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1777. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Deuxième partie. Invention — Chapitre VI. Du raisonnement. — Nécessité de remonter aux questions générales. — Raisonnement par analogie. — Exemple. — Argument personnel »

Détestables auditeurs, ils rectifient opiniâtrement les moindres erreurs, complètent les moindres lacunes du récit qu’on fait : si le narrateur est fait à leur mode, on épilogue, on dispute à perte de vue sur un point de nulle valeur, et l’on n’en sort pas, le récit ne s’achèvera jamais ; si c’est un homme d’esprit, il leur passe la parole. […] Le centenaire qui demande à vivre encore pour arranger ses affaires, prouve que l’homme ne pense pas à la mort et ne s’y prépare jamais ; les membres révoltés contre l’estomac prouvent que la plèbe romaine ne peut se passer du sénat. […] On l’oblige ainsi à passer de notre côté, on l’intéresse à ce qu’on veut démontrer : ou pour le moins on l’embarrasse, et on lui rend la réponse difficile.

1778. (1911) La valeur de la science « Deuxième partie : Les sciences physiques — Chapitre VI. L’Astronomie. »

Quel changement ont dû subir nos âmes pour passer d’un état à l’autre ? […] Ne venons-nous pas de voir que c’est par l’Astronomie que, pour parler son langage, l’humanité est passée de l’état théologique à l’état positif. […] Si le passé nous a beaucoup donné, nous pouvons être assurés que l’avenir nous donnera plus encore.

1779. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « Conclusions » pp. 169-178

À la section allemande de l’Exposition, il passe vite indifférent devant l’artillerie Krupp pour s’extasier plus longtemps devant le faux marbre et le carton-pâte colossal du pavillon impérial. […] Il sait pourtant que nous avons passé là-dessus l’éponge et que l’année a débuté par le bannissement de Paul Déroulède. […] On y passe d’une ruelle de l’ancien Bagdad à celles du vieux Paris.

1780. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre V. Des trois ordres de causes qui peuvent agir sur un auteur » pp. 69-75

Pour dire la même chose en d’autres termes, un être humain se développe dans trois milieux : l’un, le milieu psycho-physiologique, est l’ensemble des éléments qui composent sa constitution corporelle et mentale ; le second, le milieu terrestre et cosmique, est l’ensemble de la nature environnante ; le troisième, le milieu social, est l’ensemble de la civilisation humaine, qui, de toutes les parties de la terre et du passé, peut faire sentir et pénétrer son action . […] Il porte en lui tout un mystérieux passé qui contient en partie son avenir. […] A-t-il été, au contraire, élevé dans le brouillard, sous un ciel gris et terne, sur les bords d’un Océan toujours sombre et agité, au milieu de sapins qui bruissent et se plaignent incessamment comme les vagues ; il est probable qu’un reflet de cette nature mélancolique passera dans son humeur et dans ses œuvres.

1781. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XV » pp. 175-187

Je vais y concourir pêle-mêle, qu’on me passe cette expression, la société dite des précieuses, et séparément la société choisie. […] Je passe au second travail dont j’ai parlé : celui de la société choisie, c’est-à-dire de bonnes mœurs, de bon ton, de bon goût. […] La Bruyère qui a publié ses Caractères en 1687, mais qui a passé vingt années à les écrire, nous dit en peu de mots quel était l’état de la langue au milieu du siècle, à l’époque des Provinciales et des écrits de Port-Royal.

1782. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre V. Harmonies de la religion chrétienne avec les scènes de la nature et les passions du cœur humain. — Chapitre II. Harmonies physiques. — Suite des Monuments religieux ; Couvents maronites, coptes, etc. »

Quelquefois une caravane abyssinienne, des Bédouins vagabonds, passent dans le lointain à l’un des horizons de la mouvante étendue ; quelquefois le souffle du midi noie la perspective dans une atmosphère de poudre. […] Tous les jours, reproduit sous des traits inconstants, Le fantôme du siècle emporté par le temps Passe, et roule autour d’eux ses pompes mensongères. […] combien à mon tour Plaît ce dôme noirci d’une divine horreur, Et le lierre embrassant ces débris de murailles Où croasse l’oiseau chantre des funérailles ; Les approches du soir, et ces ifs attristés Où glissent du soleil les dernières clartés ; Et ce buste pieux que la mousse environne, Et la cloche d’airain à l’accent monotone ; Ce temple où chaque aurore entend de saints concerts Sortir d’un long silence et monter dans les airs ; Un martyr dont l’autel a conservé les restes, Et le gazon qui croît sur ces tombeaux modestes Où l’heureux cénobite a passé sans remord Du silence du cloître à celui de la mort !

1783. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Madame Therbouche » pp. 250-254

Pour faire cesser ce dépit je passai derrière un rideau, je me déshabillai et je parus devant elle en modèle d’académie. […] Comme depuis le péché d’Adam on ne commande pas à toutes les parties de son corps comme à son bras, et qu’il y en a qui veulent quand le fils d’Adam ne veut pas, et qui ne veulent pas quand le fils d’Adam voudrait bien ; dans le cas de cet accident, je me serais rappellé le mot de Diogène au jeune lutteur : mon fils, ne crains rien, je ne suis pas si méchant que celui-là. si cette femme s’est un peu promenée au sallon, elle aura vu passer avec dédain devant des productions fort supérieures aux siennes, et pueri nasum… etc., et elle s’en retournera un peu surprise de la sévérité de nos jugemens, plus sociable, plus habile, et moins vaine. […] Le pauvre philosophe, dont on a mésinterprété l’intérêt, a été calomnié et a passé pour avoir couché avec une femme qui n’est pas jolie.

1784. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « XIV »

Brunetière déclare le conseil sans portée, et, pour montrer qu’une métaphore suivie peut être ridicule, il cite celle que Molière met plaisamment dans la bouche de Trissotin : Pour cette grande faim qu’à mes yeux on expose, ‌ Un seul plat de huit vers me semble peu de chose, Et je pense qu’ici je ne ferai pas mal De joindre à l’épigramme ou bien au madrigal ‌ Le ragoût d’un sonnet, qui, chez une princesse,‌ A passé pour avoir quelque délicatesse. ‌ […] Travail, assimilation, imitation, manuscrits, refontes, il a tout passé sous silence, sans songer qu’il dédaignait ainsi le témoignage, la tradition et l’autorité de plusieurs siècles de littérature. […] Brunetière ne nous fera jamais croire qu’on peut mépriser la correction du dessin, sous prétexte que Delacroix s’en passait et qu’il est inutile de recommander la correction du style, sous prétexte que Molière et Saint-Simon sont incorrects.

1785. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Le marquis de Grignan »

Il passe témérairement du Méconnu à l’inconnu… Audacieux et dangereux passage ! […] Il ne peut pas se passer d’elle, et son haleine — l’haleine de son style — a l’haleine de cette femme aimée, comme cette autre femme qui sentait par la bouche le bouquet de violettes de Parme qu’elle avait, une seule fois, respiré ! […] Du moins, il a fait un tableau du mariage du marquis de Grignan et du supplice de la malheureuse qu’il a épousée, et qui, pour l’avoir sauvé de la ruine, passa sa vie dans l’abandon et dans le mépris ; et ce tableau, digne d’un romancier, semble en promettre un… Quoiqu’il en puisse être, ces facultés d’imagination et d’observation dont le livre que voici a révélé l’existence dans un auteur qui avait paru moins brillamment et moins richement doué, ces facultés, qui ont donné à ce livre nouveau un genre de piquant qu’on n’était pas accoutumé de trouver en un livre d’histoire, prendront-elles assez de développement et de place dans la tête du mâle auteur du Cardinal de Bernis, pour l’entraîner un jour hors d’une voie marquée par un livre si ferme et si exclusivement historique, ou continuera-t-il de les consacrer à l’histoire ?

1786. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Lefèvre-Deumier »

Il avait senti, sans nul doute, qu’elles étaient l’expression définitive, ardemment cherchée, de sa maturité poétique, que passé ce niveau il ne s’élèverait plus, et qu’au contraire, image de la vie, son expression baisserait sous sa plume au lieu d’y monter. […] Comme l’influence de cette moelle de lion, mangée chez le Centaure, qui se retrouvait jusque dans les tendresses d’Achille, l’influence de ces premières études, de ces premières cohabitations avec les poètes de l’Angleterre, resta sur Lefèvre-Deumier, même quand sa jeunesse fut passée, quand son talent laborieusement, mûri se détachait de tout ce qui n’était pas lui-même. […] Mais n’y a-t-il pas dans cette poésie antithétique, dure, noueuse, qui heurte, dans un rapprochement si imprévu, l’idée de la vallée de Josaphat contenant le monde ressuscité à la fin des temps et l’idée du champ de la mémoire contenant aussi l’univers et son passé dans la tête de chaque homme en particulier, n’y a-t-il pas quelque chose de cherché, d’efforcé, d’insolite, qui sent l’alchimie d’un cerveau plus ou moins puissant, mais qui n’est pas l’originalité franche des grands poètes, — qui n’est pas le sang pur et si facilement jaillissant de la véritable originalité ?

1787. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. de Gères. Le Roitelet, verselets. »

Si son nom nous était jamais passé sous les yeux dans ce tourbillon de journaux, de revues et de livres dont la pauvre Critique a quelquefois la berlue, il était bien passé. […] C’est le creuset, le crible où l’homme doit passer.

1788. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « J.-J. Ampère ; A. Regnault ; Édouard Salvador »

Le moindre livre de voyage écrit… même par un grimaud, peut être instructif et piquant pour les sociétés sédentaires ; mais pour celles qui passent leur vie à se déverser les unes dans les autres, il faut, sous peine de ne rien apprendre et de ne pas intéresser, que les livres de voyage soient écrits par des esprits d’un ordre élevé et d’une vue perçante, qui voient ce qu’il est difficile de voir en tout état de cause, soit qu’on reste au logis, soit qu’on s’en aille au bout du monde, — je veux dire : l’âme et l’esprit des choses. […] En cela rien d’extraordinaire et que les autres n’aient éprouvé avant moi ; mais, comme ma course se croisait avec tout ce qui se passait alors, avec les flottes alliées en station à Bérika et à Ténédos, avec l’armée ottomane qui demandait la guerre, avec les troupes égyptiennes qui s’exerçaient au combat avant de s’embarquer sur la mer Noire, j’ai dû associer presque involontairement mes sensations personnelles à celles des populations que je visitais… » Certes ! […] À la rigueur, il ne devrait venir qu’à la seconde ; car c’est Marseille et non pas l’Orient qui est la pensée première et centrale de ce livre ; c’est Marseille, la clef du monde dans le présent, dans le passé et dans l’avenir.

1789. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XXI » pp. 87-90

Bien des gens disent et répètent que le temps de la comédie est passé, qu’elle est devenue impossible par toutes sortes de raisons, et les théories ingénieuses sur cette lacune désormais inévitable ne manquent pas. […] Champion, qui va par les halles et les places publiques, avec sa croix d’honneur sur son manteau bleu, y faisant des distributions, séance tenante, à tous les pauvres gens qui passent, non sans quelque bizarrerie et ostentation), — M.

1790. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « APPENDICE. — M. SCRIBE, page 118. » pp. 494-496

Pour cette pièce en particulier, le procédé pourrait bien s’être passé ainsi. […] Mais cette marquise de la Calomnie passe toutes les bornes ; elle réussit pourtant, elle fait rire ; le parterre s’écrie que c’est bien cela, comme si le parterre avait rencontré de telles marquises.

1791. (1874) Premiers lundis. Tome I « Mémoires de mademoiselle Bertin sur la reine Marie-Antoinette »

Que les hommes qui vivent dans une révolution, et qui en sont ou spectateurs éclairés ou acteurs principaux, lèguent à la postérité le dépôt fidèle de leurs souvenirs, c’est un devoir que nous réclamons d’eux ; que ceux mêmes qui, dans une situation secondaire, n’ont vu qu’un coin du vaste tableau et n’en ont observé que quelques scènes, nous apportent leur petit tribut de révélations, il sera encore reçu avec bienveillance ; et si surtout l’auteur nous peint l’intérieur d’une cour dans un temps où les affaires publiques n’étaient guère que des affaires privées, s’il nous montre au naturel d’augustes personnages dans cette transition cruelle de l’extrême fortune à l’extrême misère, notre curiosité avide pardonnera, agrandira les moindres détails ; impunément l’auteur nous entretiendra de lui, pourvu qu’il nous parle des autres ; à la faveur d’un mot heureux, on passera à madame Campan tous les riens de l’antichambre et du boudoir : mais que s’en vienne à nous d’un pas délibéré, force rubans et papiers à la main, mademoiselle Rose Bertin, modiste de la reine, enseigne du Trait galant, adressant ses Mémoires aux siècles à venir, la gravité du lecteur n’y tiendra pas ; et, pour mon compte, je suis tenté d’abord de demander le montant du mémoire. […] Par exemple, le comte de Charolais s’amusait, comme on sait, par manière de passe-temps, à tirer sur les couvreurs pour les précipiter des toits : ce n’était là, selon elle, qu’un effet du sang qui fermentait avec violence ; ces moments passés, personne n’était d’une probité plus intacte.

1792. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Troisième partie. Disposition — Chapitre premier. Rapports de l’invention et de la disposition »

Toutes ces opérations sont simultanées autant que successives, et si l’esprit peut passer de la première à la seconde, c’est que la seconde est déjà dans la première, la continue et la parfait. […] Le passage d’un plan rigoureusement arrêté aux idées qui doivent s’y distribuer est singulièrement difficile : les choses ne se présentent pas ainsi à notre appel ; on ne les a pas à commandement ; elles ne sont point là qui nous attendent, prêtes à passer à leur tour.

1793. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — H — Hervilly, Ernest d’ (1839-1911) »

Aucun ennui n’est à redouter avec M. d’Hervilly ; il ne traverse pas de solitude desséchante ; il nous conduit au hasard, c’est vrai : on a chance d’arriver, si on l’accompagne, dans quelque champ de foire peuplé de femmes sauvages et de créatures monstrueuses… Le poète n’a pas de préférences ; il passe de l’Algérie à la Chine et du Sénégal au Groenland. […] Regardons sa négresse, par exemple : Ses seins noirs et luisants dressés sur sa poitrine Ont l’air de deux moitiés d’un boulet de canon ; Aux coins de son nez plat, passé dans la narine.

1794. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Montesquiou, Robert de (1855-1921) »

Certes, il la fuit, cette banalité, serait-ce parfois aux dépens de la clarté, de la régularité, de la forme ; tant pis pour les césures, pour les rimes, il s’élance résolument, cingle sans pitié son Pégase fin de siècle et arrive au but ; enfant de race habitué à réaliser tous ses caprices, les obstacles ne comptent pas pour lui ; rien ne l’arrête, il forge les mots que la langue ne lui donne pas, prend ses aspirations parfois d’une assonance ou d’une consonance, mais il dit tout ce qui lui vient à la tête, et, s’il y passe des choses un peu surprenantes, il y passe aussi, et le plus souvent, d’exquises… L’idée maîtresse du Chef des odeurs suaves, la dominante de cette œuvre de délicat, de raffiné, c’est l’influence qu’exercent sur nos sens les objets qui nous environnent.

