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994. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXIVe entretien. Chateaubriand, (suite.) »

Les plus virulentes invectives contre Bonaparte se rencontrèrent sur sa poitrine avec les phrases les plus enthousiastes qu’il avait brodées deux ans plus tôt pour les faire retentir dans son discours à l’Académie française. […] Là commence son rôle vraiment politique : il conçut la pensée de rallier l’armée française à la monarchie des Bourbons, en lui fournissant l’occasion de combattre contre la révolution d’Espagne. […] Non, car je n’étais pas membre de la coalition qui avait amené cette journée mortelle à la monarchie de 1830, que je n’aimais pas, mais que je ne voulais pas prendre sur moi de démolir : j’étais Français, voilà tout. […] Le premier prince du sang, tuteur naturel de son neveu, au lieu de se jeter entre le roi et le peuple, et de prendre la lieutenance générale du royaume, se cacha, se déclara chef des rebelles, puis roi des Français. […] C’est le prophète de l’isolement, le patriarche des forêts ; c’est à ce don de la solitude de son génie qu’il a dû, dès ses premiers ouvrages, la sauvage immensité de ses conceptions et l’infinie tristesse de ses images : la mélancolie est née avec lui dans la littérature française.

995. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Nouvelle correspondance inédite de M. de Tocqueville »

Les premières lettres nous le montrent à l’âge de vingt-six ans, partant pour son voyage d’Amérique où il allait, chargé par le Gouvernement français d’une mission, à l’effet d’étudier le système pénitentiaire, mais en réalité pour y observer la société, les lois, les mœurs, et rapporter les éléments du grand ouvrage qui a fondé sa réputation. […] Veut-il, dans une lettre à une de ses cousines, lui donner une idée agréablement ironique du rôle important qu’ils remplissent aux yeux des Américains, son ami M. de Beaumont et lui, en leur qualité de chargés d’une mission du Gouvernement français pour cette grave affaire du régime des prisons ; il a une raillerie douce, insinuante, à l’usage de la bonne compagnie ; prêtez l’oreille et écoutez : « Vous savez déjà en gros, sans doute, ma chère cousine, écrit-il à Mme de Grancey, les détails de notre voyage : nous avons été parfaitement reçus dans ce pays-ci, et si bien que nous nous trouvons quelquefois dans la même position que cette duchesse (de la fabrique de Napoléon) qui, s’entendant annoncer à la porte d’un salon, croyait qu’il s’agissait d’une autre, et se retirait de côté pour se laisser passer. […] Vous sentez bien que, pour que le Gouvernement français nous ait chargés de visiter les prisons d’Amérique, il faut que nous soyons des hommes de la première volée. […] Si nous disions aux Américains qu’il n’y a pas cent personnes en France qui sachent au juste ce que c’est que le système pénitentiaire, et que le Gouvernement français est tellement innocent des grandes vues qu’on lui suppose, qu’à l’heure qu’il est il ignore probablement qu’il a des commissaires en Amérique, ils seraient bien étonnés sans doute. […] Nous les déposerons demain dans les solitudes de l’Arkansas. » C’est là, convenons-en, une manière bien française, — française de l’ancienne école, — de voir les choses et de les montrer.

996. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Nouvelle correspondance inédite de M. de Tocqueville (suite et fin.) »

Les Français sont sujets à ces intermittences de fatigue et d’excitation et, pour parler net, à des fièvres périodiques de turbulence. […] C’est l’histoire du Français. […] Il n’y a que le long drame de la Révolution française qui puisse fournir cette époque. […] Elle jette, de plus, une vive lumière sur l’époque qui l’a précédée et sur celle qui la suit ; c’est certainement un des actes de la Révolution française qui fait le mieux juger toute la pièce, et permet le plus de dire sur l’ensemble de celle-ci tout ce qu’on peut avoir à en dire. […] Henry Reeve : « Cet ouvrage est, en définitive, écrit principalement pour la France ou, si vous aimez mieux, en jargon moderne, au point de vue français… » Je vous demande un peu où est, en cela, le jargon.

997. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Le général Jomini. [IV] »

Alors vous aurez gagné tout à fait vos éperons, vous vous serez naturalisé aux yeux de toute l’armée, et personne n’osera plus vous opposer nulle part que vous n’êtes pas Français. […] Le 14, Jomini quittait l’armée française et franchissait la ligne ennemie. […] M. de Senfft fut chargé, à ce moment, par M. de Metternich d’aller mettre en train à Berne la restauration aristocratique, et de chauffer une véritable contre-révolution, qui semblait n’attendre, pour éclater, que l’expiration de l’influence française. […] Les Français, ceux qui n’ont habité que la France, ne savent pas ce que c’est que la Suisse ni qu’un Suisse. […] Jomini se retrouvera Suisse encore et fidèle de cœur dans deux Épîtres adressées à ses compatriotes en 1822, à l’occasion de quelques phrases légères et malheureuses prononcées à la tribune française, où l’Opposition elle-même avait paru faire bon marché de l’indépendance de la Suisse et de sa considération en Europe.

998. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Discours préliminaire » pp. 25-70

Il existe, dans la langue française, sur l’art d’écrire et sur les principes du goût, des traités qui ne laissent rien à désirer9 ; mais il me semble que l’on n’a pas suffisamment analysé les causes morales et politiques, qui modifient l’esprit de la littérature. […] En observant les différences caractéristiques qui se trouvent entre les écrits des Italiens, des Anglais, des Allemands et des Français, j’ai cru pouvoir démontrer que les institutions politiques et religieuses avaient la plus grande part à ces diversités constantes. Enfin en contemplant, et les ruines, et les espérances que la révolution française a, pour ainsi dire, confondues ensemble, j’ai pensé qu’il importait de connaître quelle était la puissance que cette révolution a exercée sur les lumières, et quels effets il pourrait en résulter un jour, si l’ordre et la liberté, la morale et l’indépendance républicaine étaient sagement et politiquement combinées. […] Si les Français cherchaient à obtenir de nouveau des succès dans la carrière littéraire et philosophique, ce serait un premier pas vers la morale ; le plaisir même, causé par les succès de l’amour-propre, formerait quelques liens entre les hommes. […] Dans les temps devenus fameux par des proscriptions sanguinaires, les Romains et les Français se livraient aux amusements publics avec le plus vif empressement ; tandis que dans les républiques heureuses, les affections domestiques, les occupations sérieuses, l’amour de la gloire détournent souvent l’esprit des jouissances même des beaux-arts.

999. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre IV. Construction de la société future »

Telle est l’unité sociale ; réunissons-en plusieurs, mille, cent mille, un million, vingt-six millions, et voilà le peuple français. […] De là en lui un fonds persistant de brutalité, de férocité, d’instincts violents et destructeurs, auxquels s’ajoutent, s’il est Français, la gaieté, le rire, et le plus étrange besoin de gambader, de polissonner au milieu des dégâts qu’il fait ; on le verra à l’œuvre. — En second lieu, dès l’origine, sa condition l’a jeté nu et dépourvu sur une terre ingrate où la subsistance est difficile, où, sous peine de mort, il est tenu de faire des provisions et des épargnes. […] De là en lui un excès de sensibilité, des afflux soudains d’émotion, de transports contagieux, des courants de passion irrésistible, des épidémies de crédulité et de soupçon, bref l’enthousiasme et la panique, surtout s’il est Français, c’est-à-dire excitable et communicatif, aisément jeté hors de son assiette et prompt à recevoir les impulsions étrangères, dépourvu du lest naturel que le tempérament flegmatique et la concentration de la pensée solitaire entretiennent chez ses voisins Germains ou Latins ; on verra tout cela à l’œuvre […] Sa loi « ne prêche que servitude et dépendance… il est fait pour être esclave », et d’un esclave on ne fera jamais un citoyen. « République chrétienne, chacun de ces deux mots exclut l’autre. » Partant, si la future république me permet d’être chrétien, c’est à la condition sous-entendue que ma doctrine restera confinée dans mon esprit, sans descendre jusque dans mon cœur  Si je suis catholique, (et sur vingt-six millions de Français, vingt-cinq millions sont dans mon cas), ma condition est pire. […] M. de Barante, Tableau de la littérature française au dix-huitième siècle, 318. « On s’imaginait que la civilisation et les lumières avaient amorti toutes les passions, adouci tous les caractères.

1000. (1892) Boileau « Chapitre IV. La critique de Boileau (Suite). Les théories de l’« Art poétique » » pp. 89-120

Ce bon sens-là, c’était justement ce qui manquait le plus à la littérature française, vers 1660, quand Boileau commença d’écrire. […] À propos d’une querelle de théologien, il avait montré ce qu’on n’avait jamais vu jusque-là, ni presque encore désiré en français : le parfait naturel produisant la suprême éloquence, sans effort et sans artifice. […] Pour peindre l’homme, il faut bien peindre des Romains, des Français, des Anglais : et si le poète qui représente Alexandre ou César ne sait pas ou ne daigne pas leur faire des âmes antiques, il en fera, sans y penser, ses contemporains. […] De là ce parti pris en faveur de la mythologie païenne, qui lui faisait ridiculement évoquer des divinités d’opéra dans le récit d’un événement tel que le passage du Rhin par une armée française. […] Et naturellement, dans cette fusion ou confusion de tous les temps et de tous les pays, c’était toujours le type français qui devait surnager, reparaître et en définitive l’emporter.

1001. (1895) Histoire de la littérature française « Seconde partie. Du moyen âge à la Renaissance — Livre II. Littérature dramatique — Chapitre II. Le théâtre du quinzième siècle (1450-1550) »

Sottie et moralité étaient dirigées contre Jules II : la moralité l’introduisait sous le nom de l’Homme obstiné entre Peuple italique et Peuple français. […] C’est le type inférieur de l’esprit français dans sa pure vulgarité. […] Rousset, Paris, 1612. — Éditions : Ancien Théâtre français Bibl. […] Fournier, le Théâtre français avant la Renaissance, Paris, gr. in-3, 1872. […] Recueils Fournier et Picot, et Ancien Théâtre français, t. 

1002. (1868) Alexandre Pouchkine pp. 1-34

Les paysans ne font pas de fautes contre la grammaire, et souvent s’expriment plus correctement que leurs seigneurs, à qui l’habitude de se servir du français dans la conversation a fait adopter des gallicismes et des tournures étrangères au génie de leur langue. […] À Saint-Pétersbourg, les lettrés exigeaient qu’on copiât un type français ou allemand. […] Il est impossible de donner en français une idée de la concision de ses vers. […] « Elle lui écrivit en français, dit Pouchkine, car on ne peut écrire une lettre en russe. » C’est une épigramme à l’adresse d’un de ses critiques. […] Il n’appartient pas à un Français d’apprécier la versification de Pouchkine, mais il n’y a pas de Russe instruit qui ne sache par cœur presque tous les vers d’Eugène Onéguine.

1003. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre huitième »

Ici commencent les vrais gains de la prose française. […] Les mêmes hommes de génie qui ont relevé l’esprit français d’un commencement de décadence, le soutiennent à la hauteur où ils l’ont porté d’abord, ou le portent plus haut. […] L’esprit français s’y reconnaît ; mais il est d’autres modèles qu’il leur préfère, parce qu’il s’y trouve encore plus ressemblant. […] Ce grand corps qui parmi ses traditions avait celle du secret, et qui reste impénétrable même pour les historiens de Rome, c’est un Français du dix-huitième siècle qui le dévoile. […] Le portrait des Français, qu’on lit au livre XIX80, est-il de Montesquieu ou de La Bruyère ?

1004. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « André Chénier, homme politique. » pp. 144-169

Ce premier moment qui nous laisse voir André Chénier dans la modération toujours, mais pas encore dans la résistance, se distingue par quelques écrits, dont le plus remarqué fut celui qui a pour titre : Avis aux Français sur leurs véritables ennemis, et qui parut d’abord dans le numéro XIII du Journal de la Société de 89. […] André Chénier, dans cet Avis aux Français, s’efforce de susciter les sentiments capables de créer un tel esprit. […] Il le dira et le redira sans cesse : « Il est beau, il est même doux d’être opprimé pour la vertu. » Environ deux ans après son Avis aux Français, dénonçant dans le Journal de Paris (nº du 29 mars 1792) la pompe factieuse et l’espèce de triomphe indigne décerné aux soldats suisses du régiment de Châteauvieux, il terminera en s’adressant à ceux qui demandent à quoi bon écrire si souvent contre des partis puissants et audacieux, car on s’y brise et on s’expose soi-même à leurs représailles, à leurs invectives : Je réponds, dit-il, qu’en effet une immense multitude d’hommes parlent et décident d’après des passions aveugles ; et croient juger, mais que ceux qui le savent ne mettent aucun prix à leurs louanges, et ne sont point blessés de leurs injures. […] Et, sans m’arrêter à demander de quel droit des particuliers qui donnent une fête à leurs amis s’avisent de voiler les monuments publics, je dirai que si, en effet, cette misérable orgie a lieu, ce ne sont point les images des despotes qui doivent être couvertes d’un crêpe funèbre, c’est le visage de tous les hommes de bien, de tous les Français soumis aux lois, insultés par les succès de soldats qui s’arment contre les décrets et pillent leur caisse militaire. […]   Le dix-huit vantos l’an second de la République française une et indivisible10.

1005. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Études sur Saint-Just, par M. Édouard Fleury. (2 vol. — Didier, 1851.) » pp. 334-358

Il emprunte son épigraphe à Montesquieu, dont on le croirait l’élève, et dont il affecte un peu la concision et le décousu dans de fréquents et sentencieux chapitres : Je n’ai rien à dire de ce faible essai, écrit-il modestement dans son avant-propos ; je prie qu’on le juge comme si l’on n’était ni Français ni Européen ; mais, qui que vous soyez, puissiez-vous, en le lisant, aimer le cœur de son auteur ! […] Et le tout se couronne par cette gageure de forcené : Le jour où je me serai convaincu qu’il est impossible de donner au peuple français des mœurs douces, énergiques, sensibles, et inexorables pour la tyrannie et l’injustice, je me poignarderai. […] Venant proposer une mesure qui a pour but de diminuer la misère des patriotes indigents, il dira : Que l’Europe apprenne que vous ne voulez plus un malheureux ni un oppresseur sur le territoire français ; que cet exemple fructifie sur la terre ; qu’il y propage l’amour des vertus et le bonheur : le bonheur est une idée neuve en Europe ! […] » — « Ils parlent allemand, et nous français ; ils nous tirent des coups de fusil, et nous leur répondons par des coups de canon. […] Je n’ai jamais considéré, d’ailleurs, la Révolution française au point de vue de cet auteur, adversaire à outrance, qui a pu compulser et produire bien des documents et les interpréter dans le sens de ses systèmes, mais qui n’a pas la tradition des choses dont il parle : la tradition, cette voix divine, comme disaient les anciens, et qui maintient et remet le chanteur dans le ton juste.

1006. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Sully, ses Économies royales ou Mémoires. — III. (Fin.) » pp. 175-194

Tous les mois Rosny fait sa visite à l’armée à la tête de son convoi : il fait voiturer avec lui cent cinquante mille écus pour la montre ou solde ; cette vue réjouit les cœurs, « tous les capitaines et soldats criant tout haut qu’il paraissait bien maintenant que le roi avait mis en ses finances un gentilhomme d’illustre maison, qui était bon Français, bon soldat et en avait toujours fait le métier, puisqu’il servait si bien le roi et la France… ». […] Le chevaleresque historien Froissart ne sait pas ce que c’est que d’être un Français. […] Dans les moments de presse et de nécessité, quand l’État devait une grosse somme, soit à la reine d’Angleterre, soit au comte Palatin, ou à d’autres princes étrangers ou français, on aliénait une portion d’impôts, et on la leur livrait pour paiement : « Tirez-en ce que vous pourrez. » Ces créanciers, ainsi pourvus d’une valeur incommode et d’un rapport peu précis, l’affermaient à quelque homme de finance qui leur en rendait le moins et en tirait pour son compte le plus possible. […] À un certain moment, il a une idée politique assez grande et qui est à lui, d’attaquer l’Espagne par le cœur et les entrailles, c’est-à-dire par les Indes, qui sont sa force ; mais en même temps il n’est pas d’avis que la France profite de la dépouille en colonisant ; il estime ces sortes d’entreprises lointaines disproportionnées au naturel des Français, « qui ne portent ordinairement leur vigueur, leur esprit et leur courage qu’à la conservation de ce qui les touche de près ». […] Chez Rosny, le soldat, le gentilhomme et bon Français, l’homme des camps vient doubler et rehausser l’économe intègre et habile.

