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1622. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Villemain » pp. 1-41

De plus forts que lui avaient la peine (la force est faite pour cela, du reste), de porter comme l’orage de leur génie autour de leur nom et de leurs œuvres, lorsqu’il paissait une gloire agréable et tranquille, et, le croira-t-on ? […] Il se tint fort coi dans cette gloire qui lui avait si peu coûté, écrivant rarement pour qu’elle ne lui coûtât pas davantage, et aussi pour deux raisons, excellentes toutes deux : la première, c’est qu’au fond il était un esprit sec sous une forme péniblement travaillée, et la seconde parce que se faire rare c’est se faire précieux aux yeux des imbéciles, économisant ainsi son talent pour qu’on le crût immense, et prenant la pose, laquelle n’est pas mauvaise, d’un homme qui, malgré sa richesse, ne peut cependant pas détacher tous les matins un diamant de sa cravate pour nous le donner. […] Laissons le bric-à-brac littéraire qui se cogne et retentit dans ses rapports de secrétaire d’académie ; laissons les airs de connaisseur qu’il doit à sa fonction officielle, et demandons-nous nettement ce qu’il veut quand, à propos de Prix, il construit des phrases de cet amphigouri, transparent pourtant : « Évidemment, — dit-il, — aux fortes études d’antiquités, de philosophie et d’histoire, fut toujours liée la maturité (une maturité liée, par parenthèse, n’est pas excessivement académique), et elle n’aurait de déclin nécessaire que par l’oubli de ce qui a fait sa force. […] — la difficulté a été plus forte que l’esprit auquel elle a eu affaire, et Pindare, en tant qu’on veuille, le faire revivre, à l’honneur d’une Académie, n’est pas encore, de cette fois-ci, ressuscité ! […] En effet, à part les principes qu’il n’a point et en restant dans l’ordre abaissé des impressions personnelles, Villemain ne sait résoudre aucune des questions de critique qui se rencontrent sur son passage, et même sur celles-là qu’une érudition plus forte que la sienne a le plus discutées, l’existence d’Homère, par exemple, la moralité de Sapho, l’authenticité des Orphées, etc., etc., la décision de Villemain ne dépasse pas le doute, et il rappelle à l’esprit le mot de Goethe, que nous ne nous lasserons jamais de citer à ces sceptiques, qui devraient être les trappistes de la pensée, car qui doute n’a pas le droit d’enseigner et même de parler : « J’ai bien assez d’opinions douteuses en moi sans que vous y ajoutiez encore ! 

1623. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Victor Hugo »

il faut que nous soyons bien profonds ou bien superficiels, pour qu’un second coup porté sur nos esprits et sur nos âmes retentisse sur ce timbre sonore et sensible aussi fort que le premier, et même davantage. […] Ses visions, à lui, ne sont que de la forte rhétorique et de la forte mémoire, la mémoire d’un homme qui a lu fructueusement le Dante et le grand Extatique de Pathmos. […] C’est une impertinence, en effet, et une impertinence renforcée d’une inconséquence de la part de ceux qui ont admiré Les Contemplations, que de cingler si fort un livre qui, évidemment, continue Les Contemplations. […] Vous le voyez, Victor Hugo nous met fort à l’aise quand il s’agit de le juger !

1624. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Ernest Feydeau » pp. 106-143

Ernest Feydeau12 I Voici, enfin, le premier démenti qu’on ait donné à toute la littérature de ce temps ; malheureusement, la voix qui le donne n’est pas assez forte. […] Pour elle, il est fort, il est sensible, douloureux, ensanglanté. […] Il eût été plus beau, et d’une vérité bien autrement fière, de montrer qu’on ne se démarie pas, et que le mariage est d’essence indissoluble, et plus fort que toutes les révoltes du cœur et ses imbéciles divorces ! […] Il y a souvent l’ombre du même type de femme sous la plume des écrivains qui ne sont pas assez forts pour être impersonnels ! […] Il est impossible, en effet, que des rhétoriciens, si forts sur la division des vieux genres, ne sachent pas que le mélodrame est un drame où les entrées des personnages se font au son de la musique, ce qui n’arrive pas une seule fois (nous en donnons notre parole d’honneur !)

1625. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « PARNY. » pp. 423-470

Adossée à la montagne du Bernica, cette propriété conserve encore un petit bois étagé sur les flancs de la montée, ses plates-formes en amphithéâtre, quelques restes de canaux et de petits jets d’eau, curiosités de l’époque ; elle domine fort agréablement la plaine dite de l’Étang, couverte de rizières et coupée d’irrigations ; ces filets d’irrigation, après avoir fait leurs tours et détours, se rejoignent en nappe étendue à l’entrée de la ville (du côté de la Possession), et vont se jeter à la mer, à une lieue et demie environ de la ravine du Bernica. […] Cette dame vint s’établir à Saint-Denis ; elle eut pour sa fille adoptive des soins vraiment maternels, et se conduisit toujours de manière à passer aux yeux de tous pour la véritable mère. « J’ai particulièrement connu, nous écrivait un de nos amis créoles, la personne qu’on dit être la fille de Parny : déjà d’un certain âge quand je la vis, elle a dû être fort jolie, sinon belle ; de taille moyenne, blonde avec des yeux bleus, elle passe pour avoir eu quelque ressemblance avec Éléonore, dans la mémoire, peut-être complaisante, de quelques anciens du pays. […] Cette douce et pure esquisse, ou plutôt ce pastel, aujourd’hui fort pâli, s’offrait en naissant avec bien de la fraîcheur et dans toute la nouveauté de ces teintes d’Ossian, que l’imitation en vers de Baour-Lormian venait de remettre à la mode. […] C’est un souvenir des Mémoires que j’ose placer là ; quoiqu’il y ait des années que j’ai entendu ce passage, je ne crois pas citer trop inexactement. — Voici d’autres particularités que je tire de notes inédites de Chateaubriand écrites à Londres, en 1798, en marge d’un exemplaire de son Essai sur les Révolutions : « Le chevalier de Parny est grand, mince, le teint brun, les yeux noirs enfoncés, et fort vifs. […] « Fontanes m’a fait faire un dîner fort gai dans ma vie.

1626. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Introduction. Le problème des idées-forces comme fondamental en psychologie. »

L’être vivant se soucie fort peu d’abord de représenter quoi que ce soit : il ne se soucie que de s’adapter les choses ou de s’adapter aux choses, d’agir, de pâtir, de réagir. […] Fouillée ne se figure peut-être pas assez combien forte serait la position de celui qui soutiendrait que le sentiment d’activité mentale, accompagnant l’arrivée de certains objets devant l’esprit, n’est rien que certains autres objets, à savoir des constrictions dans les sourcils, dans les yeux, la gorge, l’appareil respiratoire, qui sont présents alors, tandis qu’ils sont absents dans les autres modifications du courant subjectif. […] Je ne puis penser en termes visuels, par exemple, sans sentir un jeu flottant de pressions, de convergences, de divergences, dans mes globes oculaires. » — Toute cette description est exacte et ne peut pas ne pas l’être, car, pour faire attention, consentir, etc., il faut un objet quelconque, une sensation actuelle, forte ou faible, à laquelle s’applique l’attention, l’assentiment, le refus, l’effort, etc. […] Il a eu le tort, en effet, de réduire entièrement la différence entre la « sensation » et l’« idée » à celle des états d’intensité faible et des états d’intensité forte. […] L’étude des animaux les plus inférieurs la confirme encore : ces animaux, en effet, manifestent tous de vrais appétits, fort simples d’ailleurs ; faim, soif, besoin de reproduction, etc., avec des mouvements appropriés ; les réflexes purement mécaniques, au contraire, que l’on prétend primitifs, sont presque absents chez les animaux primitifs.

1627. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre deuxième. L’émotion, dans son rapport à l’appétit et au mouvement — Chapitre quatrième. Les émotions proprement dites. L’appétit comme origine des émotions et de leurs signes expressifs. »

Ainsi, durant une forte émotion comme la crainte, il y a usure de substance dans le cerveau : selon les lois physiologiques, le sang se trouve alors appelé de la périphérie au cerveau ; les vaisseaux de l’œil et en particulier de l’iris se contractent, la pupille se dilate, et enfin, par une conséquence nécessaire, la clarté de la vision est notablement empêchée. […] Les explications physiologiques de Mosso rentrent le plus souvent dans la loi de Wundt et, à plus forte raison, dans la loi plus générale de l’équivalence des forces. […] Selon Spencer, cette excitation du système musculaire serait proportionnelle à l’intensité du sentiment, quelle qu’en tut d’ailleurs la nature : une forte joie comme une forte douleur met en branle le corps entier. […] Si elle est trop violente ou trop inattendue, elle se trouve en opposition trop forte avec le cours antérieur des sentiments et des mouvements ; elle produit donc un choc trop violent qui peut avoir son côté pénible : « La joie fait mal, la joie fait peur. » Mais ce sont là des effets dérivés du manque d’adaptation préalable et de la résistance que rencontre alors l’émotion de la joie ; cette résistance est une peine, qui s’oppose tout d’abord au plaisir et lui dispute l’entrée de la conscience. […] Et pourquoi cette sonorité devient-elle plus forte à mesure que l’être a plus d’intelligence ?

1628. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre XIV : Récapitulation et conclusion »

La question est difficile à résoudre, parce que, plus les formes que nous avons à considérer sont distinctes, et plus nos arguments manquent de force ; mais plusieurs d’entre les plus puissants s’étendent fort loin. […] Dans certaines classes tout entières, des formes très diverses sont cependant construites sur le même plan ; et à l’âge embryonnaire les espèces se ressemblent les unes aux autres de fort près. […] Une telle perspective n’est peut-être pas fort réjouissante ; mais du moins nous serons délivrés des vaines recherches auxquelles donne lieu l’essence inconnue et indécouvrable du terme d’espèce. […] Et le parallélisme des destinées, produisant chez toutes ces races une résultante d’innéités, non pas identique, mais fort analogue, c’est-à-dire des tendances héréditaires presque semblables, aurait maintenu entre elles des ressemblances profondes que les différences survenues subséquemment dans les conditions de vie ont pu altérer, mais non détruire. […] Mais il est fort présumable que ces espèces, ainsi déterminées par les lois de la nature elles-mêmes sont au moins les genres de nos systématistes actuels, et que les groupes plus élevés sont composés de races dont le développement, après avoir été longtemps parallèle, n’a divergé que plus ou moins récemment.

1629. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre V. Le souvenir du présent et la fausse reconnaissance »

Mais il n’en resterait pas moins à se demander pourquoi et comment se crée plus spécialement le sentiment du « déjà vu » dans les cas — fort nombreux, croyons-nous — où il y a affirmation très nette d’une perception présente et d’une perception passée qui aurait été identique. […] La perception se définissant un état fort et le souvenir un état faible, le souvenir d’une perception ne pouvant alors être que cette perception affaiblie, il nous semble que la mémoire ait dû attendre, pour enregistrer une perception dans l’inconscient, que la perception se fût endormie en souvenir. […] Mais la thèse qui fait de la perception présente un état fort et du souvenir ravivé un état faible, qui veut qu’on passe de cette perception à ce souvenir par voie de diminution, a contre elle l’observation la plus élémentaire. […] Or un moment arrive, sans doute, où vous ne pouvez plus dire si vous avez affaire à une sensation faible que vous éprouvez ou à une sensation faible que vous imaginez, mais jamais l’état faible ne devient le souvenir, rejeté dans le passé, de l’état fort. […] Le souvenir d’une sensation est chose capable de suggérer cette sensation, je veux dire de la faire renaître, faible d’abord, plus forte ensuite, de plus en plus forte à mesure que l’attention se fixe davantage sur elle.

1630. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Ramond, le peintre des Pyrénées — II. (Suite.) » pp. 463-478

On ne peut s’empêcher de regretter ici que Ramond n’ait pas écrit ses mémoires ; qu’il n’ait pas, un jour ou l’autre, raconté, et s’il le fallait, confessé toute la vérité sur cet épisode intéressant et mystérieux de sa vie, Toute part faite à la déférence, à l’obéissance qu’il devait aux ordres du cardinal, on se demande quelle était en ceci cette autre part, fort peu aisée à déterminer, mais assez active, ce semble, qui lui était personnelle et propre. […] Droz, au tome Ier (p. 423) de son Histoire du règne de Louis XVI, a dit de Cagliostro : Certainement il était fort adroit dans ses jongleries, car, un homme de sens et d’honneur, le naturaliste Ramond, qui avait été secrétaire du cardinal de Rohan, ne fut jamais complètement désabusé ; et, vers la fin de sa vie, quand on plaisantait devant lui sur Cagliostro, il détournait la conversation. […] Il ne cachait pas même à ses amis qu’il avait vu ou qu’il croyait avoir vu des choses fort extraordinaires, mais lorsqu’on le pressait à ce sujet, il rompait la conversation et refusait de s’expliquer.