1795. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Première partie. Plan général de l’histoire d’une littérature — Chapitre premier. Nécessité d’une histoire d’ensemble » pp. 9-11

Outre qu’il est désobligeant et le plus souvent injuste de rabaisser les travaux de ceux qui nous ont frayé la route, l’exposé seul de ce que j’entends réclamer des historiens à venir suffira pour montrer ce qui manque, selon moi, aux historiens présents ou passés. […] Qu’on me passe encore une comparaison : une nuée de travailleurs s’est abattue sur un terrain où étaient jetés pêle-mêle des matériaux destinés à un vaste bâtiment : les uns ont percé çà et là de grands trous pour éprouver la solidité des couches souterraines ; d’autres ont soigneusement équarri des blocs de pierre pris au hasard ; d’autres ont taillé dans le marbre ou le grès des statues, des colonnes, des moulures.

1796. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Première partie. Plan général de l’histoire d’une littérature — Chapitre III. Les questions que l’historien doit se poser. » pp. 16-17

. — « Tout passe, tout s’écoule », disait déjà un philosophe grec. — « Tout est un flux perpétuel, répète Diderot. […] Traduisons tout cela en langage plus simple : Par la complexité, par la solidarité, par la mobilité du vaste ensemble que l’historien d’une littérature embrasse, il est obligé : D’abord de distinguer, dans la suite ininterrompue des âges, des époques enfermées entre des dates aussi précises que faire se peut ; Ensuite de trouver la formule générale de la littérature pendant chacune de ces époques ; Puis d’indiquer, ses attaches, lors de ces mêmes époques, avec tous les phénomènes d’ordre divers au milieu desquels elle évolue ; Enfin, d’expliquer par quelles transitions et, si possible, par quelles causes et suivant quelles lois elle a passé de l’une à l’autre.

1797. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre VII. Le Bovarysme essentiel de l’existence phénoménale »

Comme on s’écarte d’un point de vue pour le contempler, le moi s’écarte de soi-même, et, s’avançant sur la ligne du temps, il ne saisit dans le passé qu’une image dont la conscience a conservé le reflet, une image qu’une mémoire plus ou moins fidèle présente à sa vue, plus ou moins déformée, privée de vie toujours. […] Veut-il s’en saisir, il lui faut s’endétacher, la repousser dans le royaume mort du passé, et tirer de sa propre substance un nouveau sujet qui va échapper à son tour à ce nouvel effort de possession intégrale.

1798. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre XII. Suite des machines poétiques. — Voyages des dieux homériques. Satan allant à la découverte de la création. »

Il y a même dans l’original un effet singulier que nous n’avons pu rendre, et qui tient, pour ainsi dire, au défaut général du morceau : les longueurs que nous avons retranchées semblent allonger la course du prince des ténèbres, et donner au lecteur un sentiment vague de cet infini au travers duquel il a passé. […] Des vers passés çà et là.

1799. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre premier. Beaux-arts. — Chapitre VIII. Des Églises gothiques. »

C’est que tout cela est essentiellement lié à nos mœurs ; c’est qu’un monument n’est vénérable qu’autant qu’une longue histoire du passé est pour ainsi dire empreinte sous ses voûtes toutes noires de siècles. […] Les forêts des Gaules ont passé à leur tour dans les temples de nos pères, et nos bois de chênes ont ainsi maintenu leur origine sacrée.

1800. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre second. Philosophie. — Chapitre V. Moralistes. — La Bruyère. »

Il descend de la haute éloquence à la familiarité, et passe de la plaisanterie au raisonnement, sans jamais blesser le goût ni le lecteur. […] Théophraste conjecture, La Rochefoucault devine, et La Bruyère montre ce qui se passe au fond des cœurs.

1801. (1763) Salon de 1763 « Peintures — Loutherbourg » pp. 224-226

Cet enfant naquit donc le pouce passé dans la palette ! […] Et lorsque le poids du jour sera tombé, nous continuerons notre route, et dans un temps plus éloigné, nous nous rappellerons encore cet endroit enchanté, et l’heure délicieuse que nous y aurons passée.

1802. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 6, de la nature des sujets que les peintres et les poëtes traitent. Qu’ils ne sçauroient les choisir trop interressans par eux-mêmes » pp. 51-56

C’est ainsi qu’en ont usé le Poussin, Rubens et d’autres grands maîtres qui ne se sont pas contentez de mettre dans leurs païsages un homme qui passe son chemin, ou bien une femme qui porte des fruits au marché. […] Quand une satire ne met pas dans un beau jour quelque verité dont j’avois déja un sentiment confus, quand elle ne contient pas de ces maximes dignes de passer incessamment en proverbes à cause du grand sens qu’elles renferment en abregé, je puis tout au plus la loüer d’être bien écrite ; mais je n’en retiens rien, et j’ai aussi peu d’envie de la vanter que de la relire.

1803. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Contes — V. L’avare et l’étranger »

Passe-moi un nôma (daba, pioche ou houe). » Et il se mit à creuser une fosse. […] Il se rendit dans une grande forêt pleine de guinné qui tuaient tout homme qui passait par là.

1804. (1929) La société des grands esprits

Où il est mauvais, il passe bien loin au-delà du pire ; c’est le charme de la canaille. […] Passe encore de bâtir, mais éditer à cet âge ! […] La période d’épreuve est passée. […] C’est l’amour du passé, c’est le respect pour les générations qui nous ont précédés. […] Le passé n’est un bloc pour personne, pas même pour les plus enragés traditionalistes.

1805. (1782) Essai sur les règnes de Claude et de Néron et sur la vie et les écrits de Sénèque pour servir d’introduction à la lecture de ce philosophe (1778-1782) « Essai, sur les règnes, de Claude et de Néron. Livre second » pp. 200-409

Sénèque était si faible, si glacé, qu’il nous dit, Lettre LVII, qu’il passait presque l’hiver entier entre des couvertures. […] Que les événements se passent à côté d’eux, ou qu’ils se soient passés il y a deux mille ans, ils y sont également présents ; leur cœur, d’intelligence avec leur imagination, franchit la distance des temps et des lieux. […] Elle resta orpheline presque en naissant, et passa sous l’autorité d’une belle-mère. […] Il ne s’agit pas de ce qui s’est passé dans sa tête, mais de ce qui se passe dans la nature. […] Vainqueur ou vaincu, on se retire de l’arène où l’on est descendu avec un pareil antagoniste, sans la crainte d’avoir passé les bornes d’une défense loyale.

1806. (1903) La vie et les livres. Sixième série pp. 1-297

Vu de cette façon, le passé s’anime comme un drame. […] Lorsque j’ai vu passer, à travers les récits de M.  […] Toute la Corse y passerait. […] Le Rubicon est passé. […] Nous ne voulons pas être les esclaves du passé mort.

1807. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome IV pp. -328

Il y passe en revue les puissances les plus respectables de la terre, & leur insulte avec rage. […] On eût passé sur tout cela comme on passe sur cette foule de petites querelles qui déchirent continuellement & nécessairement tout corps où l’on cherche à s’instruire, & qui ne sont que de simples partages d’opinions. […] Mais passons sur tout cela. […] Il n’en est pas ainsi, dit-on, des facultés provinciales, où l’on passe légèrement. […] Il écrit lettres sur lettres, tantôt au rapporteur, de ce qui s’étoit passé dans les assemblées des députés de Sorbonne, M.

1808. (1891) Esquisses contemporaines

On portait lourdement le poids d’un passé sans gloire d’où l’on avait banni les enthousiasmes et les généreuses aspirations. […] Pour écrire, il passe volontiers le détroit et semble se trouver à l’étranger mieux à l’aise qu’en France. […] Toute sa conscience passe dans sa logique. […] Scherer regrette un passé qu’il ne renie point, mais dont il se sépare avec une lente et ferme résolution. […] Que le passé revit bien sous nos yeux !

1809. (1900) Molière pp. -283

Sous la Restauration, le panégyrique de Molière passe toute mesure. […] Vous pouvez maintenant passer toute sa vie en revue, vous n’y trouverez pas place pour trois mois de satisfaction véritable et complète. […] Mais, en raison de tout ce qu’il a de plus qu’eux, on peut lui passer ce défaut. […] Cette scène-là est si vraie qu’elle doit se passer encore aujourd’hui, demain, toujours. […] Passé l’âge de la première candeur aucune femme n’a aimé jusqu’à avouer tout d’elle-même.

1810. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — Chapitre I. La Restauration. »

Si quelqu’un avait les joues pleines, il passait pour tiède538. […] Il s’introduit déguisé en vieille chez un bonhomme avare, lui prend sa femme, qu’il passe à Buckingham. […] Regardez maintenant ce qu’entre ces mains flétrissantes deviennent les plus précieuses fleurs. « La musique, la peinture, la poésie, sont agréables comme imitations qui rappellent le passé, parce que, si le passé à été bon, il est agréable en imitation comme bon, et que, s’il a été mauvais, il est agréable en imitation comme passé. » C’est à ce grossier mécanisme qu’il réduit les beaux-arts ; on s’en est aperçu quand il a voulu traduire l’Iliade. […] La vie se passe en visites, en entretiens. […] On passait la nuit à l’écouter ; nul ne l’égalait dans un souper ; même ivre, il gardait son esprit.

1811. (1716) Réflexions sur la critique pp. 1-296

Me D par exemple, n’auroit-elle pas dû se passer d’un pareil artifice. […] Toutes nos assemblées ne se passent que dans ces contradictions utiles d’où resulte la vérité. […] L’allegorie n’a pas assez de ressources pour sauver tout cela ; n’auroit-on pas plûtôt fait de passer condamnation de bonne grace. […] En vérité ce préliminaire est bien difficile à passer. […] Il avoit déja vû passer deux âges d’hommes, et il regnoit sur la troisieme génération.

1812. (1858) Du vrai, du beau et du bien (7e éd.) pp. -492

Ce cours est à la fois un retour sur le passé et un effort vers l’avenir. […] Platon l’a dit : il n’y a point de science de ce qui passe. […] Analysez ce qui se passe en vous. […] La France à ce moment semble passer de la jeunesse à la virilité. […] Pauvre et humble, il passe sa vie dans les églises et les couvents où il travaille.

1813. (1803) Littérature et critique pp. 133-288

Passons maintenant à la poétique de madame de Staël. […] Ce trait passe tous les autres cités jusqu’ici. […] « Sous la tente d’Abraham, la réception se passe tout autrement. […] Il fait passer dans ses expressions tout le feu de la guerre, et toute l’âme de Condé. […] On revoit ces chemins par où il avait passé, où la douce espérance le soutenait encore.

1814. (1859) Moralistes des seizième et dix-septième siècles

Le trouble de la société avait passé dans les esprits. […] Il fallait passer par les livres pour arriver aux choses. […] On sait que la licence du livre a passé en proverbe ; on n’en peut citer une page de suite. […] Évidemment une bonne partie de tout cela a pour but de faire passer les leçons qui s’y trouvent mêlées. […] On rapporte que le roi fit abattre des bois entiers pour faire passer ses équipages.

1815. (1909) Nos femmes de lettres pp. -238

Sans doute avec une longue persévérance, en s’y prenant dès le premier âge, on habitue les chats à passer dans des cerceaux. […] Trouvaille… c’est-à-dire chose unique, qui vous appartient en propre, dont on cherche en vain l’équivalent dans le passé. […] Le mépris ou la haine n’est jamais en nous que la contrepartie de l’amour : l’horreur du présent sera donc faite en elle de tous les regrets du passé. […] comme elle en dut rabattre, celle qui, dans l’horreur du présent, poursuit les images du passé, et tente de les fixer sous la forme harmonieuse du rythme ! […] C’est bien le rôle qu’elle répète dans la coulisse avant de revêtir le costume et de passer à l’avant-scène.

1816. (1865) La crise philosophique. MM. Taine, Renan, Littré, Vacherot

La terre passe à son tour par des degrés divers de condensation. […] La nature ne passerait donc jamais d’une nuance à l’autre. […] Cette révolution n’a jamais manqué, et elle ne manquera pas plus dans l’avenir que dans le passé. […] Si positif qu’on soit, on passera toujours pour un métaphysicien, c’est-à-dire pour un chimérique, à l’égard de quelques-uns. […] Sans doute, son platonisme a passé par la critique de Kant, et en traversant ce crible redoutable, il est devenu l’ombre de lui-même.

1817. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre IV. L’âge moderne. — Chapitre II. Lord Byron. » pp. 334-423

Chaworth, son parent, et avait passé en jugement devant la chambre des lords. […] Là-dessus il passa pour un monstre. […] Regardez passer les frères de Childe Harold, les personnages qui la peuplent. […] Enfin, les voilà, nos dieux ; nous ne les travestissons plus, comme nos ancêtres, en idoles ou en personnes ; nous les apercevons tels qu’ils sont en eux-mêmes, et nous n’avons pas besoin pour cela de renoncer à la poésie, ni de rompre avec le passé. […] J’ai demandé — la folie comme un bienfait ; elle m’est refusée. —  J’ai affronté la mort ; mais dans la guerre des éléments — les eaux se sont écartées de moi, —  et les choses mortelles ont passé près de moi sans me faire mal.

1818. (1867) Cours familier de littérature. XXIII « cxxxviiie entretien. Littérature germanique. Les Nibelungen »

Passons. […] Kriemhilt passa outre. […] Ils allaient passer le Rhin. […] « La nuit était passée, on annonça le jour. […] Trois années se passent dans cette douleur, puis elle se venge

1819. (1864) Le positivisme anglais. Étude sur Stuart Mill

Depuis Aristote, les logiciens ont passé leur temps à les polir. […] Celle-ci, depuis deux mille ans, passe pour une vérité acquise, définitive, inattaquable. […] De la première on passe à la seconde, parce que la seconde est contenue dans la première. […] Elle n’est que leur représentant, et à l’occasion ils se passent d’elle. […] Là est tout le secret de son passé et de son présent.

1820. (1889) Les artistes littéraires : études sur le XIXe siècle

Et pourtant, s’il fallait voir s’abîmer l’Italie avec son passé ou l’Amérique avec son avenir, laquelle laisserait le plus grand vide au cœur de l’humanité ? […] Tout passe. […] À l’encontre de ce qui se passe ordinairement pour les artistes, on les apprécie d’autant mieux qu’on les voit de plus près. […] Leconte de Lisle l’avait comprise, et il l’a fait passer dans ses écrits avec une spontanéité si vraie que le lien philosophique qui la rattache à l’Inde se montre à peine visible. […] Ce sont encore choses brillantes, admirables et précieuses, mais inanimées et froides, et qui désormais appartiennent au passé.