1007. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Duclos. — I. » pp. 204-223

Le premier mot, qui est emphatique, promet plus qu’il ne tient : « J’ai vécu, je voudrais être utile à ceux qui ont à vivre. » L’auteur, après quelques généralités assez vagues, s’attache, dans son examen des mœurs, à celles de notre nation, et particulièrement à celles de la société de Paris : « C’est dans Paris qu’il faut considérer le Français parce qu’il y est plus Français qu’ailleurs. » Il va parler de ce qu’il sait le mieux et de ce qui lui donnera le moins de peine. Il connaît bien sa nation : « Le grand défaut du Français est d’être toujours jeune, et presque jamais homme ; par là il est souvent aimable et rarement sûr : il n’a presque point d’âge mûr… Il y a peu d’hommes parmi nous qui puissent s’appuyer de l’expérience. » Avec ces défauts qu’il signale, il est loin de déprécier la nation ; il lui voudrait insinuer le patriotisme ; il se demande, avec le sentiment qu’ils ont de leur propre valeur, ce qui manque aux Français de son temps pour être patriotes. Le Français, selon lui, a un mérite distinctif : « Il est le seul peuple dont les mœurs peuvent se dépraver sans que le cœur se corrompe et que le courage s’altère. » Il voudrait voir l’éducation publique se réformer et s’appliquer mieux désormais aux usages et aux emplois multipliés de la société moderne ; il prévoit à temps ce qui serait à faire, et, connaissant le train du monde, il craint toutefois qu’on ne le fasse pas à temps : « Je ne sais, dit-il, si j’ai trop bonne opinion de mon siècle, mais il me semble qu’il y a une certaine fermentation de raison universelle qui tend à se développer, qu’on laissera peut-être se dissiper, et dont on pourrait assurer et hâter les progrès par une éducation bien entendue. » Duclos veut une réforme en effet, et non point une révolution.

1008. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Souvenirs de soixante années, par M. Étienne-Jean Delécluze, (suite et fin) »

« L’affectation n’a paru qu’au xviie  siècle ; il y avait encore beaucoup de naïveté à la Cour de Henri IV ; cette aimable qualité des Français ne fut tout à fait anéantie que par le règne de Louis XIV. Elle a trop souvent manqué depuis à des écrivains énervés par le désir d’entrer un jour à l’Académie française. » Beyle ne savait pas très exactement l’histoire littéraire, et il n’appréciait pas la qualité essentielle, solide et grave, de la langue sous Louis XIV ; mais là où il ne se trompait pas, c’était sur l’abus qu’on avait fait depuis lors des fausses imitations et des prétendues conformités avec cette langue et surtout avec la poésie racinienne. […] Il appelait l’alexandrin un cache-sottise ; il demandait pourquoi le vers français se vante de n’admettre que le tiers des mots de la langue, tandis que les vers anglais peuvent tout dire. […] Delécluze, se rangeant du côté des littératures du Midi et se préoccupant à l’excès d’un grand danger qu’il supposait imminent du côté du Nord, écrivait : « Rien ne serait plus fatal à la langue française que si nos écrivains, entraînés à l’imitation des idiomes du Nord, transportaient la phraséologie de ces derniers dans le nôtre. […] Viollet-le-Duc était un homme d’esprit, exact ; délicat, peu fécond, très-occupé d’ailleurs de fonctions administratives, qui avait précédé tout le monde dès le temps de l’Empire dans le goût des vieux auteurs français antérieurs à Malherbe et de la poésie du xvi siècle : le Catalogue qu’il a dressé de sa bibliothèque, et dans lequel il donne un aperçu de chaque auteur de sa collection, est un livre qui restera.

1009. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Le père Lacordaire. Les quatre moments religieux au XIXe siècle, (suite et fin.) »

Le premier moment, celui qui date de la renaissance de la société française avec le Consulat, ne mérite qu’éloge, et si on se reporte aux espérances du point de départ, la comparaison avec certains des résultats obtenus est bien faite pour donner aux esprits sérieux et animés de nobles pensées sociales d’éternels regrets. […] La société française en 1800 (et le génie civilisateur du Consul l’avait compris aussitôt) était religieuse, dans le sens du moins d’une réparation à accorder à des ministres persécutés, à des convictions proscrites, à des souvenirs respectables, redevenus plus sacrés par le malheur. […] Rome, sans doute, sous le gouvernement de Pie VI, n’avait, guère profité, et elle était déjà, par les abus et les vices incurables, ce qu’on l’a vue et sue depuis ; mais la question religieuse, alors, était et restait surtout une question française. […] Toutes les fois qu’il y aura dépravation ou exagération (comme on le voudra) de l’esprit ecclésiastique dans un certain sens, dans le sens le plus antipathique au brave et malin esprit français, un résultat analogue se produira. […] Il semble par moments que l’inspiration d’une moitié des Français ne soit plus en France et qu’elle vienne d’au-delà des monts.

1010. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Mémoires de l’abbé Legendre, chanoine de Notre-Dame, secrétaire de M. de Harlay, archevêque de Paris. »

Quoique la prédication fût alors mon plus grand objet, je ne laissais pas de m’exercer à écrire selon l’occasion, soit en français, soit en latin, sachant bien que plus on vaut, plus on peut faire fortune auprès des Grands qui en sont la source. […] La Chaire française, en le perdant, ne fit point une grande perte ; mais M. de Harlay, en se l’attachant, fit une excellente acquisition, et l’abbé lui rendit plus d’un service, y compris celui de nous aider aujourd’hui à nous faire une plus juste idée de ses talents qu’un seul défaut obscurcissait. […] L’abbé Legendre, qui a écrit jusqu’à quatre Éloges de M. de Harlay, sans compter ce qu’il en dit dans ses Mémoires ; qui l’a loué une première fois en français, mais un peu brièvement40, une seconde fois en français encore41 et en s’attachant à ne mettre dans ce second morceau ni faits, ni pensées, ni expressions qui fussent déjà dans le premier ; qui l’a reloué une troisième fois en latin42, puis une quatrième et dernière fois en latin encore43, mais pour le coup avec toute l’ampleur d’un juste volume, Legendre a commencé ce quatrième et suprême panégyrique qui englobe et surpasse tous les précédents par un magnifique portrait de son héros ; je le traduis ; mais on ne se douterait pas à ce début qu’il s’agit d’un archevêque, on croirait plutôt qu’il va être question d’un héros de roman : « Harlay était d’une taille élevée, juste, élégante, d’une démarche aisée, le front ouvert, le visage parfaitement beau empreint de douceur et de dignité, le teint fleuri, l’œil d’un bleu clair et vif, le nez assez fort, la bouche petite, les lèvres vermeilles, les dents très bien rangées et bien conservées jusque dans sa vieillesse, la chevelure épaisse et d’un blond hardi avant qu’il eût adopté la perruque ; agréable à tous et d’une politesse accomplie, rarement chagrin dans son particulier, mangeant peu et vite ; maître de son sommeil au point de le prendre ou de l’interrompre à volonté ; d’une santé excellente et ignorant la maladie, jusqu’au jour où un médecin maladroit, voulant faire le chirurgien, lui pratiqua mal la saignée ; depuis lors, s’il voyait couler du sang, ou si un grave souci l’occupait, il était sujet à des défaillances ou pertes de connaissance, d’abord assez courtes, mais qui, peu à peu, devinrent plus longues en avançant : c’est ce mal qui, négligé et caché pendant plus de vingt ans, mais se répétant et s’aggravant avec l’âge, causa enfin sa mort. » L’explication que l’abbé Legendre essaye de donner des défaillances du prélat par suite d’une saignée mal faite est peu rationnelle : M. de Harlay était sujet à des attaques soit nerveuses, soit d’apoplexie plus probablement, dont une l’emporta. […] Sur la fin de ses études, il avait traduit en français une partie des livres d’Aristote touchant la Politique.

1011. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « THÉOPHILE GAUTIER (Les Grotesques.) » pp. 119-143

Dans son article sur Colletet, par exemple, il indiquera l’Histoire des Poëtes françois, que ce vieil auteur a composée et qui est restée manuscrite : elle est à la bibliothèque particulière du Louvre ; le conservateur, M. […] Comme il a précédemment loué et félicité Théophile d’avoir proscrit les divinités mythologiques et qu’il s’est écrié à ce sujet : « Ne croyez pas non plus qu’il fît un grand cas de ce pauvre petit cul-nud d’Amour ; il lui plume les ailes impitoyablement, » etc., etc. ; comme il vient à quelques pages de là de s’exprimer de ce ton absolu, que va-t-il faire lorsqu’il rencontre dans ces mêmes stances, qu’il proclame les plus admirablement amoureuses de la poésie française, le petit dieu Cupidon en personne : Ne crains rien, Cupidon nous garde… ? […] Les impromptus, les saillies, je ne le nie pas, lui échappent sans grand effort ; il rencontre des vers heureux ; il dira presque comme Regnier : J’en connois qui ne font des vers qu’à la moderne, Qui cherchent à midi Phœbus à la lanterne, Grattent tant le françois qu’ils le déchirent tout… Mais, à deux pas de là, il fléchit, et son français pour n’être pas assez gratté, n’en paraît que diffus, prolixe et incertain. […] Nombre de pages qu’il y a semées et qui me reviennent à la fois, par exemple, sur Ronsard pédant et poëte, sur le paganisme d’art au xvie  siècle, sur ce que les Français ne sont pas une nation poétique, sur ce que les poëtes ne sont que rarement musiciens et réciproquement, etc., toutes ces pages se lisent avec plaisir et se retiennent ; elles sont suffisamment vraies ou auraient peu à faire pour le devenir.

1012. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE SÉVIGNÉ » pp. 2-21

Et en effet c’est bien là, avec les réserves que chacun fait, et deux ou trois noms comme ceux de Bossuet et de Montesquieu qu’on sous-entend, c’est là, jusqu’en 1789 environ, le caractère distinctif. le trait marquant de la littérature française entre les autres littératures d’Europe. […] On sent que, par tournure d’esprit comme par position, ils sont bien plus voisins de la France d’avant Louis XIV, de la vieille langue et du vieil esprit français ; qu’ils y ont été bien plus mêlés par leur éducation et leurs lectures, et que, s’ils sont moins appréciés des étrangers que certains écrivains postérieurs, ils le doivent précisément à ce qu’il y a de plus intime, de plus indéfinissable et de plus charmant pour nous dans leur accent et leur manière. Si donc aujourd’hui, et avec raison, l’on s’attache à réviser et à remettre en question beaucoup de jugements rédigés, il y a quelque vingt ans, par les professeurs d’Athénée ; si l’on déclare impitoyablement la guerre à beaucoup de renommées surfaites, on ne saurait en revanche trop vénérer et trop maintenir ces écrivains immortels, qui, les premiers, ont donné à la littérature française son caractère d’originalité, et lui ont assuré jusqu’ici une physionomie unique entre toutes les littératures. […] Et d’abord, dès les premières pages de cette correspondance, nous nous trouvons dans un tout autre monde que celui de la Fronde et de la Régence ; nous reconnaissons que ce qu’on appelle la société française est enfin constitué. […] Tant qu’elle se borne à rire des Etats, des gentilshommes campagnards et de leurs galas étourdissants, et de leur enthousiasme à tout voter entre midi et une heure, et de toutes les autres folies du prochain de Bretagne après dîner, cela est bien, cela est d’une solide et légitime plaisanterie, cela rappelle en certains endroits la touche de Molière : mais, du moment qu’il y a eu de petites tranchées en Bretagne, et à Rennes une colique pierreuse, c’est-à-dire que le gouverneur, M. de Chaulnes, voulant dissiper le peuple par sa présence, a été repoussé chez lui a coups de pierres ; du moment que M. de Forbin arrive avec six mille hommes de troupes contre les mutins, et que ces pauvres diables, du plus loin qu’ils aperçoivent les troupes royales, se débandent par les champs, se jettent à genoux, en criant Meà culpà (car c’est le seul mot de français qu’ils sachent) ; quand, pour châtier Rennes, on transfère son parlement à Vannes, qu’on prend à l’aventure vingt-cinq ou trente hommes pour les pendre, qu’on chasse et qu’on bannit toute une grande rue, femmes accouchées, vieillards, enfants, avec défense de les recueillir, sous peine de mort ; quand on roue, qu’on écartèle, et qu’à force d’avoir écartelé et roué l’on se relâche, et qu’on pend : au milieu de ces horreurs exercées contre des innocents ou pauvres égarés, on souffre de voir Mme de Sévigné se jouer presque comme à l’ordinaire ; on lui voudrait une indignation brûlante, amère, généreuse ; surtout on voudrait effacer de ses lettres des lignes comme celles-ci : « Les mutins de Rennes se sont sauvés il y a longtemps : ainsi les bons pâtiront pour les méchants : mais je trouve tout fort bon, pourvu que les quatre mille hommes de guerre qui sont à Rennes, sous MM. de Forbin et de Vins, ne m’empêchent point de me promener dans mes bois, qui sont d’une hauteur et d’une beauté merveilleuses ; » et ailleurs : « On a pris soixante bourgeois ; on commence demain à pendre.

1013. (1829) De la poésie de style pp. 324-338

Un homme d’un goût délicat et qui passe sa vie à étudier la littérature française et les littératures étrangères, M.  […] Il faut, disait-il, que nos poètes et prosateurs français dits romantiques y pensent mûrement avant de se mettre en besogne ; car il ne s’agit de rien moins que de refaire ou de défaire la langue française ; et ce projet mérite attention. […] La langue française, dit-il, est d’origine latine, elle est de la famille des langues du midi, et c’est la méconnaître que de la greffer sur les littératures du nord. […] La comparaison symbolique n’avait jamais été répandue dans des vers français avec beaucoup d’audace avant M. 

1014. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Les Confessions de J.-J. Rousseau. (Bibliothèque Charpentier.) » pp. 78-97

Je distingue chez lui deux sortes d’altération dans la langue : une qui tient seulement à ce qu’il est de provinceb, et qu’il parle un français né hors de France. […] Les lecteurs français, habitués à l’air factice d’une atmosphère de salon, ces lecteurs urbains, comme il les appelle, s’étonnèrent tout ravis de sentir arriver, du côté des Alpes, ces bonnes et fraîches haleines des montagnes, qui venaient raviver une littérature aussi distinguée que desséchée. […] De telles pages étaient en littérature française la découverte d’un monde nouveau, d’un monde de soleil et de fraîcheur qu’on avait près de soi sans l’avoir aperçu encore ; elles offraient un mélange de sensibilité et de naturel, et où la pointe de sensualité ne paraissait qu’autant qu’il était permis et nécessaire pour nous affranchir enfin de la fausse métaphysique du cœur et du spiritualisme convenu. […] Quand il revoit Mme de Warens, à son retour de Turin, il est logé quelque temps chez elle, et de la chambre qu’on lui donne il voit des jardins et découvre la campagne : « C’était depuis Bossey (lieu où il avait été mis en pension dans son enfance), c’était la première fois, dit-il, que j’avais du vert devant mes fenêtres. » Il avait été bien indifférent jusque-là à la littérature française d’avoir ou de n’avoir pas du vert sous les yeux ; c’était à Rousseau qu’il appartenait de l’en faire apercevoir. […] Le pittoresque de Rousseau est sobre, ferme et net, même aux plus suaves instants ; la couleur y porte toujours sur un dessin bien arrêté : ce Genevois est bien de la pure race française en cela.