1631. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Montluc — I » pp. 56-70

Bientôt, la guerre recommençant après la délivrance de François Ier, il reprit les armes, et, sur l’invitation de M. de Lautrec, il leva en Guyenne une compagnie de gens de pied avec une plus forte proportion d’arquebusiers qu’il n’y en entrait d’ordinaire. […] Lui qui n’a point lu les livres ni étudié, il a de belles et grandes paroles que lui envierait un Chateaubriand et tout écrivain d’éclat, et comme les trouvent parfois, sans tant de façons, ceux qui, avec une pensée vive et une âme forte, écrivent ou dictent en tenant l’épée. […] Montluc, toutefois, sachant que le roi tenait fort à cette entreprise, et piqué par l’idée que tous les autres l’estimaient impraticable, résolut de la tenter : il suffisait, en général, qu’on dît devant lui qu’une chose était impossible pour qu’il se dît : « J’en fais mon affaire. » Impossible n’était pas pour lui un mot français, ou du moins un mot gascon.

1632. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Œuvres de Vauvenargues tant anciennes qu’inédites avec notes et commentaires, par M. Gilbert. — I — Vauvenargues et Fauris de Saint-Vincens » pp. 1-16

On a fort discuté sur le christianisme de Vauvenargues, et d’habiles gens en ont fait le sujet d’un examen particulier. […] Aujourd’hui que l’homme de lettres est tant célébré par la raison peut-être qu’il se célèbre lui-même, qu’on ne s’étonne pas trop de cette répugnance de Vauvenargues pour le métier d’homme de lettres, et de ce qu’il n’y arrive que si fort à contrecœur et à son corps défendant. […] Il fallait pour nous le produire, dès vingt-deux ans, sous ces aspects non moins vrais et plus généralement respectables, sa correspondance avec le marquis de Mirabeau, fort belle des deux parts, et tout à fait digne de leurs noms.

1633. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Le général Joubert. Extraits de sa correspondance inédite. — Étude sur sa vie, par M. Edmond Chevrier. — III » pp. 174-189

» — « Je lui parlai alors de Joubert, ajoute Fouché, comme d’un général pur et désintéressé, que j’avais été à portée de bien connaître en Italie, et auquel on pourrait, au besoin, donner sans danger une influence forte : il n’y avait à craindre ni son ambition, ni son épée, qu’il ne tournerait jamais contre la liberté de sa patrie. — Sieyès, m’ayant écouté attentivement jusqu’au bout, ne me répondit que par un C’est bien. […] Vous avez la certitude qu’avant dix jours l’armée du général Championnet, qui se forme dans les Alpes, sera en état de déboucher dans la plaine pour se réunir à la vôtre ; on vous assure que cette armée sera forte d’environ 35000 hommes, c’est à peu près autant que vous en avez ; ainsi la supériorité que l’ennemi conservera encore ne sera du moins plus aussi disproportionnée qu’elle l’est aujourd’hui. […] Ainsi mourut à l’âge de trente ans ce jeune général, aimé, regretté de tous, succombant, on peut le dire, à une situation trop forte, à une épreuve où la préoccupation politique avait pesé étrangement sur les déterminations de l’homme de guerre.

1634. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Mélanges religieux, historiques, politiques et littéraires. par M. Louis Veuillot. » pp. 64-81

Ô prose, mâle outil et bon aux fortes mains ! […] Mais il est fort sage, ce bourgeois ! […] Mes pas suivent encor le char qui les emporte ; Dans la fosse mon cœur tombe encor par lambeaux ; Et comme les cyprès plantés sur leurs tombeaux, Ma douleur chaque jour croît et devient plus forte… Je recommande aussi le beau et triste sonnet qui exprime une pensée d’agonie : J’ai passé quarante ans.

1635. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Entretiens de Gœthe et d’Eckermann (suite et fin.) »

Mais quand le public a une fois goûté à ces mets fortement épicés et en a pris l’habitude, il veut toujours des ragoûts de plus en plus forts. […] Je compare l’état actuel de la littérature à une forte fièvre qui en elle-même n’est ni bonne ni désirable, mais qui a pour heureuse conséquence une meilleure santé. […] Mais pour moi, qui ne suis pas une nature guerrière, qui n’ai aucun goût pour la guerre, les chants guerriers n’auraient été qu’un masque qui se serait fort mal appliqué sur mon visage.

1636. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Le Mystère du Siège d’Orléans ou Jeanne d’Arc, et à ce propos de l’ancien théâtre français (suite et fin.) »

Au reste, toutes ces toilettes féminines se ressemblent fort. […] Notre-Dame Non pas fort vilaine et honteuse ! […] Leur conclusion au sujet de l’héroïne d’Orléans, de cette généreuse Pucelle, qui a mis en défaut jusqu’ici toute espèce de fantaisie ou de fiction, et que la vérité seule peut désormais louer, est aussi fort sage.

1637. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Souvenirs d’un diplomate. La Pologne (1811-1813), par le baron Bignon. »

L’accélération des travaux des places fortes, l’observation des mouvements de troupes russes, furent dès lors constamment recommandées à mes soins. […] N’oublions pas non plus qu’ils furent écrits en 1814 et au plus fort de l’hostilité européenne contre le colosse déchu. […] Pendant que M. de Senfft, à la veille de l’éclatant démenti de l’histoire, se montre ainsi à nous un peu la dupe des confidences de Fouché qui, évidemment (comme l’abbé de Pradt, et avec plus de malice), était entré dans ses vues, avait médit du pouvoir qu’il servait et ne s’était pas fait faute de gémir sur les folies du maître, il m’a paru curieux de citer une lettre de Napoléon adressée, vers ce temps, à son ministre de la police, et qui, dans sa sévérité encore indulgente, va droit au défaut de l’homme, rabat fort de cette haute idée trop complaisante et remet à son vrai point ce prétendu génie du duc d’Otrante, un génie avant tout d’ingérence audacieuse et d’intrigue.

1638. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « La civilisation et la démocratie française. Deux conférences par M. Ch. Duveyrier »

Dans ce laps de temps, les fortifications d’Alexandrie seraient achevées ; cette ville serait une des plus fortes places de l’Europe ; … l’arsenal de construction maritime serait terminé ; par le moyen du canal de Rahmaniéh, le Nil arriverait toute l’année dans le port vieux, et permettrait la navigation aux plus grandes djermes ; tout le commerce de Rosette et presque tout celui de Damiette y seraient concentrés, ainsi que tous les établissements civils et militaires ; Alexandrie serait déjà une ville riche ; l’eau du Nil, répandue autour d’elle, fertiliserait un grand nombre de campagnes, ce serait à la fois un séjour agréable, sain et sûr ; la communication entre les deux mers serait ouverte ; les chantiers de Suez seraient établis ; les fortifications protégeraient la ville et le port ; des irrigations du canal et de vastes citernes fourniraient des eaux pour cultiver les environs de la ville… Les denrées coloniales, le sucre, le coton, le riz, l’indigo, couvriraient toute la Haute-Égypte et remplaceraient les produits de Saint-Domingue. » Puis, de dix années de domination il passe à cinquante ; l’horizon s’est étendu ; l’imagination du guerrier civilisateur a pris son essor, et les réalités grandioses achèvent de se dessiner, de se lever à ses yeux de toutes parts : « Mais que serait ce beau pays, après cinquante ans de prospérité et de bon gouvernement ? […] Le point faible, toutefois, est que ce mobile de l’amour de l’humanité et de la civilisation n’est, en général, que fort secondaire et ne vient qu’en second ou en troisième lieu chez les meilleurs d’entre les plus éclairés esprits de nos jours ; il ne vient qu’après les soins de la famille, de la fortune personnelle, de la réputation, de la carrière à courir : c’est déjà quelque chose. […] Paris, aux bureaux de l’Encyclopédie, rue de l’Université, 25. — Je laisse cette indication qui rappelle un vaste et noble projet, une entreprise généreuse, déjà fort voisine de l’exécution, et qui s’est dissipée en fumée.

1639. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XVII. De la littérature allemande » pp. 339-365

Mais rien n’émeut davantage que ce mélange de douleurs et de méditations, d’observations et de délire, qui représente l’homme malheureux se contemplant par la pensée, et succombant à la douleur, dirigeant son imagination sur lui-même, assez fort pour se regarder souffrir, et néanmoins incapable de porter à son âme aucun secours. […] La lecture de Werther apprend à connaître comment l’exaltation de l’honnêteté même peut conduire à la folie ; elle fait voir à quel degré de sensibilité l’ébranlement devient trop fort pour qu’on puisse soutenir les événements même les plus naturels. […] Les tragédies allemandes, et en particulier celles de Schiller, contiennent des beautés qui supposent toujours une âme forte.

1640. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Préface » pp. 1-22

Une pareille précaution est fort utile. […] Il faut donc que le lecteur veuille bien examiner et vérifier lui-même les théories présentées ici sur les illusions naturelles de la conscience, sur les signes et la substitution, sur les images et leurs réducteurs, sur les sensations totales et élémentaires, sur les formes rudimentaires de la sensation, sur l’échelonnement des centres sensitifs, sur les lobes cérébraux considérés comme répétiteurs et multiplicateurs, sur le mécanisme cérébral de la persistance, de l’association et de la réviviscence des images, sur la sensation et le mouvement moléculaire des cellules considérés comme un seul événement à double aspect, sur les facultés, les forces et les substances considérées comme des illusions métaphysiques2, sur le mécanisme général de la connaissance, sur la perception extérieure envisagée comme une hallucination véridique, sur la mémoire envisagée comme une illusion véridique, sur la conscience envisagée comme le second moment d’une illusion réprimée, sur la manière dont se forme la notion du moi, sur la construction et l’emploi des cadres préalables, sur la nature et la valeur des axiomes, sur les caractères et la position de l’intermédiaire explicatif, sur la valeur et la portée de l’axiome de raison explicative. — En de pareils sujets, une théorie, surtout lorsqu’elle est fort éloignée des doctrines régnantes, ne devient claire que par des exemples ; je les ai donnés nombreux et détaillés ; que le lecteur prenne la peine de les peser un à un ; peut-être alors ce qu’au premier regard il trouvait obscur et paradoxal lui semblera clair ou même prouvé. […] Meynert, poursuivent aujourd’hui ces recherches anatomiques au moyen de préparations délicates et de forts grossissements, et certainement ils ont raison : car la géographie de l’encéphale est encore dans l’enfance ; on en démêle à peu près les grandes lignes, deux ou trois massifs notables, l’arête du partage des eaux ; mais le réseau des routes, des sentiers et des stations, l’innombrable population remuante qui sans cesse y circule, y lutte et s’y groupe, tout ce détail, prodigieusement multiple et fin, échappe au physiologiste.

1641. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre VIII. Les écrivains qu’on ne comprend pas » pp. 90-110

Je connais sur le vers libre des articles ingénieux ou forts ou niais, mais aucun ne donne de recettes. […] Mais, à défaut des clients qui découpent et collectionnent les rez-de-chaussée d’Henry Gréville, les jeunesses instruites, celle qui bouquine sous l’Odéon, celle de Nancy, celle de Marseille, sont avec les écrivains d’aujourd’hui, dont le suc un peu fort séduit leurs palais éduqués. […] L’opposition des deux parlers, malgré une langue unique, n’en sera pas moins forte, apparemment.

1642. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « Le symbolisme ésotérique » pp. 91-110

On sait que le duc d’Orléans, devenu régent, et sa fille, la duchesse de Berry, qui se donnaient comme esprits forts, s’entouraient de sorciers et de nécromants, consultaient les tarots et ne reculaient pas d’aller se perdre la nuit dans les carrières de Montrouge pour évoquer Satan. […] Ils lisaient fiévreusement jusqu’à une heure fort avancée die la nuit ; mais tandis que Barrès, épuisé par cette longue suite d’incantations lyriques, et cédant au poids de la fatigue, cherchait à recréer ses forces dans le sommeil, Stanislas de Guaita, « qui avait une santé magnifique et qui en abusait, allait voir les vapeurs se lever sur les collines qui entourent Nancy, et, quand il avait réveillé la nature, il venait réveiller son compagnon en lui récitant des vers de son invention ou quelque pièce fameuse rencontrée au hasard d’une lecture ». […] La tentation est forte.

1643. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Raphaël, pages de la vingtième année, par M. de Lamartine. » pp. 63-78

Il se tromperait fort, nous en sommes certain, s’il se figurait cela ; la séduction n’est plus à beaucoup près la même ni sans mélange. […] Jamais une jeune femme, vers 1817 ou 1818, fût-elle à la hauteur philosophique de Mme de Condorcet, n’a causé ainsi ; c’est le panthéisme (le mot n’était pas inventé alors), le panthéisme, disons-nous, de quelque femme, esprit fort et bel esprit de 1848, que l’auteur de Raphaël aura mis après coup dans la bouche de la pauvre Elvire, qui n’en peut mais. […] Je finis sur cette remarque d’un critique qu’on n’accusera certes pas de sécheresse ni d’insensibilité pour la poésie : c’est aux lecteurs avertis de voir si elle ne s’applique pas, à plus forte raison, à la manière de plus en plus immodérée de M. de Lamartine.