1821. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Molière »

Dans le passé grec, après la grande figure d’Homère, qui ouvre glorieusement cette famille et qui nous donne le génie primitif de la plus belle portion de l’humanité, on est embarrassé de savoir qui y rattacher encore. […] Les hommes distingués, qui passent par cette double phase et arrivent promptement à la seconde, n’y acquièrent, en avançant, qu’un talent critique fin et sagace, comme M. de La Rochefoucauld, par exemple, mais pas de mouvement animateur ni de force de création. […] Il observait ce qui se passait autour de lui ; mais son observation était si sérieuse en face des objets, qu’elle ressemblait à l’abstraction du géomètre, à la rêverie du fabuliste. […] Lorsqu’on commença de bâtir, en 1660, la colonnade du Louvre à l’emplacement même du Petit-Bourbon, la troupe de Monsieur passa au théâtre du Palais-Royal. […] Plus cette mer d’oubli du passé s’étend derrière et se grossit de tant de débris, et plus aussi elle porte ces mortels fortunés et les exhausse ; un flot éternel les ramène tout d’abord au rivage des générations qui recommencent.

1822. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre quatrième. La connaissance des choses générales — Chapitre III. Le lien des caractères généraux ou la raison explicative des choses » pp. 387-464

. — Cas où l’on peut se passer de cette intervention. — Comment on peut poser le problème de l’existence. — Possibilité de la métaphysique. — Résumé sur la structure de l’intelligence. […] D’où il suit que, passé une certaine période, le gaz, dont les molécules sont suffisamment rapprochées, doit devenir liquide, et que la vapeur d’eau doit devenir eau. […] Il nous suffit que le composé soit donné ; nous ne cherchons pas pourquoi il est donné. — Les choses ne se passent pas ainsi quand il s’agit d’un composé réel. […] Cette raison peut exister, quoique ignorée, et, de fait, si nous regardons le passé de nos sciences, nous trouvons qu’en mainte occasion, quoique ignorée, elle existait. […] Ainsi, du tracé et de l’ellipse provisoires, qui, étant trop simples, n’étaient qu’approximatifs, l’esprit passe peu à peu à l’ellipse et au tracé définitifs, qui, en se compliquant, deviennent exacts.

1823. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CLe entretien. Molière »

Shakespeare passa bientôt au grade de garçon aboyeur, appelant par leurs noms les spectateurs distingués. […] Il avait beau représenter à sa femme la manière dont elle devait se conduire pour passer heureusement la vie ensemble, elle ne profitait point de ses leçons, qui lui paraissaient trop sévères pour une jeune personne, qui d’ailleurs n’avait rien à se reprocher. […] Il fallait bien que la Raisin en passât par là ; mais ces huit jours lui donnèrent beaucoup d’argent, avec lequel elle voulut faire un établissement près de l’hôtel de Bourgogne, mais dont le détail et le succès ne regardent plus mon sujet. […] … Mon beau-frère, attendez, je vous prie, Vous voulez bien souffrir, pour m’ôter de souci, Que je m’informe un peu des nouvelles d’ici… Tout s’est-il ces deux jours passé de bonne sorte ? […] Pressé d’un sommeil agréable, Il passa dans sa chambre au sortir de la table ; Et dans son lit bien chaud il se mit tout soudain, Où, sans trouble, il dormit jusques au lendemain.

1824. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre IV. Des Livres nécessaires pour l’étude de l’Histoire. » pp. 87-211

Un particulier ayant ce seul corps de mon Histoire universelle, pourra se passer de toutes les autres histoires dont je viens de parler. […] La plûpart de ces auteurs ont manqué leur objet, en voulant trop embrasser, & ils ont passé trop légérement sur des faits dignes de l’attention de la postérité. […] Son style est fort mauvais, quoique l’auteur passât pour avoir beaucoup d’esprit ; mais ses mémoires sont instructifs pour les courtisans & les philosophes. […] Elle passa pour un chef-d’œuvre ; mais on ne lui donne pas ce titre aujourd’hui. […] Passons à la Pologne, ce théatre de tant de discorde, cette République si singuliérement constituée.

1825. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre premier. Aperçu descriptif. — Histoire de la question »

A défaut de parole extérieure et vraiment audible, ni l’écriture ni la pensée ne semblent pouvoir se passer de son secours. […] Ainsi, dans sa théorie du langage, Platon passe à côté de la parole intérieure sans la voir. […] 2° Nécessité de la parole intérieure. — Médiocre observateur de ce qui est, Bonald s’empresse de passer du fait contingent aux lois nécessaires. […] Dire que la parole intérieure est nécessaire, absolument parlant, serait une simple inexactitude de langage ou de logique ; ce serait passer sans raison suffisante du fait au droit, le droit ou la nécessité paraissant à tort révélé par le fait de la constance. […] Quel est celui dont l’imagination est assez puissante pour, en l’absence d’un ami, se représenter sa figure d’une manière aussi exacte que s’il était présent, bien qu’il ne passe pas un seul jour sans le voir ?

1826. (1896) Hokousaï. L’art japonais au XVIIIe siècle pp. 5-298

La passe de Mishima de la province de Kahi. […] Par cette rude saison, surtout dans mes voyages, que de choses dures, et entre autres, passer ce grand froid avec une seule robe, à mon âge de 76 ans. […] J’irai louer un appartement au coin de la rue d’Enfer, où je serai heureux de vous recevoir, quand vous aurez occasion de passer par là. […]   Il est aussi passé, entre les mains de MM. Hayashi et Bing, un certain nombre de dessins d’écrans, aujourd’hui dispersés et passés dans des collections inconnues.

1827. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXXVI » pp. 301-305

Sainte-Beuve, indiquer que ce tournoi ne se passerait peut-être pas jusqu’au bout en toute courtoisie : « On se dispute, on se bat pour aller jeudi à l’Académie. […] Tout s’est passé dignement et avec une parfaite convenance, qui n’a pas nui à la vivacité du jeu.

1828. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « de la littérature de ce temps-ci, a propos du « népenthès » de m. loève-veimars (1833). » pp. 506-509

Ce voyageur qui passe, et qui n’a pas le temps de s’approcher ni d’entrer, a-t-il donc tout à fait tort dans l’idée qu’il emporte de cette ville ? […] Dites que cette littérature est ignorante, sans critique, se jetant à l’étourdie à travers tout, pleine de méprises, de quiproquos et de bévues que personne ne relève, ne prenant les choses et les hommes graves du passé que dans un caprice du moment ; s’en faisant une contenance, un trait de couleur, un sujet de charmante et folle fantaisie ; et quand il s’agit d’être érudite, l’étant d’une érudition d’hier, toute de parade, soufflée et flatueuse : et voilà qu’on peut vous nommer, même dans les jeunes, des esprits patients, analytiques, circonspects, en quête de l’antique et lointaine érudition, de celle à laquelle on n’arrive qu’à travers les langues, les années et les préparations silencieuses d’un régime de Port-Royal.

1829. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — T — Theuriet, André (1833-1907) »

Theuriet, las de marier éternellement Raoul avec Angélique, laissera reposer sa plume de romancier ; il reprendra sa plume de poète, il ira passer quelques mois dans le jardin de sa grand-tante tout fleuri d’œillets et de roses trémières, et il en rapportera un petit volume de vers qui — je vous le prédis — sera un chef-d’œuvre. […] Theuriet, nous la retrouvons, marquée d’une façon originale, dans certaines pages où le poète nous conduit dans sa maison de Talloire, en Savoie, et dans sa retraite de Nice, où il a déjà passé plus d’un hiver.

1830. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — V — Vacquerie, Auguste (1819-1895) »

De rares couplets font exception et rappellent un moment que le romantisme a pourtant passé par là… pour le reste (je ne vous livre là qu’une impression), le style et la versification de M.  […] Anatole France Futura est un poème largement, pleinement, abondamment optimiste, et qui conclut au triomphe prochain et définitif du bien, au règne de Dieu sur la terre… Un souffle de bonté passe sur ce grand poème.

1831. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XX » pp. 215-219

Avant de parler de cette révolution, l’ordre chronologique nous oblige à passer en revue plusieurs événements qui affligèrent le parti honorable. […] Quand un peu de terre eut couvert la marquise de Rambouillet, le roi ne laissa pas à la duchesse de Montausier le temps de pleurer sa mère : il la fit passer de la place de gouvernante des enfants de France, à celle de dame d’honneur de la reine, la première dignité du palais.

1832. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface d’« Angelo, tyran de Padoue » (1835) »

Mêler dans cette œuvre, pour satisfaire ce besoin de l’esprit qui veut toujours sentir le passé dans le présent et le présent dans le passé, à l’élément éternel l’élément humain, à l’élément social, un élément historique.

1833. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « Chœur. » pp. 21-24

La raison veut, au contraire, qu’ils s’entretiennent de ce qui vient de se passer, de ce qu’ils ont à craindre ou à espérer, lorsque les principaux personnages, en cessant d’agir, leur en donnent le temps ; et c’est aussi ce qui faisait la matière des chants du chœur. […] En effet, ou le chœur parlait dans les entr’actes de ce qui s’était passé dans les actes précédents, et c’était une répétition fatigante ; ou il prévoyait ce qui devait arriver dans les actes suivants, et c’était une annonce qui pouvait dérober le plaisir de la surprise ; ou enfin il était étranger au sujet, et par conséquent il devait ennuyer.

1834. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre VII. Des Saints. »

« Ces héros pleins de bonté et de lumière pensent toujours à leur Créateur, et sont tout éclatants de la lumière qui rejaillit de la félicité dont ils jouissent en lui. » — Et plus loin, « héros vient d’un mot grec qui signifie amour, pour marquer que, pleins d’amour pour Dieu, les héros ne cherchent qu’à nous aider à passer de cette vie terrestre à une vie divine et à devenir citoyens du ciel69. » Les Pères de l’Église appellent à leur tour les saints des héros : c’est ainsi qu’ils disent que le baptême est le sacerdoce des laïques, et qu’il fait de tous les chrétiens des rois et des prêtres de Dieu 70. […] Nous passons rapidement sur ces solitaires, parce que nous en parlerons ailleurs.

1835. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Law »

… Dans l’esprit humain et dans l’Histoire, qui est la glace de l’esprit humain, mais une glace où les traits restent au lieu de passer, rien n’est isolé, tout se tient, tout s’enchaîne, et le devoir de l’historien est de montrer ces enchaînements, ces jointures, ces articulations, qui constituent l’ensemble de l’Histoire et de son unité. […] une destinée dont le secret ne se trouve qu’à deux places : dans le passé et dans le sol.

1836. (1903) Articles de la Revue bleue (1903) pp. 175-627

La scène se passe dans les jardins du Tadj, merveille du Dékan, décrite par maints voyageurs. […] Les écrivains les plus notoires qui se recommandaient d’elle, ou bien n’écrivent presque plus, ou bien se sont tournés du côté de l’action politique, ou bien ont fait de riches mariages : quelques-uns sont même en passe d’arriver à l’Académie. […] Ou, s’ils ont eu cette notion, elle est restée chez eux tout abstraite et intellectuelle ; elle n’a pas passé dans leur sensibilité. […] Comme je l’ai dit, nous respectons tous les enseignements du passé, mais nous ne voulons pas être liés par eux. […] Seuls, quelques esprits curieux comme Aloysius Bertrand, eurent le pressentiment qu’on passait à côté de richesses insoupçonnées.

1837. (1885) L’Art romantique

Le passé est intéressant non seulement par la beauté qu’ont su en extraire les artistes pour qui il était le présent, mais aussi comme passé, pour sa valeur historique. […] Celui qui habite dans le quartier Breda ignore ce qui se passe dans le faubourg Saint-Germain. […] Ce n’est qu’en feuilletant les œuvres du passé que nous pouvons comprendre les splendeurs du burin. […] Cette maison passait pour très hospitalière, et à de certains jours elle devenait lumineuse et bruyante. […] Elles ne connaissent pas et ne permettent pas les moyens poétiques de passer le temps.

1838. (1863) Histoire de la vie et des ouvrages de Molière pp. -252

Il passe le carnaval à Grenoble ; se rend à Rouen, puis à Paris, où sa troupe se donne à Monsieur. […] Molière passe, il aperçoit le rassemblement, s’approche et vient écouter et étudier les orateurs. […] Le mari voulut passer le premier, mais comme le trou n’était pas assez ouvert, il ne passa que la tête et les épaules ; jamais le reste ne put suivre. […] Il fit passer son conte : voilà comme on écrit l’histoire ! […] Après cet éclat, on ne jugea pas prudent de leur refuser un sacrement dont ils menaçaient de se passer.

1839. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — Chapitre IV. Addison. »

Ce penchant trop longtemps gardé est un signe de petit esprit, je l’avoue ; on ne doit pas passer tant de temps à inventer des centons ; Addison eût mieux fait d’élargir sa connaissance, d’étudier les prosateurs romains, les lettres grecques, l’antiquité chrétienne, l’Italie moderne, qu’il ne sait guère. […] Dès le collége il est célèbre ; ses vers latins lui donnent une place de fellow à Oxford ; il y passe dix ans parmi des amusements graves et des études qui lui plaisent. […] La débauche passait pour française et de bel air ; c’est pourquoi Addison proscrit par surcroît toutes les frivolités françaises. […] Une terre franche, quand elle ne se composerait que de neige et de glace, rend son maître heureux de sa possession et résolu pour sa défense… Je me considère comme un de ceux qui donnent leur consentement à toutes les lois qui passent. […] Elle était enfermée dans une sorte de substance cornée taillée en une infinité de petites facettes ou miroirs, lesquels étaient imperceptibles à l’œil nu ; de telle sorte que l’âme, s’il y en avait une là, avait dû passer tout son temps à contempler ses propres beautés.

1840. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « en tête de quelque bulletin littéraire .  » pp. 525-535

Il s’est passé, chez M. de Lamartine, depuis peu d’années, une révolution intérieure, semblable et analogue à celle qui a du lieu dans M. de La Mennais : c’en est l’exact pendant, si l’on tient compte de la différence de leurs talents et de leurs natures. […] On ne passe point indifféremment sans doute par ces divers systèmes, on en garde des impressions, des teintes, un pli ; mais enfin l’on en sort, quand on a un talent capable de maturité. […] la jeunesse est passée, hélas !

1841. (1874) Premiers lundis. Tome II « Poésie — George Sand. Cosima. »

Un étranger, un Vénitien passe ; il s’occupe d’elle ; sans lui parler à peine, il l’entoure de ses soins comme de prestiges ; elle n’a guère vu encore que sa plume au vent et son manteau, que déjà elle l’aime, comme toute jeune femme, même la plus pudique, aimera, si elle n’y prend garde, le jeune étranger, est-ce moral ? […] Allons, vous, messieurs, qui vous en vantez volontiers, et vous toutes surtout, qui tout bas le savez trop bien au prix de vos larmes, mettez la main sur le cœur, les trois quarts des gentilshommes qui passent et même de ceux qui séjournent ne sont-ils pas ainsi ? […] Quelle est la dose précise de lieu commun qui est nécessaire, au théâtre, pour faire passer une nouveauté ?