1015. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « La Harpe. » pp. 103-122

Ceux qui ont été habitués dès l’enfance à entendre parler de La Harpe comme d’un oracle, d’un dictateur du goût, et du Quintilien français, seront étonnés de voir à quel degré de discrédit il était tombé à ce moment. […] Mais, à mesure qu’il approche des belles époques de la littérature française, ses jugements se firent et s’affermissent ; le xviie  siècle, en quelques-unes de ses parties et de ses œuvres, n’a jamais été mieux analysé. […] L’ancienne tragédie française (je dis ancienne, parce qu’elle n’existe plus) avait ses règles, ses artifices, ses convenantes, que Racine surtout avait connus et portés à la perfection, et dont il était devenu l’exemplaire accompli La Harpe, après Voltaire, les entendait et les sentait plus que personne, et il est le meilleur guide en effet, du moment qu’on veut entrer dans l’économie même et dans chaque partie de ce genre de composition pathétique et savante. […] N’importe ; il est bon que cette première impression se donne, dût-on ensuite la pousser plus loin ; il est bon de se laisser faire avec lui, d’accueillir et de ressentir ce premier jugement, situé, si je puis dire, dans le vrai milieu de la tradition française ; il est bon en un mot d’avoir passé par La Harpe, même quand on doit bientôt en sortir. […] Il arriva à ce cours un grave accident, il fut coupé en deux par la Révolution française.

1016. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « La princesse des Ursins. Lettres de Mme de Maintenon et de la princesse des Ursins — I. » pp. 401-420

Il semble que le philosophe Condorcet se soit chargé formellement d’y répondre lorsque, dans une dissertation insérée au Journal de la Société de 89, plaidant pour L’Admission des femmes au droit de cité, il alléguait à l’appui de leurs prétentions les grands exemples historiques de la reine Élisabeth d’Angleterre, de l’impératrice Marie-Thérèse, des deux impératrices Catherine de Russie ; et il ajoutait en parlant des femmes françaises : La princesse des Ursins ne valait-elle pas un peu mieux que Chamillart ? […] Malgré son nom et son rôle à l’étranger, Mme des Ursins était toute Française, du sang de La Trémoille, fille de M. de Noirmoutier, si mêlé aux intrigues de la Fronde et si lié avec le cardinal de Retz, dont les Mémoires finissent par une plainte sur son infidélité. […] « Elle était jeune, belle, de beaucoup d’esprit, avec beaucoup de monde, de grâce et de langage. » Elle recourut à la protection des cardinaux français, dont plus d’un ne fut pas insensible. […] Louville, l’un des principaux agents de l’influence française auprès de Philippe V avant l’arrivée de Mme des Ursins, s’est montré injuste et injurieux contre elle, et en a parlé comme un rival évincé, avec toutes sortes d’outrages, dans les Mémoires qu’on a publiés sous son nom et d’après ses papiers : les Mémoires de Noailles, rédigés par l’abbé Millot, sont plus équitables. […] À propos d’une prétention élevée par les grands contre les capitaines des gardes, elle veut qu’on achève de briser cette cabale des grands qui profitent de la faiblesse d’un nouveau régime pour se créer des titres et des prérogatives : autrement ce serait le moyen de retomber en Espagne dans les mêmes embarras où l’on était sous la Fronde, « du temps que les Français n’étaient occupés qu’à se contrarier ».

1017. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « La princesse des Ursins. Lettres de Mme de Maintenon et de la princesse des Ursins — II. (Suite et fin.) » pp. 421-440

Elle envoie et fait tenir au ministère français des plans de finances que des personnes habiles en Espagne ont imaginés ; mais on les rejette à première vue à titre de nouveauté, si bien qu’on aura du moins la « consolation de mourir dans les formes ». […] Mme de Maintenon elle-même reconnaît qu’en cette occasion, un « reste de sang français a irrité le peuple » sur cette paix malheureuse et déshonorante. […] L’ironie se montre plus fréquente chez Mme des Ursins à travers tous les compliments et les politesses, et l’aigreur piquante se glisse sous la plume de Mme de Maintenon : « Le roi et la reine d’Espagne ont bien des raisons de vous aimer, madame ; la passion que vous avez pour eux vous fait cesser d’être Française. » Et encore : « Consolez-vous, madame, il n’y a nulle apparence de paix. » En ces moments, Mme de Maintenon (on la voit d’ici) se tire et se fronce ; elle prend un air mortifié et de victime : « Je suis accoutumée, dit-elle, à vivre de poison. » Elle en laisse distiller des gouttes ; chaque trait pique. […] C’est de cette même Élisabeth, née pour le trône, que le grand Frédéric a dit : « La fierté d’un Spartiate, l’opiniâtreté d’un Anglais, la finesse italienne, et la vivacité française formaient le caractère de cette femme singulière ; elle marchait audacieusement à l’accomplissement de ses desseins ; rien ne la surprenait, rien ne pouvait l’arrêter. » Étant de ce caractère, il n’y a rien d’étonnant qu’elle ait profité de la moindre ouverture pour faire place nette dès son arrivée. […] Ses lettres sont remplies de pages vives, qui nous rendent non seulement les mœurs de la cour d’Espagne, mais celles de la société française vers cette fin de Louis XIV.

1018. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre VI. Daniel Stern »

II Car Daniel Stern est un philosophe, non pas un philosophe français, ce qui serait déjà, un bon masque, mais un philosophe allemand, ce qui en fait deux ! Tout, de même que Mme George Sand représente l’imagination dans les Lettres françaises, tout de même Mme Daniel Stern, qui a l’esprit très sec, représente la raison, l’abstraction, la métaphysique, qu’on ne peut pas dire tombées en quenouille, quand il s’agit d’elle, car Mme Stern n’en a jamais filé une. […] Elle le parle, même en français. […] Docte distraite ou peut-être pas assez docte, parce que les hommes ne l’ont pas voulu, elle n’aurait point parlé de l’amour d’Héloïse, si cette philosophe du douzième siècle, au lieu d’écrire en latin ses désirs fétides, les avait écrits en français ! […] Quand Mme Sand sera, elle, à l’Académie française, Mme Stern aux Sciences morales et politiques et Mlle Rosa Bonheur aux Beaux-Arts, nous aurons complet le triumféminat qui se croit un triumvirat !

1019. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « Brizeux. Œuvres Complètes »

Brizeux (tout le monde le sait) est un Breton qui a bretonne le plus qu’il a pu en français, et, selon nous, pas assez encore. […] Breton en français, autant qu’on peut l’être, voilà ce qu’aurait dû être Brizeux ! […] Brizeux, que les gens de Paris ont cru exclusivement Breton, parce qu’ils ne l’étaient pas, et que les Bretons ont aimé, parce qu’il n’était pas devenu tout à fait Parisien à Paris, Brizeux, qui avait le bonheur d’avoir une langue complète et magnifique, dans laquelle il eût pu être Breton tout à son aise et chanter la Bretagne, et qui a mieux aimé nous la dire, la Bretagne, en vers français, n’était pas, selon moi, assez profondément de son pays ; je ne dis pas de cœur, mais de génie. […] Ce quelque chose, qui est le génie, qui fait qu’on n’oublie plus, et que des vers, cette chose qui passe comme les sons et les souffles, s’attachent à nos mémoires comme une tunique de Nessus, mais une tunique de Nessus voluptueuse, Brizeux ne l’a point, et quoique d’être exclusivement Breton lui eût donné, dans le talent, bien des choses qui lui manquent, ce sentimental cultivé, dont nous regrettons la culture, n’était pas, au fond, plus organisé pour avoir du génie en kimri qu’en français. […] X En effet, ce Brizeux qui s’est brisé en deux, cet homme mi-parti et dédoublé, qui tantôt est un Français en Bretagne et tantôt un Breton à Paris, a voulu un jour être plus que Breton, lui qui ne l’était pas assez.

1020. (1900) La province dans le roman pp. 113-140

Et la règle générale, c’est que les écrivains, et spécialement les romanciers, parlent de la province avec ironie ou commisération ; qu’ils ne la connaissent guère que par ses légers travers, indéfiniment peints et repeints, c’est-à-dire qu’ils méconnaissent foncièrement les trente-deux millions de Français qui vivent hors de la capitale. […] Voilà donc des Français, de province et de Paris, qui suivent les mêmes modes, qui lisent les mêmes dépêches, et, à quelques heures d’intervalle, se nourrissent des mêmes proses. Il faut ajouter que tous ces Français parlent la même langue. […] Presque tous les provinciaux aisés traversent Paris plusieurs fois l’an, beaucoup de leurs fils font leur éducation à Paris, les autres rencontrent dans les collèges, et dans les lycées, dans les maisons d’enseignement libre et dans celles de l’État, des professeurs formés à Paris ou parlant le plus pur français. […] Il ne serait point inutile de prouver à d’innombrables étrangers, et même à quelques Français, que le fameux boulevard est un lieu trop étroit pour loger trois millions d’habitants, que l’immense majorité de ceux-ci vivent péniblement et bravement, grâce à une activité qui dérouterait plus d’un provincial ; que les Parisiens n’entrent que pour un quart dans le succès d’une pièce de théâtre, même scandaleuse, et que la province fait les trois autres quarts ; que les ménages de Paris ne ressemblent pas tous, il s’en faut, à ceux de nos pièces de théâtre et de nos romans dits « parisiens » ; et qu’au surplus rien n’est si commun que des concitoyens qui s’ignorent réciproquement.

1021. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Bossuet. Œuvres complètes publiées d’après les imprimés et les manuscrits originaux, par M. Lachat »

Bossuet meurt en combattant en écrasant Richard Simon, c’est-à-dire en repoussant la critique exacte, consciencieuse, qui se présentait sous la forme théologique, et il se flatte d’avoir fermé la porte à l’ennemi : la critique élude la difficulté, elle tourne la position ; elle s’élance à la légère, à la française, à la zouave, sous forme persane et voltairienne, et elle couronne du premier jour les hauteurs du xviiie  siècle. […] C’est de cette connaissance approfondie du latin et de l’usage excellent qu’il en sut faire que découle chez Bossuet ce français neuf, plein, substantiel, dans le sens de la racine, et original : et ce n’est pas seulement dans le détail de l’expression, de la locution et du mot, que cette sève de littérature latine se fait sentir, c’est dans l’ampleur des tours, dans la forme des mouvements et des liaisons, dans le joint des phrases, et comme dans le geste. […] Ce latinisme intime et si sensible de Bossuet dans sa parole française me paraît plus qu’un accident, qu’un trait curieux à noter ; c’est fondamental chez lui, c’est un caractère constant ; il nous en a avertis quand il a dit, dans ses Conseils pour former un orateur sacré : « On prend dans les écrits de toutes les langues le tour qui en est l’esprit, — surtout dans la latine dont le génie n’est pas éloigné de celui de la nôtre, ou plutôt qui est tout le même. » Il réintègre ainsi, par l’acception qu’il leur donne, quantité de mots dans leur pleine et première propriété et sincérité romaine ; il en renouvelle ainsi la saveur, la verdeur. […] Bossuet dit en français tout ce qu’il veut dire, et il invente au besoin l’expression, mais en la tenant toujours dans le sens de l’analogie et de la racine dont il est maître.

1022. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Première partie. Préparation générale — Chapitre V. De la lecture. — Son importance pour le développement général des facultés intellectuelles. — Comment il faut lire »

Quelques bons ouvrages de critique féconde et d’érudition sans vétilles aideront à comprendre les anciens et les étrangers, comme aussi à s’orienter dans la littérature française. […] Depuis quelques années, l’étude du français a été mise au premier plan dans l’éducation des jeunes gens. […] Car de prétendre qu’ils apprennent l’ancien français, c’est chimère, dans l’état actuel de nos programmes. Quand les écoliers ont appris et répété les déclinaisons, les conjugaisons, la syntaxe de l’ancien français, quand ils ont mené jusqu’au bout un cours de grammaire historique, il ne leur en reste qu’un grand ennui, beaucoup de confusion dans l’esprit, et un peu plus de penchant à faire des fautes d’orthographe : quant à lire vingt vers de la Chanson de Roland dans le texte après un an de ce labeur, il n’en faut pas parler.

1023. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « (Chroniqueurs parisiens II) Henry Fouquier »

Grec de la décadence, Florentin d’il y a trois siècles, roué du siècle dernier, Parisien d’aujourd’hui et Français de toujours, homme de plaisir et homme d’action…, voilà bien des affaires ! […] Par là il est bien de race latine ou de vieille race française. […] Ce qui vaut mieux, c’est un rien de libertinage à la française et un peu de rêve. […] Henry Fouquier écrit au Gil Blas sous ces deux noms) ont à la fois, sur l’amour, les idées des premiers hommes et celles des délicieux Français du XVIIIe siècle.

1024. (1863) Molière et la comédie italienne « Textes et documents » pp. 353-376

Il en parut une édition avec une traduction française en regard du texte italien, à Paris, chez Matthieu Guillemot, en 1609. […] Il y a une grossière rédaction de cette pièce en vers français dans le Supplément du Théâtre italien, tome II, Bruxelles, 1697. […]   On peut constater, d’après les états des dépenses de la cour, que, pendant qu’elle séjournait à Saint-Germain, à Fontainebleau, il y avait comédie plusieurs fois la semaine, et que les Italiens à cette époque alternaient à peu près régulièrement, sur le théâtre de ces résidences royales, avec les troupes françaises ou avec la troupe française, quand il n’y en eut plus qu’une à partir du mois d’octobre 1680.

1025. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Journal de la campagne de Russie en 1812, par M. de Fezensac, lieutenant général. (1849.) » pp. 260-274

Le moral des troupes avait déjà éprouvé de profondes atteintes ; on ne retrouvait plus l’ancienne gaieté des soldats, ces chants du bivouac, qui consolaient des fatigues : c’était une disposition toute nouvelle dans une armée française, et après une victoire. […] Aucun avis n’avait été donné par le corps qui précédait ; et il ne s’agissait pas d’un simple détachement ennemi qui interceptait la route, c’était toute une armée de 80 000 hommes sous les ordres de Miloradovitch, qui s’interposait entre Ney et le reste de l’armée française. […] On est sur l’autre rive, mais dans un pays inconnu, et l’on a encore plus de quinze lieues à faire pour arriver à Orcha, où l’on espère rejoindre l’armée française. […] Je vous le donne pour un véritable chevalier français, et vous pouvez désormais le regarder comme un vieux colonel. » L’héroïque figure de Ney n’a cessé de remplir et de dominer la relation qu’on vient de parcourir ; c’est par une telle parole de lui qu’il y avait convenance et gloire, en effet, à la couronner.

1026. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre IV : La philosophie — I. La métaphysique spiritualiste au xixe  siècle — Chapitre II : Partie critique du spiritualisme »

Nous avons recueilli et développé librement dans les pages précédentes l’idée mère du spiritualisme français fondé par Maine de Biran ; mais nous n’avons pas fait connaître sa philosophie, qui a des aspects bien plus étendus et une portée beaucoup plus vaste qu’on ne peut l’indiquer dans une esquisse rapide. […] Quoi qu’il en soit de ces vues théoriques, revendiquons pour Maine de Biran et pour le spiritualisme français de notre siècle l’honneur d’avoir apporté à la philosophie une idée vivante et nouvelle, l’idée de la personnalité humaine. […] Le spiritualisme français se fait honneur de descendre de la libre philosophie du xviiie  siècle plus directement encore que de l’idéalisme cartésien. […] Le spiritualisme français, sans méconnaître le génie de Fichte et les éclatants services que cet éloquent et profond philosophe a rendus à la cause de la personnalité humaine, se rattache plutôt par un lien historique naturel à Maine de Biran.

1027. (1912) L’art de lire « Chapitre IX. La lecture des critiques »

Il a fallu insister sur ce point, parce qu’il n’y a pas si longtemps qu’on a compris la grande différence qu’il y a entre l’historien littéraire et le critique ; parce que, jusqu’aux dernières années du dernier siècle, les historiens littéraires croyaient avoir mission de critique et réciproquement ; parce que telle histoire de la littérature française, celle de Nisard, est tout entière œuvre de critique et comme histoire littéraire n’existe pas, de telle sorte que l’auteur n’a rien fait de ce qu’il devait faire et a fait tout le temps, et du reste d’une manière admirable, ce qu’il devait ne pas faire du tout ; si bien encore que son livre, absolument manqué comme histoire littéraire, reste tout entier debout comme recueil de morceaux de critique. […] L’introduction à l’intelligence de Corneille, c’est l’histoire du temps de Corneille, toute l’histoire du temps de Corneille et particulièrement l’histoire de la littérature française de 1600 à 1660. […] Ma curiosité ayant été éveillée, en rhétorique, par le devoir français d’un de mes camarades que je ne connaissais pas autrement, parce qu’il était d’une autre pension que moi, j’allai à lui, quelque temps après, et je lui demandai ce qu’il faisait : « Depuis quelque temps, me dit-il, je m’occupe beaucoup de philosophie. » Il s’occupa sans doute des littérateurs latins et français l’année suivante.

