils habitent les forêts, ils y ont fait une enceinte retranchée et gardée, et payent exactement ce qu’ils prennent pour vivre ». […] On rappelle les exploits de Mandrin en 1754756, sa troupe de cent cinquante hommes qui apporte des ballots de contrebande et ne rançonne que les commis, ses quatre expéditions qui durent sept mois à travers la Franche-Comté, le Lyonnais, le Bourbonnais, l’Auvergne et la Bourgogne, les vingt-sept villes où il entre sans résistance, délivre les détenus et vend ses marchandises ; il fallut, pour le vaincre, former un camp devant Valence et envoyer 2 000 hommes ; on ne le prit que par trahison, et encore aujourd’hui des familles du pays s’honorent de sa parenté, disant qu’il fut un libérateur  Nul symptôme plus grave : quand le peuple préfère les ennemis de la loi aux défenseurs de la loi, la société se décompose et les vers s’y mettent  Ajoutez à ceux-ci les vrais brigands, assassins et voleurs. « En 1782, la justice prévôtale de Montargis instruit le procès de Hulin et de plus de 200 de ses complices qui, depuis dix ans, par des entreprises combinées, désolaient une partie du royaume757. » — Mercier compte en France « une armée de plus de 10 000 brigands et vagabonds », contre lesquels la maréchaussée, composée de 3 756 hommes, est toujours en marche. « Tous les jours on se plaint, dit l’assemblée provinciale de la Haute-Guyenne, qu’il n’y ait aucune police dans la campagne. » Le seigneur absent n’y veille pas ; ses juges et officiers de justice se gardent bien d’instrumenter gratuitement contre un criminel insolvable, et « ses terres deviennent l’asile de tous les scélérats du canton758 »  Ainsi chaque abus enfante un danger, la négligence mal placée comme la rigueur excessive, la féodalité relâchée comme la monarchie trop tendue.

816. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — Chapitre IV »

Voyez le vieux répertoire : Lélie n’a pas le sou, Valère est à sec, Léandre tire le diable par la queue, tandis que le vieux Géronte crève d’or fondu, que l’avare Harpagon surveille sa cassette, à la façon des eunuques qui gardent le sérail, et que le gros Pandolphe fait sonner ses pistoles, comme un mulet ses grelots. […] L’heure s’approche, et l’Usure entre chez Séraphine, l’Usure criarde et mal embouchée, qui traite la Dette véreuse d’égale à égale, comme si elles avaient gardé ensemble les crocodiles empaillés.

817. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Fontenelle, par M. Flourens. (1 vol. in-18. — 1847.) » pp. 314-335

Mais il faut voir comme le chevalier, c’est-à-dire Fontenelle, badine sur ce mariage clandestin qui va forcer cette sage cousine à faire la mystérieuse, à garder hypocritement sa première apparence : « Vous serez encore de l’aimable troupe des filles qui paraîtront vos pareilles, et le seront peut-être. » Elle recevra son mari en secret, comme un amant, et elle devra le traiter avec réserve et cérémonie devant le monde : « Voilà des ragoûts de vertu que je vous propose », lui écrit-il. […] Dans les éloges des académiciens, il sut garder de son ancienne manière quelque chose de perpétuellement ingénieux et fin ; mais son amour de l’exactitude y introduisit de plus en plus la simplicité.

818. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mémoires et correspondance de Mallet du Pan, recueillis et mis en ordre par M. A. Sayous. (2 vol. in-8º, Amyot et Cherbuliez, 1851.) — I. » pp. 471-493

En même temps qu’il jugeait avec ce bon sens sévère les déportements et les délires de la philosophie, Mallet du Pan savait garder des mesures. Il en garda avec Voltaire mort, qu’il avait connu durant huit années consécutives et dans son intérieur ; il marquait ses erreurs, mais ne confondait pas toutes les opinions et les œuvres de ce brillant génie dans un même anathème.

819. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Notice historique sur M. Raynouard, par M. Walckenaer. » pp. 1-22

Nul homme distingué ne garda plus que Raynouard le cachet primitif de sa province, de son endroit. […] Il faut donc frotter nos cailloux pour en faire jaillir une lumière utile ; mais gardons-nous bien de nous les jeter à la tête.

820. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) «  Mémoires de Gourville .  » pp. 359-379

À cette rude bataille, c’est lui qui se trouve chargé, à un certain moment, de garder les prisonniers ; on le charge même (honneur insigne dont il ne paraît pas autrement fier !) […] Il fit comprendre au prince, par son attitude à la messe, qu’il avait à lui parler en particulier, et, au sortir de l’église, Son Altesse lui dit de la suivre, l’emmena en carrosse, et le garda à dîner en tête-à-tête.

821. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Le maréchal Marmont, duc de Raguse. — I. » pp. 1-22

Le père de Marmont, capitaine au régiment de Hainaut, avait eu à vingt-huit ans la croix de Saint-Louis « pour avoir gardé, avec cent hommes de bonne volonté, la mine pendant toute la durée du siège de Port-Mahon. […] Marmont, qui avait, gardé tout son feu, et qui ne perdait pas un commandement en chef, demanda à être employé au siège de Mayence : c’était une grande école pour un officier d’artillerie.

822. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Franklin. — I. » pp. 127-148

» Cette méthode un peu scotique et sophistique, à laquelle Socrate lui-même ne me paraît pas avoir entièrement échappé, fut un des travers de jeunesse de Franklin ; il s’en guérit peu à peu, se bornant à garder volontiers dans l’expression de sa pensée la forme dubitative et à éviter l’apparence dogmatique. […] Il nous dit son secret ; l’artifice est simple et innocent, il vient primitivement de Socrate ; gardons-nous de le confondre, dans aucun cas, avec le mensonge d’Ulysse.

823. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Œuvres de Frédéric le Grand (1846-1853). — I. » pp. 455-475

Aujourd’hui, en m’occupant de la Correspondance de Frédéric selon l’ordre où elle se déroule à nous dans les Œuvres complètes, je m’attacherai surtout à montrer en lui les sentiments du cœur et de l’âme, tels qu’il les avait dans la jeunesse et qu’il les garda jusque sur le trône, au moins tant que ses premiers amis vécurent. […] Pourtant Frédéric a gardé plus tard le silence sur les faits de cette époque ; il s’est honoré comme roi et comme fils par sa réserve respectueuse ; il s’est même donné tort en quelques mots et a pris sur lui la faute avec abnégation dans ses Mémoires de Brandebourg.

824. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Monsieur Arnault, de l’Institut. » pp. 496-517

Tout ce côté élevé d’avenir ou de passé religieux et monarchique que Fontanes appréciait et admirait dans son ami Chateaubriand, n’allait point à Arnault qui prenait les choses de plus près, plus à bout portant, et en bourgeois de Paris qui gardait de la Fronde même sous l’Empire. […] » — Un jour, au coin d’une rue, heurté par un cavalier maladroit, Arnault se retourne et parle haut ; une altercation s’ensuit ; les passants regardent, et le cavalier, se piquant d’honneur, lui dit en lui présentant sa carte : « Au reste, voilà mon adresse. » — « Votre adresse, reprend Arnault, gardez-la pour conduire votre cheval. » Et chacun de rire.

825. (1864) William Shakespeare « Deuxième partie — Livre VI. Le beau serviteur du vrai »

Ce sont des ironies qui gardent leur sérieux, quelquefois tragique. […] Louis XV, en lisant le madrigal (et gardez tous deux vos conquêtes), s’était écrié : que ce Voltaire est bête !

826. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome I « Bibliotheque d’un homme de goût. — Chapitre VI. Des Livres qui traitent de la Rhétorique. » pp. 294-329

Il prescrit la méthode qu’on doit garder pour cultiver ses dispositions naturelles, pour éclairer son esprit, diriger ses lectures, corriger ses essais, & se former peu à peu à l’exactitude de la composition. […] Il explique dans le second Livre, les différentes parties du discours & l’arrangement qu’il faut y garder.

827. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre III : Concurrence vitale »

Rien n’est plus aisé que d’admettre en théorie la vérité de la concurrence vitale universelle ; mais rien n’est plus difficile, du moins l’ai-je ainsi trouvé à l’expérience, que de garder constamment cette loi présente à l’esprit. […] Il en est de même des variétés de Moutons : il a été constaté que certaines variétés de montagnes affament à tel point les autres, qu’on ne peut les garder ensemble dans les mêmes pâturages.

828. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre VII. Mme de Gasparin »

Aimez Dieu et gardez ses commandements, dit le précepte, et le reste vous sera donné comme par surcroît. […] Oui, une femme dont nous ne savons pas l’histoire, et qui l’a gardée dans les chastes parois de sa poitrine, tandis que, comme un pélican, Dante entr’ouvrait la sienne pour nourrir de ses souffrances, l’univers avide et charmé, a peut-être plus aimé Dieu et plus cruellement éprouvé la vie que cet aigle muselé si fièrement contre la douleur ; et voilà pourquoi le paradis qu’elle a vu, dans ses intuitions ou ses rêves, nous paraît à nous, qui n’avons pas les superbes et amères consolations du génie, mieux fait pour des hommes et des âmes chrétiennes, et nous paraît, comme à elle, meilleur et plus vrai !

829. (1868) Curiosités esthétiques « VI. De l’essence du rire » pp. 359-387

Je garderai longtemps le souvenir de la première pantomime anglaise que j’aie vu jouer. […] Pierrot passe devant une femme qui lave le carreau de sa porte : après lui avoir dévalisé les poches, il veut faire passer dans les siennes l’éponge, le balai, le baquet et l’eau elle-même. — Quant à la manière dont il essayait de lui exprimer son amour, chacun peut se le figurer par les souvenirs qu’il a gardés de la contemplation des mœurs phanérogamiques des singes, dans la célèbre cage du Jardin-des-Plantes.

830. (1874) Premiers lundis. Tome I « Madame de Maintenon et la Princesse des Ursins — II »

Dévouée, jusqu’à la superstition, à la volonté de Louis XIV, elle n’osait se commettre en rien, de peur de lui déplaire ; un mot de sa bouche eût sauvé Racine, et elle se garda de le risquer ; malgré sa prédilection pour le maréchal de Villeroi, elle en était venue à refuser sa protection à l’abbé de Villeroi pour l’archevêché de Lyon : « Je ne le connais pas assez, écrit-elle, pour me mêler de son établissement ; les places dans l’Église intéressent un peu la conscience de ceux qui les donnent, et l’on a bien assez de ses péchés sans avoir à répondre de ceux des autres.

831. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Prosper Mérimée. »

A une époque où le génie français s’épanchait avec une magnifique intempérance, au temps de la poésie romantique, au temps des romans débordés, Mérimée, comme Stendhal (mais avec plus de souci de l’art), restait sobre et mesuré, gardait tout le meilleur de la forme classique  en y enfermant tout le plus neuf de l’âme et de la philosophie de notre siècle.

832. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Contre une légende »

Oui, vous savez lire, vous verrez qu’il l’a gardée, sa foi.

833. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Guy de Maupassant »

S’il garda, avec plus de largeur et d’aisance, quelque chose de l’ironie de l’Éducation sentimentale, il fut totalement exempt du romantisme de Flaubert.

834. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « L’état de la société parisienne à l’époque du symbolisme » pp. 117-124

Il en est quelques-uns que j’ai gardés pour la bonne bouche et qui montrent que, si positivement dénuée d’idéal que soit une société, son instinct l’avertit qu’il n’est point de vraie élégance hors du commerce des Muses et que c’est d’elles que l’esprit reçoit son vernis suprême.

835. (1890) L’avenir de la science « XIV »

La récompense de ces modestes travailleurs ne sera pas la gloire ; mais il est des natures douces et calmes, peu agitées de passions et de désirs, peu tourmentées de besoins philosophiques (gardez-vous de croire qu’elles soient pour cela froides et sèches ; au contraire, elles ont souvent une grande concentration et une sensibilité très délicate), qui se contenteraient de cette paisible vie, et qui, au sein d’une honnête aisance et d’une heureuse famille, trouveraient l’atmosphère qu’il faut pour les modestes travaux.