1842. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section II. Des sentiments qui sont l’intermédiaire entre les passions, et les ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre IV. De la religion. »

La vie se passe au-dedans de soi, les circonstances extérieures ne sont qu’une manière d’exercer un sentiment habituel ; l’événement n’est rien, le parti qu’on a pris est tout, et ce parti, toujours commandé par une loi divine, n’a jamais pu coûter un instant d’incertitude. […] D’abord, la disposition qu’il faut donner à son esprit pour admettre les dogmes de certaines religions, est souvent, en secret, pénible à celui qui, né avec une raison éclairée, s’est fait un devoir de ne s’en servir qu’à de telles conditions ; ramené, par intervalles, à douter de tout ce qui est contraire à la raison, il éprouve des scrupules de ses incertitudes, ou des regrets d’avoir tellement livré sa vie à ces incertitudes mêmes, qu’il faut ou s’avouer l’inutilité de son existence passée, ou dévouer encore ce qu’il en reste. […] Quelque chose d’enthousiaste comme elle, des pensées qui, comme elle aussi, dominent l’imagination, servent de recours aux esprits qui n’ont pas eu la force de soutenir ce qu’ils avaient de passionné dans le caractère : cette dévotion se sent toujours de son origine ; on voit, comme dit Fontenelle, que l’amour a passé par là  ; c’est encore aimer sous des formes différentes, et toutes les inventions de la faiblesse pour moins souffrir, ne peuvent ni mériter le blâme, ni servir de règle générale ; mais la dévotion exaltée qui fait partie du caractère au lieu d’en être seulement la ressource, cette dévotion, considérée comme le but auquel tous doivent tendre, et comme la base de la vie, a un tout autre effet sur les hommes.

1843. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — R — Régnier, Henri de (1864-1936) »

Ils contemplent avec lui les ruines du passé ; ils savent qu’en se retrouvant là, le Maître oubliera la vie d’apparence et d’action qu’avec eux il a menée, qu’il ne lui en restera que des regrets. […] Il revoit le passé, et, dans cette vision rétrospective des joies d’alors, pendant que s’efface le présent, apparaît la Gardienne de son adolescence, la chimère qui jadis emplissait son âme tout entière, celle qui jamais ne se désouvint de lui-même quand il errait au plus fort de la mêlée humaine, oublieux d’espérances plus hautes : Je suis la même encor, si ton âme est la même Que celle que l’Espoir aventurait au pli De sa bannière haute, et je reste l’emblème Du passé qui résiste à travers ton oubli.

1844. (1894) Propos de littérature « Chapitre Ier » pp. 11-22

Tout passe, mais il demeure, sans cesse nouveau et renaissant à chaque effort ; il est ta vie, il est la mienne, et chacun de nos gestes affirme encore sa puissance. […] Dans le monde des intelligibles l’idée de l’Amour gouverne toutes choses et permane, opposée à ce qui passe ; c’est en elle que se développe le Moi. […] La vie est à nos pieds ; elle passe, mais l’ensemble de ses apparences subsiste au moins l’espace d’un long instant ; le Poète reporte son idéal dans la vie présente, et sans voir qu’il a passagèrement déchu, il veut créer une Beauté qu’il imagine vivante et mortelle comme il croit vivante et mortelle cette vie. — Il ignore encore, et peut-être l’ignorera-t-il toujours, qu’il n’a lui-même d’autre terme que l’infini ; la Vie, il ne la voit encore que comme une chose relative et concrète.

1845. (1890) L’avenir de la science « I »

.) ; l’autre que l’on peut appeler idéale, céleste, divine, désintéressée, ayant pour objet les formes pures de la vérité, de la beauté, de la bonté morale, c’est-à-dire, pour prendre l’expression la plus compréhensive et la plus consacrée par les respects du passé, Dieu lui-même, touché, perçu, senti sous ses mille formes par l’intelligence de tout ce qui est vrai, et l’amour de tout ce qui est beau. […] Il y a là une éducation spéciale et une habileté pratique qui, pour passer au rang d’habitude irréfléchie et spontanée, exigent une vie entière d’exercice. […] Le philosophe et l’homme religieux peuvent seuls à tous les instants se reposer pleinement, saisir et embrasser le moment qui passe, sans rien remettre à l’avenir.

1846. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface de « Ruy Blas » (1839) »

Qu’on nous permette donc de passer, sans nous appesantir autrement sur la transition, des idées générales que nous venons de poser, et qui, selon nous, toutes les conditions de l’idéal étant maintenues du reste, régissent l’art tout entier, à quelques-unes des idées particulières que ce drame, Ruy Blas, peut soulever dans les esprits attentifs. […] Qu’on nous passe, seulement pour rendre claire notre idée, une comparaison infiniment trop ambitieuse : le mont Blanc, vu de la Croix-de-Fléchères, ne ressemble pas au mont Blanc vu de Sallenches. […] Il ne se fait pas bandit, il se fait bohémien. — On sent que la royauté absolue a passé pendant de longues années sur ces nobles têtes, courbant l’une, brisant l’autre.

1847. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Seconde Partie. De l’Éloquence. — Éloquence en général. » pp. 177-192

Ils avoient passé toute leur vie dans l’étude des auteurs Grecs & Latins, dans ce talent si rare d’instruire la jeunesse, dans la composition de plusieurs ouvrages analogues à leur état. […] Le commencement de la critique étoit un éloge de la personne qu’on attaquoit ; mais on n’avoit débuté par la louange que pour mieux faire passer la critique. […] Rollin en avoit soixante passés, quand il écrivit dans notre langue ; & ce qu’il y a de plus extraordinaire encore, c’est l’enthousiasme avec lequel ses livres furent reçus du public.

1848. (1682) Préface à l’édition des œuvres de Molière de 1682

Il avait passé le carnaval à Grenoble, d’où il partit après Pâques, et vint s’établir à Rouen. […] Elle eut un succès qui passa ses espérances : Comme ce n’était qu’une pièce d’un seul Acte qu’on représentait après une autre de cinq, il la fit jouer le premier jour au prix ordinaire, mais le peuple y vint en telle affluence, et les applaudissements qu’on lui donna furent si extraordinaires, qu’on redoubla le prix dans la suite ; ce qui réussit parfaitement à la gloire de l’Auteur, et au profit de la Troupe. […] Quoi qu’il fût très agréable en conversation lorsque les gens lui plaisaient, il ne parlait guère en compagnie, à moins qu’il ne se trouvât avec des personnes pour qui il eût une estime particulière : cela faisait dire à ceux qui ne le connaissaient pas qu’il était rêveur et mélancolique ; mais s’il parlait peu, il parlait juste, et d’ailleurs il observait les manières et les mœurs de tout le monde ; il trouvait moyen ensuite d’en faire des applications admirables dans ses Comédies, où l’on peut dire qu’il a joué tout le monde, puisqu’il s’y est joué le premier en plusieurs endroits sur des affaires de sa famille, et qui regardaient ce qui se passait dans son domestique.

1849. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. Jacques Demogeot » pp. 273-285

… une espèce de domino, très silencieux et très drapé, qui passe ici dans l’attrait voilé et singulier de son mystère, mais qui lève son loup quand il s’agit de littérature et nous montre alors ce qu’il est. […] C’est bien l’idée commune et moderne « des institutions », cette Poétique politique inventée pour se passer de grands hommes et à laquelle l’Histoire répond par tous les siens, car il n’y a pas d’autres créateurs de prospérités publiques que quelques grandes âmes isolées, et jamais ce que l’orgueil humain appelle si plaisamment « des institutions » n’a été autre chose que la petite monnaie de ces grands hommes nécessaires, disparus ! […] Malherbe, Vaugelas, le Cardinal de Richelieu, ces grands hommes d’État littéraires, ces Hercules qui ont balayé la place pour que le grand Corneille pût passer, et Louis XIV et tout son siècle, ces hommes qu’on pourrait appeler plus glorieusement que Pitt les Ministres des préparatifs, car ils préparèrent le dix-septième siècle en l’ouvrant, voilà les personnalités les mieux comprises de M. 

1850. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. Eugène Talbot » pp. 315-326

Mais, à partir d’Hérodote, le temps de la bonhomie dans l’esprit et dans la langue est passé. […] Mais, au seizième siècle, elle est formée, sa mue est faite ; elle a traversé le Moyen Âge, elle a passé à travers Froissard et Commines, puis elle s’est engouffrée dans Rabelais, dans cette espèce d’orgue immense, aux mille tuyaux redoublés et prodigieux aux mille spirales sonores, et elle en est sortie, en harmonies variées et toutes-puissantes, pour ruisseler dans les œuvres d’un temps fécond en écrivains comme ceux que j’ai nommés plus haut. […] Or, il est bien certain que cette chose est commune à Hérodote, ancien et véritable historien, aussi bien qu’à ces poètes, afin que je passe sous silence ce qu’il a de particulier en ce qui sent à plein son vrai chrétien. » L’expression va peut-être un peu loin, mais au fond Saliat a raison.

1851. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « La Révolution d’Angleterre »

Et dans les sociétés les plus complexes, les plus étoffées, les plus surchargées de civilisation, tout se passe identiquement comme dans les sociétés les plus primitives, les plus simples : la famille, par exemple, cette première des sociétés… que dis-je ? […] Je ne sais pas si Guizot, à une autre époque de sa vie intellectuelle, n’a pas cru à cette généralisation, à cette abstraction, à cette panthéification (qu’on me passe le mot !) […] Il a laissé là tous ceux auxquels il serait malaisé à toutes les philosophies de l’histoire d’arracher l’influence et d’en faire les mystiques instruments d’une force cachée, idée ou chose, divinités abstraites de tous ceux qui ne croient pas au Dieu vivant et personnel, et il a choisi des individualités secondaires par-dessus lesquelles un esprit superficiel aurait passé.

1852. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Camille Desmoulins » pp. 31-44

Cela ne vous fait-il pas l’effet grotesque d’un vieux portrait, passé à la caricature ? […] À travers le journaliste, fatalement vieilli comme ils vieillissent tous, dont la personnalité reculait, en s’effaçant, dans un passé qui s’éloignait et qu’on rapproche, on aperçoit l’homme, si on peut dire l’homme de cet enfant trépignant et passionné, qu’il aurait valu mieux faire oublier que rappeler, pour son honneur et pour sa gloire. […] le tigre passait au fond de toutes ces faiblesses.

1853. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « VI. Jules Simon »

Saisset, passé toute sa vie à citer des textes et à commenter des doctrines, tombées en désuétude et dans le mépris de l’histoire, si l’histoire n’était pas une pédante, quand elle est écrite par des professeurs ! […] Ils ne tuèrent sous eux aucun système, et ils passèrent leur temps et leur jeunesse à faire sur la pensée et les systèmes des autres le petit travail critique que fait sur lui-même le pauvre enfant de Murillo dont je veux leur épargner le nom ! […] II En effet, ni philosophie positive, ni religion positive, et la manière de se passer de toutes les deux, élevée à l’état de théorie, voilà d’un mot tout le livre de M. 

1854. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXV. Le Père Ventura »

dans cet énorme volume de cinq cent soixante pages, où la lumière passe sur toutes, mais ne se condense dans aucune, de manière à former ce noyau qu’il faudrait pour tout éclairer. […] Ce n’est pas dans un chapitre d’un livre comme le nôtre, — un index des travaux philosophiques et religieux de ce temps, — qu’on peut analyser ou seulement jauger le flot de choses qui passent à travers ces sujets, tout à la fois éternels et contemporains. […] Ventura est passé bien près de la vérité, de la vérité illuminante.

1855. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Henri Murger. Œuvres complètes. »

Mürger n’était pas de ces esprits puissants qui trouvent une forme toute faite dans l’originalité de leur génie ou se travaillent de leurs mains robustes pour s’en faire une… Lui moins qu’un autre ne pouvait se passer de cette éducation première dont le génie se passe si bien et n’en est que plus fier ! […] Henri Mürger a cela de particulier que le succès littéraire qui lui fut facile ne lui amena pas, comme c’est son usage le plus souvent, sa sœur, cette vilaine petite sœur, dont on ne peut se passer et qui s’appelle la Fortune.

1856. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Pécontal. Volberg, poème. — Légendes et Ballades. »

Il naîtra sur un lit de chaume, Et celle qui l’aura porté, Ce roi du céleste royaume, Gardera sa virginité ; Car à travers sa chaste mère Passera l’enfant radieux, Trait raphaëlesque ! Comme à travers l’azur des cieux Passe un doux rayon de lumière. […] Dans Le Drack, où il nous fait passer par toutes les nuances de la peur surnaturelle, il entremêle au pathétique de son sujet des vers charmants : Ce sont les fleurs les plus étranges Et des fruits d’un goût sans pareil, Des orangers remplis d’oranges, Dans des champs tout pleins de soleil !

1857. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Charles Didier » pp. 215-226

Un livre de récits qui se suivent n’est point un collier, quoique, même dans un collier, le fil qui passe à travers les perles doive être tout ensemble solide et fin… Ou M.  […] Didier ne sont d’Italie que parce que la scène de ces amours se passe en Italie, mais quelle Italie ? […] Charles Didier, longtemps philosophe, est passé de la philosophie aux idées chrétiennes.

1858. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Shakespeare »

Il y a des œuvres moins fortes et moins souverainement lumineuses, où le sublime déborde moins et n’est plus tel que, comme une flèche, intensément lancée, qui atteint un homme à travers un autre homme, il passe à travers traduction et traducteur quelconques. […] François Hugo a la fantaisie d’appeler cette langue la langue révolutionnaire, mais les révolutions qui nous ramènent au passé, sachant où elles vont, ne doivent pas porter le même nom que celles-là qui nous poussent vers l’avenir avec des mains d’aveugles. […] Ce fils d’un homme qui a relevé le nom propre, le mot cru, le terme concret, devant l’expression abstraite, vague et académiquement décente, ce jeune homme qui veut que la langue retrouvée du passé soit une langue révolutionnaire, n’a-t-il pas eu parfois la faiblesse de se montrer ici plus littéraire qu’interlinéaire, quand c’est interlinéaire qu’il fallait ? […] Qu’on me passe le mot (un romantique ne s’en fâchera pas !) […] sur l’irrémédiable malheur pour la postérité, qui s’en tord, avec juste cause, de désespoir, de ne pas savoir ce qui s’est passé le jour de la première représentation du Roi Lear.

1859. (1902) Le problème du style. Questions d’art, de littérature et de grammaire

Dès qu’il commence à écrire, Jean-Jacques change de caractère ; sa sensibilité tout entière passe dans son style. […] La philosophie, qui passe vulgairement pour le domaine des idées pures (ces chimères !) […] C’est passé en adage. […] Il passe pour avoir su le grec ; le savait-il assez pour goûter littérairement la poésie homérique ? […] Qu’est-ce ci = qu’y a-t-il, que se passe-t-il ici ?