1644. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Madame Récamier. » pp. 121-137

Elle fut la même par deux traits essentiels et qui seuls l’expliquent, en ce que jeune, au plus fort des ravissements et du tourbillon, elle resta toujours pure ; en ce que, retirée à l’ombre et recueillie, elle garda toujours son désir de conquête et sa douce adresse à gagner les cœurs, disons le mot, sa coquetterie ; mais (que les docteurs orthodoxes me pardonnent l’expression) c’était une coquetterie angélique. […] Je voyais dernièrement, dans le palais du feu roi de Hollande, à La Haye, une fort belle statue d’Ève. […] ce moment indécis, qui chez Ève ne dura point et qui tourna mal, recommença souvent et se prolongea en mille retours dans la jeunesse brillante et parfois imprudente dont nous parlons ; mais toujours il fut contenu à temps et dominé par un sentiment plus fort, par je ne sais quelle secrète vertu.

1645. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Le cardinal de Retz. (Mémoires, édition Champollion.) » pp. 238-254

Mais chacun lit avec son humeur et avec son imagination encore plus qu’avec son jugement, et ce qui est si bien raconté séduit, bien que la chose racontée soit fort laide, et que le narrateur, après le premier moment d’enthousiasme passé, ne prétende pas à l’embellir. […] Parlant des débauches des Fontrailles, des Matha et autres esprits forts : Les chansons de table, dit-il, n’épargnaient pas toujours le bon Dieu ; je ne puis vous exprimer la peine que toutes ces folies me donnèrenti. […] Mme de Sévigné travaillait de tout son pouvoir à le distraire : Nous tâchons d’amuser notre bon cardinal (9 mars 1672) : Corneille lui a lu une pièce qui sera jouée dans quelque temps, et qui fait souvenir des anciennes ; Molière lui lira samedi Trissotin, qui est une fort plaisante chose ; Despréaux lui donnera son Lutrin et sa Poétique : voilà tout ce qu’on peut faire pour son service.

1646. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Monsieur Walckenaer. » pp. 165-181

Et pourtant, ce Chateaubriand, qui semblait alors ne point parler français, revenait et nous ramenait par des hauteurs un peu escarpées et imprévues à la grande et forte langue, et c’était sur ses traces que le goût lui-même devait retrouver bientôt sa vigueur et son originalité. […] Le temps est beau, le printemps sourit, et ce chemin de Vitré aux Rochers, qui était long, montueux et malaisé, a été refait à neuf, nous dit-on : « maintenant il est macadamisé et fort commode ». […] Il venait presque tous les jours, à une certaine heure, s’asseoir dans la boutique d’un libraire nommé Michallet, où il feuilletait les nouveautés et s’amusait avec une fort gentille enfant, fille du libraire, et qu’il avait prise en amitié.

1647. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 13, qu’il est des sujets propres specialement pour la poësie, et d’autres specialement propres pour la peinture. Moïens de les reconnoître » pp. 81-107

Au contraire la poësie nous décrit tous les incidens remarquables de l’action qu’elle traite, et ce qui s’est passé jette souvent du merveilleux sur une chose fort ordinaire qui se dit ou qui arrive dans la suite. […] Tous les traits dont Homere se sert pour peindre l’impetuosité d’Achille, ne sont pas également forts, mais les foibles sont rendus plus forts par d’autres, ausquels ils donnent réciproquement plus d’énergie.

1648. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Chapitre III. Contre-épreuve fournie par l’examen de la littérature italienne » pp. 155-182

En d’autres termes, si considérable qu’elle soit, la valeur relative, historique, de Dante, à laquelle les philologues s’attachent si fort, n’est plus qu’un détail, comparée à la valeur absolue ; chez lui la réponse est moins significative que la question ; les mots de la prière moins beaux que le geste des mains jointes. […] Avec la constitution du royaume d’Italie (février 1861) et surtout avec la prise de Rome, commence une période nouvelle, de travail positif quoique fort difficile et souvent encore désordonné. […] C’est une étape dont il faut reconnaître la grandeur et la nécessité, tout en constatant qu’elle est en conflit avec la mentalité actuelle de l’Europe. — En Italie, la monarchie est libérale au point de toucher à la république ; en Allemagne, elle repose sur une hiérarchie si forte qu’elle touche à l’absolutisme ; la nation s’y est constituée en partie, et forcément, contre la France, c’est-à-dire contre l’esprit de la Révolution ; c’est un anachronisme, mais l’équilibre se fera ; question de temps et de collaboration patiente.

1649. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXVIII et dernier. Du genre actuel des éloges parmi nous ; si l’éloquence leur convient, et quel genre d’éloquence. »

Sera-ce après la lecture d’un éloge froidement historique que l’on tombera dans cette rêverie profonde qui accompagne les impressions fortes ? […] Toutes les manières pathétiques et fortes, dont les gens à passions s’expriment, ont été rangées sous une nomenclature aride de figures. […] Que sur tous ces objets, s’il a une âme sensible et forte, il ne craigne pas de s’y abandonner ; la nature est pour lui.

1650. (1892) Un Hollandais à Paris en 1891 pp. -305

Ou je me trompe fort, ou là aussi il doit y avoir matière à moraliser. […] Ce charmant petit livre est la confession fort curieuse d’une âme. […] Quand les passagers l’ennuyaient il avait une façon fort originale de les renvoyer dormir dans leurs cabines. […] Cet homme a mis ma patience à une forte épreuve. […] Nature impressionnable et fort ingénieuse, mais au fond très simple, grâce à un afflux continuel de vie nerveuse.

1651. (1896) Études et portraits littéraires

Car cette œuvre est forte, brillante, aventureuse et ardue. […] Et la main du gabier… Loti serre fort celle de son « frère » Yves, après une réconciliation. […] il ne s’est pas si fort déplu à l’intimité de Guzman de Alfarache et du bachelier de Salamanque. […] Weiss, qui, tous les ans, relisait Gil Blas, s’avouait fort embarrassé d’indiquer dans l’un ou l’autre livre une page saillante. […] Votre chasseur de Vincennes engage avec « la bouche d’ombre », — c’est-à-dire avec un canon du fort, — un dialogue de haute allure.

1652. (1864) Cours familier de littérature. XVII « CIe entretien. Lettre à M. Sainte-Beuve (1re partie) » pp. 313-408

Alors la France était effectivement sauvée, et Louis-Philippe très fort, de son désintéressement, l’aurait reçue en dépôt. […] C’était le seul sentiment assez fort pour l’arracher aux peines individuelles, et il en a consacré, dans quelques pièces, l’expression amère et généreuse. […] Nous parlons souvent de tout cela, ô mon ami, dans nos longues conversations d’hiver, et nous ne différons quelquefois un peu que parce que vous êtes plus fort et que je suis plus faible. […] c’est que vos Consolations ne soient pas aussi recherchées du commun des lecteurs que les infortunes si touchantes du pauvre Joseph, qui pourtant ont mis tant et si fort la critique en émoi. […] L’unité du ton, quand il est vrai, fort et animé, n’est point la monotonie.

1653. (1857) Réalisme, numéros 3-6 pp. 33-88

Vous ne connaissez que fort peu les personnes dont vous parlez, et voilà que déjà vous voulez les faire connaître au public. […] Proudhon ne paraît pas le plus fort, et se laisse cogner. […] * *   * Le père Pontmartin est fort malade en ce moment. […] La grande, la forte poésie humaine est partout, excepté chez les romantiques. […] ils s’imaginent être forts parce qu’ils embarrassent, aimables parce qu’ils sont bavards, comme les femmes croient être bien faites quand elles ont endossé leurs vastes atours.

1654. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Poésies d’André Chénier »

Mme la comtesse Hocquart, qui l’avait beaucoup connu (morte depuis peu d’années), disait qu’il était à la fois rempli de charme et fort laid, avec de gros traits et une tête énorme. » Il n’avait que trente-deux ans à l’époque de sa mort ; il paraissait plus que son âge. […] Nous apprenons aussi que Chénier était, avec ses amis les Trudaine, des soupers de La Reynière, où il y avait compagnie amusante et fort mêlée, et c’est à cette rencontre que l’on doit de le retrouver, non sans quelque étonnement, mentionné et nommé dans les œuvres dernières de cet ignoble Rétif de La Bretonne.

1655. (1874) Premiers lundis. Tome II « Doctrine de Saint-Simon »

Puis s’arrachant au vague, il en vint à s’occuper scientifiquement et historiquement des religions révélées, et c’est au fort de ces études opiniâtres dans lesquelles s’absorbait sa précoce pensée, que, le nouveau christianisme de Saint-Simon lui étant apparu sous son véritable jour, il se fit une révolution en lui ; que ses études, jusque-là confuses, s’enchaînèrent ; que le chaos du passé se déroula harmonieusement à ses yeux, et qu’il saisit la raison divine des choses, s’écriant à la vue de l’Église de toutes parts croulante et de la synagogue encore debout : « Oui, nous marchons vers une grande, vers une immense unité : la société humaine, du point de vue de l’homme ; le règne de Dieu sur la terre, du point de vue divin ; ce règne que les fidèles appellent tous les jours par leurs prières depuis dix-huit ceints ans. […] Il était providentiel, en quelque sorte, que ce fût un juif qui, le premier, du point de vue saint-simonien, réhabilitât à son rang dans la tradition cette société religieuse, la plus forte qui ait jamais existé, et donnât la clef de l’obstination mystérieuse du peuple dispersé qui sert de spectacle au monde.

1656. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre VIII. Du crime. »

Enfin, les anciens poètes philosophes ont senti que ce n’était pas assez de peindre les peines du repentir, qu’il fallait plus pour l’enfer, qu’il fallait montrer ce qu’on éprouvait au plus fort de l’enivrement, ce que faisait souffrir la passion du crime avant que, par le remord même, elle eut cessé d’exister. […] il serait si difficile de ne pas s’intéresser à l’homme plus grand que la nature, alors qu’il rejette ce qu’il tient d’elle, alors qu’il se sert de la vie pour détruire la vie, alors qu’il sait dompter par la puissance de l’âme le plus fort mouvement de l’homme, l’instinct de sa conservation : il serait si difficile de ne pas croire à quelques mouvements de générosité dans l’homme qui, par repentir, se donnerait la mort ; qu’il est bon que les véritables scélérats soient incapables d’une telle action ; ce serait une souffrance pour une âme honnête, que de ne pas pouvoir mépriser complètement l’être qui lui inspire de l’horreur.

1657. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Grosclaude. »

Puis il énumère les conditions auxquelles sera soumise la réouverture de l’établissement… Rien n’est oublié ; c’est d’une prévoyance d’aliéné qui aurait beaucoup d’imagination et qui aurait subi une forte discipline scientifique. […] «  — Ni café, ni rien d’analogue ; je m’abstiens rigoureusement de thé, de liqueurs fortes, d’asperges et de femmes.

1658. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Mistral, Frédéric (1830-1914) »

Depuis André Chénier, on n’a rien vu, — si ce n’est les chants grecs publiés par Fauriel, — d’une telle pureté de galbe antique, rien de plus gracieux et de plus fort dans le sens le plus juste de ces deux mots, qui expriment les deux grandes faces de tout art et de toute pensée. […] La grande gloire de ce siècle sera le lyrisme, fécond et fort, qui ferme l’anneau de la science et de l’art, de la tradition et de l’analyse, de la race et de l’individu, le lyrisme éperdu de leur Goethe, de notre Frédéric Mistral.

1659. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Samuel Bailey »

Samuel Bailey Par le nombre de ses publications philosophiques, dont quelques-unes remontent à une époque déjà fort ancienne272, M.  […] salués d’applaudissements de triomphe, des milliers de savants s’emploieront à des investigations physiques presque infinitésimales ; à rechercher la composition atomique et la structure microscopique du corps ; à explorer les formes innombrables de la vie animale et végétale, invisibles à l’œil tout seul ; à découvrir des planètes qui ont parcouru, inconnues pendant des siècles, leurs orbites obscurs ; à condenser, par la puissance du télescope, en soleils et systèmes, ce qui était regardé récemment encore comme la vapeur élémentaire des étoiles ; à traduire en formules numériques l’inconcevable rapidité des vibrations qui constituent ces rayons, si fermes en apparence que les plus forts vents ne les ébranlent pas ; à mettre ainsi en vue les parties les plus mystérieuses de l’univers matériel, depuis l’infiniment loin jusqu’à l’infiniment petit ; mais l’analyse exacte des phénomènes de conscience, la distinction entre les différences, si fines pourtant et si petites, des sentiments et des opérations ; l’investigation attentive des enchaînements les plus subtils de la pensée, la vue ferme mais délicate de ces analogies mentales qui se dérobent au maniement grossier et négligent de l’observation vulgaire, l’appréciation exacte du langage et de tous ses changements de nuances et de tous ses expédients cachés, la décomposition des procédés du raisonnement, la mise à nu des fondements de l’évidence : tout cela serait stigmatisé comme un exercice superflu de pénétration, comme une perte de puissance analytique, comme une vaine dissection de cheveux, comme un tissage inutile de toiles d’araignées ?

1660. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXIX » pp. 319-329

« Elle était située, dit-elle à sa fille, au fond du faubourg Saint-Germain, fort au-delà de madame de La Fayette, quasi auprès de Vaugirard, dans la campagne ; une belle et grande maison où l’on n’entre point ; il y a un grand jardin, de beaux et grands appartements. […] Si les paroles du roi ne prouvent pas en lui réveil d’un sentiment nouveau, il est du moins certain qu’elles durent faire une vive impression sur deux personnes fort intéressées a les étudier, après les avoir entendues.