836. (1899) Esthétique de la langue française « Esthétique de la langue française — Chapitre VIII »

Toute une série de mots anglais ont gardé en français et leur orthographe et leur prononciation, ou du moins une certaine prononciation affectée qui suffit à réjouir les sots et à leur donner l’illusion de parler anglais.

837. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre quatrième. Éloquence. — Chapitre V. Que l’incrédulité est la principale cause de la décadence du goût et du génie. »

Pour garder aussi bien les convenances, pour n’être jamais ni trop haut ni trop bas, il faut avoir soi-même beaucoup de mesure dans l’esprit et dans la conduite.

838. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Léon Bloy »

J’aime mieux le garder pour Léon Bloy, et puisse cet atome être la première étincelle qui luira sur un talent ignoré encore aujourd’hui, mais qui, demain peut-être, va tout embraser !

839. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME GUIZOT (NEE PAULINE DE MEULAN) » pp. 214-248

De Vaines et Suard ; les mêmes personnes qui, plus tard, la plaignaient si charitablement d’être devenue journaliste, purent la faire quelquefois sourire ironiquement par leurs conseils empressés et vains. « Beaucoup d’amis à compter, disait-elle, sans pouvoir y compter ; beaucoup d’argent à manier, sans pouvoir en garder ; beaucoup de dettes, pas de créances ; beaucoup d’affaires qui ne vous rapportent rien. » Elle songeait probablement dans ces derniers mots à ses propres embarras domestiques, à cette fortune de plusieurs millions, entièrement détruite, qu’elle sut arranger, liquider comme on dit, sans en rien sauver que la satisfaction de ne rien devoir. […] Celle-ci, de plus, avait un peu pour idée, nous l’avons vu, que le temps seul ramène les hommes à la raison et à la vérité ; mais que la raison et la vérité n’ont presque jamais convaincu personne. » Elle disait encore que « la raison, par malheur, n’est faite que pour les gens raisonnables. » Le jeune homme, sorti de Nîmes et de Genève, ayant gardé des ferveurs du calvinisme une croyance de christianisme unitairien et une sorte d’enthousiasme rationnel, se sentait le devoir et le besoin d’aller à un but, d’y pousser les autres, de convaincre, de faire preuve au dehors de cette pensée avant tout influente et active. […] En faut-il garder le secret ?

840. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE LONGUEVILLE » pp. 322-357

Les difficultés, en effet, étaient grandes ; la pénitence même de Mme de Longueville avait gardé quelque chose de rebelle. […] On voit par un petit fragment qui suit l’Abrégé de Racine, et qu’il n’a pas eu le temps de fondre, de dissimuler dans son récit, que si Mme de Longueville avait gardé jusqu’aux dernières années la grâce, la finesse, et comme dit Bossuet de ces personnes revenues du monde, l’insinuation dans les entretiens, elle avait gardé aussi les prompts chatouillements, les dégoûts, les excès d’ombrage : « elle étoit quelquefois jalouse de Mlle de Vertus, qui étoit plus égale et plus attirante. » Enfin, pourquoi s’étonner ?

841. (1875) Premiers lundis. Tome III « De la liberté de l’enseignement »

Gardons-nous bien d’avoir un avis légal sur ces choses. […] Un évêque a là-dessus un avis formel : c’est son affaire ; mais, Sénat, gardez-vous de l’imiter et, sous peine de ridicule, n’allons pas décréter la doctrine vitaliste en médecine au préjudice de la méthode expérimentale. […] Dans ces termes, je l’accepte. — Mais non ; vous voulez garder et acquérir ; vous voulez privilège sur privilège67.

842. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre III. Combinaison des deux éléments. »

Il fallait assainir celui-ci, le nettoyer, y percer des fenêtres, y abattre des clôtures, mais en garder les fondements, le gros œuvre et la distribution générale ; sans quoi, après l’avoir démoli et avoir campé dix ans en plein air, à la façon des sauvages, ses hôtes devaient être forcés de le rebâtir presque sur le même plan. […] Il n’a pas de rôle à jouer, il n’est pas comédien. » — Sciences, beaux-arts, arts de luxe, philosophie, littérature, tout cela n’est bon qu’à efféminer et dissiper l’âme ; tout cela n’est fait que pour le petit troupeau d’insectes brillants ou bruyants qui bourdonnent au sommet de la société et sucent toute la substance publique  En fait de sciences, une seule est nécessaire, celle de nos devoirs, et, sans tant de subtilité ou d’études, le sentiment intime suffit pour nous l’enseigner. — En fait d’arts, il n’y a de tolérables que ceux qui, fournissant à nos premiers besoins, nous donnent du pain pour nous nourrir, un toit pour nous abriter, un vêtement pour nous couvrir, des armes pour nous défendre  En fait de vie, il n’en est qu’une saine, celle que l’on mène aux champs, sans apprêt, sans éclat, en famille, dans les occupations de la culture, sur les provisions que fournit la terre, parmi des voisins qu’on traite en égaux et des serviteurs qu’on traite en amis  En fait de classes, il n’y en a qu’une respectable, celle des hommes qui travaillent, surtout celle des hommes qui travaillent de leurs mains, artisans, laboureurs, les seuls qui soient véritablement utiles, les seuls qui, rapprochés par leur condition de l’état naturel, gardent, sous une enveloppe rude, la chaleur, la bonté et la droiture des instincts primitifs  Appelez donc de leur vrai nom cette élégance, ce luxe, cette urbanité, cette délicatesse littéraire, ce dévergondage philosophique que le préjugé admire comme la fleur de la vie humaine ; ils n’en sont que la moisissure. […] Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de misères et d’horreurs n’eût point épargnés au genre humain celui qui, arrachant les pieux et comblant le fossé, eût crié à ses semblables : Gardez-vous d’écouter cet imposteur ; vous êtes perdus si vous oubliez que les fruits sont à tous et que la terre n’est à personne ! 