1860. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « De l’état de la France sous Louis XV (1757-1758). » pp. 23-43

Notre amie 5 lui a donné les plus fortes preuves d’amitié, et le roi aussi. » Ce qui passe la condoléance, c’est qu’on ne songe qu’à lui procurer une revanche, et Bernis lui-même, puisqu’il le faut, s’y prêtera : Le roi aime M. de Soubise, écrira-t-il le printemps prochain à Duverney ; il voudrait le mettre à portée d’avoir sa revanche du 5 novembre (journée de Rossbach) ; voilà la vérité. […] Je passe des nuits affreuses et des jours tristes. […] J’ai passé la nuit à me trouver mal. […] Louis XV coupa court à la difficulté par un ordre que Bernis reçut le 13 décembre et qui l’exilait dans son abbaye près de Soissons : une lettre de lui au roi écrite au reçu de l’ordre, et une autre lettre écrite dans la soirée de la même journée à Mme de Pompadour, n’expriment que des sentiments de soumission parfaite et de reconnaissance infinie pour le passé, sans un seul mouvement de plainte. Quatre jours après, le 17 décembre 1758, de son château de Vic-sur-Aisne, près de Soissons, où il devait passer le temps de son exil, il écrivait à M. de Choiseul pour lui témoigner qu’il ne lui imputait point sa disgrâce et pour régler leurs relations futures : Mme de Pompadour, monsieur le duc, a dû vous dire la façon dont j’ai pensé sur votre compte au premier moment de ma disgrâce.

1861. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. de Stendhal. Ses Œuvres complètes. — I. » pp. 301-321

Daru en 1814, il commença sa vie d’homme d’esprit et de cosmopolite, ou plutôt d’homme du Midi qui revient à Paris de temps en temps : « À la chute de Napoléon, dit Beyle en tête de sa Vie de Rossini, l’écrivain des pages suivantes, qui trouvait de la duperie à passer sa jeunesse dans les haines politiques, se mit à courir le monde. » Malgré le soin qu’il prit quelquefois pour le dissimuler, ses quatorze ans de vie sous le Consulat et sous l’Empire avaient donné à Beyle une empreinte ; il resta marqué au coin de cette grande époque, et c’est en quoi il se distingue de la génération des novateurs avec lesquels il allait se mêler en les devançant pour la plupart. […] Beyle passa à Milan et en Italie la plus grande partie des premières années de la Restauration ; il y connut Byron, Pellico, un peu Manzoni ; il commença à y guerroyer pour la cause du romantisme tel qu’il le concevait. […] Il a des professions de machiavélisme qui sentent l’abbé Galiani, un des hommes (avec le Montesquieu des Lettres persanes) de qui il relève dans le passé. […] L’armée romantique, qui avait à sa tête la Revue d’Édimbourg et qui se composait de tous les auteurs anglais, de tous les auteurs espagnols, de tous les auteurs allemands, et des romantiques italiens (quatre corps d’armée), sans compter Mme de Staël pour auxiliaire, était campée sur la rive gauche d’un fleuve qu’il s’agissait de passer (le fleuve de l’Admiration publique), et dont l’armée classique occupait la rive droite ; mais je ne veux pas entrer dans un détail très ingénieux, qui ne s’expliquerait bien que pièce en main, et qui de loin rappelle trop la carte de Tendre. […] Nous avons eu, depuis, ce qui était alors l’idéal pour Beyle, ces drames ou tragédies en prose « qui durent plusieurs mois, et dont les événements se passent en des lieux divers » ; et pourtant ni Corneille ni Racine n’ont encore été surpassés.

1862. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La marquise de Créqui — I » pp. 432-453

L’auteur des prétendus mémoires fait dire à la marquise « qu’elle a passé trente ans avec M. de Créqui dans un bonheur sans mélange. » Elle revient en plus d’un endroit, d’un air d’attendrissement, sur « tant d’années » d’un parfait bonheur qu’elle lui a dû. […] Au sujet de ces agitations, de ces énergies de cœur et d’esprit qu’elle lui marquait, il lui disait encore : « Votre âme se porte trop bien, elle vous use ; vous n’aurez jamais un corps sain. » — À la paix, après quelques années passées à observer les riches héritières, le marquis de Créqui se maria avec Mlle du Muy ; cette union, tout en vue de la fortune, fut sans bonheur, et les zizanies, les chicanes qu’elle engendra rejaillirent jusqu’à Mme de Créqui, et lui causèrent bien des ennuis et même des pertes d’argent considérables ; mais ce qui l’atteignait plus que tout, c’était l’indifférence et l’ingratitude de cœur de son fils, qui ne parut jamais s’apercevoir des sacrifices et de l’affection de sa mère. […] Née et vivant dans la haute société, elle s’y fit de bonne heure son coin de retraite à elle ; elle ne fut, en aucun temps, mondaine, et dans sa vieillesse, jetant un regard en arrière, elle pouvait dire : « Le temps d’être dans le monde n’est jamais venu pour moi, mais en revanche celui de m’y montrer est absolument passé. » Sérieuse, instruite, ayant du temps à donner à la lecture, Mme de Créqui encore jeune désira voir les littérateurs célèbres de son temps et se former dans leur familiarité. […] Elle dit quelque part, à propos des scènes du monde et des spectacles plus ou moins agités auxquels elle assistait : « Il y a trois personnages qui raisonnent bien différemment : l’homme du monde, le philosophe et le chrétien : le premier croit que ceci dure ; le second, que c’est quelque chose, mais qui passe ; et le chrétien le voit comme quelque chose déjà passé.

1863. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Mémoires ou journal de l’abbé Le Dieu sur la vie et les ouvrages de Bossuet, publiés pour la première fois par M. l’abbé Guetté. Tomes iii et iv· » pp. 285-303

En effet, trois canonicats furent donnés en 1701 et 1702 à M. de Mouhy, à M. de Mailly et au jeune Phelippeaux : c’était ceux que M. de Meaux avait voulu faire passer devant, et il me dit positivement alors qu’il voulait présentement songer à mon cousin. […] Il y a du mieux dans son mal ; logé rue Sainte-Anne, il peut faire quelques promenades au jardin des Tuileries après la messe ; il y mène son monde : Vendredi et samedi (19 et 20 octobre 1703) promenade aux Tuileries, et le reste comme ces jours passés ; mais, en montant et descendant les terrasses des Tuileries, il nous disait qu’il éprouvait ses forces par les pentes douces, afin de s’accoutumer à monter et à descendre, pour se mettre en état d’aller chez le roi. […] D’ailleurs pas un mot de regret, d’affection sentie, d’admiration ni de culte pieux pour le grand homme dont il passait pour être l’Élisée. […] Il n’y a rien dans tout cela de scandaleux, mais seulement un salon de haute compagnie, et l’on voit que le cardinal de Noailles, qui passait pour un peu janséniste, mais qui n’en était pas moins grand seigneur, n’avait rien rabattu du ton ni de l’air de grandeur de son prédécesseur M. de Harlay. […] C’est ainsi que nous est montré finissant, et de plus en plus confit dans sa vulgarité, l’homme qui passait jusqu’ici pour s’être consacré à la mémoire de Bossuet.

1864. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « L’abbé de Marolles ou le curieux — II » pp. 126-147

L’honnête personnage se doutait bien que depuis qu’il s’était fait poète, il s’était passé quelque chose de nouveau, et il sentait que le vide avait redoublé autour de lui. […] Mosant de Brieux à Caen sur le sens d’un vers de Lucrèce (24 janvier 1660) : Je n’ai pas le loisir d’examiner les explications que lui donnent Érasme, Turnèbe et Lambin, et ainsi je n’en puis parler… Mais pour celle de l’abbé de Marolles, sans examen on la peut rejeter, tant ce traducteur est antipode du bon sens, et tant il s’éloigne partout de l’intelligence des auteurs qui ont le malheur de passer par ses mains ! […] Un jour ce même Jean Rou, qui nous introduit si bien dans l’intimité du grand homme, comme il l’appelle rondement (on est toujours le grand homme de quelqu’un), Jean Rou passait à quatre heures du matin, au mois de mai, proche le quai des Quatre-Nations, devant la porte de Marolles33 ; il voit son domestique déjà habillé, debout, droit comme un cierge sur le seuil, et qui l’invite à monter chez son maître, lequel est, assure-t-il, encore plus matineux que lui. […] Selon cette chronique dont il se porte garant, les deux personnes qui passaient pour être filles de l’intendant et fidèle domestique de Marolles auraient tenu de plus près à ce dernier ; les gens soi-disant bien informés prétendaient qu’il était le vrai père. […] [NdA] Dans un écrit de Furetière, Nouvelle Allégorique, ou histoire des derniers troubles arrivés au royaume d’Éloquence (1659), on lit : « Il y vint (à l’armée du Bon Sens) un illustre abbé de Marolles, qui poussa ses conquêtes jusques dans les terres de Tibulle, Catulle, Properce, Stace, Lucrèce, Piaule, Térence et Martial ; terres auparavant inconnues à tous ceux de sa nation ; cependant il les dompta, et les mit sous le joug de ses sévères versions, et il les traita avec telle exactitude et rigueur, que de tous les mots qu’il y trouva, il n’y eut ni petit ni grand qu’il ne fît passer au fil de sa plume, et qu’il n’obligeât à parler français et à lui demander la vie… » Ce jugement ne ferait guère d’honneur à la critique de Furetière qui était d’ailleurs un homme d’esprit, mais il est à croire qu’il ne parlait pas sérieusement quand il écrivait cela.

1865. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Marie-Antoinette »

Élevée auprès de sa mère, l’illustre Marie-Thérèse, « dans la simplicité des princes d’Autriche et suivant l’habitude viennoise de vivre au sein d’une société restreinte et familière », elle dut s’effrayer à l’idée de passer tout à coup dans ce Versailles solennel dont on parlait tant. […] … » C’est à elle de parler, de raconter tout ce voyage avec les impressions qu’elle y mêle et avec cette vivacité, ce mouvement de jeune fille qui était alors une des grâces et l’un des enchantements de sa personne : « Les grandes scènes ont commencé au Rhin ; on m’a conduite dans une île où j’aurais été bien heureuse d’être un peu seule comme Robinson pour me recueillir, mais on ne m’en a pas laissé la liberté ; on m’a comme emportée dans une maisonnette dont un côté était censé l’Allemagne, l’autre la France ; à peine m’a-t-on laissé le temps de faire une prière et de penser à notre bonne chère maman et à vous tous, mes bien-aimés du petit cabinet ; les femmes se sont emparées de moi, — m’ont changée des pieds à la tête. — Après cela, sans me laisser respirer, on a passé dans une grande salle, on a ouvert le côté de France, et l’on a lu des papiers : c’était le moment où mes pauvres dames devaient se retirer ; elles m’ont baisé les mains et ont disparu en pleurant. […] Je me vois toujours auprès d’elle ou sur ses genoux dans le grand salon de la Burg où Joseph nous pinçait. » Marie-Antoinette eut beau faire, elle regardait toujours du côté de Vienne et regrettait cet âge d’or du passé. […] Elle offre des aspérités, des disparates bizarres de caractère, et elle passerait volontiers d’un excès à l’autre, tantôt fière et hautaine, tantôt sensible et charmante. […] Dès l’abord et le premier étourdissement passé, la Dauphine dut chercher à se dérober à l’étiquette si ennuyante ; Mme de Noailles n’était pas une personne à l’alléger.

1866. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Catinat (suite et fin.) »

Mais l’histoire de ce qui se passa en Piémont depuis la fin de l’année 1693 jusqu’à la signature du traité, dans l’été de 1696, appartient moins encore à la biographie de Catinat qu’à celle de Tessé : c’est sur ce dernier que le principal de l’affaire semble rouler désormais, et la diplomatie prime la guerre. […] Inaugurant dès le début une guerre nouvelle, Eugène entra en Italie par Trente, passa l’Adige à Carpi, pénétra dans le Bressan, déjoua partout Catinat et le rejeta derrière l’Oglio. […] Heureux ceux qui meurent ou qui se retirent à propos et qui ne passent point la mesure ! […] Je vous expose, mon très cher frère, avec sincérité de cœur, les sentiments dans lesquels je suis, non sans bien des réflexions sur le passé et l’avenir de ce qui me regarde. » Et il terminait en s’appliquant cette parole de l’Écriture : « Deus dédit, Deus abstulit… Dieu me l’a donné, Dieu me l’a ôté : que son saint nom soit béni !  […] Nous laissons à ceux qui ont plus de loisir que nous le soin de démêler le vrai du faux, là où un véritable esprit de critique n’a point encore passé.

1867. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Réminiscences, par M. Coulmann. Ancien Maître des requêtes, ancien Député. »

Plus jeune de dix années que cette sœur charmante, après sa première enfance passée dans son pays natal, le jeune Jacques fut amené à Paris et mis en pension chez M.  […] Regrettons de grand cœur les jours passés, mais n’accusons pas trop le présent qui passera peut-être dans quarante ou cinquante ans pour un charmant et décent modèle à son tour. […] Que s’était-il passé dans l’intervalle ? […] Mais M. de Jouy, surtout, Jouy, le meilleur des hommes et le plus chaleureux des amis, prêtait à ses épigrammes, et cela même passait quelquefois jusqu’à l’action.

1868. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « George Sand — Note »

L’article sur Indiana passa sans que je reçusse de ses nouvelles ; mais après l’article sur Valentine, Planche qui la connaissait déjà me dit que l’auteur désirait me voir pour me remercier. […] Sauf à passer pour une écriveuse comme Mme A…, je veux vous faire l’injure d’un billet, Je ne vous ai pas assez dit l’impression que m’a faite votre livre. […] Il y a des hommes qui viennent au monde tout faits et qui n’ont pas de lutte à soutenir contre les écueils où les autres s’engagent et se choquent : ils passent au travers sans savoir seulement qu’ils existent, et parfois ils s’étonnent de voir tant de débris flotter autour d’eux. […] J’en ferai bien mon profit, et je l’ai déjà fait pour le plus important ; j’ai retranché toute la partie champêtre, et j’ai abordé tout de suite la Cavalcanti : de cette manière, le conte se passe tout entier dans ce monde de fantaisie où je l’avais conduit maladroitement. […] Elle a su être naturelle sous les systèmes, comme elle s’est trouvée passionnée sous ses magnificences de talent. — Je dis encore bien des choses que j’ai besoin qu’on aille chercher en moi en m’interrogeant ; car, seul et abandonné à moi-même, j’aime mieux laisser dormir, sans en remuer les abîmes, tous ces beaux lacs profonds du passé. »

1869. (1887) Discours et conférences « Réponse au discours de M. Louis Pasteur »

Tout passe, et nous ne passons pas ; car nous ne nous attachons qu’à deux choses qui, nous l’espérons, seront éternelles en France : l’esprit et le génie. […] Notre grand Littré passa toute sa vie à s’interdire de penser aux problèmes supérieurs et à y penser toujours. […] Aucun fait historique de ce genre n’est prouvé ni dans le présent, ni dans le passé, — j’entends prouvé sérieusement, d’une de ces preuves qui excluent toute chance d’erreur, — d’une de ces preuves comme celles que M.  […] Il nous a raconté comment, étant à Lion-sur-Mer, sur la plage, deux messieurs vinrent à passer : « Voilà Littré, dit l’un deux. — Littré !