1028. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Appendice. [Rapport sur les primes à donner aux ouvrages dramatiques.] » pp. 497-502

Ce résultat négatif qui se produit pour la seconde fois, bien qu’à la première plusieurs des auteurs de pièces représentées sur la scène française eussent songé à concourir, n’a rien de si défavorable ni de si désespérant qu’on le pourrait croire, mais il exige pourtant quelque explication. […] La Commission n’a pas eu à examiner si les auteurs qui ont eu des ouvrages représentés en 1853 sur la scène française ne se sont pas jugés plus sévèrement qu’elle ne l’eût fait elle-même ; mais il nous semble entrevoir, si on osait porter son regard au-delà de 1853 et sans anticiper sur les jugements futurs, que le Théâtre-Français, si riche de tout temps en charmantes et vives productions, ne se dérobera pas toujours si obstinément aux autres conditions indiquées. […] Il résulte en effet des termes de l’arrêté ministériel du 12 octobre 1851 que le second Théâtre-Français est assimilé dans ce concours aux autres théâtres, soit des boulevards, soit des départements, et que les productions de cette seconde scène française ont à concourir avec des pièces qui sont souvent d’un tout autre genre.

1029. (1864) Physiologie des écrivains et des artistes ou Essai de critique naturelle

L’élément anglais et l’élément français paraissent chez Montaigne tour à tour. […] La police, voilà l’élément français ! […] Henriette, de cette dernière pièce, est essentiellement une Française. […] Les Athéniens et les Français sont des peuples essentiellement nerveux. […] Poussin et Claude Lorrain sont bien Français.

1030. (1905) Études et portraits. Sociologie et littérature. Tome 3.

En voulant devenir une nation, les Français ont renoncé à être un empire. […] Sa famille avait duré longtemps sur un même coin de la province française. […] Chez nous on en trouve un pour 4,484 Français. […] Nous croyons qu’il y a un génie national dont l’éducation française pourrait de plus en plus être imprégnée. […] Maurice Barrès à l’Académie française a été saluée par une approbation quasi unanime des lettrés de tous les partis.

1031. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Blémont, Émile (1839-1927) »

[Anthologie des poètes français du xixe  siècle (1887-1888).] […] En résumé, un livre clair, intéressant et bien français dans toutes les acceptions du mot.

1032. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Première partie. Plan général de l’histoire d’une littérature — Chapitre premier. Nécessité d’une histoire d’ensemble » pp. 9-11

Je bornerai d’ailleurs mon tracé au champ déjà si vaste de la littérature française. […] On s’attend peut-être ici que je vais faire la critique des histoires aujourd’hui existantes de la littérature française.

1033. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Préface »

Tandis que Shakespeare et Byron restaient pour les lecteurs français de vagues noms vénérables d’inconnus, Lamartine, Hugo et Musset allaient à la gloire. […] Il faut croire qu’à diverses périodes, ces œuvres, et celles qui en ont été inspirées, ont mieux satisfait les penchants d’un nombre notable de lecteurs français que les œuvres véritablement du terroir ; qu’en d’autres termes la littérature nationale n’a jamais suffi, et aujourd’hui moins que jamais, à exprimer les sentiments dominants de notre société, que celle-ci s’est mieux reconnue et complue dans les productions de certains génies étrangers que dans celles des poètes et des conteurs qu’elle a fait naître.

1034. (1890) La vie littéraire. Deuxième série pp. -366

Nous n’avons pas vu des Français dans les rangs de l’ennemi. […] Le vraie génie français est prompt et concis. […] Voilà un dictionnaire français, celui de M.  […] Voilà pourquoi j’aime surtout les dictionnaires français. […] Il mêle au vocabulaire français des éléments d’encyclopédie générale.

1035. (1887) Journal des Goncourt. Tome II (1862-1865) « Année 1865 » pp. 239-332

Thierry devait nous la renvoyer hier ; sur une lettre de nous, il nous la fait reporter, ce matin, avec un mot dans lequel il nous demande pourquoi nous ne la présenterions pas au Théâtre Français. […] Je cours aux Français, on m’introduit auprès de M.  […] » Et nous voici avec Got à attendre, aux Français, Thierry qui est allé lire notre pièce à Mme Plessy et essayer de la décider à jouer son premier rôle de mère. […] Tout le théâtre croit à un immense succès, et la phrase qui court est celle-ci : « Il y a vingt ans qu’on n’a vu, aux Français, une pièce montée et jouée comme celle-ci !  […] Nous arrivons aux Français.

1036. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Académie française — Réception de M. Ponsard » pp. 301-305

La séance de l’Académie française, où M.  […] Mais nos grands auteurs dramatiques français y ont reçu, de la part d’un libre disciple, de vrais, de sincères, de pathétiques hommages.

1037. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XLI » pp. 167-171

. — L'Académie française, par l’organe de M. […] On peut remarquer seulement que vers la fin il est bien dur pour la noblesse française, qui n’a pas été seulement en tête dans les batailles, mais aussi dans les choses de l’esprit (La Rochefoucauld, Saint-Simon.) — Le grand Condé soutenait Boileau, et le maréchal de Richelieu appuyait Voltaire.

1038. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXXVI » pp. 301-305

réception de m. sainte-beuve a l’académie française. — histoire du consulat et de l’empire. […] En un mot, chacun des deux orateurs a eu son succès ce jour-là, et l’Académie française n’avait pas offert depuis bien longtemps une fête si goûtée du public, si brillante et si remplie ; les femmes s’étaient logées jusque derrière le fauteuil de M.

1039. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXXXIII » pp. 332-336

Voilà les journaux français aussi vastes que les journaux anglais et américains. Peut-être l’estomac du lecteur français se distendra à l’avenant.

1040. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — D — Daudet, Alphonse (1840-1897) »

Gustave Geffroy Le débutant qui écrit les Amoureuses, et bientôt, après, la Double Conversion, a lu en artiste les poètes du xvie  siècle, a compris du premier coup le joli français résumatoire de La Fontaine, a aimé l’accent nerveux et passionné de Musset. […] [Anthologie des poètes français du xixe  siècle (1887-1888).]

1041. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — D — Deroulède, Paul (1846-1914) »

Dans cette casemate, au milieu de ce paysage de la Turbie, où Banville lui-même chanta jadis son amour du laurier, parmi ces braves gens qui fumaient, dormaient ou jouaient aux cartes autour de moi, et que j’avais lentement appris à connaître depuis trois ou quatre mois, les mots, même les plus simples, avaient pris un nouveau sens, plus vivant, plus humain, s’étaient gonflés pour moi d’une sève nouvelle, d’une substance plus française, plus noble et plus populaire à la fois. […] Paul Déroulède battait soudain entre mes mains et dans ma voix avec le rythme tout populaire de ses vers : Il fait nuit ; la diane a sonné, tout s’éveille ; Les hommes sont sortis des lentes qu’on abat ; La soupe est sur le feu, le vin dans la bouteille, Et, chantant et riant à la flamme vermeille, Ces diables de Français commencent leur sabbat.

1042. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — S — Sainte-Beuve, Charles-Augustin (1804-1869) »

Sainte-Beuve, Charles-Augustin (1804-1869) [Bibliographie] Tableau de la poésie française au xvie  siècle, et Œuvres choisies de Ronsard avec notices, notes et commentaires (1828). — Vie, poésies et pensées de Joseph Delorme (1829). — Les Consolations (1830). — Volupté, roman (1834). — Pensées d’août (1837). — Poésies complètes (1840). — Portraits littéraires (1839, 1841, 1844). — Histoire de Port-Royal (1840-1862). — Portraits de femme (1844). — Portraits contemporains (1846). — Causeries du lundi (1851-1857) […] Alphonse de Lamartine On a raillé ses Consolations, poésies un peu étranges, mais les plus pénétrantes qui aient été écrites en français depuis qu’on pleure en France.

1043. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Introduction » pp. 5-10

Pour en avoir approché, nous n’ignorons rien des défauts ordinaires aux cénacles dont chacun, tour à tour ou parallèlement, prétend refléter l’âme française et contenir son évolution définitive. […] À ceux qui, dédaigneux des fortunes passagères, ont entrepris de renouveler, par une application plus stricte de la tradition ; la vieille vigueur française, nous réserverons notre approbation.

1044. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome I « Bibliotheque d’un homme de goût. — Chapitre IV. Des Ecrits sur la Poétique & sur divers autres genres de Littérature. » pp. 216-222

Ce livre est d’autant plus cher aux lecteurs françois, que presque tous les exemples sont tirés des Ecrivains de la nation. […] Nous plaçons ce Chapitre immédiatement après les Poëtes françois, parce que les Ecrits que nous indiquons serviront à guider dans la lecture des productions poétiques de notre Parnasse.

1045. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Law »

Ce qui fut la grâce française manque à notre chute. […] En vérité, ces exagérations d’économistes rappellent, à leur manière, les exagérations d’un autre genre dont on s’est tant moqué, quand les hommes de la fin du xviiie  siècle, hébétés par le matérialisme, proclamaient que la Révolution française était toute dans le déficit financier.

1046. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface de « Cromwell » (1827) »

— Soit. — Un instant après : — Quoi, reprendra-t-il s’il est conséquent, le Cid parle français ! […] Cette muse, loin de repousser, comme la véritable école classique française, les trivialités et les bassesses de la vie, les recherche au contraire et les ramasse avidement. […] Si le faux règne en effet dans le style comme dans la conduite de certaines tragédies françaises, ce n’était pas aux vers qu’il fallait s’en prendre, mais aux versificateurs. […] Le français du dix-neuvième siècle ne peut pas plus être le français du dix-huitième, que celui-ci n’est le français du dix-septième, que le français du dix-septième n’est celui du seizième. […] Le jour où elles se fixent, c’est qu’elles meurent. — Voilà pourquoi le français de certaine école contemporaine est une langue morte.

1047. (1845) Simples lettres sur l’art dramatique pp. 3-132

Harel n’a ni perdu ni gagné à l’Odéon, seulement il a fait pendant quatre ans de l’Odéon le premier théâtre français. […] Je n’ai pas mis le pied à la Comédie française depuis trois ans. […] Soumet, ce Bayard de la littérature française, n’a jamais menti. […] Mignet serait préféré par l’Académie française, il resterait encore à M.  […] Si le mot n’est pas français, il le deviendra.

1048. (1809) Tableau de la littérature française au dix-huitième siècle

La vanter était un cadre pour faire la satire des Français. […] C’est en ce sens que Fénelon, tout admirateur qu’il était de l’antiquité, parla toujours de la politique française. […] Tout paraît froid et forcé devant ce dernier adieu d’une âme si chrétienne, si royale et si française, au moment où elle prenait son vol vers l’éternité. […] Ainsi fut honoré, dans leurs personnes, ce barreau français, dont le courage à défendre les accusés fut toujours une des libertés et des gloires du pays. […] Nous aussi, nous faisons partie du peuple ; nous sommes citoyens, nous sommes Français.

1049. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Histoire du Consulat et de l’Empire, par M. Thiers. Tome xviii » pp. 84-92

Jeune, à l’âge des assauts et des audaces, il a abordé l’Histoire de la Révolution française, et avec une telle verve, un tel entrain, une telle résolution de ne pas s’arrêter à mi-chemin avant le triomphe et la bonne issue, qu’il a semblé être, avant tout, un historien révolutionnaire. […] C’était dans l’émigration la portion instruite, acceptant la Charte par nécessité, mais ayant pour les choses de l’esprit un goût aussi ancien que la noblesse française ; c’étaient, parmi les amis de la liberté, des hommes nouveaux, acceptant les Bourbons comme les autres la Charte, par nécessité, mais très disposés à recevoir la liberté de leurs mains, et résolus à leur être fidèles s’ils étaient sincères ; c’étaient, dans les partis mécontents, les révolutionnaires, les militaires, les partisans de l’Empire, se déguisant en amis de la liberté, et le devenant sans s’en apercevoir. […] Raynouard, un peu diffus, un peu académique, n’ayant pas encore la simplicité et le nerf du langage des affaires, que la pratique pouvait seule donner à l’éloquence française, fut écouté avec une religieuse attention.

1050. (1875) Premiers lundis. Tome III « L’Ouvrier littéraire : Extrait des Papiers et Correspondance de la famille impériale »

Louis XIV logeait son Académie française au Louvre. […] Quelque chose est dans l’air qui adoucit, qui rallie, et oblige tout bon Français à sentir que la France n’a jamais été dans une plus large voie de prospérité et de grandeur. […] On nous apprend à aimer le beau, l’agréable, à avoir de la gentillesse en vers latins, en compositions latines et françaises, à priser avant tout le style, le talent, l’esprit frappé en médailles, en beaux mots, ou jaillissant en traits vifs, la passion s’épanchant du cœur en accents brûlants ou se retraçant en de nobles peintures ; et l’on veut qu’au sortir de ce régime excitant, après des succès flatteurs pour l’amour-propre et qui nous ont mis en vue entre tous nos condisciples, après nous être longtemps nourris de la fleur des choses, nous allions, du jour au lendemain, renoncer à ces charmants exercices et nous confiner à des titres de Code, à des dossiers, à des discussions d’intérêt ou d’affaires, ou nous livrer à de longues études anatomiques, à l’autopsie cadavérique ou à l’autopsie physiologique (comme l’appelle l’illustre Claude Bernard) !

1051. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « La Révolution d’Angleterre »

En effet, quelque condamnation que je fasse de la Révolution d’Angleterre, comme de toute révolte quelconque contre le pouvoir par quelque peuple chrétien que ce puisse être, je suis loin cependant, pour rester juste, d’envelopper dans une égale réprobation les mauvais jours de la Révolution d’Angleterre et ceux de la Révolution française, qui se continue de nos jours. […] Et il n’y a pas que cette biographie de Ludlow qu’on puisse détacher du recueil de Guizot et citer comme preuve de la supériorité morale de la Révolution d’Angleterre sur la Révolution française. […] C’est la différence qui marque les deux sociétés, les deux révolutions, et qui, continuant, marquera, si l’on n’y prend garde, l’avenir prochain de la société française d’un signe terrible, qui n’a jamais marqué les temps les plus mauvais de l’Angleterre.

1052. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « W.-H. Prescott » pp. 135-148

Il y a quelques années, Edgar Poe, malgré une originalité qui l’aurait perdu s’il avait eu le malheur d’être Français, eut son succès tout de suite, parce qu’il était Américain. […] Eh bien, avec cette sympathie simiesque que nous ressentons tous pour les idées, les mœurs, les industries et même les productions intellectuelles américaines, n’est-il pas étonnant que personne n’ait parlé comme il convenait d’un livre américain très estimé en Amérique, et traduit et publié en français depuis 1861… déjà ? […] Supposez un Français quelconque ayant les opinions de Prescott ; appelez-le, si vous voulez, Henri Martin ou Michelet, et donnez-lui à écrire la même histoire, quelles déclamations de toute espèce n’aurez-vous pas sur l’horrible règne de Philippe II, sur son bourreau le duc d’Albe, et sur l’Inquisition, leur souveraine ou leur servante !

1053. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « VI. Jules Simon »

Taine, qui l’avait signée, est l’auteur de ce livre, Les Philosophes français, dans lequel il n’est pas dit un mot de ce grand philosophe français, M.  […] je n’ai jamais, pour mon compte, estimé beaucoup la philosophie, mais je ne l’ai jamais méprisée autant que le philosophe français, M. 

1054. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXV. Le Père Ventura »

Il y a plus que du temps, il y a de l’événement, il y a la révolution française et les Napoléon, deux fois sauveurs ! […] Certes, il y a là des accents superbes, un style étonnant, remuant et remué, et français à nous faire penser que nous avons là dans cet Italien un éloquent compatriote ; mais est-ce tout ? […] Nous pensons que si on opposait aux droits de l’homme de Rousseau la déclaration des droits de la famille française représentée par le Père, ceci nous infuserait un sang nouveau dans les veines, et que le pouvoir politique bénéficierait, à l’instant même, car le Notre Père ne s’adresse pas qu’à Dieu.