1661. (1899) Le monde attend son évangile. À propos de « Fécondité » (La Plume) pp. 700-702

le fier et noble esprit à qui nous devons une histoire forte et solide, le fin et mélodieux chanteur des Harmonies, le riche et abondant poète des Feuilles d’Automne, des drames, de la Légende des Siècles, l’immense Balzac, le magnifique et sévère Comte, le bon et intrépide Tolstoï, l’âpre et tragique Dostoïevskya, et tant d’autres, qui ont tout compris, tout dépeint, tout vu et tout fait, ne se sont pas trouvés capables de dire une parole simple, âcre et inaltérable comme celles qu’ont rapportées les quatre évangélistes. […] La beauté que confère l’amour fécond et fort, tous les hommes peuvent l’atteindre, elle est à leur portée, ils n’ont qu’à vivre, à croître, à grandir, à agir, à développer leur race.

1662. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre troisième. Le souvenir. Son rapport à l’appétit et au mouvement. — Chapitre quatrième. L’aperception et son influence sur la liaison des idées »

« Je suppose, dit-il, le tic-tac d’un métronome se produisant à intervalles réguliers et avec une intensité toujours égale ; en ce cas, tout le monde sait que nous pouvons grouper deux par deux, trois par trois, quatre par quatre, les sensations successives : ce groupement volontaire est dû à l’aperception. » — Selon nous, ce groupement ne diffère pas des effets habituels et nécessaires de l’association : nous associons un souvenir de rythme, avec temps forts et temps faibles, aux battements indifférents du métronome, d’autant plus que tous nos mouvements et toutes nos réactions cérébrales tendent, en vertu même de la constitution des organes, à prendre une forme rythmée comme le balancement de notre jambe. […] Richet compare ingénieusement l’animal « à un mécanisme explosif, mécanisme d’autant plus parfait que l’intervention d’une force de plus en plus faible pourra déterminer une explosion de plus en plus forte » ; cette explosion n’en est pas moins toujours déterminée par des lois inflexibles.

1663. (1865) Du sentiment de l’admiration

Étrange illusion, indigne de vous, digne tout au plus de ceux qui, loin de ces sanctuaires des fortes études, s’imaginent découvrir le goût dans un manuel et se figurent qu’on peut se préparer à sentir et à comprendre le génie ! […] Croyez-le, cette raison à courte vue ne peut faire de vous la forte race d’élèves que demande un pays tel que le nôtre.

1664. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Mes petites idées sur la couleur » pp. 19-25

L’œil tendre et faible ne sera pas ami des couleurs vives et fortes. […] Faire blanc et faire lumineux sont deux choses fort diverses.

1665. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 37, des défauts que nous croïons voir dans les poëmes des anciens » pp. 537-553

Après avoir reproché aux poëtes anciens d’avoir rempli leurs vers d’objets communs et d’images sans noblesse, on se croit encore fort moderé quand on veut bien rejetter la faute qu’ils n’ont pas commise, sur le siecle où ils ont vécu, et les plaindre d’être venus en des temps grossiers. […] Monsieur le chevalier d’Arvieux après avoir discouru fort au long dans le chapitre onziéme de sa rélation des moeurs et des coutumes des arabes, sur la docilité, ou s’il est permis de parler ainsi, sur la débonnaireté de leurs chevaux, et de l’humanité avec laquelle leurs maîtres les traitent, ajoute : un marchand de Marseille qui résidoit à Rama, étoit ainsi en societé pour une cavalle avec un arabe… etc. .

1666. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 18, reflexions sur les avantages et sur les inconveniens qui resultoient de la déclamation composée des anciens » pp. 309-323

Cette declamation arbitraire auroit mis souvent Roscius hors de mesure. à plus forte raison doit-elle déconcerter quelques-uns de nos comediens qui ne s’étant gueres avisez d’étudier la diversité, les intervalles, et s’il est permis de s’expliquer ainsi, la simpathie des tons, ne sçavent par où sortir de l’embarras où le défaut de concert les jette très-souvent. […] Il est donc constant que la note des opera n’enseigne pas tout, et qu’elle laisse encore beaucoup de choses à faire et que l’acteur fait suivant qu’il est capable de les executer. à plus forte raison peut-on conclure que les compositeurs de déclamation n’ensevelissoient pas le talent des bons acteurs.

1667. (1762) Réflexions sur l’ode

Les anciens surtout paraissent y avoir été fort sensibles. […] C’est sans doute parce qu’il portait au plus haut degré le mérite de l’expression et du nombre ; deux choses dont l’effet devait être très grand dans une langue riche et musicale comme celle des Grecs, mais dont le prix est fort affaibli pour nous dans une langue morte, que nous ne savons pas prononcer et que nous entendons mal.

1668. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XVI. Mme de Saman »

Tout est à peu près fini de la société forte qui forçait les femmes à rester chastes d’attitude, quand elles ne l’étaient plus de cœur. […] Mais elle a beau me parler de l’héroïque sincérité de l’âme ardente et forte dont elle recommande le volume présent au public ; elle a beau m’exalter cette âme indépendante et fidèle, qui n’oublie aucun de ses amours en les variant et qui ne combat rien dans son âme par la très morale raison que le temps qu’on perd à combattre contre soi, on ne fait pas Corinne, si on fait Mme de Staël, je me connais trop en logomachie pour ne pas reconnaître les idées, les façons de dire, les affectations du bas-bleu moderne, cette espèce à part et déjà si commune et pour être infiniment touché du spectacle que me donnent, à la fin de cette préface sur laquelle on a compté, ces deux antiques Mormones du bas-bleuisme contemporain dont l’une couronne l’autre de roses à feuilles de chêne, avec un geste tout à la fois si solennel et si bouffon !

1669. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Philippe II »

Pour mon compte, je maintiens qu’il n’y a qu’un catholique qui puisse écrire profondément et intégralement l’histoire de Philippe II et de son siècle, et encore un catholique assez fort (cherchez-le dans le personnel du catholicisme actuel et trouvez-le si vous le pouvez !) […] Très au-dessous de Charles-Quint, son père, dont il n’avait, si l’on en croit ses portraits, que la mâchoire lourde et les poils roux dans une face inanimée et pâle ; ce scribe, qui écrivait ses ordres, défiant qu’il était jusque de l’écho de sa voix ; ce solitaire, noir de costume, de solitude et de silence, et qui cachait le roi net (el rey netto), au fond de l’Escurial, comme s’il eût voulu y cacher la netteté de sa médiocrité royale ; Philippe II, ingrat pour ses meilleurs serviteurs, jaloux de son frère don Juan, le vainqueur de Lépante, jaloux d’Alexandre Farnèse, jaloux de tout homme supérieur comme d’un despote qui menaçait son despotisme, Forneron l’a très bien jugé, réduit à sa personne humaine, dans le dernier chapitre de son ouvrage, résumé dont la forte empreinte restera marquée sur sa mémoire, comme il a bien jugé aussi Élisabeth, plus difficile à juger encore, parce qu’elle eut le succès pour elle et qu’on ne la voit qu’à travers le préjugé de sa gloire.

1670. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Histoire des ducs de Normandie avant la conquête de l’Angleterre »

Nous avons, sur le simple titre de l’ouvrage, ressenti une forte et involontaire sympathie pour un homme qui, par ce temps de civilisation économique, écrit un livre sur les vieux iarls scandinaves, les pères oubliés des éleveurs de la vallée d’Auge et des herbagers du Cotentin. […] Henri Martin a mis une préface fort bienveillante à la tête de l’ouvrage en question.

1671. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Lettres portugaises » pp. 41-51

Dès qu’on parle de l’expression enflammée d’une passion vraie, il est de bonne rhétorique de citer les Lettres portugaises, et les esprits les plus forts d’appréciation comme les plus faibles, les esprits qu’on bride le plus et les esprits qu’on bride le moins, ou qui sans bruit vont sur la foi d’autrui, reprennent alors la phrase d’admiration qui traîne partout et y ajoutent leur petite arabesque… Écoutez tous ceux qui ont dit leur mot sur les lettres de la Religieuse portugaise, depuis madame de Sévigné, la Célimène de la maternité… — et qui ne sait pas plus que l’autre Célimène ce que c’est qu’une passion trahie, ce que c’est que cette morsure de l’Amour, qui s’en va après l’avoir faite, — jusqu’à Stendhal, le Dupuytren du cœur, et qui n’aurait pas dû se tromper sur les tressaillements de ses fibres, et vous entendrez de tous côtés le même langage : une symphonie de pâmoisons. […] Lorsque cette pauvre madame de Sévigné, cette prude dont Bussy se moquait, parlait de la tendresse des Lettres portugaises, elle n’était pas fort difficile.

1672. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Alexandre Dumas fils » pp. 281-291

On croirait à quelque fort ouvrage de ce robuste travailleur à froid… On se tromperait pourtant. […] Voici la donnée de ce livre qu’on nous donne pour fort.

1673. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Taine »

La vérité n’y est pas… et l’erreur, qu’on prend quelquefois pour elle quand elle est puissante, l’erreur — j’entends la forte erreur d’une tête robustement organisée — n’y est pas davantage. […] , des possibilités de sonnettes qui mettent en branle toutes sortes de sonneries en nous ; car nous ne sommes que des possibilités de systèmes de sonnettes fort compliqués, à ce qu’il paraît.

1674. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « J.-K. Huysmans »

Huysmans a écrit l’histoire) est soumis, dans toute la durée du roman, à cette fatalité terrible des nerfs, plus forts que la volonté et ses maîtres. […] L’intérêt de ce détraquement serait médiocre si cette mécanique n’en souffrait pas, si cette singulière horloge, qui ne s’est pas faite toute seule et qui essaie de se remonter et de se régler, n’avait pas en elle quelque chose de plus fort qu’elle qui l’en empêche et qui la torture… Et même sans cette torture le roman n’existerait pas.

1675. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Paul Meurice » pp. 231-241

L’auteur de Césara 25, le prêtre de l’Église Hugo, est aussi, par la même occurrence, l’apôtre de cette autre Église humanitaire qui flambe neuf et va remplacer incessamment la vieille religion divine qui avait suffi jusque-là aux plus forts et aux plus nobles esprits, mais qui ne suffit plus maintenant, même aux plus imbéciles… Or, c’est dans les intérêts de cette religion humanitaire que l’auteur de Fanfan la Tulipe, laissant là les amusettes du théâtre où il s’est oublié si longtemps, s’est mis à écrire cette grande pancarte, qui aura plusieurs cartons, et qu’il appelle Les Chevaliers de l’Esprit, titre un peu vague. […] Césara, l’ennemi de l’Église romaine, meurt révolté, mais béni par l’Église romaine, plus forte que lui.

1676. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — chapitre VI. Les romanciers. » pp. 83-171

Dès que je vis celle-là praticable, je ne l’abandonnai plus. » Toujours reviennent ces fortes paroles d’indomptable patience1028. […] » On siffle, et l’acteur, fort mal à l’aise, vient avertir l’auteur, qui buvait et fumait sa pipe. «  — Qu’est-ce qu’il y a ? […] Il est fort en gueule, et il n’a pas l’odorat sensible. […] Il y en a tant, elles sont si fortes, si entrelacées les unes dans les autres, si promptes à s’éveiller, à s’élancer et à s’entraîner, que leur mouvement échappe à tous nos raisonnements et à toutes nos prises. […] Son public est au niveau de son énergie et de sa rudesse, et, pour remuer de tels nerfs, un écrivain ne peut pas frapper trop fort.

1677. (1904) Zangwill pp. 7-90

« Ainsi, tantôt crayonnant une feuille blanche, devant lui, sur le buvard, et tantôt se frottant les mains l’une dans l’autre avec vivacité, ou roulant dans les doigts, et tordant, et meurtrissant je ne sais quel méchant bristol, le regard riant à travers le double verre du lorgnon bien posé sur le nez fort, le front large, la barbe cascadante grisonnante au menton, et les pieds chaudement fourrés dans les pantoufles, M.  […] Une raie de peupliers solitaires au bout d’un champ grisâtre, un bouleau frêle qui tremble dans une clairière de genêts, l’éclair passager d’un ruisseau à travers les lentilles d’eau qui l’obstruent, la teinte délicate dont l’éloignement revêt quelque bois écarté, voilà les beautés de notre paysage ; il paraît plat aux yeux qui se sont reposés sur la noble architecture des montagnes méridionales, ou qui se sont nourris de la verdure surabondante et de la végétation héroïque du nord ; les grandes lignes, les fortes couleurs y manquent ; mais les contours sinueux, les nuances légères, toutes les grâces fuyantes y viennent amuser l’agile esprit qui les contemple, le toucher parfois, sans l’exalter ni l’accabler. — Si vous entrez plus avant dans la vraie Champagne, ces sources de poésie s’appauvrissent et s’affinent encore. […] Au plus fort de juin, les nuages passent en troupes, et souvent dès février, la brume enveloppe les arbres de sa gaze bleuâtre sans se coller en givre autour de leurs rameaux. […] L’aîné les ayant pris, et fait tous ses efforts, Les rendit, en disant : Je le donne aux plus forts. […] Sans doute le sujet sachant et pensant sera toujours limité ; mais le savoir et le pouvoir sont illimités, et par contre-coup la nature pensante elle-même pourra être fort agrandie, sans sortir du cercle connu de la biologie.