843. (1864) Cours familier de littérature. XVII « XCVIIIe entretien. Alfieri. Sa vie et ses œuvres (3e partie) » pp. 81-152

Elle avait eu et gardé longtemps un merveilleux éclat de jeunesse, un teint éblouissant, quelque chose de ces fraîches carnations de Rubens, son compatriote et son peintre favori. […] La grande-duchesse Élisa Bonaparte régnait à Florence ; Mme d’Albany se gardait de rompre avec sa cour. […] Elle s’en garda bien, rentra à Florence, et de là à Naples.

844. (1867) Cours familier de littérature. XXIII « cxxxviie entretien. Un intérieur ou les pèlerines de Renève »

oui, monsieur, dit Aglaé, nous sommes bien sûres qu’ils nous l’auront gardé, car ils ont bien pu voir, le soir à la veillée, que c’était notre manuel de voyage que nous consultions toujours devant eux. […] Si le travail continue, un temps viendra où nous pourrons avoir une servante, mais aujourd’hui nous n’avons que nos petits qui ne servent personne et qu’il faut garder et amuser encore, dit le jeune père en les descendant de ses jambes pour que sa femme allât les coucher. […] Elle ne le trouva plus et se mit à pleurer. « Faut-il être malheureuse, disait-elle à ses sœurs, pour avoir perdu son guide au but du chemin. » Mais Marie, la plus jeune, fut la plus raisonnable. « Qu’est ce que cela fait, dit-elle, je sais toutes les lignes du volume par cœur et cette brave famille du scieur de long de Charnay est trop honnête pour ne pas nous le garder pour notre retour.

845. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre III. Le Petit Séminaire Saint-Nicolas du Chardonnet (1880) »

Ma mère, qui était chargée de l’expédition, apprit la mort de Mlle Guyon et garda la lettre. […] L’idée sérieuse que je m’étais faite de la foi et du devoir fut cause que, la foi étant perdue, il ne m’était pas possible de garder un masque auquel tant d’autres se résignent. […] Gardez-vous de croire que ce fût là un calcul personnel ; jamais homme ne porta plus loin le désintéressement que M. 

846. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « IV »

J’ai subi, comme tant d’autres, l’influence de ses doctrines ; mais je n’ose me dire son disciple, tant je me suis gardé d’être son imitateur. […] Or, les sensations intimes, les émotions vraies, les croyances, nous les gardons imo in pectore. […] Il faut que nous possédions ces deux personnages, —  et ces deux provinces, — et que nous tâchions de les garder pour nous seuls. » Le 2 avril, l’Intransigeant publie un article de M. de Rochefort, « Wagnérophobie », dont voici la conclusion : … Certains critiques de théâtre sont restés célèbres pour avoir rendu compte de pièces qui n’avaient pas encore été jouées.

847. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1876 » pp. 252-303

L’anonymat des paroles et de la musique de la cantate improvisée, avait été si bien gardé, que la censure l’avait refusée. […] Pour ces gens, les mots ne gardent plus leur particularité, leur qualité unique, à l’exclusion de tout synonyme, d’être l’enveloppe s’adaptant juste à une chose ou à un être. […] Mardi 21 novembre On parlait, ce soir, de la venette dans laquelle avait vécu Thiers, tout le temps de son pouvoir, craignant toujours d’être enlevé, et se faisant garder à Versailles par 400 soldats, dans le temps où il n’y en avait pas plus de 1 500 en état de se battre.

848. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Deuxième partie. L’évolution des genres — Chapitre II. La poésie lyrique » pp. 81-134

. — Symbolistes Autour de la Revue Blanche, de l’Ermitage, du Mercure de France, de Vers et Prose, un certain nombre de poètes gardent toujours cette étiquette de symbolistes. — Nous avons même des néo-symbolistes. — Cependant il est difficile de classer M.  […] On lui reproche ordinairement d’avoir voulu faire la fusion entre des tempéraments dissemblables, et ses Poèmes dialogues gardent trace d’un certain opportunisme, mais leur grâce chantante, leurs images imprécises charment souvent. […] À la bonne Cérès gardez votre fiance, Votre aide heureuse, vos espoirs, un cœur pareil : Car toujours du même or et toujours de soleil, Lasse de nous donner avec la sève blonde Le pain quotidien dont se nourrit le monde, Elle repose au cœur de la bise profonde.

849. (1900) Le rire. Essai sur la signification du comique « Chapitre I. Du comique en général »

Gardons-nous pourtant de demander à cette formule simple une explication immédiate de tous les effets comiques. […] Automatisme, raideur, pli contracté et gardé, voilà par où une physionomie nous fait rire. […] Et Bahis, dans l’Amour médecin : « Il vaut mieux mourir selon les règles que de réchapper contre les règles. » « Il faut toujours garder les formalités, quoi qu’il puisse arriver », disait déjà Desfonandrès dans la même comédie.

850. (1901) Des réputations littéraires. Essais de morale et d’histoire. Deuxième série

Pendant de longs mois, le charmant sceptique avait gardé un silence prudent ou paresseux. […] Il n’y a aucune bonne raison, tirée de l’insuffisance de ses ouvrages, pour qu’un prédicateur d’une aussi grande éloquence qu’Adolphe Monod n’ait pas conquis d’abord et gardé la place qui lui est due dans la chaire chrétienne, et qui est très certainement la seconde, si la première appartient à Bossuet. […] Vous pouvez, Cratès, entasser fautes sur fautes, mensonges sur mensonges ; si vous avez le don de l’autorité, tout écrit échappé de votre plume aura toujours du poids ; toute parole tombée de votre bouche gardera du crédit. […] Elle n’est pas mauvaise, pourtant, et s’il avait gardé l’incognito, elle aurait peut-être fait florès. […] De même, les yeux des contemporains peuvent discerner certaines nuances qui distinguent pour eux seuls leurs innombrables auteurs de vers ou de prose ; mais la postérité, qui verra les choses à distance et en gros, ne gardera le souvenir que des physionomies absolument uniques, caractéristiques et typiques.