1055. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Chastel, Doisy, Mézières »

En 1849, quand la Révolution, pour un instant souveraine, tenait presque dans les idées une aussi grande place que dans le gouvernement, l’Académie française mit au concours la question de l’influence de la charité chrétienne sur le monde romain. […] Au milieu de ces enivrements, car la niaiserie a quelquefois aussi son ivresse, l’Académie française, qui n’a pas cependant la réputation de représenter les grandes hardiesses et les fougueuses initiatives, eut la bonne idée de poser devant l’opinion une question dégrisante, une question d’histoire. […] couronner l’auteur d’un livre pareil, en toute circonstance c’est montrer à quel point les respectables auteurs du dictionnaire de la langue française peuvent être dupes des mots et des formes limpides que la pensée sait parfois revêtir.

1056. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Mistral. Mirèio »

À ce compte-là, plus la civilisation se compliquerait et tordrait sa spirale, moins on serait capable de poésie épique, ce qui mettrait, du reste, la vanité des nations hors de cause et raierait d’un trait le fameux anathème physiologique : « les modernes (et particulièrement les Français) n’ont pas la tête épique », nul poème ne pouvant désormais étreindre le détail énorme de nos colossales civilisations. […] N’est-ce qu’un patoisant de génie ou réellement sait-il plus de français qu’il n’en faut pour traduire son poëme ?  […] Que si, du reste, au lieu d’être en vers provençaux, le poème de Mirèio était en langue française, la grandeur dont il brille empêcherait peut-être sa fortune, mais il aurait du moins une chance de réussite dont actuellement il est privé.

1057. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Henri Heine »

… Il est Allemand et il est Français ; il est ancien, renaissance, et moderne surtout, — et de la dernière heure du xixe  siècle, — ayant passé à travers toutes les idées, tous ces cerceaux d’or qui n’ont que des fonds en papiers-chiffe et qu’il a crevés, en les emportant ! […] quand il s’est agi de juger la France et les valeurs françaises. […] À dater de Heine, de cet Allemand presque Français tant il s’était naturalisé parmi nous, la France n’a vécu que sur les vieux poètes qui existaient de son temps à lui et que la personnalité de son génie, à lui, effaçait, même de Musset, qui faisait songer à lord Byron, que Henri Heine ne rappelait pas.

1058. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Charles Didier » pp. 215-226

Charles Didier est resté Français, et de quelle province ? […] un commis-voyageur français ! […] Dans ce loisir d’une halte forcée au couvent qui leur a servi de refuge, la comtesse, qui est la seule femme de la troupe et qui s’en croit la reine, d’après l’antique loi de la galanterie française imposée à l’Europe, et dont M. 

1059. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXV. Des éloges des gens de lettres et des savants. De quelques auteurs du seizième siècle qui en ont écrit parmi nous. »

N’oublions pas de remarquer que ce Français, si respecté dans toute l’Europe, était assez peu connu en France. […] La cendre de Descartes fut privée de cet honneur ; mais il resta à ce Français célèbre le mausolée qui fut élevé à Stockholm ; il lui resta son nom, sa gloire, l’admiration de l’Europe, et ce qui dans la suite l’honora encore plus, le silence de Newton, qui jamais ne prononça son nom dans un ouvrage. […] Il a composé un volume d’éloges, parmi lesquels on distingue ceux de plusieurs savants célèbres, tant étrangers que Français.

1060. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXXe entretien. Conversations de Goethe, par Eckermann (2e partie) » pp. 315-400

Goethe, au milieu de différents sujets, me parla des nouveaux journaux français. « La constitution en France, dit-il, chez un peuple qui renferme tant d’éléments vicieux, repose sur une tout autre base que la constitution anglaise. En France tout se fait par la corruption ; toute la révolution française même a été menée à l’aide de corruptions. » Il pensait à Mirabeau. […] Les Français, disait-il, ont de l’intelligence et de l’esprit, mais ils n’ont pas de fond et pas de piété, ce qui leur sert. […] Les Français de ce temps ont prétendu les remettre à la mode, mais ils n’oseront pas les remettre en lecture. […] Ce que je loue dans les Français, c’est que leur poésie ne quitte jamais le terrain solide de la réalité.

1061. (1899) Les industriels du roman populaire, suivi de : L’état actuel du roman populaire (enquête) [articles de la Revue des Revues] pp. 1-403

Maurice Bouchor et ses amis ont entrepris de lire les œuvres les plus connues de la littérature française. […] Jules Claretie, De l’Académie française. […] Quelques pornographes disputent avec eux le privilège spécial d’être la conscience de la patrie française. […] Et l’exposé des deux doctrines du socialisme est une des admirables choses de la langue française. […] qui, grâce à la complicité criminelle de certains journaux, versent des flots de poison dans l’âme française.

1062. (1888) La vie littéraire. Première série pp. 1-363

C’était une salle composée de Français et de Françaises. […] C’est du bon vieux français. […] ce fut contre des Français. […] À vingt et un ans, elle savait mieux le français que l’allemand. […] Maintenant, la science parle français, anglais, allemand.

1063. (1906) Propos de théâtre. Troisième série

Georges Rivollet a donné à la Comédie française une fort belle imitation des Phéniciennes d’Euripide. […] Un Français n’y eût pas manqué ; un Grec non plus, par parenthèse ; mais malgré ce manque, c’est beau encore et c’est compris tout de même. […]  » L’auteur était évidemment un classique, quelque habitué de la Comédie française. […] A Pixérécourt et Caignez s’ajouta Cuvélier avec ses drames militaires, les Français en Pologne (1808), la Belle Espagnole ou les Français à Madrid (1809), etc. […] Cuvélier : Les Français en Pologne (1808), l’Entrée des Français à Madrid (1809).

1064. (1907) Propos de théâtre. Quatrième série

Avez-vous remarqué, par parenthèse, que ceci est une faute de français de La Fontaine ? […] Byron est véritablement le dieu du romantisme français. […] Il n’y a pas quatre poètes comiques français qui en aient une aussi longue. […] Quel qu’en puisse être le succès, elle fait honneur à la littérature française. […] Mendès, celle d’après laquelle on le mettra à son rang parmi les tragiques français.

1065. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Madame Dacier. — I. » pp. 473-493

Ceci nous mène à Mme Dacier vers laquelle j’arrive et je m’achemine, on peut s’en apercevoir, avec toutes sortes de précautions ; car j’ai pour elle une haute estime, un profond respect que je voudrais voir partagé de tous, sauf par moments le léger et indispensable sourire que, sous peine de n’être plus Français, nous devons mêler à toutes choses. […] Il a écrit en français un petit traité intitulé Méthode pour commencer les humanités grecques et latines, qui est le résumé de son expérience et qu’il faut mettre à côté des écrits de Messieurs de Port-Royal en ce genre. […] La reine lui répondit en français (mai 1678), la remerciant en particulier de son Florus ; et, après quelques paroles de louanges pour cette admirable éducation du Dauphin, qui en devait profiter si peu, elle ajoutait : Mais vous, de qui on m’assure que vous êtes une belle et agréable fille, n’avez-vous pas de honte d’être si savante ? […] Donnez-vous la peine d’y faire une réflexion sérieuse, et priez Dieu qu’il ouvre un jour vos yeux et votre cœur à la vérité. » Cependant Mlle Le Fèvre publia, en 1681, les Poésies d’Anacréon et de Sapho, traduites du grec en français. […] Cette traduction qui ralluma la guerre des anciens et des modernes, et qui fut suivie de l’Odyssée en 1716, donne à Mme Dacier un rôle imprévu et assez considérable dans l’histoire de la littérature française.

1066. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Réminiscences, par M. Coulmann. Ancien Maître des requêtes, ancien Député. »

Évidemment le titre d’un ouvrage anglais, les Réminiscences d’Horace Walpole, l’a séduit ; mais, en laissant à la charge de l’auteur anglais le mot de Réminiscences pris en ce sens, je nie qu’en français ce soit le mot juste. […] L’auteur vient de parler des vexations et des procédés brutaux qu’il eut à essuyer de la part des Prussiens dans son domaine d’Alsace, à Brumath ; cela le conduit à une réflexion fort sage : « De ces excès, dit-il, dont aucune armée n’est innocente, soit qu’ils empruntent de la main lourde et de l’intelligence lente des Autrichiens un caractère de petitesse et de détail, à la fois étouffant et solennel ; soit que la demi-civilisation du Russe leur imprime une fourberie raffinée ou une violence sauvage ; soit que le Prussien y mette sa hauteur et sa prétention ; soit enfin que la malice et la moquerie rendent insupportables les ingénieux tourments que le Français sait infliger à ses victimes, je ne veux tirer qu’une conséquence : c’est que la guerre, quelquefois si légèrement commencée, laisse aux intérêts et aux amours-propres des plaies qu’un siècle cicatrise à peine. « C’est grand pitié que de la guerre : je croy que si les sainctz du paradis y allaient, en peu de temps ils deviendraient diables », dit Claude Haton en 1 553 déjà. » 1815 vient renflammer les plaies et aggraver tous les maux. […] Il appelle Napoléon à Sainte-Hélène le Thémistocle français, etc. […] Il est l’un des rares Français qui virent lord Byron ; il le visita à Gênes, recueillit la conversation qu’il eut avec le noble poète, et reçut même de lui une lettre qu’il publia dans le temps et qu’il reproduit aujourd’hui. Lord Byron, dans cette lettre, rectifie les idées fausses que les biographes français donnaient de ses parents, et il se montre, en homme vraiment délicat, plus attentif à ce qui intéresse la mémoire de son père qu’à sa réputation propre.

1067. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Mémoires de Malouet (suite.) »

Il se fit conduire chez moi : c’était un jour d’assemblée ; nous avions alors une escadre hollandaise en rade, commandée par l’amiral Kinsbergen, homme d’un rare mérite ; nous avions de plus un vaisseau de guerre suédois : tour, ces étrangers et plusieurs officiers de la marine française se trouvaient à l’intendance, lorsqu’on annonça l’abbé Raynal, que personne n’attendait. […] Le Français est toujours Français ; même lorsqu’il est le plus prudent et le plus circonspect, il y a des choses dont il ne doute pas. […] Cela ne date |pas d’hier, et sir Samuel Romilly a fait cette remarque dès 1789 : « La confiance qu’ils (les Français) ont en eux-mêmes, dit-il, et leur résistance à se laisser renseigner par les personnes les plus capables de le faire, est chose remarquable. […] Jean de Muller qui le vit à Berne a dit de lui : « Il aime à parler, sa conversation est instructive, et c’est un honnête homme. » (Études sur l’histoire littéraire de la Saisie française, par E.

1068. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Histoire du Consulat et de l’Empire, par M. Thiers. Tome IXe. » pp. 138-158

Qu’on se figure ce qu’eût été, dans l’Angleterre à demi conquise, la situation d’une armée française victorieuse, mais coupée de son empire par une mer et une flotte maîtresse des mers ! […] Le livre de Baylen nous montre les tâtonnements et les premiers revers des lieutenants de Napoléon, isolés dans un pays montueux, sous un climat brûlant, au cœur d’une population ennemie ; la flotte française écrasée la première dans le port de Cadix, et forcée de se rendre, et bientôt enfin le désastre célèbre qui fut le premier et même le seul affront de ce genre qu’eurent à subir nos vaillantes armées, la capitulation, en rase campagne, du général Dupont à Baylen. […] De même que le soldat français, par son ardeur, son énergie, sa promptitude, sa disposition à tout braver, était l’instrument prédestiné du génie de Napoléon, le soldat solide et lent de l’Angleterre était fait pour l’esprit peu étendu, mais sage et résolu, de sir Arthur Wellesley. […] Thiers, que les lettres françaises contribuassent à la splendeur de cette réunion, et prescrivit à l’administration des théâtres d’envoyer à Erfurt les premiers acteurs français, et le premier de tous, Talma, pour y représenter Cinna, Andromaque, Mahomet, Œdipe.

1069. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) «  Mémoires et correspondance de Mme d’Épinay .  » pp. 187-207

On trouverait de semblables conseils dans un bien vieux poème français, le Roman de la Rose ; c’est une vieille aussi, qui développe à l’un des personnages allégoriques du roman les préceptes de cette exécrable morale tout intéressée. […] Francueil d’abord se montre sous un jour flatteur : cet amour entre Mme d’Épinay et lui est bien l’amour à la française, tel qu’il peut exister dans une société polie, raffinée, un amour sans violent orage et sans coup de tonnerre, sans fureur à la Phèdre et à la Lespinasse, mais avec charme, jeunesse et tendresse. […] Comme écrivain, c’est un des critiques les plus distingués, les plus fermes à la fois et les plus fins qu’ait produits la littérature française. […] On a appelé Diderot la plus allemande de toutes les têtes françaises : on devrait appeler Grimm le plus français de tous les esprits allemands.

1070. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Fontenelle, par M. Flourens. (1 vol. in-18. — 1847.) » pp. 314-335

On vit donc en Fontenelle, presque dès l’enfance, un bel esprit déjà compliqué et très compassé, faisant des vers latins ingénieux et subtils, puis des vers français très galants, n’ayant de goût que pour les choses de l’intelligence et de la pensée, y portant une analyse curieuse, une expression fine et rare30. […] Quelqu’un remarquait très bien, sur ces lettres du mariage clandestin, que c’est toujours la gaudriole française et gauloise qui en fait les frais ; mais ici la gaudriole est à la glace31. […] En recherchant moins l’agrément, mais en ne s’attachant pas moins à l’extrême clarté, les Buffon, les Cuvier, les Humboldt eux-mêmes en français, n’ont pas craint de composer quelques portions de leurs écrits en vue des ignorants, et de les publier à l’usage de toutes les classes de lecteurs. […] Un Français réfugié, Jordan de Berlin, qui le visita en 1733, parle de lui en des termes qui nous le font entrevoir sous cet aspect universellement respecté : « M. de Fontenelle est magnifiquement logé ; il paraît très à son aise, et richement partagé des biens de dame Fortune. […]  » Fontenelle est le premier secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences qui ait écrit en français ; son prédécesseur Du Hamel écrivait encore en latin.

1071. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Le duc de Lauzun. » pp. 287-308

Quant à sa carrière, on ne lui laissa pas le temps d’y songer : « On me fit entrer à douze ans, dit-il, dans le régiment des Gardes (françaises), dont le roi me promit la survivance, et je sus, à cet âge, que j’étais destiné à une fortune immense et à la plus belle place du royaume, sans être obligé de me donner la peine d’être un bon sujet. » A quatorze ans, il commença sa carrière de Richelieu et de don Juan. […] Dans la guerre de Corse, un trait assez piquant peint les mœurs françaises d’alors. […] Il y a bien de l’ancienne délicatesse française dans ce trait-là. […] Il y monta le 31 décembre 93, accusé d’avoir, par son inaction et son peu de secours, « favorisé les succès des brigands de la Vendée sur le territoire français ». […] C’est cependant à cet homme-là qu’on ose attribuer les satires les plus odieuses contre des femmes françaises et étrangères, et les calomnies les plus grossières contre une personne auguste (Marie-Antoinette), qui, dans le rang suprême, avait montré autant de bonté qu’elle fit éclater de grandeur d’âme dans l’excès de l’infortune.

1072. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Monsieur de Bonald, (Article Bonald, dans Les Prophètes du passé, par M. Barbey d’Aurevilly, 1851.) » pp. 427-449

Au milieu de ces soins tout paternels, il composa son premier écrit, qui contient déjà tous les autres, et qu’il fit imprimer à Constance par des prêtres émigrés qui y avaient établi une imprimerie française : Théorie du pouvoir politique et religieux dans la société civile, démontrée par le raisonnement et par l’histoire, par M. de B…, gentilhomme français, 1796. […] Ce livre de Bonald appartenait à cette littérature française du temps du Directoire et extérieure à la France, qui se signala par de mémorables écrits et des protestations élevées contre les productions du dedans : cette littérature extérieure produisait de son côté, à Neuchâtel en Suisse, les Considérations de Joseph de Maistre sur la Révolution française, 1796 ; à Constance, le livre de Bonald ; à Hambourg, la Correspondance politique de Mallet du Pan en cette même année 1796, et Le Spectateur du Nord, brillamment rédigé par Rivarol, l’abbé de Pradt, l’abbé Louis, etc. ; à Londres, l’Essai sur les révolutions de Chateaubriand, 1797. […] Homme public, il avait sur le rôle de la France et sur sa magistrature en Europe des idées qui ont été souvent redites par d’autres et exagérées depuis ; mais il n’exagérait rien, quand il disait énergiquement : Un ouvrage dangereux écrit en français est une déclaration de guerre à toute l’Europe.