1678. (1925) Comment on devient écrivain

On peut devenir un bon avocat ou un bon médecin sans avoir une très forte vocation. […] Ulysse est, sous ce rapport, une création étonnante, « le plus fort caractère de l’antiquité », dit Flaubert. […] Je retournai la lame si fort, qu’elle cassa. […] Jules Lemaître est à lire, pour le ton extraordinaire de son style et sa forte simplicité de diction. […] Les conférences sont ordinairement fort mal écrites.

1679. (1809) Tableau de la littérature française au dix-huitième siècle

Mais qui voudrait trouver dans Voltaire un système de philosophie, des principes liés, un centre d’opinions, serait fort embarrassé. […] Ils offrent à l’esprit matière à réfléchir longtemps, et, même en les rejetant, ils laissent admirer l’imagination forte et ingénieuse qui les a créés. […] Chacun peut essayer d’être le plus fort ; c’est à lui de voir si son repos lui est plus cher que son intérêt. […] Le recueil de l’Académie des inscriptions est assurément un monument fort honorable pour le dix-huitième siècle. […] Le plus fort voulut toujours prouver qu’il avait raison, autrement que par la force.

1680. (1864) Corneille, Shakespeare et Goethe : étude sur l’influence anglo-germanique en France au XIXe siècle pp. -311

En bon patriote il approuvait fort son gouvernement sur ce point. […] Ici la pluie devint si forte, que nous fûmes obligés de nous réfugier sous une porte-cochère. […] Bouilhet, Baudelaire, de Banville, sont restés fidèles à la manière du maître, ce qui ne les empêche pas d’avoir chacun un talent fort différent. […] Au fond, il est aussi plus amer, plus roué, plus fort, comme on dirait dans un certain monde, que son émule français. […] Les règles semblent leur être indispensables, et ils jugent bien plus fort un homme de talent qui s’y soumet avec grâce, qu’un homme de génie qui les rejette.

1681. (1925) Feux tournants. Nouveaux portraits contemporains

Quelle ne fut pas ma stupéfaction d’entendre un adjudant appeler des noms d’une sonorité fort commune et qui m’étaient tout à fait inconnus. […] À quatorze ans, il a quitté Braïla, abandonnant sa famille, une mère qu’il aime ; mais le besoin de partir est en lui le plus fort. […] Il songe, parmi des cuirs somptueux, et devant une vitrine où j’ai admiré de minuscules souliers sertis de pierres éclatantes, à l’existence dont le pathétique l’a si fort éprouvé. […] Pour être magnifiquement meublé cet hôtel n’en est pas moins fort connu de la préfecture. […] Et pourtant Ramuz hésite à venir à Paris ; fataliste, il se soumettra au courant d’événements le plus fort.

1682. (1891) Lettres de Marie Bashkirtseff

C’est fort, diras-tu. […] D’ailleurs, je dis des choses fort connues. […] Mais pourquoi dissimuler cette prose, fort honnête en somme, sous ce grand amour ? […] Elle a joué, cela va sans dire, comme personne, mais je critiquerai très fort son entourage. […] On dit que vous n’appréciez que les fortes femmes aux cheveux noirs.

1683. (1920) Essais de psychologie contemporaine. Tome I

La trempe morale était aussi forte en lui que la trempe physique. […] Au même moment qu’il se repaissait des romanciers et des poètes, il subissait une forte discipline scientifique. […] Rarement l’unité d’une œuvre fut plus forte et la spécialité d’une nature plus accusée. […] L’expression d’« homme fort » est à la mode. […] Dans une forte étude sur Carlyle, M. 

1684. (1910) Victor-Marie, comte Hugo pp. 4-265

aux forts ! […] aux forts ! […] aux forts ! […] En y pensant, c’était encore plus fort. […] Et ce qu’il y a de plus fort c’est qu’il aura raison.

1685. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome III pp. -

J’approuve fort le jugement qu’ils en ont porté, & je vous en envoie un exemplaire. […] Mallebranche avoit signé le formulaire : l’écrit dans lequel il a retracté sa signature est fort suspect. […] Tout un couvent fort nombreux, de la province de Calabre, le gardien à la tête, se capuchonna. […] Le fort de l’orage, contre les jésuites, étoit diminué. […] Cette proposition révolta la Sorbonne, fort aigrie contre lui.

1686. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — Chapitre I. La Restauration. »

Hobbes, en logicien inexorable, la veut absolue ; la répression en sera plus forte et la paix plus stable. […] Rien de plus fort que le contraste des conversations de Shakspeare et de Fletcher, mises en regard de celles de Wycherley et de Congreve. […] Ils trouvent naturellement sur leur palette les fortes couleurs qui conviennent à leurs barbares et les jolies enluminures qui conviennent à leurs élégants. […] » Il cause avec elle ; elle avoue qu’il est fort laid, mais qu’il a beaucoup d’esprit. Il cause une seconde fois, une troisième fois, elle le trouve fort aimable.

1687. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Benjamin Constant et madame de Charrière »

Nous nous amusions fort. […] Adieu, cher et spirituel rouage qui avez le malheur d’être si fort au-dessus de l’horloge dont vous faites partie et que vous dérangez. […] Penser à vous dans de grandes assemblées est fort pénible et fort désobligeant pour les autres : aussi j’ai pris le parti d’avoir toujours une lettre commencée que je continue sans ordre et où je verse, jusqu’au jour du courrier, tout ce que j’ai besoin de vous dire, tantôt une demi-phrase, tantôt une longue dissertation, n’importe. […] Il gèle toujours plus fort, et toutes les rues sont des mers de glace. […] Nous sommes dans un temps d’orage, et quand le vent est si fort, le rôle de roseau n’est point agréable.

1688. (1869) Philosophie de l’art en Grèce par H. Taine, leçons professées à l’école des beaux-arts

Un peuple reçoit toujours l’empreinte de la contrée qu’il habite, mais cette empreinte est d’autant plus forte qu’au moment où il s’établit, il est plus inculte et plus enfant. […] Livré à lui seul, le temple grec demeure et subsiste ; on s’en aperçoit à sa forte assiette ; sa masse le consolide au lieu de le charger. […] Rassasié et dispersé comme il est, il demande à l’art des sensations imprévues et fortes, des effets nouveaux de couleurs, de physionomies et de sites, des accents qui à tout prix le troublent, le piquent ou l’amusent, bref, un style qui tourne à la manière, au parti pris et à l’excès. […] Le spectateur attache un prix égal à ses différentes parties, nobles ou non nobles, à la poitrine qui respire largement, au cou flexible et fort, aux muscles qui se creusent ou se renflent autour de l’échiné, aux bras qui lanceront le disque, aux jambes et aux pieds dont la détente énergique lancera tout l’homme en avant pour la course et pour le saut. […] Miltiade, Aristide, Périclès et même, beaucoup plus tard, Agésilas, Pélopidas, Pyrrhus, font œuvre de leurs bras, et non-seulement de leur intelligence, pour frapper, parer, à l’assaut, à pied, à cheval, au plus fort de la mêlée ; Épaminondas, un politique, un philosophe étant blessé à mort, se console comme un simple hoplite, parce qu’on a sauvé son bouclier.

1689. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « Conduite de l’action dramatique. » pp. 110-232

On est fâché de voir, dans Andromaque, Pilade si fort au-dessous d’Oreste, qui le tutoie, et à qui il répond avec un respect qui nuit à l’effet que produirait le spectacle de leur amitié. […] Mais il faut prendre garde de n’employer jamais de grandes expressions et des termes fort relevés pour énoncer un sentiment faible : rien ne choque davantage. […] Les confidents, qui ne sont que des confidents, sont toujours des personnages froids, quoiqu’en bien des occasions il soit fort difficile au poète de s’en passer. […] Molière a tiré des contrastes encore plus forts du mélange des comiques. […] Jamais le poète ne doit craindre de donner à son musicien une tâche trop forte.

1690. (1920) Action, n° 2, mars 1920

L’appel de Gide à une reprise des relations intellectuelles avec l’Allemagne montre, par ses précautions, que la germanophobie est encore très forte. […] La pure impression, naïve et forte, délicate ou profonde, vaut d’ailleurs mille fois mieux que les plus habiles discours de l’école et la géométrie la plus savante. […] La nécessité de se contredire est à peine moins forte que la fatalité de souffrir. […] Sa violence, quelle qu’elle soit, n’est jamais la plus forte. […] nous étions moins forts.

1691. (1813) Réflexions sur le suicide

Vous pourriez, pour ainsi dire, gagner tout un peuple un à un, si chaque individu qui le compose avait le bonheur de s’entretenir un quart d’heure avec Vous, mais à côté de cette affabilité pleine de grâces, Votre mâle énergie Vous attache tous les caractères forts. […] La Providence, qui veut que toutes les blessures de l’âme humaine puissent être guéries, vient au secours de celui qu’elle a frappé d’un coup plus fort que ses forces. […] Qui peut se croire plus sage et plus fort que la destinée, et lui dire : — c’en est trop ?  […] Il semble que rien n’est trop profond ni trop fort pour déterminera l’acte le plus terrible. […] Les événements de ce monde, quelque importants qu’ils nous paraissent, sont quelquefois mus par les plus petits ressorts, et le hasard en réclame sa forte part.

1692. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIe entretien. Conversations de Goethe, par Eckermann (3e partie) » pp. 5-96

On conçoit que les hommes de son temps se soient inclinés devant Goethe et consacrés à l’écouter dans le désert de sa vieillesse, et que, plus ils étaient grands et forts eux-mêmes, plus ils se sont volontairement abaissés devant lui. […] Mais comme elle est restée debout, forte et solide, j’ai la conviction qu’elle a encore une autre mission, et cette mission sera plus grande que celle qu’elle a accomplie lorsqu’elle a détruit l’empire romain et donné sa forme au moyen-âge, plus grande en proportion même de la supériorité de sa civilisation actuelle sur la civilisation du passé. […] Le sommeil du peuple était trop profond pour que les secousses même les plus fortes puissent aujourd’hui le réveiller si promptement. […] Après une conversation qui n’avait rien de remarquable, en me retirant, je rencontre une dame avec deux jeunes filles fort jolies. […] Corneille était aussi fort, mais pas aussi divin ; Racine, moins philosophe et moins original.

1693. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIVe entretien. Épopée. Homère. — L’Odyssée » pp. 445-524

Ces liens, d’autant plus forts qu’ils étaient tout à fait volontaires, unissaient la chaumière au château. […] Ils dressent le mât ; ils le placent dans le creux qui lui sert de base ; ils l’assujettissent avec des cordages ; puis ils déplient les blanches voiles tendues par de fortes courroies. […] continua-t-elle. — C’est que la douleur défigure le visage, répondit une de mes sœurs, et que nous n’aimons pas nous laisser voir enlaidies par les larmes. — N’est-ce pas aussi, répondis-je à mon tour, parce que la douleur est une faiblesse et que l’homme doit se montrer fort, même contre le chagrin ? […] Lorsqu’une biche a déposé par hasard ses jeunes faons qui tètent encore dans la caverne d’un fort lion, elle parcourt la montagne et va paître les herbes des vallées. […] « Tout autour de l’enceinte extérieure se dressait une forte palissade de pièces serrées les unes contre les autres et taillées dans le cœur du chêne.

1694. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Discours sur le système et la vie de Vico » pp. -

Les malheureux qui étaient restés dans la promiscuité des biens et des femmes, et dans les querelles qu’elle produisait, voulant échapper aux insultes des violents, recoururent aux autels des forts, situés sur les hauteurs. […] Les forts tuaient les violents et protégeaient les réfugiés. […] Retiré dans sa solitude comme dans un fort inexpugnable, il méditait, il écrivait quelque nouvel ouvrage, et tirait une noble vengeance de ses détracteurs. […] Ne vous est-il pas arrivé de faire, dans l’élan d’une volonté forte, des choses que vous admiriez ensuite, et que vous étiez tentés d’attribuer à un dieu plutôt qu’à vous-mêmes ? […] Au moment où les persécutions égarèrent la raison du malheureux Cuoco, il détruisit un travail fort remarquable, dit-on, sur le système de la Science nouvelle.

1695. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre VIII. La littérature et la vie politique » pp. 191-229

Je crois que le Cid, coupable de célébrer un héros espagnol, eût fort risqué d’être arrêté au passage, si Richelieu eût été aussi ombrageux que l’Empereur. […] Zola, qui ne s’attendait pas à être un jour au plus fort de la mêlée sociale, a lancé jadis des invectives amères contre cette gêneuse, contre cette concurrente tapageuse et sans scrupule. […] Polémistes et orateurs sont obligés de frapper fort et de frapper vite. […] § 5. — Si les traits de la littérature changent ainsi selon que la vie politique est intense ou languissante, selon que le gouvernement est fort ou faible, il n’importe pas moins de considérer à quelle classe appartient le pouvoir. […] Tout peuple, qui veut être fort contre ses voisins, resserre les liens qui unissent ses membres et réprime les écarts de la fantaisie individuelle.