1870. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre XI, les Suppliantes. »

Le drame se recueillait dans son attente et dans sa douleur, il se retournait des maux passés vers les calamités à venir. […] Car les Dieux, qui prennent toutes les formes, passent souvent par les villes, semblables à des étrangers errants, afin de reconnaître la justice ou l’iniquité des mortels. » — Apollonios de Rhodes raconte qu’un jour, Héra, déguisée en vieille femme, pleurait et se lamentait sur le rivage de l’Anauros gonflé par les neiges, « pour éprouver la bonté des hommes ». Tous passaient leur chemin et se moquaient d’elle. Mais Jason survint, revenant de la chasse : ému de pitié, comme le bon géant Christophe des légendes chrétiennes, il prit la vieille sur ses épaules et lui fit passer le torrent. […] Un dieu vient de passer entre lui et ces femmes, déjà sévère et presque indigné.

1871. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Madame de La Tour-Franqueville et Jean-Jacques Rousseau. » pp. 63-84

Nous avons eu, de nos jours, bien des exemples de ces cortèges divers que nous avons vus passer. […] Quelques phrases de lui, à elles adressées, dans les premiers billets, phrases toutes littéraires dont elle s’exagérait le sens, et qu’elle relisait sans cesse, lui avaient fait croire qu’elle avait pu, un instant, occuper dans son cœur je ne sais quelle place qui n’était plus vacante pour personne, depuis que Mme d’Houdetot y avait passé. […] Décidé, par les persécutions qu’il avait trouvées en Suisse, à passer en Angleterre et à se confier à l’hospitalité de David Hume, Rousseau revint un moment à Paris (décembre 1765). […] Il a seulement senti durant toute sa vie ; et, à cet égard, sa sensibilité est montée à un degré qui passe tout ce que j’ai vu jusqu’ici ; mais elle lui donne un sentiment plus aigu de peine que de plaisir. […] « En la lisant, écrivait Rousseau, le cœur m’a battu, et j’ai reconnu ma chère Marianne. » Mais cette reconnaissance lui passa vite, et déjà son cœur était trop envahi par le soupçon pour accueillir longtemps rien de doux.

1872. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Diderot. (Étude sur Diderot, par M. Bersot, 1851. — Œuvres choisies de Diderot, avec Notice, par M. Génin, 1847.) » pp. 293-313

Il a remarqué que, dans son pays de Langres, les vicissitudes de l’atmosphère sont telles, qu’on passe en vingt-quatre heures du froid au chaud ; du calme à l’orage, du serein au pluvieux, et qu’il est difficile que cette mobilité du climat n’aille pas jusqu’aux âmes : Elles s’accoutument ainsi, dès la plus tendre enfance, dit-il, à tourner à tout vent. […] « Allez toujours, lui disait-elle quand elle le voyait hésiter par hasard dans quelque liberté de propos, entre hommes tout est permis. » Dans la soirée d’adieux qu’il passa avec elle, il y eut un moment où, sur une parole de bonté et d’amitié qu’elle lui adressa, il se mit à pleurer à chaudes larmes, « et elle presque aussi », assure-t-il. […] Un peintre a représenté Télémaque chez Calypso : la scène se passe à table ; le jeune héros fait le récit de ses aventures, et Calypso lui présente une pêche. […] On en ferait un excellent chapitre de la force de l’unité. » Diderot en tout ceci est grand critique, et dans cet ordre de critique générale auquel aucun art, sous prétexte de technique, ne saurait se dérober : Il me semble, dit-il, que quand on prend le pinceau, il faudrait avoir quelque idée forte, ingénieuse, délicate ou piquante, et se proposer quelque effet, quelque impression… Il y a bien peu d’artistes qui aient des idées, et il n’y en a presque pas un seul qui puisse s’en passer… Point de milieu, ou des idées intéressantes, un sujet original, ou un faire étonnant. […] Bien des années ont passé, et les pastels de La Tour vivent encore ; les esquisses de Diderot vivent également.

1873. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Jasmin. (Troisième volume de ses Poésies.) (1851.) » pp. 309-329

Dans Agen on disait, quand elle passait : « Marthe sort, elle doit avoir faim !  […] Elles ont toujours au cou le ruban que Jacques y attacha pour ma fête, l’an passé, quand elles venaient becqueter dans nos mains unies les moucherons d’or que nous choisissions. » Il faudrait citer le texte, pour donner idée de cette poésie toute rayonnante et scintillante encore au milieu de sa tristesse. […] Huit jours se passent : l’autre dimanche est venu. […] Durant quelque temps elle lutta encore et essaya de se maintenir à l’état littéraire ; mais, tout centre politique étant détruit dans le Midi, cette langue, la première née ou du moins la première formée des modernes, tomba décidément en déchéance et passa à l’état de patois. […] Trois années après, le malheur avait passé sur cette maison, et Mlle Roaldès, par piété filiale, était réduite à chercher dans son talent une ressource.

1874. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « M. Fiévée. Correspondance et relations avec Bonaparte. (3 vol. in-8º. — 1837.) » pp. 217-237

Né à Paris le 10 avril39 1767, fils d’un riche restaurateur qui tenait de plus un somptueux hôtel garni, et d’une mère fort belle, le septième de seize enfants, il put voir, dès son enfance, l’ancien grand monde de fort près, et il s’accoutuma à l’observer d’autant mieux qu’il était à la fois tout à côté et en dehors : il le voyait passer devant lui. […] Arrivé à la barre de la Convention, qu’il trouva tout en désordre, puis admis aux honneurs de la séance dont il profita peu, il raconte qu’un gros et joyeux conventionnel lui dit, en le voyant sortir : « Prenez le plus long pour retourner vers vos commettants, et, toutes les fois que vous passerez devant une section, entrez ; parlez de la mission que vous venez de remplir, et de l’accueil que vous avez reçu… Vantez surtout l’assurance que vous avez vue parmi nous. » — « Sans doute, lui répondis-je ; cela me formera si je veux un jour écrire l’histoire. » M.  […] Or, dans tout pays où il n’y a plus de service qui ne soit soldé, il y a réellement égalité politique en dépit des prétentions et des souvenirs. » Mais cette vérité de fait ne l’empêche pas de remarquer que l’opinion a gardé pourtant des restes bien légitimes de religion historique : « Des hommes qui ont leur nom dans l’histoire, qui se lient à tout le passé d’une nation, ne sont jamais nuls dans leur patrie. » Dans toutes ces notes de début, M.  […] « Ces gens-là s’imaginent que nous sommes des palissades », disait-il de ceux qui s’étaient rangés derrière lui dans la mêlée, et qui passaient outre après la victoire. […] Il passa à une coalition avec les libéraux, avec les Benjamin Constant, les Casimir Périer, et finalement nous l’avons vu collaborateur du journal Le Temps avec M. 

1875. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Œuvres de Louis XIV. (6 vol. in-8º. — 1808.) » pp. 313-333

Ayant reconnu « que cette liberté, cette douceur, et pour ainsi dire cette facilité de la monarchie, avait passé les justes bornes durant sa minorité et dans les troubles de l’État, et qu’elle était devenue licence, confusion, désordre », il crut devoir retrancher de cet excès en s’attachant toutefois à conserver à la monarchie son caractère humain et affectueux, à maintenir auprès de lui les personnes de qualité dans une familiarité honnête, et à rester en communication avec les peuples par des plaisirs et des spectacles conformes à leur génie. […] Il voudrait que son fils, au lieu de s’arrêter en chemin, et de regarder autour de lui et au-dessous de lui, ceux qui valent moins, reportât ses regards plus haut : Pensez plutôt à ceux qu’on a le plus sujet d’estimer et d’admirer dans les siècles passés, qui d’une fortune particulière ou d’une puissance très médiocre, par la seule force de leur mérite, sont venus à fonder de grands empires, ont passé comme des éclairs d’une partie du monde à l’autre, charmé toute la terre par leurs grandes qualités, et laissé depuis tant de siècles une longue et éternelle mémoire d’eux-mêmes, qui semble, au lieu de se détruire, s’augmenter et se fortifier tous les jours par le temps. […] Aussi l’empire est-il allé à ceux qui ont passé comme des éclairs d’une partie du monde à l’autre . […] Dreyss fort exact, fort rapproché des manuscrits originaux dont il ne laisse passer ni une phrase inachevée ni une faute d’orthographe sans la reproduire, fort prisé et fort loué, je le sais, de plusieurs personnes compétentes, m’a paru, je l’avoue, à moi qui suis apparemment plus frivole, et au point de vue du goût, susceptible de beaucoup d’objections, dont la plus grave est qu’à force de faire subir au lecteur toutes les fatigues et les peines qu’il s’était données dans son examen et qu’il est venu étaler trop complaisamment, l’éditeur a rendu la lecture de ces Mémoires, d’agréable qu’elle était dans l’ancienne et la mauvaise édition, très difficile et très pénible, — j’allais dire impossible —, dans la sienne qui va passer désormais pour la seule authentique et la seule bonne.

1876. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Franklin. — I. » pp. 127-148

Ceux-ci refusèrent d’abord, disant qu’il avait payé en ramant ; il insista pour donner son shilling de cuivre : « L’homme, remarque-t-il, est quelquefois plus généreux quand il a peu d’argent que quand il en a beaucoup : peut-être pour empêcher qu’on ne soupçonne qu’il n’en a que peu. » Il fit son entrée dans la ville, tenant trois gros pains qu’il venait d’acheter, un sous chaque bras, et mangeant à même du troisième ; il passa ainsi devant la maison de sa future femme, miss Read, qui était à sa porte, et qui lui trouva l’air un peu extraordinaire. […] Vieux, ayant passé une journée, à Auteuil, à dire des folies avec Mme Helvétius, à lui conter qu’il voulait l’épouser et qu’elle était bien dupe de vouloir être fidèle à feu son mari le philosophe Helvétius, Franklin écrit le lendemain matin de Passy, à sa voisine, une très jolie lettre, dans laquelle il suppose qu’il a été transporté en songe dans les champs Élysées ; il y a trouvé Helvétius en personne, qui s’y est remarié, et qui paraît très étonné que son ancienne compagne prétende lui être fidèle sur la terre. […] Quand il s’agira de fonder l’ordre de Cincinnatus, il y sera opposé avec grande raison, mais il ne fera aucune réserve en faveur de la chevalerie, considérée historiquement et dans le passé. […] Le dévouement d’un chevalier d’Assas, la passion d’un chevalier Des Grieux, la poésie de Parisina ou d’Ariel, tout cela se tient dans la pensée, et il nous semble, au moins dans la jeunesse, que c’est manquer d’ailes et d’essor que de ne point passer à volonté d’un de ces mondes à l’autre. […] Et de même, dit-il, que celui qui a un jardin à sarcler n’entreprend point d’arracher toutes les mauvaises herbes à la fois (ce qui excéderait sa portée et sa force), mais travaille sur un seul carré d’abord, et, ayant fini du premier, passe à un second, de même j’espérais bien avoir l’encourageant plaisir de voir sur mes pages le progrès fait dans une vertu, à mesure que je débarrasserais mes lignes de leurs mauvais points, jusqu’à ce qu’à la fin, après un certain nombre de tours, j’eusse le bonheur de voir mon livret clair et net.

1877. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Monsieur Arnault, de l’Institut. » pp. 496-517

Écrivain, il se recommande encore aujourd’hui par de véritables mérites : ses quatre volumes de Souvenirs sont d’une très agréable et instructive lecture ; ses tragédies, pour être appréciées, ont besoin de se revoir en idée et de se replacer à leur moment ; mais ses fables, ses apologues, plaisent et parlent toujours ; un matin, dans un instant d’émotion vraie et sous un rayon rapide, il a trouvé quelques-uns de ces vers légers, immortels, qui se sont mis à voler par le monde comme l’abeille d’Horace et qui ne mourront plus : c’est assez pour que, nous qui aimons à rechercher dans le passé tout ce qui a un cachet distinct et ce qui porte la marque d’une époque, nous revenions un instant sur lui et sur sa mémoire. […] La Terreur passée, il fut, avec Lemercier, avec Legouvé, avec Picard, avec Méhul, de cette génération jeune et active qui, dans tous les sens, redonna de la nouveauté et de la vie au théâtre. […] Le gouvernement une fois organisé aux îles Ioniennes, le général Gentili passa sur le continent de la Grèce et se mit en rapport avec le fameux Ali, pacha de Jannina, qui guerroyait alors contre la Porte ; pendant son absence, il voulait laisser le gouvernement général de Corfou à Arnault qui refusa : Chargé par vous, écrivait celui-ci à Bonaparte, d’organiser le gouvernement des îles Ioniennes, je l’ai fait le mieux que j’ai pu. […] Cependant Bonaparte aurait voulu qu’Arnault ne bornât point là sa mission, qu’il passât en Épire avec le général Gentili, qu’il traitât avec le pacha : « Cela était essentiellement dans vos attributions », lui dit Bonaparte lorsqu’il le revit au retour. […] Tout ce côté élevé d’avenir ou de passé religieux et monarchique que Fontanes appréciait et admirait dans son ami Chateaubriand, n’allait point à Arnault qui prenait les choses de plus près, plus à bout portant, et en bourgeois de Paris qui gardait de la Fronde même sous l’Empire.

1878. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Ivan Tourguénef »

Ses femmes passent par toutes les dégradations variables de leur nature, et chacune, de la jeune fille à l’aïeule, possède quelque particularité originale et illogique, quelque trait réellement vivant, qu’aucune classification ne peut saisir, M.  […] Il n’y a pas d’analyste plus profond des ravages et des périls de l’amour que l’auteur de Fumée et Eaux printanières ; il n’y eu a pas qui sache mieux toutes les nuances de dégradation par où passent les âmes faibles, intelligentes et lasses de ces infamies de la vie spirituelle, les ratés ; ses âmes féminines, avec leurs bontés d’enfants et leurs vues de captives, leurs variations, leurs perfidies, leurs candeurs et leurs infinies douleurs, sont pénétrées et décrites par Tourguénef avec un charme, une intimité qu’on ne se lasse ni de goûter ni d’admirer. […] Celle-ci passe de l’admiration que lui inspirait cette attitude d’homme en lutte avec la société, à une commisération maternelle et un peu méprisante. […] Il éprouva un choc pas très fort et le voilà déjà couché sur le dos… Un tourbillon de fumée verdâtre passe dans ses yeux, sur son visage, sur son front, dans son cerveau, et un poids horrible l’aplatit pour toujours contre terre. » Ce cas navrant est extrêmement significatif. […] L’obscur passé leur est l’origine des maux qui, ayant commencé peuvent cesser d’être, et quant à la mort même, elle leur apparaît comme la condition essentielle de la durée prospère de l’espèce, qui ne saurait subsister utilement que par la destruction de ses représentants momentanés, comme le corps ne vit que par l’usure de ses cellules.