1073. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Monsieur Michaud, de l’Académie française. » pp. 20-40

Monsieur Michaud, de l’Académie française. […] Michaud à l’époque de sa mort, qui l’ont célébré à l’Académie française et ailleurs, l’aient fait dignement, il m’a semblé qu’il y avait moyen de revenir sur lui dans nos libres esquisses. […] Son père, obligé de s’expatrier à la suite d’un malheur causé par une imprudence généreuse, s’était établi près de Bourg-en-Bresse ; c’est là que Joseph Michaud, l’aîné des enfants, fit ses études : « Il fut, selon le témoignage de son frère, un excellent rhétoricien : son style avait l’abondance, la solennité semi-poétique, si recommandées par les professeurs aux élèves ; il composait des vers français avec facilité. » Son père mort, et sa mère n’ayant que peu de bien avec beaucoup de famille, il entra dans une maison de librairie à Lyon. […] Michaud lui refuse la gloire ; il nie l’enthousiasme militaire de la jeunesse française, et montre le consul menacé par ses compagnons d’armes et, peu s’en faut, par son armée. […] L’Académie française, cédant à l’entraînement universel de l’opinion, avait fait, par l’organe généreux de M. 

1074. (1857) Causeries du samedi. Deuxième série des Causeries littéraires pp. 1-402

Son domaine s’est agrandi de mille excursions heureuses à travers les littératures étrangères, où se sont développées deux facultés naturelles à l’esprit français : l’expansion et l’assimilation. […] Lacordaire, l’alliance du christianisme et des lettres n’a pas trop porté malheur à la langue française ! […] À quoi elle répond, dans un français que le faubourg Saint-Germain n’avait pas prévu : « Grand Dieu ! […] Mais cet épisode n’a aucun rapport avec le titre, qui tient dix fois plus que ce qu’il promet : c’est hideux, et, lorsqu’au dénoûment on voit la magistrature française, que dis-je ? […] Il y a trois manières de parler de la Révolution française : la glorifier, la maudire, et l’expliquer.

1075. (1730) Des Tropes ou des Diférens sens dans lesquels on peut prendre un même mot dans une même langue. Traité des tropes pp. 1-286

On dit en françois cent voiles, pour dire cent vaisseaux. (…), le toit, se prend en latin pour toute la maison : (…). […] Excepté quelques façons de parler comunes et proverbiales, nous usons très rarement d’hyperboles en françois. […] Les énigmes sont aussi une espèce d’allégorie : nous en avons de fort belles en vers françois. […] En françois doner parole veut dire promettre ; en latin etc. […] L’abé Girard dequoi se satisfaire pleinement sur ce qui regarde le françois.

1076. (1885) Les étapes d’un naturaliste : impressions et critiques pp. -302

Frédéric Mistral n’est pas un auteur français ? […] Est Français quiconque est né sur le sol de France, parle une langue née sur le sol français, exprime des idées françaises, et à ce point de vue, Mistral est au moins aussi Français que M.  […] Il nous faut Frédéric Mistral à l’Académie Française. […] Il n’est pas heureux, le protestantisme, français ou exotique, — et si français qu’il soit, il est toujours plus ou moins exotique, — il n’est pas heureux avec les naturalistes. […] Nous sommes ainsi faits, nous autres Français, qu’il faut que le mérite aveugle les yeux pour nous décider à l’apercevoir.

1077. (1895) La comédie littéraire. Notes et impressions de littérature pp. 3-379

Il est Français jusqu’aux moelles, et Français de l’Île-de-France, Français de Lutèce. […] Il y a maintenant tant de Français — surtout de jeunes Français — qui ne savent plus l’aimer ! […] Paul Verlaine fut proclamé solennellement le « poète de la jeunesse française ». […] Désiré Nisard, de l’Académie française, n’eût pas tenu un autre langage ! […] Les Français sont écrasés.

1078. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome I « Bibliotheque d’un homme de goût. — Chapitre V. Des orateurs anciens et Modernes. » pp. 223-293

Ce n’est point à tort qu’il se montre reconnoissant dans sa préface, des secours qu’il a reçu de tous ceux qui ont donné en françois quelqu’une des harangues de son auteur. […] Ce n’étoit point un Orateur du commun, & on le met à la tête des Prédicateurs anglois ; mais il paroît qu’il ne seroit pas le premier des Orateurs françois. […] Nous ne saurions auquel de nos Orateurs françois le comparer ; il est plus neuf, plus varié & plus riche que la plûpart ; mais il lui manque peut-être d’autres qualités plus essentielles. […] LE Barreau françois fut long-tems livré, ainsi que la Chaire, à la plus grossiere barbarie. […] “Plusieurs Avocats françois, dit l’auteur des Nouveaux Mêlanges, sont devenus dignes d’être des Sénateurs Romains.

1079. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Appendice » pp. 453-463

Sainte-Beuve, de l’Académie française, a lu le rapport, que nous reproduisons plus bas, sur les résultats de ce concours, et a proclamé les noms des lauréats. […] Enfin, Mme Arnould Plessy, de la Comédie française, a lu avec une grâce charmante Les Chercheurs d’or, de M.  […] Jacques Demogeot, professeur agrégé de l’Université, connu par une histoire élégante de la littérature française et par des études d’art et de poésie. […] Siméon Pécontal, poète bien connu, l’un des fervents disciples de l’art sérieux, et qui, tout récemment encore, en célébrant dans des stances le génie de Chateaubriand, a rencontré un des plus beaux exordes lyriques dont puisse s’honorer l’ode française.

1080. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Souvenirs et correspondance tirés des papiers de Mme Récamier » pp. 303-319

Sous ses airs de naïveté et de bonhomie, ne le jugez pas trop modeste : il avait une haute idée de sa supériorité ; il ne pardonna jamais à l’Académie française de l’avoir fait attendre. […] Elle racontait encore très bien qu’en 1815, comme elle s’étonnait devant le duc de Wellington que les Bourbons rentrant s’appuyassent sans répugnance sur ce même personnage, et que Louis XVIII, cédant à une prétendue nécessité de circonstance, prît pour ministre l’homme si fameux par tant d’actes révolutionnaires, le duc de Wellington, après s’être fait expliquer ce que c’étaient que ces actes (les horreurs de Lyon), lui dit, en se méprenant sur la valeur du mot français : « Oh ! […] Mme Récamier a désormais sa place assurée, et l’une des meilleures, dans le rayon de bibliothèque consacré aux femmes françaises ; elle vit, et, pour reprendre une expression de M.  […] [NdA] C’est ce double sentiment d’admiration persistante pour l’écrivain et de vérité entière sur l’homme, que j’ai essayé de rendre dans mon ouvrage Chateaubriand et son groupe littéraire ; la plupart des critiques n’ont voulu y voir qu’une chose, qui n’y est pas, le désir de rabaisser Chateaubriand ; les lecteurs français sont si pressés et si inattentifs qu’ils n’admettent guère qu’une idée à la fois.

1081. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Questions d’art et de morale, par M. Victor de Laprade » pp. 3-21

Il est loin le temps où, la critique française commençant à peine, l’abbé de Saint-Réal déclarait qu’on ne devait critiquer par écrit que les morts, et qu’il fallaitse borner à juger en conversation les vivants. […] L’Académie française n’avait pas d’œuvre à opposer, qu’elle estimât elle-même à la hauteur de la récompense ; car il ne pouvait tomber dans l’esprit de personne que les Symphonies de M. de Laprade pussent y atteindre ou y aspirer. […] (Les Français ont toujours eu de ces sobriquets commodes à chaque mode nouvelle, et que chacun répète comme une injure en se signant.) […] n’allez pas vous y méprendre, c’est celui-là même qui a si longtemps glacé les muses françaises, c’est celui qui les glacerait encore, c’est celui-là qu’il vous faut éviter.

1082. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Mélanges religieux, historiques, politiques et littéraires. par M. Louis Veuillot. » pp. 44-63

Violent néophyte, catéchumène intrépide, il a embrassé le christianisme et toutes les religions romaines d’un seul coup, sans le moindre petit préservatif ou correctif à la française. […] Veuillot, et que je les rencontre à côté de tant de jugements fermes, sagaces, bien frappés : tel est dans ce chapitre le jugement sur Hugo et sur Musset, en six lignes qui disent tout. — Entre les classiques français qu’il se mit à lire régulièrement, il n’en est aucun auquel il fut plus redevable qu’à La Bruyère ; il l’étudia à fond, tour et style. […] Veuillot distingue deux veines et deux courants dans la littérature française, le courant gaulois, naturel, et ce qu’il appelle l’influence sacrée, religieuse, épiscopale : il fait à celle-ci, pour la gravité et l’élévation, une part bien légitime ; il est ingrat pourl’autre, pour le vrai et naïf génie national qu’il sent sibien, qu’il définit par ses heureux caractères, et que tout à coup il appelle détestable, se souvenant que ce libre génie ne cadre pas tous les jours avec le Symbole. […] Veuillot a beaucoup écrit, et je ne puis parler de tous les livres qu’il a composés : le volume les Français en Algérie (1845) résume avec intérêt les souvenirs d’un voyage qui remonte à 1841, et dans lequel il fut l’hôte, le commensal et presque lesecrétaire du maréchal Bugeaud, nouvellement nommégouverneur général.

1083. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Les Contes de Perrault »

Il suggéra à l’Académie française, dès qu’il y fut entré, d’ouvrir ses portes (ce qu’elle ne faisait point auparavant) au public pour les séances de réception, et on lui doit l’institution de cette solennité académique, si bien dans nos mœurs et florissante encore aujourd’hui. […] Ces sujets traités par Perrault, et dont il a fixé la rédaction française, se trouvent-ils ailleurs dans d’autres livres, dans d’autres recueils que le sien, et dans des recueils antérieurement imprimés ? […] Dans sa rédaction juste et sobre, encore naïve et ingénue, il a atteint à la perfection du conte pour la race française : Il faut, même en chansons, du bon sens et de l’art. […] La mesure de Perrault est bien française.

1084. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Essai sur Talleyrand »

Envisagé à ce point de vue, l’Essai de sir Henry Bulwer, sans être complet, est tout à fait digne de l’homme d’État distingué qui l’a écrit, et il est piquant, pour nous Français, autant qu’instructif de voir des événements et des hommes avec lesquels nous sommes familiers, jugés dans un esprit élevé et indépendant par un étranger, qui d’ailleurs connaît si bien la France et qui, de tout temps, en a beaucoup aimé le séjour et la société, sinon les gouvernements et la politique. […] Les Anglais, qui n’ont que des préventions générales sur le caractère des Français, ne trouvaient en lui ni la vivacité, ni la familiarité, ni l’indiscrétion, ni la gaieté nationale. […] Quel put être le motif de cette rigueur, et pourquoi fut-il un des rares Français auxquels on crut devoir appliquer en ce temps-là l’Alien-bill ? […] Je donne ces textes d’après la traduction, en regrettant que les passages cités ne paraissent nous revenir qu’à travers l’anglais : rien n’eut été plus simple que de réintroduire à ces endroits le texte français original.

1085. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Saint Anselme, par M. de Rémusat. » pp. 362-377

Dans les développements qu’il y donne, il me permettra de regretter que là, comme il lui arrive d’ordinaire en pareille matière, il se soit trop asservi aux formes philosophiques du jour, et que lui, esprit si vif et si français quand il le veut, il ne perce pas d’outre en outre, une fois pour toutes, ces expressions vagues et vaines, ces métaphores abstraites qui donnent un air de réalité à ce qui n’est que le nuage subtilisé du raisonnement. […] Je voudrais que M. de Rémusat n’eût à cet égard aucun respect humain, et qu’il nous dît au net ce qu’il pense de tout cela, et à la française, ce qui dans ma pensée ne signifie pas du tout à la légère. […] Rester en France, y rentrer du moins dès qu’on le peut honorablement, et, pour cela, désirer simplement y revenir, y achever ou y entreprendre de ces œuvres d’esprit desquelles la politique distrait trop souvent et sans compensation suffisante ; s’adresser dans ces nobles études à la société française, qui est toujours prête à vous entendre, et jamais à cette métaphore changeante qu’on appelle le peuple français ; ne pas mêler à ces œuvres plus ou moins sérieuses ou agréables de ces traits qui ne sont là qu’à titre d’épigramme ou d’ironie, et pour constater qu’on est un vaincu ; s’élever sur les faits accomplis d’hier à un jugement historique, et par conséquent grave et respectueux ; tirer parti avec franchise, et sans arrière-pensée, d’une société pacifiée, mais tout industrielle et matérielle, pour y relever, avec un redoublement de zèle et avec une certaine appropriation au temps présent, les goûts de l’esprit, de la vérité littéraire et historique sous ses mille formes, de tout ce qui n’est incompatible avec un gouvernement ferme que s’il s’y mêle des idées hostiles.

1086. (1936) Réflexions sur la littérature « 6. Cristallisations » pp. 60-71

Delacroix annonce dans sa préface l’intention d’intégrer expressément Stendhal à l’histoire de la psychologie française au XIXe siècle, histoire que lui-même, l’ayant professée ou devant la professer à la Sorbonne, se propose d’écrire en toute sa suite. […] Dès qu’on nous parle d’une histoire de la psychologie française écrite par un philosophe professionnel, nous avons instinctivement l’image d’une série de chapitres non seulement sur Maine De Biran (qui a, celui-là, vraiment avancé l’étude de l’homme), mais sur Jouffroy, qui invoque souvent, et de façon touchante la révélation de la psychologie, et que la psychologie traite comme l’esprit saint fait des prélats dans la chanson de Béranger ; sur Garnier dont le Traité des facultés de l’âme réalisa assez longtemps dans les bibliothèques universitaires une summa psychologica ; ou, plus près de nous, sur Alfred Fouillée, dont la savonneuse Psychologie des idées-forces et ses complémentaires ne contiennent pas plus de sens utile. […] Ainsi, en 1803, il est évident « que le français actuel, n’ayant pas d’occupation au forum, est forcé à l’adultère par la nature de son gouvernement ». […] En tout cas il y a là une ligne authentique de la psychologie française, peut-être plus importante que l’influence de Tracy, et dont la place dans l’œuvre complète de Stendhal est considérable.

1087. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XLVIII » pp. 188-192

. — candidature de mérimée a l’académie française en remplacement de nodier. — autres candidats : m. casimir bonjour, m. aimé martin, m. onésime leroy. — corruption et vice de la littérature. […] Dans l’affaire d’Otaïti pourtant, il y a eu quelque maladresse ou malencontre au ministère de venir désavouer l’amiral français, huit jours après que le ministère anglais avait exprimé en plein parlement ses regrets sur le coup de main d’Otaïti.

1088. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Les Femmes de l’Évangile » pp. 89-93

… Où qu’on prît ces héroïnes, qui ne forment pas un bataillon, mais toute une armée dans l’histoire ; qu’on les prît sur notre terre de France, que ce fût sainte Radegonde, sainte Geneviève, sainte Clotilde, et tous ces cœurs vaillants de la vaillance de Dieu jusqu’à Jeanne d’Arc et depuis elle, n’importe où l’historien allât les choisir, elles étaient dignes de s’aligner en face des plus grandes (s’il y en avait) de la Révolution française, et de faire baisser les yeux à leurs portraits, plier le genou à leurs cadavres. […] Ventura ne sont pas le travail d’histoire que nous avions espéré, et que nous désirons encore… C’est tout simplement un substantiel recueil d’homélies, prononcées par le célèbre prédicateur du haut de cette chaire française qu’il illustre de son talent étranger.