1696. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « III. M. Michelet » pp. 47-96

Beaucoup aussi, et parmi les esprits qui aiment la monarchie et respectent le passé de notre histoire, ont reproché à Richelieu d’avoir frappé trop fort sur la noblesse et rabaissé les parlements, si bien que quand les révolutions se sont levées, la Royauté n’avait plus ses défenses et qu’elle se trouva esseulée dans un État vide sur les débris de ses antiques constitutions. […] Dans la perspective de l’histoire, qui est parfois une fausse optique, Richelieu nous paraît si fort, si impérieux, si au-dessus des autres âmes, qu’on incline peu à supposer que la douleur soit jamais montée sur cette cime, ou bien qu’elle ait pu l’abaisser. […] … Lorsque ce bel esprit de l’histoire, plus femme qu’homme, il est vrai, dans ses facultés, introduisait une imagination vive et jeune alors dans l’âpre domaine qu’il se chargeait de cultiver, et que nous lui laissions nouer, comme à un bel enfant grec, l’éclatant feston autour du chapiteau sévère, nous doutions-nous que le temps viendrait où, flétrie par les partis et parlant leur langage, cette imagination n’aurait plus souci, nous ne disons pas de la Vérité, — amour trop fort et trop viril pour elle, — mais de la Forme même dont elle était la noble esclave, et qu’elle la perdrait comme on perd tout, — en s’abaissant ? […] Michelet, en appréciant la distance qu’il y a entre un fort de la halle aux idées et un homme qui n’est qu’un artiste gracieux et vibrant, ce que Proudhon a fait pour la métaphysique et l’économie politique, on peut dire que M.  […] Les plus forts, les plus gigantesques de ses chefs apparents, qu’il poussait devant lui sous le coup de fourche de son inflexible volonté, ne furent, entre ses mains de Briarée, que d’énormes pantins qu’il fît jouer et qu’il brisa.

1697. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Charles Labitte »

Il s’était fort lié avec son compatriote M.  […] Les deux amis poussèrent vivement les préparatifs de leur commune entreprise ; ils lurent tout ce qui était imprimé en fait de vieux sermonnaires, ils abordèrent les manuscrits, et, même lorsque l’idée d’une rédaction définitive eut été abandonnée, ils durent à cette courageuse invasion au cœur d’une rude et forte époque de connaître les sources et les accès de l’érudition, d’en manier les appareils comme en se jouant, et d’avoir un grand fonds par-de-vers eux, un vaste réservoir où ils purent ensuite puiser pour maint usage. […] Jules Macqueron, le 30 décembre 1835) ; mon pauvre ami, ma santé est à peu près perdue, et il est fort probable, du moins d’après les données de l’art, que mon pèlerinage sera court. […] On a, de nos jours, fort raisonné théoriquement de la Ligue, et ç’a été une mode, chez plus d’un historien paradoxal comme chez nos jeunes catholiques cavaliers, ou chez nos jacobins néo-catholiques, de se déclarer subitement ligueurs. […] Ces opinions de l’éditeur, qui se décelaient déjà dans l’introduction mise en tête du Recueil, éclatèrent surtout dans un article critique fort rude qu’il lança peu après233 contre la Satyre Ménippée et contre la Notice qu’y avait jointe Charles Labitte.

1698. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLVe entretien. Vie de Michel-Ange (Buonarroti) »

Enfin, si, en feuilletant dans les bibliothèques poudreuses du Vatican, à Rome, ou du palais Pitti, à Florence, les manuscrits du quinzième siècle, vos regards tombent sur une de ces poésies à la fois platoniques et amoureuses, où les vers, forts comme des muscles de géant, et les pensées, tendres comme des rêves de femme, respirent à la fois la virilité du buste de Brutus et la mélancolie des sonnets de Pétrarque ; et si vous demandez quel était ce poëte avec lequel la plus belle, la plus poétique et la plus chaste des femmes de son siècle, Vittoria Colonna, entretenait ce commerce de cœur et de génie qui consolait l’un de sa vieillesse, l’autre de son veuvage d’un héros ? […] Aussi forte que Dante, moins ingénieuse que Pétrarque, Vittoria Colonna crie ses angoisses et ne les chante pas. […] On sent le premier jet, mais le premier jet d’une pensée forte. […] Le sentiment le plus fort et le plus délicieux de l’âme cherche naturellement pour s’exprimer l’idiome le plus suave, le plus mélodieux et le plus coloré des idiomes. […] « Ingrate patrie, qui, en faisant son malheur, fais ta propre honte et qui montres ainsi une fois de plus que c’est aux plus parfaits et aux plus forts que sont réservées les plus glorieuses misères !

1699. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre I. Littérature héroïque et chevaleresque — Chapitre I. Les chansons de geste »

Mais la mort de Bègue est un récit d’un grand effet dans sa couleur grise, avec cette accumulation rapide de petits détails pressés d’une si exacte et précise notation : la vie paisible de Bègue dans son château de Belin, entre sa femme et ses enfants, l’ennui qui prend à la fin ce grand batailleur, sourde inquiétude, désir de voir son frère Garin qu’il n’a pas vu depuis longtemps, et son neveu Girbert qu’il n’a jamais vu, désir aussi de chasser un fort sanglier, fameux dans la contrée du Nord ; la tristesse et la soumission douce de la femme ; le départ, le voyage, la chasse si réelle avec toutes ses circonstances, l’aboi des chiens, le son des cors, la fuite de la bête, l’éparpillement des chasseurs, qui renoncent ; Bègue seul âpre à la poursuite, dévorant les lieues, traversant plaines et forêts et marais, prenant ses chiens par moments sur ses bras pour les reposer, jusqu’à ce qu’il se trouve seul, à côté de la bête morte, ses chiens éventrés, en une forêt inconnue, sous la pluie froide de la nuit tombante : il s’abrite sous un tremble, allume un grand feu, prend son cor et en sonne trois fois, pour appeler les siens. […] Il n’y a pas de scène de roman moderne qui ait une vérité plus simple et plus forte. […] Or cet auditoire est insatiable : d’intelligence fruste et étroite, d’imagination forte mais grossière, il veut sans cesse du nouveau. […] Un roi qui déguise deux mille de ses soldats en diables noirs et cornus pour donner l’assaut à une ville assiégée38, un baron au contraire qui garnit les murs de son château assiégé de mannequins bien armés pour simuler une forte garnison39, un marmiton gigantesque, sot et colère, qui fait grotesquement d’héroïques exploits, et qui, voulant monter à cheval, se tourne tête en queue, comme nos clowns de cirque40 : voilà ce qui amusait infiniment nos bons aïeux. […] Même le type du héros, que nous avons vu déjà dégradé, s’abaissent encore plus bas qu’on ne saurait dire : après les deux types épiques, dont le second est déjà moins grand, après le preux défenseur de la France ou de la foi, après le violent batailleur qui garde ou gagne des fiefs, on aura les types romanesques, le féroce baron, l’extravagant chevalier, tous les deux aimés des dames, et l’on aboutira au soudard ; le mauvais sujet, casseur de cours, bâtard et semeur de bâtards, vulgaire, jovial, et surtout fort comme Hercule ou Porthos, délices du populaire par le sans-façon de ses manières et parce qu’il dit son fait à la noblesse, c’est Baudouin de Sebourc49, dernier et indigne rejeton de la lignée de Roland.

1700. (1895) Histoire de la littérature française « Seconde partie. Du moyen âge à la Renaissance — Livre I. Décomposition du Moyen âge — Chapitre II. Le quinzième siècle (1420-1515) »

La touche est plus forte, la précision plus sèche et plus brutale dans les Cent Nouvelles nouvelles, dont il fut le principal et peut-être l’unique rédacteur123. […] Hier et tout le passé sont plus forts qu’aujourd’hui, pour donner sa forme à demain. […] Mais on a vu en lui un aristocrate, parce qu’il se moque bien fort des chaussetiers et autres bourgeois de Gand, qui veulent se mêler de diriger la politique de la jeune duchesse Marie de Bourgogne. […] Commynes s’étant placé du côté du plus fort, cette conséquence pratique lui était fort commode à tirer.

1701. (1864) William Shakespeare « Première partie — Livre IV. Shakespeare l’ancien »

Musgrave a probablement raison, car les Euménides étant une pièce fort religieuse, les prêtres avaient dû la choisir pour l’accuser d’impiété. […] Ce Philadelphe avait fort augmenté la bibliothèque d’Alexandrie qui, de son vivant, comptait deux cent mille volumes, et qui, au sixième siècle, atteignit, dit-on, le chiffre incroyable de sept cent mille manuscrits. […] On a fort plaidé pour Omar. […] Cette réponse, qu’Aristote déclare obscure, nous semble fort claire. […] Beaucoup de ces colonies, situées loin, étaient fort exposées.

1702. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre premier. Des principes — Chapitre II. Axiomes » pp. 24-74

Preuve bien forte en faveur de la vérité de l’histoire sainte. […] L’imagination est d’autant plus forte que le raisonnement est plus faible. […] Dans l’enfance, la mémoire est très forte ; aussi l’imagination est vive à l’excès ; car l’imagination n’est autre chose que la mémoire avec extension, ou composition. — Voilà pourquoi nous trouvons un caractère si frappant de vérité dans les images poétiques, que dut former le monde enfant. […] Les deux axiomes précédents sont deux fortes preuves en faveur de notre mythologie historique et en même temps deux coups mortels pertes au préjugé qui attribue aux anciens une sagesse impossible à égaler (innarrivabile). […] Dans l’état de famille, les pères durent exercer un pouvoir monarchique, dépendant de Dieu seul, sur la personne et sur les biens de leurs fils, et, à plus forte raison, sur ceux des hommes qui s’étaient réfugiés sur leurs terres, et qui étaient devenus leurs serviteurs.

1703. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Roederer. — II. (Suite.) » pp. 346-370

Assurément je vous tiens de plus près qu’à personne par l’amitié et, malgré vous, par le respect ; mais, s’il y a incompatibilité, les premiers engagements sont les plus forts, à moins que Ginguené ne me chasse. […] II, p. 175) ; il examine les droits de Chénier à l’exercice de la censure, ce que pourrait être la satire en des temps de calamité générale, et ce qui fait qu’à de pareilles époques l’arme de l’épigramme et du ridicule est fort émoussée : il n’y parle pas le moins du monde en auteur irrité, mais en homme public qui, sans se défendre l’amertume, s’attache à dire avant tout des choses graves et justes. […] Cela ne m’empêche pas de paraître fort serein devant les personnes qui m’entourent. […] Bref, les services rendus furent tels qu’à la seconde ou troisième séance que tinrent les consuls provisoires au Luxembourg, Bonaparte fit appeler, par une lettre du secrétaire des consuls, Talleyrand, Volney et Roederer : M. de Talleyrand et moi, dit ce dernier, nous fûmes fort étonnés de nous y rencontrer avec M. de Volney, que nous ne savions pas avoir participé en rien aux opérations du 18 Brumaire.

1704. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Appendice. Discours sur les prix de vertu »

Un jour Mme Navier, qui s’était fort fatiguée à soigner un enfant malade appartenant à une famille pauvre, vit entrer chez elle l’archevêque, M.  […] Honneur à ces types modestes, laborieux et solides, à ces hommes de devoir, de vertu, d’abnégation, à ces chevilles ouvrières de toute bonne et forte organisation sociale, sergents dans l’armée, contremaîtres dans l’industrie, sur qui pèsent et roulent le labeur et la peine de chaque jour, et qui, dans des relations de chaque heure avec l’élément populaire individuel, font respecter en eux l’autorité dont ils occupent le moindre grade, mais dont certes ils ne remplissent pas le moins courageux office ! […] Le cardinal archevêque de Besançon, en nous attestant de sa main la vérité des faits qui concernent ce digne prêtre de son diocèse, ajoutait : « Je sens couler mes larmes en écrivant ces lignes, comme elles ont souvent coulé pendant que je bénissais le bon abbé Brandelet pour ses œuvres toutes de détachement, de zèle, et d’une persévérance vraiment admirable. » L’abbé Brandelet s’est surpassé en dernier lieu par l’achat qu’il fit, à ses risques et périls, de l’ancien château fort de Blamont mis en vente par l’État en 1859. […] Ces besoins, ces demandes de la société créent ou développent des genres autrefois fort resserrés et qui rendaient peu.

1705. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. »

Un quartier de la petite pension qu’avait Mme Valmore vint aussi fort à propos pour être partagé entre tous ceux qui en avaient tant besoin ; et comme c’était peu, elle vendit encore quelques effets pour le même usage. […] La méritant si peu, je ne la regrette pas plus que je ne l’avais souhaitée et demandée. » Son oncle Constant Desbordes, le peintre, lui écrivait en septembre, pour l’avertir qu’on était fort surpris au ministère de la maison du roi qu’elle ne se fût point présentée ou quelqu’un de sa part, car il y avait neuf mois que cette pension datant de janvier avait commencé de courir ; il avait dû déjà la gronder auparavant de paraître se soucier trop peu d’une faveur, « qui, disait-il, n’a rien que d’honorable ». […] Elle lisait aussi Pascal, dont les Pensées occupaient fort en ces années la critique littéraire. […] C’est dans une lettre du 1er novembre 1826 ; elle lui écrivait, en bonne royaliste toujours, en amie spirituelle et sensée, mais qui n’entendait rien à ce genre de scrupules : « Mon cœur, disait-elle, sait lui pardonner (à la sœur de Mme Valmore, pour un grief en l’air et par manière de plaisanterie), comme il te pardonne la nonchalance que tu mets pour recevoir une pension qui ne peut, sous tous les rapports, n’être pour toi que fort agréable.