851. (1927) Approximations. Deuxième série

Dans l’instant fugitif, il comprit fortement qu’il voulait vivre et garder son amour jusqu’à l’inévitable mort. […] Ce besoin de solitude que les femmes ressentent jusqu’au sein d’un amour comblé, c’est la fidélité farouche qu’elles gardent à leurs imaginations premières. […] Aussi, le centenaire d’Edmond de Goncourt se fût-il produit quinze ans plus tôt, les esprits qu’anime un souci d’équité eussent préféré garder leurs réserves pour eux. […] Mais l’auteur gardera toujours le droit de répondre qu’en employant cette méthode, le lecteur manquerait au départ des données suffisantes, et peut-être n’a-t-il pas tort. […] Je n’en ai guère pour l’avoir lue jusqu’au bout ; j’en ai moins encore pour l’avoir gardée.

852. (1902) La politique comparée de Montesquieu, Rousseau et Voltaire

Gardons-la telle, très précieusement. […] De leur côté, les prêtres ultramontains ne gardèrent aucune mesure. […] Gardons-nous d’introduire le fanatisme dans la philosophie. […] Il fallait que même l’Evangile gardât ici et là15 quelque couleur de l’Ancien Testament qu’il vient détruire. Les réformateurs les plus audacieux gardent toujours quelque chose, à leur insu, des tours d’esprit de ceux qu’ils combattent.

853. (1774) Correspondance générale

Si c’était un fait qui pût servir au fond de votre procès, je me garderais bien de vous en demander la suppression. […] Quand elle serait sûre d’elle-même, n’a-t-elle aucun ménagement à garder avec moi ? […] C’est bien assez du risque de garder l’ouvrage en piles, si le public est mécontent. […] Je n’effacerai point votre éloge, bonne amie, parce que j’aime à louer ; mais je me garderai bien d’être de votre avis. […] Simon ; cette lettre fut portée à Sartine par Luneau, qui eut l’impudence d’avouer qu’il en avait auparavant gardé copie.

854. (1892) Sur Goethe : études critiques de littérature allemande

j’ai gardé de lui un si tendre et si éblouissant souvenir ! […] Weiss avait gardé le plus vif souvenir du succès qu’elle obtint. […] La vie continuait autour de lui son cours éternel ; l’indifférente déesse gardait son inaltérable beauté ; les femmes passaient et repassaient, jeunes comme autrefois, joyeuses, légères, irrésistibles. […] L’auteur a voulu garder l’anonyme. […] Elle gardera fidèlement, au milieu des agitations de toute nature, son génie national.

855. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CLe entretien. Molière »

Sa première industrie fut de garder les chevaux des seigneurs à la porte des théâtres. […] Qu’on eût gardé des chevaux à la porte de New-Market, ou fait le lit du roi à Versailles, personne ne s’en humiliait ou ne s’en glorifiait. […] Gardez-vous d’imiter ces coquettes vilaines Dont par toute la ville on vante les fredaines, Et de vous laisser prendre aux assauts du malin, C’est-à-dire d’ouïr aucun jeune blondin. […] Si votre âme les suit, et fuit d’être coquette, Elle sera toujours, comme un lis, blanche et nette ; Mais s’il faut qu’à l’honneur elle fasse un faux bond, Elle deviendra lors noire comme un charbon ; Vous paraîtrez à tous un objet effroyable, Et vous irez un jour, vrai partage du diable, Bouillir dans les enfers à toute éternité, Dont veuille vous garder la céleste bonté ! […] Ma foi, vous ferez bien de garder le silence.

856. (1896) Journal des Goncourt. Tome IX (1892-1895 et index général) « Année 1892 » pp. 3-94

Et mes yeux ont gardé de ma chère parente, le souvenir de loin, comme dit le peuple, le souvenir de ses cheveux bouffant en nimbe, de son front bombé et nacré, de ses yeux profonds et vagues dans leur cernure, de ses traits à fines arêtes, auxquels la phtisie fit garder, toute sa vie, la minceur de la jeunesse, du néant de sa poitrine dans l’étoffe qui l’enveloppait, en flottant, des lignes austères de son corps ; — enfin de sa beauté spirituelle, que, dans mon roman, j’ai battue et brouillée avec la beauté psychique de Mme Berthelot. […] De ce second appartement, ma mémoire a gardé, comme d’un rêve, le souvenir d’un dîner avec Rachel, tout au commencement de ses débuts, d’un dîner, où il n’y avait qu’Andral, le médecin de ma tante, son frère et sa femme, ma mère et moi, d’un dîner, où le talent de la grande artiste était pour nous seuls, et où je me sentais tout fier et tout gonflé d’être des convives. […] La belle maison seigneuriale du xviiie  siècle, avec son immense salle à manger, décorée de grandes natures mortes, d’espèces de fruiteries tenues par des gorgiases flamandes, aux blondes chairs, et qui étaient bien certainement des Jordaens ; la belle maison seigneuriale, avec ses trois salons aux boiseries tourmentées, avec son grand jardin à la française, où s’élevaient deux petits temples à l’Amour, et avec son potager aux treilles à l’italienne, farouchement gardé par le vieux jardinier Germain, qui vous jetait son râteau dans les reins, quand il vous surprenait à voler des raisins ; et avec son petit parc, et au bout du parc, son bois ombreux d’arbres verts, où étaient enterrés le père et la mère de ma tante, et encore avec des dédales de communs et d’écuries, au fond d’une desquelles, on trouvait un original de la famille, occupé à fabriquer une voiture à trois roues, et qui devait, un jour, aller toute seule. […] Néanmoins Henri Heine, malgré ses souffrances, avait conservé le vif et aigu esprit, qu’il garda jusqu’au dernier jour.