1089. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Saint-Marc Girardin »

Cet état incohérent et stérilement fécond de la littérature américaine nous est revenu à la mémoire depuis que nous étudions2 l’état humiliant de la littérature française. Nous avons vu là, entre elles deux, de tristes analogies, et une différence plus triste encore ; car si toutes deux sont sans originalité réelle, sans puissance collective, sans conscience surtout, et par conséquent sans profondeur, la littérature américaine a du moins pour elle le mouvement d’une pensée jeune et enflammée qui se cherche, et la littérature française n’a que la langueur d’une pensée qui ne se cherche même plus.

1090. (1900) Taine et Renan. Pages perdues recueillies et commentées par Victor Giraud « Taine — V »

Honorons Taine, alors même que nous osons le blâmer, accompagnons de nos regrets et de notre vénération le dernier grand esprit que nous ayons eu dans la suite admirable de la pensée française. […] quel bonheur de penser longuement, lentement à cet homme d’honneur de la pensée française !

1091. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « MÉLEAGRE. » pp. 407-444

Traduire fidèlement, avec goût, c’est-à-dire avec une sincérité habile, les tragiques, Pindare, Homère, même Théocrite, ce serait, je le crois, innover en français, et innover de la manière la mieux fondée, la plus prudente et la plus exemplaire. […] La poésie française, qui fait, à travers tout, l’objet favori de mes pensées, et dont la régénération n’a cessé, à aucun instant, de m’être présente, y gagnerait peut-être plus qu’il ne semble. […] La poésie française, qu’on veuille bien le noter, a eu à combattre dès l’abord deux sortes d’ennemis : les pédants de cabinet, faiseurs de rhétorique, idolâtres de la régularité, et les mondains frivoles, incapables de sentir une certaine simplicité naturelle. […] Pour moi, je ne serai content que lorsqu’on aura osé traduire et rendre au vif en français, autant qu’il se peut, ces naïvetés mêmes, ces négligences aimables, ce désordre apparent, né d’un art caché, par où se révèle la passion, et qui insinue la persuasion dans les cœurs, ces hardiesses naturelles qui n’offensent jamais la beauté, mais qui pourtant ne s’y voilent pas, ne s’y confondent pas toujours. […] et qu’est-ce qui empêche d’entr’ouvrir de la sorte, non dans la forme savante et philologique qu’on laisse à qui de droit, mais à la vieille manière française, légèrement rajeunie, bien des coins jusqu’ici réservés ?

1092. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre quatrième. La propagation de la doctrine. — Chapitre I. Succès de cette philosophie en France. — Insuccès de la même philosophie en Angleterre. »

Cet organe est « l’art de la parole, l’éloquence appliquée aux sujets les plus sérieux, le talent de tout éclaircir453 »  « Les bons écrivains de cette nation, dit leur grand adversaire, expriment les choses mieux que ceux de toute autre nation… » — « Leurs livres apprennent peu de chose aux véritables savants », mais « c’est par l’art de la parole qu’on règne sur les hommes », et « la masse des hommes, continuellement repoussée du sanctuaire des sciences par le style dur et le goût détestable des (autres) ouvrages scientifiques, ne résiste pas aux séductions du style et de la méthode française ». […] La plaisanterie comporte toutes les nuances, depuis la bouffonnerie jusqu’à l’indignation ; il n’y a point d’assaisonnement littéraire qui fournisse tant de variétés et de mixtures, ni qui se combine si bien avec le précédent  Les deux ensemble ont été, dès le moyen âge, les principaux ingrédients dont la cuisine française a composé ses plus agréables friandises, fabliaux, contes, bons mots, gaudrioles et malices, héritage éternel d’une race grivoise et narquoise, que La Fontaine a conservé à travers la pompe et le sérieux du dix-septième siècle, et qui, au dix-huitième siècle, reparaît partout dans le festin philosophique. […] Joignez à cela l’art exquis des cuisiniers, leur talent pour mélanger, proportionner et dissimuler les condiments, pour diversifier et ordonner les mets, leur sûreté de main, leur finesse de palais, leur expérience des procédés, la tradition et la pratique qui, depuis cent ans déjà, font de la prose française le plus délicat aliment de l’esprit. […] Mais quel attrait pour des Français, pour des gens du monde, et quel lecteur s’abstiendra d’un livre où tout le savoir humain est rassemblé en mots piquants   Car c’est bien tout le savoir humain, et je ne vois pas quelle idée importante manquerait à un homme qui aurait pour bréviaire les Dialogues, le Dictionnaire et les Romans. […] Le titre est la Folle journée, et en effet c’est une soirée de folie, un après-souper comme il y en avait alors dans le beau monde, une mascarade de Français en habits d’Espagnols, avec un défilé de costumes, des décors changeants, des couplets, un ballet, un village qui danse et qui chante, une bigarrure de personnages, gentilshommes, domestiques, duègnes, juges, greffiers, avocats, maîtres de musique, jardiniers, pâtoureaux, bref un spectacle pour les oreilles, pour les yeux, pour tous les sens, le contraire de la comédie régnante, où trois personnages de carton, assis sur des fauteuils classiques, échangent des raisonnements didactiques dans un salon abstrait.

1093. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, le 8 décembre 1885. »

Il y a deux théâtres de musique : le théâtre de Gluck et de Beethoven, celui de Wagner, le théâtre du drame intense, profond, impitoyable de la vie ; — et le théâtre de Mozart et de Rossini, le théâtre de Grétry, des musiciens français depuis Rameau, notre tradition française, certes, avec les ordinaires émotions de la vie commune. […] Il est vrai que le français a une musique plus délicate, et moins monotonale par conséquent ; mais cela suffit pour relever à nos yeux l’opéra français et nous faire oublier le néant artificiel de nos entrepreneurs de musique. […] Dès immédiatement, notons deux importantes publications : la seconde année du petit Calendrier de Bayreuth (Bayreuther Taschen-Kalendar für 1886), — et la version française de la. […] On ne saurait protester trop énergiquement contre la mise en scène baroque, ne cherchant que des effets de féerie, — aujourd’hui, surtout, que les œuvres de Wagner vont traverser la frontière, et que les directeurs de théâtres français viennent en Allemagne les étudier. […] J’ai suivi la grande édition in-4 de l’éditeur Schott, plus complète que l’édition in-8 : pour cette raison j’ai dû m’en tenir au texte allemand ; la réduction française de M. 

1094. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1878 » pp. 4-51

dans mon lit, j’avais là, mais vraiment, la tentation de me relever et de filer au chemin de fer, laissant mon monde continuer son voyage… J’ai besoin de Paris, de son pavé… Les quais, le soir, avec toutes ces lumières… Vous ne croyez pas qu’il y a des jours, où je me sens tout heureuse de l’habiter… Ça été si longtemps mon désir d’y venir… Non, quand je ne suis plus en France, il y a un trouble en moi, j’ai le diable au corps d’y revenir, d’y être, de me trouver avec des Français… Et la première fois que j’ai mis le pied sur de la terre française, en août 1841, il était deux heures du matin, « le premier pantalon garance » que j’ai aperçu, ça été plus fort que moi, je suis descendue de voiture pour l’embrasser… Oui, je l’ai embrassé !  […] Mardi 22 janvier On se demandait dans un coin de notre table de Brébant, comment on pourrait remplacer, plus tard, dans la cervelle française, les choses poétiques, idéales, surnaturelles : la partie chimérique que met dans l’enfance, une légende de saint, un conte de fée. […] C’est Pagans chantant une romance d’amour du xviie  siècle, une vraie romance des chansons de La Borde, puis une vieille chanson d’amour arabe, finissant par une plainte, une espèce d’ululement, qui vous met un petit frisson derrière la nuque, et fait paraître la pauvre plainte amoureuse française, d’une sentimentalité bien bêtote. […] Les gens nés au-delà de la Loire, ne savent pas écrire la prose française… Moi ce que j’étais, un imaginateur… Vous ne vous doutez pas de ce que j’ai dans la tête… Eh bien, sans vous, je ne me serais pas préoccupé de cette chienne de langue… et j’aurais pondu, pondu dans la quiétude. » Vendredi 7 juin Le Marsaud qui signe les billets de banque, est un de ces vieillards qui a vu Paris, du temps des galeries de Bois, et qui, à propos de leur disparition, dit avec une indescriptible mélancolie : « Paris a bien perdu !  […] Autour de la table, la tête un peu sauvage de Matzugata, qui ne parle pas français, la tête souriante et un peu jésuitique de Maéda, la tête hilare d’un jeune Japonais à la figure caricaturale de ces jeunes filles, que sculptent les ivoiriers japonais, puis, la tête d’About, la tête de Pelletan, la tête de Charcot.

1095. (1894) Dégénérescence. Fin de siècle, le mysticisme. L’égotisme, le réalisme, le vingtième siècle

Ce que nous en savons, nous le devons presque exclusivement aux maîtres français. […] Le romantisme français n’était ni médiéval ni pieux. […] L’inclination du romantisme français pour la Renaissance est naturelle. […] Un tableau représentant une victoire de l’armée française sur les troupes prussiennes toucherait et charmerait les philistins français, même s’il était peint dans le style des images d’Epinal. […] Les motifs du fanatisme égalitaire des Français ne sont pas particulièrement nobles.

1096. (1929) Les livres du Temps. Deuxième série pp. 2-509

Elle n’a longtemps eu et n’a peut-être encore que deux membres français, lesquels, il est vrai, ne sont pas des moindres : MM.  […] Il restera parmi les premiers orientalistes de la littérature française. […] Mais Henri Monnier, qui a créé les deux types de Joseph Prudhomme et de Jean Hiroux, serait un des plus grands écrivains français ! […] Ce que l’Allemand n’avait pu faire, des Français le firent ; ce que l’ennemi avait laissé debout, des républicains le renversèrent. […] Raymond de La Tailhède, directeur de la Revue des lettres françaises.

1097. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Benjamin Constant et madame de Charrière »

Il est d’autres pièces au contraire qui sont acquises à l’histoire, à la langue française, comme aussi à la philosophie du cœur humain. […] Je m’occupe à présent à lire et à réfuter le livre de Burke contre les levellers français. […] Reste à savoir si j’irai chercher ces biens dans la tourmente française ou dans quelque retraite bien ignorée. […] Que je pusse  : on sent que Benjamin Constant n’est pas encore tout à fait naturalisé Français. […] Il se trompe de genre pour atmosphère, comme le font, au reste, beaucoup de Français eux-même.

1098. (1898) La poésie lyrique en France au XIXe siècle

Quelle est donc cette poésie lyrique française, telle qu’elle se révélait dans les Méditations ? […] Il faut donc que je vous fasse le portrait du bourgeois français. […] Le Français est conteur, et Alfred de Musset, dans Simone, par exemple, a écrit de très jolis contes. Alfred de Musset, comme le Français aussi, est un causeur ; il cause en vers ; il cause en vers avec esprit, avec légèreté, avec souplesse. […] Et, vous voyez, là-dedans, quel rapport y a-t-il entre les vieux mythes hindous et Leconte de Lisle, bibliothécaire du sénat et candidat à l’Académie française.

1099. (1875) Premiers lundis. Tome III « De la loi sur la presse »

Messieurs, on a donc bien peur que l’esprit français soit trop vif, que, tandis que les autres nations se fortifient et s’accroissent dans leurs qualités originales, nous continuions à nous aiguiser dans la nôtre ! […] Grâce à cet amendement improvisé, qui a passé dans la loi, le Français est considéré et traité comme un petit monsieur de qualité qui n’oserait sortir en plein air de peur de s’enrhumer, tandis que les autres nations, un Américain, un Suisse, un Belge, un Anglais, tous gens à la peau moins douillette, se moquent du chaud et du froid et bravent les intempéries des saisons. Mais maintenant, il est vrai, moyennant le cache-nez et le voile de gaze dont on l’a muni, le Français pourra sortir en tout temps, aller au bois à pied ou en voiture, à cheval ou en panier, seul ou même en compagnie, sans avoir peur des piqûres de mouches et de cousins. […] Mais je veux espérer encore qu’on n’y réussira pas, et que la nation française de tout temps si ingénieuseà donner des ridicules à qui en mérite, ne déchoira pas trop ; que les mœurs réagiront dès le premier jour contre l’abus de la loi. […] Jules Richard : « L’Académie des sciences morales et politiques a fait samedi un choix qui est un acte, dans ce moment où une Chambre française a songé sérieusement à priver des droits politiques les écrivains condamnés par la police correctionnelle.

1100. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre IV. Racine »

Racine produit toujours ses caractères en travail, jamais dans un état purement sentimental : il semble que ce soit une nécessité dans le théâtre français, de ne rien montrer qui ne soit action. […] Taine rêvait qu’on représentât Iphigénie dans la grande galerie des glaces, en costumes du temps de Louis XIV : il aurait pu aussi bien demander une représentation de Jules César en costumes du temps d’Elisabeth ; César, Burrhus, Antoine, et ce mob qui hurle pour ou contre César, tout cela est aussi anglais qu’Iphigénie est française. […] Et, même dans Bajazet, il a essayé d’être le moins « français » possible. […] Puis vint l’abbé Perrin, qui, après avoir fait représenter plusieurs pièces, obtint en 166S le privilège d’une Académie des Opéras en langue française. […] Souriau, l’Évolution du vers français au xviie  siècle.

1101. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre septième. L’introduction des idées philosophiques et sociales dans la poésie. »

Dès 1822, dans la préface aux Odes et Ballades, il explique pourquoi l’ode française est restée monotone et impuissante : c’est qu’elle a été jusqu’alors faite de procédés, de « machines poétiques », comme on disait alors, de figures de rhétorique, l’exclamation depuis et l’apostrophe jusqu’à la prosopopée ; au lieu de tout cela, il faut « asseoir la composition sur une idée fondamentale » tirée du cœur du sujet, « placer le mouvement de l’ode dans les idées, plutôt que dans les mots ». […] Notre poésie française, heureusement, a été dans notre siècle de plus en plus animée d’idées philosophiques, morales, sociales. […] Hugo, Discours de réception à l’Académie française, IIe vol.  […] C’est là une bonne dissertation en vers français. […] Beaucoup de réflexions profondes sont jetées en passant par le poète. « Ce serait faire du bien aux hommes que de leur donner la manière de jouir des idées et de jouer avec elles, au lieu de jouer avec les actions, qui froissent toujours les autres.Un mandarin ne fait de mal à personne, jouit d’une idée et d’une tasse de thé « Ailleurs, l’hégélianisme se traduit en belles formules : « Chaque homme n’est qu’une image de l’esprit général. — L’humanité fait un interminable discours dont chaque homme illustre est une idée. » Vigny a des remarques fines et profondes sur les défauts de l’esprit français : « Parler de ses opinions, de ses admirations avec un demi-sourire, comme de peu de chose, qu’on est tout près d’abandonner pour dire le contraire : vice français. » 88.

1102. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre IV. Des femmes qui cultivent les lettres » pp. 463-479

À ces causes générales, qui agissent presque également dans tous les pays, se joignent diverses circonstances particulières à la monarchie française. […] Si l’on voulait que le principal mobile de la république française fût l’émulation des lumières et de la philosophie, il serait très raisonnable d’encourager les femmes à cultiver leur esprit, afin que les hommes pussent s’entretenir avec elles des idées qui captiveraient leur intérêt. […] Si les Français pouvaient donner à leurs femmes toutes les vertus des Anglaises, leurs mœurs retirées, leur goût pour la solitude, ils feraient très bien de préférer de telles qualités à tous les dons d’un esprit éclatant ; mais ce qu’ils pourraient obtenir de leurs femmes, ce serait de ne rien lire, de ne rien savoir, de n’avoir jamais dans la conversation ni une idée intéressante, ni une expression heureuse, ni un langage relevé ; loin que cette bienheureuse ignorance les fixât dans leur intérieur, leurs enfants leur deviendraient moins chers lorsqu’elles seraient hors d’état de diriger leur éducation.

1103. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre II. Les formes d’art — Chapitre II. La tragédie »

De là son attachement à Quinault, et de là son effort pour établir à la Comédie Française la singularité des décorations, des costumes, et tout ce qui s’y pouvait transporter de la mise en scène de l’Opéra. […] Brunetière, Époques du théâtre français, 11e conf. ; Lemaître, Impressions de théâtre, 2e série. […] Lettre à l’Académie française, lue en séance publique le 25 août 1776.