1706. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Béranger — Béranger en 1832 »

., les adressa, en les accompagnant d’une lettre fort digne, à un personnage éminent d’alors. […] Sans s’abuser un seul instant sur les Bourbons qu’il avait eu de bonne heure occasion de connaître d’après des circonstances fort particulières  ; sans donner jamais en plein dans la Charte, comme Courier, Béranger attendit les excès de 1815 et 1816 pour se prononcer hautement contre la dynastie restaurée, et en cela il fit preuve de plus de sens que ceux qui lui ont reproché sa chanson du Bon Français, de mai 1814. […] On ne s’étonnera point, d’après cela, si les questions agitées, il y a peu d’années, dans la poésie et dans l’art, tout en paraissant fort étrangères au genre et aux préoccupations politiques de Béranger, ne l’ont laissé au fond ni dédaigneux ni indifférent. […] Par ces raisons diverses qu’il sait lui-même fort agréablement déduire, Béranger est donc allé jusqu’à se croire redevable de quelque chose à la jeune école poétique.

1707. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « L’abbé Prévost »

Une bien forte part de la gloire de Walter Scott et de Chateaubriand plonge déjà dans l’ombre. […] On le soigna fort à cause des rares talents qu’il produisit de bonne heure, et les jésuites l’avaient déjà entraîné au noviciat lorsqu’un jour (il avait seize ans), les idées de monde l’ayant assailli, il quitta tout pour s’engager en qualité de simple volontaire. […] La littérature anglaise y est jugée fort au long dans la personne des plus célèbres écrivains ; on y lit des notices détaillées sur Roscommon, Rochester, Dennys, Wicherley, Savage ; des analyses intelligentes et copieuses de Shakspeare ; une traduction du Marc-Antoine de Dryden, et d’une comédie de Steele. […] Béranger, au contraire, avait fort remarqué ce passage, et il s’amusait quelquefois à taquiner M. de Chateaubriand sur ce que ses petits neveux les romantiques pensaient de lui.

1708. (1858) Cours familier de littérature. V « XXVIIIe entretien. Poésie sacrée. David, berger et roi » pp. 225-279

David, berger et roi I La poésie lyrique est donc, dans tous les pays et dans toutes les langues, la manifestation de ce besoin mystérieux de chanter qui saisit l’âme toutes les fois que l’âme est saisie elle-même par ces fortes émotions qui tendent les fibres de l’imagination jusqu’à l’inspiration ou jusqu’à ce délire, délire poétique, religieux, amoureux, patriotique. […] C’était de l’arabe concentré, une langue forte et brève, qui n’exposait pas la pensée, mais qui la lançait au ciel ou aux hommes. […] Les chefs amènent leurs fils, les premiers nés, les plus beaux, les plus forts, devant le prophète. […] Mais ces grandes images, ces fortes pensées, ces sages maximes, cette philosophie pratique ne sont que des excursions rapides qui interrompent par moment son enthousiasme de commande pour les villes, les îles, les rois, les citoyens qui payent ses chants.

1709. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre I. Littérature héroïque et chevaleresque — Chapitre II. Les romans bretons »

C’en est fait dès lors : plus fort que leurs volontés, plus fort que le devoir, plus fort que la religion, l’amour souverain les lie jusqu’à la mort. […] Cet amour-là était trop fort, trop sérieux, trop profond.

1710. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre neuvième »

Tel historien qui nous traite en savants risque fort de nous fatiguer. […] Louis XIV, au plus fort des désastres de la guerre de la succession, disait de Guillaume III : « Mon frère d’Angleterre connaît mes forces, mais il ne connaît pas mon cœur. » On peut de même dire de Voltaire, historien du dix-septième siècle : Il a connu les forces de ce siècle ; il n’en a pas connu le cœur. […] Je doute fort qu’en fait de peines proportionnées aux délits, on aille jusqu’à condamner l’incendiaire, « qu’on brûlait, dit Voltaire, en cérémonie », à rebâtir la grange incendiée, puis « à veiller toute sa vie, chargé de chaînes et de coups de fouet, à la sûreté de toutes les granges du voisinage. » Je doute qu’on imagine jamais de punir le faux monnayeur, en le forçant de fabriquer toute sa vie en prison la monnaie de l’État ; le faussaire, en le contraignant à copier de bons ouvrages, ou à transcrire sa sentence sur les registres des juges. […] Nous avons beaucoup de cet esprit-là dans nos jugements sur les autres, fort peu dans nos jugements sur nous-mêmes.

1711. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Discours préliminaire, au lecteur citoyen. » pp. 55-106

Un autre Prophete qui auroit ajouté : « Et alors, les mots signifieront chose contraire à ce qu’ils avoient signifié auparavant ; les actions produiront un effet opposé à celui qu’elles doivent produire ; quand on prêchera la licence, on croira qu’il s’agit de subordination ; quand on armera le fort contre le foible, le fripon contre l’honnête homme, le valet contre son maître, on criera vive la justice ; quand on bouleversera tout, qu’on encouragera tous les vices, qu’on brisera tous les liens de la Société, chacun s’écriera, voilà le rétablissement de l’ordre, tous les hommes vont être heureux ». […] Les Anglois, dans le plus fort accès d’antipathie dont on les accuse à notre égard, auroient-ils jamais dit, oseroient-ils même dire, à présent que nous sommes en guerre ouverte avec eux : Ce n’est plus sous le nom de François que ce Peuple pourra de nouveau se rendre célebre : cette Nation avilie est aujourd’hui le mépris de l’Europe. […] Ce Discours a paru pour la premiere fois à la tête de la quatrieme édition publiée en 1779 ; comme il a été fort goûté du Public, on n’a pas cru devoir le supprimer. […] Ce sont des Philosophes qui ont décrié & réduit à fort peu de chose le mérite de l’inimitable Lafontaine [Voyez l’article de ce Poëte], qui ont appelé la satire un métier facile & méprisable, & prétendu que le plus grand honneur qu’ait pu recevoir Corneille, c’est que M. de Voltaire ait daigné le commenter [Voyez l’art.

1712. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Chateaubriand homme d’État et politique. » pp. 539-564

Il a exprimé en maint endroit ce sentiment impatient et si naturel aux fortes natures, qui leur fait désirer un vaste champ d’activité. […] Il est fort à craindre en effet que quand on aborde la politique à ce point de vue, dans ces dispositions d’un génie désœuvré qui veut faire absolument quelque chose et se désennuyer en s’illustrant, on n’y cherche avant tout des émotions et des rôles. […] M. de Chateaubriand, dès 1814, est impatient, et il s’étonne, il se pique que tout d’abord on ne vienne pas à lui comme à l’homme nécessaire : « J’avais été mis si fort à l’écart, dit-il, que je songeais à me retirer en Suisse. » Et il montre Louis XVIII comme jaloux et déjà dégoûté de lui, et Monsieur (le comte d’Artois) comme n’ayant jamais rien lu du Génie du christianisme. […] … Pauvres songes, c’est fort heureux pour eux !

1713. (1856) Les lettres et l’homme de lettres au XIXe siècle pp. -30

Il est de plus un juge fort compétent des travaux de l’esprit, un connaisseur délicat et universel. […] Notre Denis à nous, hommes du xixe  siècle, aime les mathématiques ; mais il goûte fort les romans : notre Louis XIV affectionne l’art grec ; mais il est grand partisan du gothique. […] Malgré nos grands airs d’indépendance, nous sommes en réalité et heureusement fort dociles à nous laisser conduire. […] C’est l’association tacite, mais fort réelle des esprits éclairés, la communion sainte des lumières de la raison, communion offerte à tous, et à laquelle tous participent plus ou moins, selon leurs forces ; en un mot, c’est la civilisation.

1714. (1913) La Fontaine « IV. Les contes »

Clymène, usez-en bien : vous n’aurez pas toujours Ce qui vous rend si fière et si fort redoutée. […] Je crois que le sentiment s’évanouit quand on l’analyse, lorsqu’il est faible, et je crois que le sentiment se fortifie et s’agrandit quand on l’analyse, lorsqu’il est fort. […] — Ce que vous dites est fort vrai, repartit Acante ; mais je vous prie de considérer ce gris de lin, cette couleur d’aurore, cet orangé et surtout ce pourpre qui environne le roi des astres. […] La Courtisane amoureuse est fort intéressante.

1715. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre x »

Tout cela s’acquiert et se mérite…‌ Et cette haute idée de la dignité du commandement, ce beau désir de tenir au mieux l’emploi le plus modeste dans la hiérarchie, nous conduisent à voir que sous cette poésie parfumée, joyeuse et d’un goût parfait, pareille aux chansons immortelles de Mistral, respire une âme forte :‌ Ne priez pas, dit-il aux siens, pour que les souffrances me soient épargnées ; priez pour que je les supporte et que j’aie tout le courage que j’espère.‌ […] Pour faire connaître, aimer cette jeune nature si tendre et si forte, j’aurais pu me borner à transcrire ces ultima verba, et simplement je crois, ce jeune salut « à la beauté, à la jeunesse, à la vie », mais c’est par piété que je transcris toutes ces lignes qui font tant d’honneur à notre nation. […] Le commandant observa que ce n’était pas le moment et qu’il ferait mieux de prendre ses dispositions. « Mon commandant, répondît l’autre, cela ne m’empêche pas de prendre mes dispositions et de me battre, et je me sens plus fort. » Alors, j’ai dit : « Mon capitaine, je fais comme vous, et moi aussi je m’en trouve bien. » (Lettres d’André Cornet-Auquier, distribuées à ses amis.)‌ […] Ils nous disent que c’est quelque chose qui les rend plus forts, dont ils se trouvent bien.

1716. (1868) Curiosités esthétiques « IV. Exposition universelle 1855 — Beaux-arts » pp. 211-244

Il est encore une erreur fort à la mode, de laquelle je veux me garder comme de l’enfer. — Je veux parler de l’idée du progrès. […] Je me rappelle fort distinctement le respect prodigieux qui environnait au temps de notre enfance toutes ces figures, fantastiques sans le vouloir, tous ces spectres académiques ; et moi-même je ne pouvais contempler sans une espèce de terreur religieuse tous ces grands flandrins hétéroclites, tous ces beaux hommes minces et solennels, toutes ces femmes bégueulement chastes, classiquement voluptueuses, les uns sauvant leur pudeur sous des sabres antiques, les autres derrière des draperies pédantesquement transparentes. […] A propos des Adieux de Roméo et Juliette, j’ai une remarque à faire que je crois fort importante. […] Il semble que cette couleur, qu’on me pardonne ces subterfuges de langage pour exprimer des idées fort délicates, pense par elle-même, indépendamment des objets qu’elle habille.

1717. (1899) Le roman populaire pp. 77-112

Nous sommes à Waterloo ; nous voyons les campagnes plates avec les villages et les fermes aux noms fameux, les moulins, les fossés ; nous voyons l’armée de Napoléon au repos, l’armée de Wellington au repos, et puis les estafettes qui partent, le premier coup de canon, la mêlée, les charges, l’héroïque jeunesse qui tombe ou qui s’élance, la Vieille Garde qui donne, la vie et la mort qui s’affirment, l’une et l’autre, avec la plus effroyable énergie, dans l’espace le plus restreint et dans le temps le plus court, c’est-à-dire l’objet des plus fortes impressions et des plus durables souvenirs qui puissent se graver en nous. […] Une école, nombreuse et forte, prétend que la littérature et l’art s’adressent et s’adressent nécessairement à une élite de l’humanité. […] C’est une thèse fort soutenue. […] Et d’autres, fort heureusement, pensent comme moi.

1718. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre premier. »

L’Académie française, dans le désir d’exciter les fortes études de lettres et la hardiesse sévère du goût, avait proposé, il y a quelques années, un prix extraordinaire pour la meilleure traduction en prose ou en vers de Pindare. […] Quoi qu’il en soit, l’érudition proprement dite de notre dix-septième siècle ne fut pas non plus fort attentive à la poésie de Pindare. […] Maintenant couronné à Olympie, et deux fois encore, à Delphes et dans l’isthme, Ergotèle, tu vantes les bains tièdes des nymphes de Sicile, hôte familier de ces campagnes devenues tiennes. » Dans cette fin de notre dix-septième siècle toujours curieuse de l’antiquité, mais ne sachant plus en réfléchir la splendeur, aux bords de ce couchant déjà moins éclairé, l’imitation de Pindare fut fort essayée, et sa grande poésie admise, en quelque sorte, à correction. […] » Puis, dans un retour aux mouvements impétueux de la vie, est-ce Pindare, est-ce Bossuet, qui, frappé du sillon d’éclair de l’aigle, que sa pensée a tant de fois suivi dans les cieux, dit d’un guerrier qu’il admire : « Comme une aigle qu’on voit toujours, soit qu’elle vole au milieu des airs, soit qu’elle se pose sur quelque rocher, porter de tous côtés ses regards perçants et tomber si sûrement sur sa proie qu’on ne peut éviter ses ongles non plus que ses yeux ; aussi vifs étoient les regards, aussi vite et impétueuse était l’attaque, aussi fortes et inévitables étaient les mains du prince de Condé. » Un seul mot vient ici littéralement de Pindare, et avant lui, d’Homère : χεῖρας ἀφύκτους.