1879. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Saint-Simon »

de passer sous cette fatale et basse porte du journalisme qui nous courbe tous, après y avoir passé ils se redressent ! […] Ce formidable duc, aux mœurs sévères et aux éternelles écritures, qui avait passé toute sa vie à écrire, sans rien publier, contre Louis XIV et son siècle, et qui l’avait effrayé, lui ! […] Saint-Simon, le duc de Saint-Simon, le plus altier des ducs, le féroce moraliste… contre les autres, l’austère janséniste, l’ami et le pénitent de Rancé, qui passait tous les ans un mois à la Trappe, se vautre, se dissout et s’escarbouille ainsi dans des effusions (comme il le dit) avec ce maraud et ce pied-plat de Dubois, de Dubois auquel il ne doit rien, malgré sa phrase sur « la solide grandeur et la décoration extérieure de sa maison » ; car ce n’est pas Dubois qui l’a nommé ambassadeur, c’est le Régent ! […] En légitimant ses bâtards, Louis XIV ne fit, aux yeux des superficiels qui ne voient rien que des surfaces dans l’histoire, qu’un acte immoral bien près de la faute politique, et on le lui reproche et on passe, et l’on s’enfonce dans la splendeur enivrante de ce règne qui fait tout oublier !

1880. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « X. Ernest Renan »

Benjamin Constant a écrit un livre sur les religions, et l’idée de ce livre, très simple et très dangereuse dans un pays qui croit que la vérité ne peut jamais être compliquée, l’idée de ce livre est que les formes religieuses passent, mais que le sentiment religieux est éternel. […] Mais le moyen de faire passer les choses les plus risiblement affirmatives ou les plus tristement vagues, c’est le sérieux avec lequel on les écrit. […] La surprise du premier moment, cette grande duperie, est passée, et M.  […] Renan, qui l’a continuée avec acharnement dans ses Études d’histoire religieuse, dans son Histoire comparée des langues sémitiques, dans ses Essais de critique et de morale ; et quoique dans ce premier livre, plus peut-être que dans les suivants, ce jeune serpent de la sagesse ait eu les précautions d’un vieux et les préoccupations de sa spécialité, cependant il est aisé de voir que la chimère philologique, le passage de la pensée au langage ou du langage à la pensée, les épluchettes des premières syllabes que l’homme-enfant ait jetées dans ses premiers cris, ne sont, en définitive, que des prétextes ou des manières particulières d’arriver à la question vraiment importante, la question du fond et du tout, qui est de biffer insolemment Moïse et de se passer désormais parfaitement de Dieu ! […] Il scintille et passe, farfadet verbeux, sur le dos fluant d’un peut-être ou d’un il semblerait, comme on en trouve dans son livre !

1881. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre deuxième. La connaissance des corps — Chapitre premier. La perception extérieure et les idées dont se compose l’idée de corps » pp. 69-122

Je passe ma main, en appuyant, le long de ce bord de table, à plusieurs reprises, de gauche à droite, puis de droite à gauche, toujours avec la même vitesse, c’est-à-dire avec le même degré d’effort locomoteur. […] Au fond de la conception affirmative, par laquelle, après avoir passé et appuyé ma main sur cette table, je conçois et j’affirme un corps indépendant et permanent, il n’y a rien que la conception affirmative de sensations musculaires et tactiles analogues, ces sensations étant conçues et affirmées comme possibles pour tout être semblable à moi qui serait à portée, comme futures, prochaines, certaines et nécessaires pour tout être semblable à moi qui passerait et appuierait de la même façon la main ou tout autre organe. […] De cette façon, tous les événements de la nature physique sont des mouvements, chacun d’eux étant défini par la masse et la vitesse du corps en mouvement, et chacun d’eux étant une quantité qui passe de corps en corps sans jamais croître ni décroître. […] En ce cas, non seulement nous considérons l’objet perçu par nos sens comme un faisceau de possibilités permanentes, mais encore nous lui attribuons à bon droit une série de sensations, images, idées plus ou moins analogues aux nôtres, et nous transportons légitimement en lui des événements qui se passent en nous. […] Je crois de plus que, en me mettant dans les conditions requises, non seulement en un moment quelconque de l’avenir j’éprouverais les sensations indiquées, mais encore qu’en un moment quelconque du passé je les aurais éprouvées, et qu’il en serait de même en tous les moments du présent, de l’avenir et du passé pour tout être analogue à moi.

1882. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXVIe entretien. La littérature des sens. La peinture. Léopold Robert (1re partie) » pp. 397-476

Cela n’est pas douteux : un homme rappelle l’autre ; un art traduit l’autre ; la pensée passe par le marbre, par le dessin, par la couleur, par le son, au lieu de passer par la plume ; mais c’est toujours la pensée, c’est toujours la littérature. […] On me répondrait que la musique passe et que la peinture demeure, que la musique est un instant et que la peinture est une éternité, et je ne saurais plus que dire. […] Dès mon enfance j’aurais passé des journées entières à me mirer dans ces larges yeux des vaches ou des bœufs au pâturage, et j’y trouve encore aujourd’hui une paix communicative qui me purifie le cœur ou l’esprit. […] J’y trouvai l’étranger déguisé dont je cherchais depuis plusieurs jours la trace ; je passai le reste de la soirée à m’entretenir avec lui de l’objet de notre entrevue, tout en nous égarant de meules de foin en meules de foin sur les pentes veloutées des collines prochaines. […] XVIII Je passai trois jours dans cette famille patriarcale ; j’en ai oublié le nom, je n’en ai oublié ni le chalet, ni les habitants, ni les naïvetés, ni les matinées passées à faner le foin sur les prés, ni les soirées autour de l’établi de l’horloger, pendant que la mère chantait à demi-voix pour endormir l’enfant sur son sein et que la jeune fille limait entre ses doigts délicats, à côté de son père, les anneaux microscopiques d’une chaîne de montre.

1883. (1859) Cours familier de littérature. VII « XLIe entretien. Littérature dramatique de l’Allemagne. Troisième partie de Goethe. — Schiller » pp. 313-392

À la mort de son père, le jeune poète s’écria devant sa mère éplorée : « Que ne puis-je finir ma vie dans l’innocence et dans la piété où il a passé la sienne !  […] L’année passée, quand je me trouvai inopinément avec lui, j’étais hors de moi ; je voulus parler, mais la voix me manqua ; il posa la main sur ma bouche et il me dit : “Parle des yeux, je comprends tout ! […] Je finis par ne plus pouvoir me passer d’elle pendant un seul jour. […] je suis enfermée dans mon amour pour toi comme dans une cabane solitaire ; ma vie se passe à t’attendre ! […] Cette impertinence envers le génie des siècles passés leur a porté malheur, la nature a répondu à leur défi par l’impuissance ; qu’ont-ils produit et que produisent-ils, depuis dix ans, que des sarcasmes et des bulles de savon ?

1884. (1860) Cours familier de littérature. IX « LIIIe entretien. Littérature politique. Machiavel (2e partie) » pp. 321-414

Passons à Venise. […] André Doria, leur concitoyen, le plus illustre des hommes de guerre de son temps, condottiere de mer, qui passait tour à tour du parti de l’empire au parti de la France, la leur rend. […] Trois ans passés, et la reconnaissance passée plus vite que les années, la maison de Savoie fait une nouvelle défection à la France, et combat avec l’Autriche contre nous. […] L’Autriche est toujours la première à intervenir à main armée pour le statu quo, car c’est sa nature, et c’est son intérêt de représenter partout le passé. […] Les Autrichiens, auxiliaires du roi, passèrent le Tessin pour secourir Latour ; M. de Bubna, politique aussi fin qu’habile général, la commandait.

1885. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre septième »

La preuve que nous y avons une sorte de compétence, c’est que nous serions fort choqués d’un sermon qui se tairait sur les mystères et passerait en courant sur le dogme. […] Son ordre n’est pas cet arrangement artificiel qui fait passer les petites raisons avant les grandes, et qui prétend amorcer l’auditeur avant de le prendre. […] Massillon gagnerait, ce semble, à ce que le Petit Carême ne passât point pour son plus beau titre. […] Elle était du côté de ces novateurs qui impatientent si fort Vauvenargues, et pour qui admirer le dix-septième siècle n’était qu’un préjugé passé de mode. […] Fénelon lui avait passé ses préventions, qu’il exagère.

1886. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Conclusions »

Qu’est-ce donc que le réalisme pour permettre de telles dérogations à ce qui passe pour son principe même ? […] Dans ce travail les idées qui motivent toute résolution doivent ou passer inconscientes (action réflexe) ou du moins n’être point perçues trop longtemps. […] Aux yeux des citoyens de la plupart des états, l’artiste est un ouvrier en articles de luxe qui fabrique des objets propres à leur faire passer une bonne soirée au théâtre, ou à les délasser, pendant quelques heures dédaigneusement perdues à lire. […] À mesure que l’histoire s’est faite plus artistique, qu’écrite par des voyants, elle a puisé davantage chez les poètes, les dramaturges, les romanciers, les mémorialistes, les époques passées nous sont apparues. […] C’est sans doute parce qu’ils satisfont de même cet instinct émotionnel que les romans même de Dostoïewski et de Tolstoï, ont reçu l’année passée un accueil favorable du public.

1887. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIIIe entretien. I. — Une page de mémoires. Comment je suis devenu poète » pp. 365-444

Il fallait un décorateur du passé qu’on voulait faire revivre et régner sous ses deux formes de trône absolu et d’autel populaire ; l’auteur du Génie du Christianisme, grand poète qui cherchait un poème, s’offrit avec ses magiques pinceaux. […] On a prétendu qu’il y avait eu antagonisme de nature et de tendance entre ces deux hommes du passé, Bonaparte et M. de Chateaubriand : rien n’est plus faux ; ces deux hommes s’entendaient à merveille alors. […] Les étoiles sembleraient frappées du même vertige ; ce ne serait plus qu’une suite de conjonctions effrayante : tout à coup un signe d’été serait atteint par un signe d’hiver ; le Bouvier conduirait les Pléiades, et le Lion rugirait dans le Verseau ; là des astres passeraient avec la rapidité de l’éclair ; ici ils pendraient immobiles ; quelquefois, se pressant en groupes, ils formeraient une nouvelle Voie lactée ; puis, disparaissant tous ensemble et déchirant le rideau des mondes, selon l’expression de Tertullien, ils laisseraient apercevoir les abîmes de l’éternité. […] VII Sans sonder l’horizon qui s’enfuit sous la brume, Sans rêver au-delà je ne sais quel grand sort, Dans ton île, au soleil toute enceinte d’écume, Aucun de mes désirs n’en passerait le bord. […] Ou quand le grand filet, fatigué par la pêche, S’étend d’un arbre à l’autre et sur la grève sèche, Jeune Parque tenant le fil et le ciseau, Pour renouer la maille où l’écueil a fait brèche, Entrevue à demi derrière ce réseau, Passer et repasser comme une ombre sous l’eau ?

1888. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Deuxième partie. L’évolution des genres — Chapitre III. Le roman » pp. 135-201

Eugène Le Roy, dont le premier roman le Moulin du Frau passa inaperçu, mettait en scène des individus « semblables à ces personnes aux manières simples qui sans tant de politesse, montrent leur âme à nu ». […] Pierre Louÿs qui évoquaient les fastes du passé, mais M.  […] Ce sont surtout des romanciers coloniaux et ils sont en passe de compter parmi les meilleurs romanciers coloniaux français. […] Ce n’est pas que ses romans n’aient de fort remarquables qualités, l’Âge où l’on s’ennuie et les Pigeons d’Argile sont des livres qui ne pouvaient passer inaperçus. […] « Est-ce que le règne des conteurs est passé ? 

1889. (1926) L’esprit contre la raison

On cherche à faire passer pour d’innocentes fleurs de sagesse les produits de l’égoïsme. […] Wilde est passé par là : Mettre le génie dans sa vie, le talent dans son œuvre. […] Mais il n’en a pas moins affronté les silences réprobateurs de Breton, et passé outre. […] Car, tandis que les modes littéraires passent, Aragon possède ce qui dure au-delà de toutes les vicissitudes de l’opinion à travers les générations: un tempérament original, le charme, la fantaisie et un style d’une élégance tranchante […] ».) […] « On ne passe point dans le monde pour se connaître en vers si l’on n’a mis l’enseigne de poète, ni pour être habile en mathématiques si l’on n’a mis celle de mathématicien.

1890. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVIIIe entretien. Littérature latine. Horace (2e partie) » pp. 411-480

Toutes les images qui ont passé devant ce miroir de son imagination vive et tendre s’y sont fixées comme, dans un courant limpide, les rameaux, les fleurs, les colombes du bord. […] Je le conseille aux hommes rassasiés du monde qui ont passé les deux premiers tiers de leur existence. […] « Qui dois mourir, soit que tous tes jours se soient écoulés dans la tristesse, soit que tu aies passé tes jours de fêtes mollement étendu sur l’herbe des prairies solitaires, réconforté et assoupi par le nectar d’un falerne vieilli dans tes celliers ! […] il te reverra, si ton cœur t’y porte, quand les tièdes vents du printemps souffleront, au retour de la première hirondelle. » Par une transition glissante et naturelle il passe de là à la délicatesse de Mécène, qui n’importune pas son ami de dons et de faveurs difficiles à refuser ; puis il intercale, en vers laconiques et pittoresques, une moquerie douce contre ceux qui aspirent à une fortune disproportionnée à leurs désirs. […] C’est la géographie badine d’un poète ; il est à croire que Mécène et ses amis avaient chargé Horace de rédiger en plaisanterie leur itinéraire pour perpétuer les accidents et les charmes du voyage ; de plus, ce voyage avait un charme tout particulier pour Horace, puisqu’il le conduisait aux lieux, toujours chers, où il avait passé son enfance, sous la tutelle d’un père chéri.

1891. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 mars 1886. »

Faut-il passer outre ? […] Il se peut qu’à l’intérieur de l’Opéra-Comique tout se passe bien entre hommes d’un jugement sain et impartial. […] Il ne sera plus question de Lohengrin, ni d’aucune musique du passé ou de l’avenir. […] Cela passe peut-être un peu la mesure, je ne traiterai pas la question de principe, n’ayant d’ailleurs pas qualité pour parler au nom de mes confrères. […] Joncières vient de faire représenter son dernier opéra à Cologne ; c’est la première fois qu’un de ses ouvrages passe le Rhin, si j’ai bonne mémoire.