857. (1887) Essais sur l’école romantique

J’avoue même qu’il lui eût fallu un peu moins que de la générosité pour ne pas garder rancune pendant quarante ans aux critiques, en oubliant que les éloges avaient été des services, et finalement, pour nous épargner à tous les deux les insultes rimées dont il m’a poursuivi jusque dans ses derniers ouvrages. […] Sur un terrain neutre, la critique est le mieux placée pour garder sa liberté ; oison jugement n’a de poids que quand il est libre. […] Depuis, j’ai toujours gardé ma naïve et primitive croyance, et je pense encore que c’est pour de bonnes raisons que le poète s’est appelé poète, quand il pouvait tout aussi justement s’appeler écrivain, ou versificateur. […] C’est donc une fille des rues, faisant trafic de sa jolie figure, de sa danse, de ses gambades, mais qui a gardé sa vertu. […] À la lecture, on les trouve encore plus beaux que dans le souvenir ; on y revient avec une curiosité nouvelle ; on sent qu’on ne les a pas lus d’assez près et que l’impression qu’on en avait gardée était restée au-dessous de sa cause.

858. (1835) Critique littéraire pp. 3-118

au souvenir que je garderai de ces lieux étranges, pas un souvenir ami ne viendra s’associer pour me les rendre chers !  […] Il faut donc traiter fort sérieusement la mort, c’est-à-dire se garder des pièges qu’elle nous tend, et penser à elle le moins possible. […] Le lendemain il fut obligé de garder le lit ; puis on le transporta au quartier des officiers malades, où le gouvernement anglais le confia aux soins du plus habile médecin du pays. […] Il perdit l’espérance et garda son amour. […] Mariez-vous donc, dit l’auteur du Secrétaire intime, car notre vieux monde tient au mariage comme à sa plus vieille habitude ; mariez-vous, dit-il aux femmes, mais donnez la main gauche, c’est-à-dire, gardez votre liberté.

859. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Roederer. — III. (Fin.) » pp. 371-393

Mais, en perdant la faveur proprement dite, il garda et continua de mériter l’estime et jusqu’à un certain point la confiance du chef de l’État. […] Il avait gardé jusqu’au dernier instant quelque chose de robuste.

860. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « [Chapitre 5] — III » pp. 132-153

Cette analyse pourtant va lui enlever le seul brillant aspect sous lequel de loin on se le figure : il ne gardera pas intacts les honneurs mêmes de Fontenoy ; mais laissons-le faire : À peine ai-je pensé peu de moments en ma vie à ma gloire particulière ; je n’ai cependant jamais manqué de sentir combien elle réclame dans le coeur et dans les sens. […] Ainsi l’on trouve de grands pas en avant dans la politique, mais quelques-uns rétrogrades et qu’il faudrait bien se garder de suivre.

861. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « François Villon, sa vie et ses œuvres, par M. Antoine Campaux » pp. 279-302

Il a pu naître sur les bords de l’Oise ; il n’y a certainement pas grandi : autrement, à défaut de son cœur, ses yeux en eussent gardé le souvenir, et ses rêves au moins lui eussent plus d’une fois rapporté le parfum des herbes et des fleurs de la rive natale. […] Cet écolier aura fait, un jour, à Villon sa déclaration d’enthousiasme, et Villon l’aura reçue avec plus de sérieux qu’il n’en gardait d’ordinaire en pareil cas ; il aura même, en voyant sa candeur, ménagé assez le jeune homme pour ne pas l’initier à ses tromperies et pour n’essayer, à aucun moment, de l’embaucher dans sa troupe de mauvais garçons.

862. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Don Carlos et Philippe II par M. Gachard Don Carlos et Philippe II par M. Charles de Mouy »

Nous avons besoin, pour ne pas sourire de pitié à la vue de ces conceptions grandioses, envolées en fumée et pour jamais évanouie, de nous souvenir de cette parole même du marquis de Posa : « Dites-lui, quand il sera homme, de garder du respect pour les rêves de sa jeunesse. » C’étaient en effet de purs rêves, c’étaient des jeux d’enfant sublime que ces scènes de Schiller ; ce sont des monstruosités de grandeur comme se les figure volontiers l’enfance dans ses contes d’ogres et de géants : et la première jeunesse, après l’enfance, est sujette à avoir aussi ses contes d’ogres et de géants au moral. […] Et maintenant, poètes, romanciers, Vous voilà avertis : gardez-vous de l’histoire.

863. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Gavarni. »

Et pour charmer encor ce nocturne voyage, Dont la lune des bois gardera le secret, Les jeunes baliveaux agitaient leur feuillage Où la serpe d’argent brillait. […] Chacun en juge à sa guise et en décide selon ses goûts : — « La beauté, c’est, ma mie, a dit l’écolier, le bonheur est dans l’amour. » — « Le bonheur est en campagne, dit le soldat ; rien n’est beau comme un cavalier le sabre au poing. » — « Si ce n’est un coffret plein et bien gardé », répond l’avare.

864. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Théophile Gautier. »

Ce petit volume, dans sa première forme, dans son ordre naturel où les pièces se présentent selon l’heure et l’instant où elles sont nées, a pour moi du charme ; il nous offre un Gautier jeune, enfant, « sous une blonde auréole d’adolescence » qu’il ne garda pas longtemps. […] cela a peu duré, chez moi du moins ; — car toi, en acquérant la science de l’homme, tu as su garder la candeur de l’enfant. — Le germe de corruption qui était en moi s’est développé bien vite… » La seconde édition des Poésies (1833), qui portait pour titre : Albertus ou l’Ame et le Péché, légende théologique, du nom de la pièce principale, et qui avait au frontispice une eau-forte de Célestin Nanteuil, marquait un pas de plus.

865. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Entretiens sur l’architecture par M. Viollet-Le-Duc (suite et fin.) »

Mais du moins, sous Louis XIV, si l’on visait au majestueux à tout propos, si l’on se fourvoyait en partant d’un faux principe, on se trompait avec grandeur ; depuis lors on a gardé le faux principe, et la grandeur a diminué. […] Je me garderai bien de m’embarquer dans de telles questions44 ; mais j’en ai dit assez pour indiquer le point juste et le point vif où M. 

866. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Catinat (suite.) »

Catinat, asservi à ses ordres, ne s’en écarta en rien, garda ses postes et points importants de Pignerol, Suse, Nice et la Savoie, mais n’entreprit rien d’actif pour inquiéter le duc et l’obliger à lâcher prise dans sa pointe en France. […] Alceste paraît avoir été un Philinte auprès de ce Rubentel qu’on ne put garder au service malgré son mérite et qui s’en alla vivre et mourir seul à Paris, disgracié, irrité, pestant contre les humains et gardant une dent contre quiconque était plus heureux que lui.

867. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. » p. 232

Auber que ce grand nom, toujours plus cher, m’a fait pleurer comme l’hymne du Sommeil dans la Muette… Je garderai donc cette carte, qui me touche et qui m’honore. […] Elle dit « le meilleur des hommes vivants » par égard pour Mme Derains qui, veuve, gardait un culte pour son mari, mort cruellement, victime innocente des guerres civiles. — M. 

868. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. ULRIC GUTTINGUER. — Arthur, roman ; 1836. — » pp. 397-422

Mais que pour cette fois ce soit une belle âme, Tendre et douce à l’amour, et légère à guider, Qui de jeunes baisers rafraîchisse ma flamme, Me couvre de son aile et me sache garder ; Qui des rayons de feu que lance ma paupière Réfléchisse en ses pleurs la tremblante clarté, Et, sans orage au ciel, sans trop vive lumière, Se lève sur le soir de mon rapide été ! […] Ulric, tout faible et fragile, qu’il était, se prenait aisément à avertir et, qui plus est, à prêcher dans leurs fougueux entraînements ses jeunes amis, Musset et son inséparable Alfred Tattet ; il leur parlait en censeur onctueux et indulgent, mais sans se garder assez du ton dévot, et comme quelqu’un qui sort de s’entretenir avec les Pères du Désert : on peut juger des hauts cris et des rires qu’il provoquait à de certaines heures.

869. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « LES JOURNAUX CHEZ LES ROMAINS PAR M. JOSEPH-VICTOR LE CLERC. » pp. 442-469

Mais gardons-nous de trop pousser ces sortes d’analogies. […] Je suis tenté vainement de citer le nom de Tournemine comme se rattachant le plus en tête à la rédaction des Mémoires de Trévoux ; Tournemine a-t-il obtenu ou gardé quelque chose qui ressemble à de la gloire ?

870. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Pierre Corneille »

Cela posé, nous nous garderons d’en faire une sévère application à l’ouvrage plein de recherches et de faits que vient de publier M.  […] Pompée semble s’écarter un peu de la prudence d’un général d’armée, lorsque, sur la foi de Sertorius, il vient conférer avec lui jusqu’au sein d’une ville où celui-ci est le maître ; mais il était impossible de garder l’unité de lieu sans lui faire faire cette échappée.

871. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Le comte de Ségur »

Sans avoir eu à se mesurer à ces conjonctures tout à fait extrêmes, les deux frères Ségur, le comte et le vicomte, avec les nuances particulières qui les distinguaient, surent garder, eux aussi, leur bonne grâce et toutes leurs qualités d’esprit, plume en main, dans l’adversité. Ce que ne gardèrent pas moins, en général, les personnages de cette époque et de ce rang qui survécurent et dont la vieillesse honorée s’est prolongée jusqu’à nous, c’est une fidélité remarquable, sinon à tous les principes, du moins à l’esprit des doctrines et des mœurs dont s’était imbue leur jeunesse ; c’est le don de sociabilité, la pratique affable, tolérante, presque affectueuse, vraiment libérale, sans ombre de misanthropie et d’amertume, une sorte de confiance souriante et deux fois aimable après tant de déceptions, et ce trait qui, dans l’homme excellent dont nous parlons, formait plus qu’une qualité vague et était devenu le fond même du caractère et une vertu, la bienveillance.

872. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre I. Littérature héroïque et chevaleresque — Chapitre III. L’Histoire »

Mais que le suzerain manque à son vassal, rien aussi n’oblige le vassal à garder une loi que le suzerain n’a pas gardée : patriotisme, salut public, aucune raison ne compte, et la guerre civile éclate, même devant l’ennemi, à moins que l’intérêt réciproque des deux adversaires n’amène, ou que l’intérêt commun des autres barons n’impose un accommodement.

873. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre I. Renaissance et Réforme avant 1535 — Chapitre II. Clément Marot »

Il a gardé toute la verdeur, la nette vivacité, le bon sens aigu de la poésie parisienne ou champenoise. […] Il faut cependant se garder de tout excès et ne pas faire de Le Maire un précurseur de Ronsard : il ne mène qu’à Marot et, en un sens, si l’on veut, à Rabelais.

874. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre II. La première génération des grands classiques — Chapitre II. Corneille »

Le roman, chez lui, et la fantaisie à l’espagnole, dont il a gardé des traces, ont toujours pour dernière fin la manifestation des caractères. […] Il a gardé ses défauts, son insouciante improvisation, ses négligences, mais ses qualités aussi, une imagination et une sensibilité lyriques, qui, dans certaines scènes pittoresques ou mélancoliques, donnent une saveur tout à fait originale à ses pièces.

875. (1900) Poètes d’aujourd’hui et poésie de demain (Mercure de France) pp. 321-350

Ce n’est pas chose aisée, d’ailleurs, ajoute Théophile Gautier, que ce style méprisé des pédants, car il exprime des idées neuves avec des formes nouvelles et des mots qu’on n’a pas entendus encore. » Mettons à part, dans l’ample et belle définition de Gautier, quelques points plus particuliers et gardons-en les termes généraux tels que recherches des nuances, recul des bornes de la langue, expression d’idées neuves avec des formes nouvelles et des mots qu’on n’a pas entendus encore, tous ces soins s’appliquent parfaitement bien à toutes les époques de littérature actives et belles c’est justement cela que firent les Renaissants du xvie  siècle et les Romantiques de 1830, Ronsard, comme Hugo. […] J’ai gardé à cette conférence, faite à la Société des Conférences, le 6 février 1900, le même titre que porte l’excellent recueil de Morceaux choisis que MM. 

876. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XII. La littérature et la religion » pp. 294-312

Les sujets traités ont été avant tout tirés de l’histoire sainte ; de là le nom de miracles et de mystères que les pièces ont gardé ; mais à la fin du moyen âge le nom devient menteur  ; il couvre des sujets empruntés à l’histoire nationale, aux romans d’aventure, à la vie de tous les jours et même aux fables païennes. […] Chez toutes les sectes, quoiqu’elles aient gardé certains traits constants, il s’est produit des variations analogues dans la façon de concevoir les rapports de l’homme avec le divin et par suite avec la vie et l’art.

877. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XVIII. Formule générale et tableau d’une époque » pp. 463-482

Les uns gardent fidèlement les traditions et les habitudes de l’époque précédente ; les autres préparent les idées et les formes de l’époque suivante ; et comme l’art d’une nation oscille toujours entre deux pôles, idéalisme et réalisme, analyse et synthèse, pessimisme et optimisme, etc., comme sa pensée se développe par actions et réactions, il arrive souvent que les attardés sont en même temps des précurseurs partiels, qu’en demeurant attachés aux conceptions d’hier ou d’avant-hier ils annoncent déjà celles de demain ou d’après-demain. […] D’autre part, des auteurs qui se rattachent à l’époque antérieure, qui gardent quelque chose du temps de la Fronde : tels Corneille, Molière, La Fontaine, Retz, La Rochefoucauld, Saint-Evremond, même Mme de Sévigné ; tout soumis et pacifiés qu’ils sont avec la France entière, ils ont par moments une indépendance de pensée, une liberté de ton et d’allure, une verdeur de langage, voire une veine de gaillardise qui rappellent que leur jeunesse s’est écoulée dans une société moins régulière.

878. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre IV, Eschyle. »

Une légende contait qu’un jour qu’il gardait, tout enfant, un clos de vignes, comme la Sulamite du Cantique, Dionysos l’avait visité et lui avait soufflé son esprit. […] Les unes, dépouillées de toute forme, n’ont rien gardé que leur titre, pareilles à ces « têtes vaines des morts » dont parle Ulysse, dans l’Odyssée.

879. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Gil Blas, par Lesage. (Collection Lefèvre.) » pp. 353-375

Le Diable boiteux, pour le titre, le cadre et les personnages, est pris de l’espagnol ; mais Lesage ramena le tout au point de vue de Paris ; il savait notre mesure ; il mania son original à son gré, avec aisance, avec à-propos ; il y sema les allusions à notre usage ; il fondit ce qu’il gardait et ce qu’il ajoutait dans un amusant tableau de mœurs, qui parut à la fois neuf et facile, imprévu et reconnaissable. […] Mais, même dans leur hardiesse, elles gardent une sorte d’innocence.

880. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « L’abbé Galiani. » pp. 421-442

Mais, en même temps qu’il entra si bien dans les idées et dans les goûts de la société française, il sut garder son air, sa physionomie, son geste, et aussi une indépendance de pensées qui l’empêcha d’abonder dans aucun des lieux communs du moment. […] Lui-même, l’abbé Galiani, qui, en écrivant, songeait certainement au cercle de ses amis de Paris, et qui recommande sans cesse à Mme d’Épinay de garder ses lettres, de les recueillir, ne s’est pas assez rendu compte de l’effet qu’elles pourraient faire sur un public plus étendu et moins initié.

881. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Correspondance entre Mirabeau et le comte de La Marck (1789-1791), recueillie, mise en ordre et publiée par M. Ad. de Bacourt, ancien ambassadeur. » pp. 97-120

De même, quant aux modes, Mirabeau se gardait bien, par instinct encore plus que par calcul, d’adopter celles d’alors, si minces, si mesquines, si étriquées. […] Le point pour Mirabeau était de convaincre La Fayette que le danger était grand, qu’il ne s’agissait pas de tenir plus longtemps la royauté en laisse, de la rabaisser continuellement et systématiquement dans l’opinion publique, de la garder à vue et de la tenir en chartre privée, avec un ministère étroit et insuffisant ; que M. 

882. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Rivarol. » pp. 62-84

Rivarol d’ailleurs n’est point un écrivain absolutiste, comme nous dirions, et il faut bien se garder de le classer comme tel. […] Il nous prouve très bien, par l’exemple des langues, que la métaphore et l’image sont si naturelles à l’esprit humain, que l’esprit même le plus sec et le plus frugal ne peut parler longtemps sans y recourir ; et, si l’on croit pouvoir s’en garder en écrivant, c’est qu’on revient alors à des images qui, étant vieilles et usées, ne frappent plus ni l’auteur ni les lecteurs.

883. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Le comte-pacha de Bonneval. » pp. 499-522

Cette blessure au bas-ventre l’assujettissait à porter un bandage de fer ou plutôt une plaque d’argent qu’il garda toute sa vie. […] L’exemple de Bonneval nous prouve, ce semble, qu’il faut quelque point d’arrêt, quelque principe, je dirai même quelque préjugé dans la vie : discipline, subordination, religion, patrie, rien n’est de trop, et il faut de tout cela garder au moins quelque chose, une garantie contre nous-même.

884. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Rollin. » pp. 261-282

Une autre ordonnance du recteur Rollin, c’est de faire réciter chaque jour aux élèves, dans toutes les classes, quelques passages choisis des Écritures et particulièrement des Évangiles : « Car, dit-il, si nous empruntons aux écrivains profanes l’élégance des mots et tous les ornements du langage, ce ne sont là que comme ces vases précieux qu’il était permis de dérober aux Égyptiens sans crime, mais gardons-nous d’v verser le vin de l’erreur. » — Par ces diverses prescriptions et ordonnances, qui datent de son rectorat, on voit combien Rollin était peu novateur, combien il s’acheminait lentement et avec circonspection dans les pas qu’il faisait vers le siècle. […] Ces apparences austères gardaient au fond des cœurs la joie, la simplicité, et une sorte d’énergie heureuse qui doit animer la suite de la vie.

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