1104. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XVIII. Gentils conteurs » pp. 218-231

Il a des pages de sensualité vive, en bon français, pas tout à fait moderne, ni très à lui, ni même à Maupassant qui l’avait pris un peu partout, en bon français de l’Exposition de 1878. […] Je le félicite de l’avoir fait dans le français le plus adéquat, le plus collant, le plus digestif, le plus classique (s’il m’est permis d’évoquer, par de justes épithètes, la logique, la plastique, l’hygiène et l’histoire).

1105. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « VII »

Car ils sont fort rares, par bonheur, les écrivains français qui ont su le grec. » Que beaucoup de grands écrivains français aient imité Homère, c’est un fait que toutes les négations du monde ne détruiront pas ; et si, de plus, ils ignoraient le grec, cela prouve qu’il n’est pas nécessaire de le savoir pour faire des chefs-d’œuvre et fructueusement imiter Homère, Nous ne disons pas autre chose. L’influence d’Homère est, d’ailleurs, si visible, si importante, que Sainte-Beuve déclare qu’elle peut servir à classer les auteurs français.

1106. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre II. Mme Le Normand »

Quand, en 1812, on cria contre les Français au théâtre de Moscou et qu’on la fit, comme Française, sortir de sa loge, elle se mit à pleurer à sanglots, comme une petite fille, cette forte personne taillée dans ce marbre bistré qu’on reprochait à son teint ! […] Après l’avoir cherchée où nous y irions bien la chercher tout seuls, dans les Considérations sur la Révolution française et dans les Dix ans d’exil, Mme Le Normand, cette femme de salon, qui veut du salon, est entrée chez toutes ses connaissances pour leur prendre un petit mot aimable et pour leur en dire un.

1107. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XIII. Mme Swetchine »

Elles étaient précédées d’une histoire de M. le Comte de Falloux, de l’Académie française, qui nous y apprenait ce que c’était que Mme Swetchine, dont le nom, avant sa mort, avait parfois frappé le public français, écrit souvent dans des livres où c’était un honneur pour un nom de briller, en passant sous le rayon d’une bienveillante épithète. […] Sans le surnaturel et le catholicisme, elle n’était plus qu’un bas-bleu, de plus ou moins jolie nuance française, allemande, cosmopolite ; une imitation, taillée à facettes !

1108. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « A. Grenier » pp. 263-276

Il a le plus net, le plus sain, le plus vigoureux, le plus français de langue et de tour, et d’inspiration salée et plaisante, le plus gaulois. De tous les professeurs de cette époque qui ont brillé en dehors de leur enseignement, c’est un de ceux que je place le plus haut… On a beaucoup vanté About, qui a les mauvaises qualités françaises sans en avoir les bonnes, — qui est un esprit sans profondeur, sans consistance, sans élévation ; qui se donne des airs de Voltaire, mais qui n’en a pas les grâces. […] Il est vrai que depuis le prince de Ligne, et même depuis de Champagny, nous· avons vécu, ce qui a permis à l’auteur d’À travers l’Antiquité d’employer une langue plus verte et plus crue… Seulement, langue à part, ce que ne pouvaient avoir ni Renan, le Brid’oison du doute, ni de Champagny, du faubourg Saint-Germain, où l’on n’est guères Gaulois, si on y est Français, c’est la plaisanterie !

1109. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Ch. de Rémusat. Abélard, drame philosophique » pp. 237-250

Charles de Rémusat a reculé devant un type de femme qui n’avait pas effrayé Pope, ce poète moral, et, plus prude que le chaste Anglais, il nous a donné une Héloïse bas-bleu moderne en langage très moderne, mêlant joliment, et dans une bonne nuance, la métaphysique à l’amour ; — un bas-bleu comme il pouvait s’en trouver un, du reste, dans la société de Charles de Rémusat (de l’Académie française). […] … C’est que Shakespeare faisait des drames de génie, tandis que Rémusat fait un drame philosophique, juste-milieu, centre gauche, Faubourg Saint-Germain, Académie française, — et j’ai même trouvé dans sa phrase, tout le long de la rhétorique de son drame, quelque chose qui sentait le renfermé de feu Villemain. […] Il tourne le couplet avec complaisance, et le français ne suffisant pas à la verve du dramaturge philosophique, il l’agrémente de latin, et quel latin !

1110. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Charles De Rémusat »

Ce serait trop français pour Rémusat, devenu Anglais à force de regarder l’Angleterre, pour Rémusat qui a le spleen politique et la nostalgie du régime parlementaire dont il est privé ! […] Seulement, la raison du jugement surprenant que Rémusat a osé porter de cet homme, ce n’est pas autre chose que sa haine pour la Révolution française. Supposez Burke sans cette haine, Rémusat l’aurait mal jugé, et il n’en serait pas moins cependant, avec les talents qui firent illusion à son siècle, Burke le déclamatoire, le pédant de justice et de vérité, le pharisien, le philanthrope, tout ce qui nous le diminue, à nous, malgré sa haine anglaise contre la Révolution française, laquelle ne prenait pas sa source plus haut que dans les sentiments du whig.

1111. (1886) Le roman russe pp. -351

En prenant son œuvre comme la représentation éminente du réalisme français, je ne pense pas rencontrer de contradicteurs. […] Mais bientôt s’accuse la divergence radicale qui va creuser un abîme entre le réalisme russe et le réalisme français. […] Les théories politiques et sociales répugnent aux conceptions françaises, c’est une autre question ; mais M.  […] Je préviens avec loyauté le lecteur français qu’il sera rebuté par ces livres. […] Nul étranger ne fut aussi lu, aussi goûté à Paris : cette haute gloire a un versant français.

1112. (1854) Nouveaux portraits littéraires. Tome I pp. 1-402

L’amour de Régina pour le jeune officier français est préparé d’une façon étrange. […] En chassant les Anglais et les Espagnols, il avait donné à la partie française de nouvelles richesses. […] L’incendie de la ville du Cap, dès que les Français auraient mis le pied sur la terre d’Haïti. […] Dans quelques heures, l’armée française mettra le pied sur la terre de Saint-Domingue. […] Le vieux chef ne peut sans cruauté désigner sa nièce aux balles françaises.

1113. (1910) Variations sur la vie et les livres pp. 5-314

Je les entends maintenant comme du français, je ne sais pourquoi, et j’y trouve des choses ravissantes. […] Il aimait les lettres, et il avait inventé un français turbulent comme le latin macaronique. […] Narcisse Quellien composa en breton et en français. […] Un Italien, son ami, traitait la tragédie française de simple élégie. […] Comment l’auteur français a-t-il traité cette même scène ?

1114. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Sénac de Meilhan. — II. (Fin.) » pp. 109-130

Il ne se trompe certainement pas lorsqu’il montre les grands, les nobles, le haut clergé, les femmes à la mode, ceux qu’on appellera aristocrates quelques mois plus tard, commencer par être les vrais démocrates, désirer un changement dans le gouvernement, y pousser à l’aveugle pour se procurer chacun plus de crédit dans sa sphère, se comporter en un mot comme des enfants qui, en maniant des armes à feu, se blessent et blessent les autres : « Ces aristocrates, dit-il, sont les véritables auteurs de la Révolution ; ils ont enflammé les esprits dans la capitale et les provinces par leur exemple et leurs discours, et n’ont pu ensuite arrêter ou ralentir le mouvement qu’ils avaient excité. » La bourgeoisie française a fait depuis, et sous nos yeux, ce que l’aristocratie avait fait alors ; ç’a été la même répétition, et selon le même esprit, à un autre étage. […] Il n’a pas été étonné de voir les Français dès le premier jour aller au-delà du but et, selon l’expression anglaise, passer à travers la liberté. […] M. de Meilhan montre très bien ce duel engagé entre un monarque armé, qui se tient sur la défensive, et des agresseurs à outrance, pour qui tous les moyens sont bons : « Dans cette lutte sanglante de la royauté et de la démocratie, on croit voir, dit-il ingénieusement, deux combattants, dont l’un, bien supérieur en force, se contente de parer, et ménageant sans cesse la vie de son adversaire, finit par tomber sous les coups qu’il aurait pu prévenir. » Revenant sur sa distinction entre ce qui a été véritablement principe, cause, ou occasion, M. de Meilhan (et ceci est chez lui une vue originale) insiste sur cette idée favorite, qu’on a exagéré l’influence directe des écrivains sur la Révolution française. […] Dans un autre écrit, M. de Meilhan va même plus loin : il est persuadé que Louis XV, tout amolli et apathique qu’on le connaît, aurait eu plus que Louis XVI l’espèce d’énergie suffisante pour arrêter à temps cette suite d’entreprises et d’insubordinations qui ouvrirent la Révolution française. […] Necker n’a jamais dit de mal ; le pire qu’on peut dire de lui, c’est qu’il n’a point connu les souverains et les Français, et qu’il s’est et a été trompé.

1115. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Le maréchal de Villars — III » pp. 81-102

Saint-Simon lui reproche d’y être rentré avec ses coffres pleins, et il fait en même temps un grand éloge de Marcin, « lequel fut, dit-il, parfaitement d’accord en tout avec l’électeur, et au gré des troupes et des officiers généraux, et très éloigné de brigandage. » Si Marcin eut des qualités ou même des vertus, on ne prétend pas les lui ôter ; mais de cet esprit complaisant, de ce si parfait accord avec l’électeur, ainsi que de la condescendance de M. de Tallard, il résulta en définitive le désastre du second Hochstett et la perte totale de l’armée française. […] Ce sont, me disais je, des Français, et très braves et très forts, trois qualités à considérer. […] Villars va s’appliquer à remplir de tout point le programme : confiant avec raison dans la position qu’il s’est choisie à Haute-Sierck, il a l’œil à tout ; observe les moindres mouvements des ennemis, et cherche à deviner ce qu’il ne voit pas : « Enfin, Sire, je tâche d’imaginer tout ce que peuvent faire les ennemis, et Votre Majesté doit être persuadée que l’on fera humainement tout ce qui sera possible. » Marlborough s’ébranle avec une armée composée d’Anglais, de Hollandais et d’Allemands, qu’il disait être de cent dix mille hommes, et que Villars estimait de quatre-vingt mille, et publiant bien haut qu’il allait attaquer les Français. […] Marlborough était étonné de la contenance des troupes françaises qu’il ne s’était pas figurées si vite rétablies des dernières campagnes, et qui, par la fierté de leur abord, lui imposaient ce retard : Elles n’ont jamais été si belles, écrivait Villars au roi durant ces journées de noble attente (13 juin), ni plus remplies d’ardeur. […] Tout l’honneur de l’avoir conjuré revient à Villars, à sa fermeté, à son choix d’un bon poste, à sa sagesse à s’y maintenir, à l’esprit excellent dont il avait animé ses troupes, et qui fit perdre à l’adversaire l’idée qu’on les pût entamer. « Mes affaires, par le parti que vous avez obligé le duc de Marlborough de prendre, lui écrivait Louis XIV satisfait, sont au meilleur état que je les pouvais désirer ; il ne faut songer qu’à les maintenir jusqu’à la fin de la campagne ; si elle était heureuse, je pourrais disposer les choses de manière à la finir par quelque entreprise considérable. » Marlborough, en s’éloignant, crut devoir s’excuser auprès de Villars même (une bien haute marque d’estime) de n’avoir pas plus fait ; il lui fit dire, par un trompette français qui s’en revenait au camp, qu’il le priait de croire que ce n’était pas sa faute s’il ne l’avait pas attaqué ; qu’il se retirait plein de douleur de n’avoir pu se mesurer avec lui, et que c’était le prince de Bade qui lui avait manqué de parole.

1116. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Le Général Franceschi-Delonne : Souvenirs militaires, par le général baron de Saint-Joseph. »

Il s’agissait pour le maréchal Soult, arrivé des premiers avec ses forces sur le plateau d’Austerlitz, de s’éclairer au loin sur sa droite, afin de s’assurer que les corps d’armée venus d’Italie sous les archiducs ne menaçaient pas le flanc de l’armée française et ne cherchaient pas à se réunir par la Hongrie avec le gros des Austro-Russes, On serait surpris de savoir avec quel petit nombre, avec quel chiffre réduit de sabres, mais d’autant plus mobiles, tous confiants, dociles à sa voix et aussi intelligents qu’impétueux, Franceschi s’acquitta de cette mission délicate et hardie. […] Les succès des armées françaises sur les frontières de l’Andalousie forcèrent le gouverneur de Grenade à mettre ses prisonniers en sûreté. […] Il m’autorisa immédiatement à faire appeler un bon prêtre français qui était depuis longtemps à Carthagène (il se nommait M.  […] 85 Elle avait la délicatesse de faire parvenir des secours au chef de guérillas, le Capucino, tombé au pouvoir des Français et détenu au fort de Joux. […] On racontait qu’il faisait rôtir les petits enfants espagnols échappés aux baïonnettes françaises.

1117. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Mémoires de Malouet (suite et fin.) »

Les principaux propriétaires de Saint-Domingue, le voyant si bien accueilli de plusieurs membres du Cabinet anglais, lui confièrent leurs intérêts et lui donnèrent leurs pleins pouvoirs « pour solliciter auprès du Gouvernement anglais des moyens de protection contre l’insurrection des nègres, qui était notoirement suscitée par la Convention. » Le point délicat à traiter dans cette affaire, c’était, tout en demandant et en acceptant l’appui de l’Angleterre, de ne pas abjurer sa qualité de Français et de ne pas prétendre disposer de la souveraineté de l’île : il s’agissait donc de constituer une sorte de séquestre provisoire de la colonie sous la garde du Gouvernement anglais, en réservant la question de droit et de souveraineté jusqu’au prochain traité de paix qui interviendrait entre les deux nations. Les éclaircissements que donne Malouet ont pour objet de prouver que, dans la conduite de cette affaire, il sut toujours se montrer Français sans perdre l’estime des Anglais, et qu’en s’exposant sur le moment à des calomnies inévitables, il n’a jamais démérité de ses concitoyens. […] l’évêque d’Arras, M. de Gonzié, un des émigrés les plus entêtés et les plus intraitables, s’était arrogé de son autorité privée une sorte de droit de contrôle sur la petite colonie française, et la secrétairerie d’État à Londres n’accordait de passeport aux émigrés qui en demandaient pour rentrer en France que sur la demande de ce prélat aussi ambitieux que vain et qui, ayant toute sa vie aspiré au ministère, se donnait ainsi la satisfaction de paraître une espèce de ministre in partibus des princes français. […] Je lui dis que ces messieurs, qui voulaient quitter Londres, avaient été aussi étonnés que moi d’apprendre dans les bureaux que son consentement était nécessaire pour cela ; que je n’imaginais pas qu’il se chargeât d’une telle responsabilité vis-à-vis des Français expatriés et même vis-à-vis du Gouvernement anglais, et que j’espérais qu’il démentirait cette imputation, qui le compromettrait si le Parlement en avait connaissance.

1118. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres de Goethe et de Bettina, traduites de l’allemand par Sébastien Albin. (2 vol. in-8º — 1843.) » pp. 330-352

Bref, au milieu de tant de qualités rares qui décoraient la petite Bettina et qui en faisaient une merveille, il ne lui manquait que ce qu’on appellerait tout net le bon sens français, lequel n’est peut-être pas compatible avec tous ces autres dons. […] Ce livre, traduit en français par une femme de mérite qui s’est dérobée sous le pseudonyme de Sébastien Albin, est un des plus curieux et des plus propres à nous faire pénétrer dans les différences qui séparent le génie allemand du nôtre. […] Sortons un peu des habitudes françaises pour nous faire une idée juste de Goethe. Personne n’a mieux parlé que lui de Voltaire même, ne l’a mieux défini et compris comme le type excellent et complet du génie français ; tâchons à notre tour de lui rendre la pareille en le comprenant, lui le type accompli du génie allemand. […] Je laisse là les beaux hussards français, les jeunes artistes de Munich, à qui elle prêche l’art, l’art sensible, italien, et non vaporeux ; mais les grands rivaux de Goethe dans cette jeune âme enthousiaste, c’est le héros tyrolien Hofer, c’est le grand compositeur Beethoven.

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