1892. (1870) La science et la conscience « Chapitre III : L’histoire »

En professant que tout se tient et se lie dans la succession des choses, que le présent est gros de l’avenir, comme le passé était gros du présent, il a posé le principe de la théorie de l’évolution fatale et traditionnelle. […] Pour s’en assurer, il n’est pas nécessaire de passer en revue tous les noms et toutes les œuvres de la science historique des temps modernes ; il suffit de rappeler quelques grands sujets tirés de l’histoire de France, où la nouvelle méthode a été pratiquée avec le plus de succès. […] Il faut dire pourtant que la théorie du succès a passé le Rhin, et qu’elle a trouvé pour organe en pleine Sorbonne la voix la plus éclatante de l’enseignement universitaire. […] Michelet, Quinet et Lanfrey, l’un avec son sens historique si sûr, éclairé par l’intime commerce avec les choses et les hommes du passé, l’autre avec sa magistrale gravité de philosophe moraliste, le troisième avec ce sentiment du droit qui ne l’abandonne jamais dans ses jugements et ses portraits. […] La Grèce civilisée et républicaine passe, malgré l’éloquence de Démosthène, sous la domination de la Macédoine, barbare encore et monarchique.

1893. (1814) Cours de littérature dramatique. Tome I

Il finit cependant par accepter les propositions des propriétaires vers les dernières années du siècle passé ; il rédigea le feuilleton du Journal des Débats. […] Aujourd’hui nos principes politiques ne sont pas plus arrêtés que nos principes de littérature ; jamais on n’a passé avec plus de facilité du camp des Grecs dans le camp des Troyens. […] Que s’est-il passé qui puisse tout à coup le rendre si différent de lui-même ? […] Tout se passe dans le palais des rois d’Égypte, et tout ce qui s’y passe ne demande pas rigoureusement plus de vingt-quatre heures, le poète étant autorisé, par les libertés de son art, à substituer une émeute populaire à la guerre d’Alexandrie, qui a duré près d’un an. […] Il n’y a rien d’incroyable dans de telles représailles ; et si les tragédies de Voltaire ne faisaient pas à la raison de plus grands outrages, il passerait pour un poète judicieux et très sensé.

1894. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Le président Jeannin. — I. » pp. 131-146

Mais quand tout s’écroule et se renouvelle, quand les institutions antiques tombent en ruines et que l’état futur n’est pas né, que toutes les règles de conduite et d’obéissance sont confondues, que la justice et le droit hésitent entre les cupidités, les intérêts révoltés qui courent aux armes, c’est alors que le don de sagesse est bien précieux en quelques-uns, et que les hommes qui le possèdent sont bientôt appréciés des chefs dignes de ce nom, qu’ils sont appelés, écoutés longtemps en vain et en secret, qu’ils ne se lassent jamais (ce trait est constant dans leur caractère), qu’ils attendent que l’heure du torrent et de la colère soit passée pour les événements et pour les hommes, et qu’habiles à saisir les instants, à profiter du moindre retour, ils tendent sans cesse à réparer le vaisseau de l’État, à le remettre à flot avec honneur, à le ramener au port, non sans en faire eux-mêmes une notable partie et sans y tenir une place méritée. […] C’est un grand personnage, et de ceux qu’il y a le plus de profit à connaître et à approfondir dans le passé. […] Le duc l’engagea à coucher le tout par écrit et envoya le mémoire à son frère M. de Guise, qui le reçut ayant le pied déjà à l’étrier, et qui n’eut que le temps d’écrire au bas, après l’avoir lu : « Ces raisons sont bonnes, mais elles sont venues à tard ; il est plus périlleux de se retirer qu’il n’est de passer outre. » Le président Jeannin sent toutefois à un certain moment qu’il s’engage, lui aussi, dans une voie périlleuse ; obligé par devoir et par reconnaissance envers Henri III, il est amené par les circonstances à demeurer auprès du duc de Mayenne, même quand celui-ci est devenu le chef de la Ligue et le maître de Paris, sous le titre ambitieux et ambigu de lieutenant général de l’État royal et Couronne de France. […] Dans le premier moment de douleur et de surprise, Mayenne en effet, se croyant sans ressources, fut près d’en passer par cette offre accablante et de se soumettre à la nécessité.

1895. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Vicq d’Azyr. — II. (Fin.) » pp. 296-311

Dans l’âge mûr on commence à jouir du passé, on connaît mieux la valeur du présent et l’on espère encore de l’avenir. […] Ceux qui parlent ainsi n’avaient pas présent au souvenir le remarquable passage où Vicq d’Azyr commente ce mot de Buffon : « Voilà ce que j’aperçois par la vue de l’esprit », et où il le montre dans ses diverses théories faisant en effet tout ce qu’on peut attendre de l’esprit, devançant l’observation, et arrivant au but sans avoir passé par les sentiers pénibles de l’expérience. […] On ne se défie pas d’un médecin, il a ses entrées à toute heure ; les notes, les avis passaient sans cesse par le canal de Vicq d’Azyr et allaient de la reine à ses amis ou de ceux-ci à la reine. […] Pardonnons ici à la faiblesse humaine et passons.

1896. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Histoire du Consulat et de l’Empire, par M. Thiers (tome xviie ) » pp. 338-354

Le 24 décembre 1813, « jour de funeste mémoire », les coalisés passent le Rhin ; l’Empire est envahi : il faut recommencer une campagne d’hiver et en terre de France. […] Quand un gros nuage chargé de foudre passe dans l’air, tous les corps s’en ressentent aussitôt et reprennent chacun le genre d’électricité qui leur est propre, bien souvent une électricité contraire : ainsi arriva-t-il en 1840 dans le conflit des opinions sur la grande mesure : Faut-il, ou ne faut-il pas fortifier Paris ? […] Et s’il est arrivé que, lui sorti de la scène politique, la France n’ait point dépéri ; que cet être collectif, cet être idéal et redoutable qu’on appelait la coalition, et qui est demeuré pendant tant d’années un grand spectre dans l’imagination des gouvernants, ait été conjuré enfin par un enchanteur habile et puissant ; que la France soit redevenue elle-même tout entière sur les champs de bataille anciens et nouveaux et dans les conseils de l’Europe ; si, à cette heure même où nous écrivons, une province, une de ses pertes, est recouvrée par elle et lui est acquise, moins à titre d’accroissement que de compensation bien due, et aussi comme un gage manifeste de sa pleine et haute liberté d’action, on est sûr qu’en cela du moins le cœur de l’historien du Consulat et de l’Empire se réjouit ; que si une tristesse passe sur son front, c’est celle d’une noble envie et de n’avoir pu, à son heure, contribuer pour sa part à quelque résultat de cet ordre, selon son vœu de tous les temps ; mais la joie généreuse du citoyen et du bon Français l’emporte. […] Mais qu’on mette en regard, d’un côté ce livre si souverainement conduit et si harmonieusement terminé, et, de l’autre, quelques années d’un pouvoir semblable à ce qu’on voyait trop souvent par le passé, — d’un pouvoir partagé, disputé, insulté, parfois calomnié d’en bas, parfois déjoué d’en haut et du côté où l’on devait le moins s’y attendre, — d’un pouvoir le plus souvent aussi paralysé dans l’action que magnifique et brillant par le discours, mais par un discours encore qui s’envolait et ne se fixait pas en des pages durables : — et qu’on me dise, au point de vue de la gloire solide, ce qui vaut le mieux !

1897. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Le général Joubert. Extraits de sa correspondance inédite. — Étude sur sa vie, par M. Edmond Chevrier. — I » pp. 146-160

Cette lettre à Cervoni finit par un retour et un regret sur le passé : Incertitude, dégoût, fatigues, tel est le sort du militaire actuel ; il est bien différent de celui de nos premières années, où nous guerroyions en chantant. […] Son plan est bien conçu : il veut séparer les Autrichiens des Sardes ; tenant ceux-ci en échec par la division Serrurier, il attaquera les Autrichiens de front aux environs de Loano, sur le littoral, par la division Augereau, tandis que, dans l’entre-deux, Masséna, chargé d’occuper et de couronner les cimes des Apennins, devancera l’ennemi par les hauteurs, aux défilés où il aura à passer en se retirant. […] J’avais eu des scrupules d’accepter le grade de général de brigade ; mais mes camarades et les généraux, le représentant Ritter lui-même, m’ont paru si contents de cette promotion, et je suis chargé d’entreprises si intéressantes25, que mon refus aurait passé pour refus de service. […] J’ai vu passer mon troisième bataillon de l’Ain.

1898. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Questions d’art et de morale, par M. Victor de Laprade » pp. 3-21

il est poète, quoiqu’il n’ait pas la sainte fureur, ni cet aiguillon de désir et d’ennui, qui a été notre fureur à nous, le besoin inassouvi de sentir ; bienqu’il n’ait pas eu la rage de courir tout d’abord à toutesles fleurs et de mordre à tous les fruits ; — il l’est, bien qu’il ne fouille pas avec acharnement dans son propre cœur pour y aiguiser la vie, et qu’il ne s’ouvre pas les flancs (comme on l’a dit du pélican), pour y nourrir de son sang ses petits, les enfants de ses rêves ; — il l’est, bien qu’il n’ait jamais été emporté à corps perdu sur le cheval de Mazeppa, et qu’il n’ait jamais crié, au moment où le coursier sans frein changeait de route : « J’irai peut-être trop loin dans ce sens-là comme dans l’autre, mais n’importe, j’irai toujours. » — Il l’est, poète, bien qu’il n’ait jamais su passer comme vous, en un instant, ô Chantre aimable de Rolla et de Namouna, de la passion délirante à l’ironie moqueuse et légère ; il est, dis-je, poète à sa manière, parce qu’il est élevé, recueilli, ami de la solitude et de la nature, parce qu’il écoute l’écho des bois, la voix des monts agitateurs de feuilles, et qu’il l’interprète avec dignité, avec largeur et harmonie, bien qu’à la façon des oracles. […] Il s’en passe. […] Ainsi, avocat outré des Lettres, et adversaire inexpérimenté des Sciences, ildira : « L’ère des véritables savants semble terminée ; on ne fait, depuis longtemps, qu’appliquer à l’industrie les grandes découvertes du passé. » Pourquoi l’ère des véritables savants serait-elle terminée ? […] Maxime du Camp, a fait un jour une levée de boucliers en faveur de la poésie des machines ; mais il a passé depuis à d’autres idées plus chevaleresques.

1899. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Campagnes de la Révolution Française. Dans les Pyrénées-Orientales (1793-1795) »

Dans l’histoire des guerres comme dans celle des littératures, il y a des moments et des heures plus favorisées ; le rayon de la gloire tombe où il lui plaît ; il éclaire en plein et dore de tout son éclat certains noms immortels et à jamais resplendissants : le reste rentre peu à peu dans l’ombre et se confond par degrés dans l’éloignement ; on n’aperçoit que les lumineux sommets sur la grande route parcourue, on a dès longtemps perdu de vue ce qui s’en écarte à droite et à gauche, et tous les replis intermédiaires : et ce n’est plus que l’homme de patience et de science, celui qu’anime aussi un sentiment de justice et de sympathie humaine pour des générations méritantes et non récompensées, ce n’est plus que le pèlerin de l’histoire et du passé qui vient désormais (quand par bonheur il vient) recueillir les vestiges, réveiller les mémoires ensevelies, et quelquefois ressusciter de véritables gloires. […] Ses soldats avaient fini par le croire invulnérable ; il les traitait un peu en enfants gâtés et leur passait tout ; c’était son seul faible. […] Il était employé comme général de brigade à l’armée d’Italie, lorsque les Piémontais, voulant profiter de la diversion du siège de Toulon, méditèrent de passer le Var et d’entrer en Provence ; il les battit au camp de Gillette, ce qui les décida à reprendre leur ligne. […]  » Arrivé à l’armée des Pyrénées, il parlait sans cesse de son commandant d’artillerie de Toulon, et imprimait de lui la plus haute idée dans l’esprit des généraux et officiers qui, depuis, passèrent de l’armée d’Espagne à celle d’Italie ; « de Perpignan, il lui envoyait des courriers à Nice lorsqu’il remportait des succès.

1900. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Don Quichotte. »

» Plus de quarante ans après, lorsque Cervantes eut fait la première partie de Don Quichotte et qu’un intrus s’avisa de la continuer en voulant lui ravir sa gloire, ce continuateur pseudonyme eut la malheureuse pensée d’insulter non-seulement à la vieillesse du noble et original écrivain, mais encore à son infirmité, à sa blessure, et de dire, en parlant au singulier de sa main et avec intention, « qu’il avait plus de langue que de mains. » Sur quoi Cervantes, dans la préface de la seconde partie de Don Quichotte, répliqua : « Ce que je n’ai pu m’empêcher de ressentir, c’est qu’il m’appelle injurieusement vieux et manchot, comme s’il avait été en mon pouvoir de retenir le temps, de faire qu’il ne passât point pour moi, ou comme si ma main eût été brisée dans quelque taverne, et non dans la plus éclatante rencontre qu’aient vue les siècles passés et présents, et qu’espèrent voir les siècles à venir. […] Le régiment où il servait alors, et dans lequel il avait passé après la bataille de Lépante, était celui de Flandre, qui avait à sa tête Lope de Figueroa, mis deux fois en scène par Calderon. […] Les vicissitudes de sa captivité nous mèneraient trop loin, à les raconter en détail ; il passa successivement au service de trois maîtres et se fit considérer en même temps que redouter d’eux par les tentatives réitérées et pleines de hardiesse qu’il fit pour recouvrer sa liberté et la procurer à ses compagnons de chaîne.

1901. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. BRIZEUX (Les Ternaires, livre lyrique.) » pp. 256-275

J’ai regret à tout ce que le passé garde dans ses abîmes ; je voudrais qu’il nous restât tout entier. […] Le trait vraiment original du recueil me paraît être (qu’on me passe le terme) au point d’intersection, dans l’âme du poëte, de ses souvenirs de Bretagne et d’Italie. […] Comme Gray visitant son ancien collége d’Éton, il veut revisiter aussi les murs où se passa son enfance. […] Brizeux, sensible à ce trait qui passait inaperçu, l’a voulu consacrer.

1902. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « GLANES, PÖESIES PAR MADEMOISELLE LOUISE BERTIN. » pp. 307-327

1842 On dit que ce volume de poésies a été jusqu’à la fin un mystère pour ceux qui pouvaient en être le mieux informés, et qui passaient le plus habituellement leur vie auprès de l’auteur. […] Je me rappelle encore la position bien dessinée du groupe dès ces premiers jours : Mlle Bertin, l’âme du lieu, préludant à ses hymnes élevés ; son frère Édouard, qui est devenu le paysagiste sévère ; Antony Deschamps, alors en train de passer du dilettantisme de Mozart au commerce de Dante, et qui y portait toutes les nobles ferveurs. […] Alfred de Musset, que s’il jetait souvent à la face du siècle d’étincelantes satires comme la dernière sur la Paresse, que s’il livrait plus souvent aux amis de l’idéal et du rêve des méditations comme sa Nuit de Mai, il serait peut-être en grande chance de faire infidélité à son groupe, et de passer, lui aussi, le plus jeune des glorieux, à l’auréole pleine et distincte154. […] Et d’abord elle n’a rien fait en art dramatique qui ajoute à notre glorieux passé littéraire des deux siècles : Corneille, Molière, Racine, sont demeurés debout de toute leur hauteur et hors d’atteinte.

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