1719. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Le Roman de Renart. Histoire littéraire de la France, t. XXII. (Fin.) » pp. 308-324

Renart, insistant sur le cousinage : « Souviens-toi de Chanteclin, lui dit-il, le bon père qui t’engendra : Jamais Coq si bien ne chanta ; Telle voix eut et si clair ton Que d’une lieue l’entendait-on, Et chantait fort à longue haleine Les deux yeux clos et la voix saine ; D’une grand lieue on l’entendait Quand il chantait et refrainait. » Ce que Renart veut obtenir cette fois, c’est que le Coq ferme les deux yeux en chantant ; c’est, selon lui, la seule bonne méthode. […] sire Renart, n’entendez-vous pas les infamies dont vous chargent ces vilains qui vous huent si fort ? […] Les beautés toutes rudes y sont concentrées et fortes.

1720. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Œuvres de François Arago. Tome I, 1854. » pp. 1-18

Que Pascal en cela obéit à ses habitudes et à ses inclinations de génie, et qu’il se souvînt qu’il était lui-même géomètre, je ne le crois pas : il ne faisait qu’assigner les rangs selon ce qu’il estimait être la capacité la plus forte et la plus élevée. […] De la porte de notre cabane, nous avions une des plus belles vues du monde : à notre gauche, mais fort au-dessous de nous, le cap Oropeza élevait dans les airs ses aiguilles qui servent de signaux aux navigateurs ; derrière nous, en se prolongeant dans l’ouest, s’étendaient les chaînes de montagnes noirâtres qui, comme un rideau, abritent le royaume de Valence du côté nord et conservent à cet heureux climat la douce température dont il jouit. […] Arago, caractérisa heureusement l’intelligence à la fois forte et subtile de son ami, quand il la compara à la trompe, si merveilleusement organisée, dont l’éléphant se sert avec une égale facilité pour saisir une paille et pour déraciner un chêne. » Cela n’est pas tout à fait exact : Jeffrey n’a pas dit une telle chose ; c’est en parlant de la machine à vapeur et de ses merveilleux effets, et non de l’intelligence de Watt, qu’il a dit : « La trompe d’un éléphant qui peut ramasser une épingle ou déraciner un chêne n’est rien en comparaison. » Parlant de l’esprit de Watt, Jeffrey le peint plus délicatement : Il avait, dit-il, une promptitude infinie à tout saisir, une mémoire prodigieuse et une faculté méthodique et rectifiante pour tirer, comme par une chimie naturelle, quelque chose de précieux de tout ce qui s’offrait à lui, soit dans la conversation, soit dans la lecture.

1721. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Sénac de Meilhan. — I. » pp. 91-108

Sénac de Meilhan, fils d’un premier médecin du feu roi, maître des requêtes et intendant du Hainaut, fort jeune encore (il n’était pas si jeune, ayant bien près de quarante ans à cette date de 1776), mais ayant du talent et de l’esprit, et qui lui avait été indiqué par ses faiseurs et conseils secrets, qui étaient en grande liaison avec lui. […] La tête est fort belle, la physionomie vive, animée, parlante, la figure assez longue ; on n’y prend nullement l’idée que donnerait de M. de Meilhan le duc de Lévis, lorsqu’il a dit : « Sa figure, quoique expressive, était désagréable ; il était même complètement laid, ce qui ne l’empêchait pas d’ambitionner la réputation d’homme à bonnes fortunes. » Cette idée de laideur ne vient pas à la vue de ce portrait ; mais on y reconnaît avant tout ce bel œil perçant, plein de feu, ces « yeux d’aigle pénétrants » dont le prince de Ligne était si frappé. […] La surface en est fort étendue : il y a des idées positives et d’un homme d’administration, il y a des vues d’homme politique et de philosophe : ce qui paraît manquer, c’est le lien exact et la cohésion de toutes ces parties.

1722. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Léopold Robert. Sa Vie, ses Œuvres et sa Correspondance, par M. F. Feuillet de Conches. — II. (Fin.) » pp. 427-443

Son désir de terminer ses quatre tableaux est bien positif : c’est là qu’il semble fixer son vœu d’artiste et borner le plus fort de sa tâche. […] C’est d’une nature si forte, d’une énergie si étonnante, qu’il me semble qu’on ne peut rien mettre en ligne. […] trop souvent notre raison n’est pas assez forte pour combattre le mal qui nous arrive.

1723. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Histoire du Consulat et de l’Empire, par M. Thiers. (Tome XII) » pp. 157-172

On y voit Reynier, officier savant et d’ordinaire peu heureux, ayant en lui je ne sais quel défaut qui paralysait ses excellentes qualités et justifiait cette défaveur de la fortune, « fort possédé du goût d’écrire sur les événements auxquels il assistait, et dissertant sur les opérations qu’on aurait pu entreprendre ». […] Il croit me mettre dans l’embarras ; il se trompe fort ; rien ne m’arrêtera ; mes desseins s’accompliront ; j’ai la volonté et la force nécessaires. […] Masséna, par exemple, hésitait fort à s’engager dans cette expédition de Portugal ; il sentait qu’il n’avait pas assez de forces, et que les Anglais en avaient plus qu’on n’en accusait.

1724. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Correspondance de Buffon, publiée par M. Nadault de Buffon » pp. 320-337

Les quatre grands personnages littéraires du xviiie  siècle ont écrit des lettres fort inégalement et avec des différences qui sont bien celles de leur caractère, de leur physionomie. […] Montesquieu écrit peu (autant du moins qu’on en peut juger par ce qu’on a), et il écrit sans prétention : son grand esprit, sa forte et haute imagination, sa faculté élevée de concevoir et son talent de frapper médaille ou de graver, sont tout entiers tournés et employés à ses compositions savantes et rares. […] Le jeune magistrat, fort instruit des choses littéraires, a pris à cœur cette gloire domestique dont il relève, et s’est fait une piété et une ambition d’y ajouter.

1725. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Correspondance de Voltaire avec la duchesse de Saxe-Golha et autres lettres de lui inédites, publiées par MM. Évariste, Bavoux et Alphonse François. Œuvres et correspondance inédites de J-J. Rousseau, publiées par M. G. Streckeisen-Moultou. — II » pp. 231-245

À l’instant, toutes les énigmes qui l’avaient si fort inquiété s’éclaircirent à son esprit : le cours des cieux, la magnificence des astres, la parure de la terre, la succession des êtres, les rapports de convenance et d’utilité qu’il remarquait entre eux, le mystère de l’organisation, celui de la pensée, en un mot le jeu de la machine entière, tout devint pour lui possible à concevoir comme l’ouvrage d’un Être puissant directeur de toutes choses ; et s’il lui restait quelques difficultés qu’il ne pût résoudre, leur solution lui paraissant plutôt au-dessus de son entendement que contraire à sa raison, il s’en fiait au sentiment intérieur qui lui parlait avec tant d’énergie en faveur de sa découverte, préférablement à quelques sophismes embarrassante qui ne tiraient leur force que de la faiblesse de son esprit. […] Lui ployait le fort et consolait le faible, et les génies les moins proportionnés entre eux le trouvaient tous également à leur portée ; il ne haranguait point d’un ton pompeux, mais ses discours familiers brillaient de la plus, ravissante éloquence, et ses instructions étaient des apologues, des entretiens pleins de justesse et de profondeur. […] Il s’impatientait fort.

1726. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. Biot. Essai sur l’Histoire générale des sciences pendant la Révolution française. »

Biot, à dix-neuf ans, soldat et canonnier, revenait de la bataille de Hondschoote : fort malade, ayant un commencement de plique, il ne pouvait se traîner. […] Nous, à la vive lumière de la philosophie, oublions donc aussi ces craintes chimériques du retour de l’ignorance, et marchons d’un pas ferme dans l’immense carrière désormais ouverte à l’esprit humain. » Ainsi parlait le jeune savant ; et plein d’un profond sentiment d’horreur pour le régime oppressif et ignare qu’on avait subi, pour ce retour inouï de barbarie en pleine civilisation, il montrait pourtant avec une satisfaction élevée le rôle honorable et indispensable des savants au fort de la crise et leur empressement courageux à répondre à l’appel de la patrie, tout décimés qu’ils étaient alors par l’échafaud. […] Biot, parce que pour une raison ou pour une autre, et sans doute parce qu’il l’estimait trop accentué dans le sens philosophique, dans le sens de Condorcet dont il était fort revenu, il n’a pas jugé à propos de le recueillir dans ses trois volumes de Mélanges.

1727. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « La Grèce en 1863 par M. A. Grenier. »

Ce mouvement de l’opinion fut si fort, si irrésistible et tempétueux, qu’il pénétra jusque dans les cabinets et atteignit les gouvernements ; ils marchèrent en partie d’eux-mêmes, en partie ils furent entraînés : la Grèce fut délivrée et naquit. […] Je me trouvai tout à coup, — dans une gorge profondément encaissée et fort sauvage, — à dix pas d’un indigène qui était assis sur une pierre, un long fusil à la main. […] L’accoutrement était suspect et avait une forte odeur klephtique.

1728. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « La comtesse d’Albany par M. Saint-René Taillandier. »

Saint-René Taillandier, s’est fort inquiété de la fin du Prétendant, qui mourut à Rome en 1788 ; il reçut dans ses derniers jours les soins pieux d’une fille qu’il avait eue d’une ancienne maîtresse, et qui se dévoua avec zèle à surveiller et à adoucir, s’il se pouvait, sa triste et dégradée vieillesse. Le biographe se plaît singulièrement à relever la conduite de cette fille naturelle, reconnue et légitimée par son père, et à mettre son dévouement, fort respectable assurément, mais fort explicable, en opposition avec l’éloignement et la séparation de l’épouse.

1729. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Entretiens sur l’architecture par M. Viollet-Le-Duc »

Les hommes influents, les Corps dont la réforme opérée diminuait radicalement, — ou plutôt momentanément, comme je le crois, — l’autorité et l’influence, ont parlé haut et se sont récriés : la jeunesse, qui ne demande jamais mieux que de remuer et de s’agiter, ne fût-ce que pour le mouvement seul, s’est partagée en deux camps, fort inégaux, il est vrai. […] Viollet-Le-Duc, né en 1814, avait pour père un homme d’esprit et fort instruit, qui a laissé sa trace dans l’étude critique de notre poésie au xvie  siècle, et pour oncle il avait M.  […] Viollet-Le-Duc dans sa première éducation se tromperaient fort.

1730. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Histoire des cabinets de l’Europe pendant le Consulat et l’Empire, par M. Armand Lefebvre. »

Premier secrétaire d’ambassade, en Italie d’abord, à Naples, à Florence, à Rome, puis en Allemagne, à Cassel près du roi Jérôme, et en dernier lieu à Berlin, il s’était trouvé mêlé à bien des épisodes dramatiques du Consulat et de l’Empire, et avait été un témoin clairvoyant, un agent fort apprécié dans son rôle modeste. […] Sa maison seule, qui est fort belle, ses escaliers ornés de statues d’un goût parfait, la beauté de ses tableaux, la profusion des dessins qu’on trouve jusque dans ses antichambres, et les raretés de toute espèce et de tous les siècles qu’on rencontre à chaque pas, auraient suffi pour m’apprendre que j’entrais chez le prince de la littérature allemande. […] Il faisait comme un général habile et prudent qui, se sentant coupé ou débordé par des forces supérieures et hors d’état pour le moment de tenir campagne, occupe les points essentiels, quelques places fortes, et abandonne le reste du pays, sauf à rejoindre plus tard ses garnisons et à rétablir ses communications dès qu’il le pourra.

1731. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Le comte de Gisors (1732-1758) : Étude historique, par M. Camille Rousset. »

Elle adorait son mari, dont elle n’eut point d’enfants ; elle était fort pieuse et même passionnée dans les querelles molinistes, déjà une petite « mère de l’Église », ainsi qu’on l’entrevoit par une raillerie du comte. […] Lorsque de Londres il passa sur le théâtre de Potsdam, qu’il fut en présence de la famille royale de Prusse et du grand Frédéric, il eut fort à s’observer. […] Elle épuisa tout son feu contre M. de Belle-Isle, fort peu semblable en cela au bon Évandre.

1732. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Jean-Baptiste Rousseau »

Or, sans faire d’hypothèse gratuite, sans demander aux hommes plus que leur siècle ne comporte, on conçoit, ce me semble, dans cette atmosphère de souvenirs et d’affections, une âme tendre, chaste, austère, effrayée de la contagion croissante et du débordement philosophique, fidèle au culte de la monarchie de Louis XIV, assez éclairée pour dégager la religion du jansénisme, et cette âme, alarmée, avant l’orage, de pressentiments douloureux, et gémissant avec une douceur triste ; quelque chose en un mot comme Louis Racine, d’aussi honnête, et de plus fort en talent et en lumières. […] Les jugements et les lectures de Rousseau répondaient à une aussi forte poétique ; c’est de finesse surtout qu’il manque. […] Il a besoin de travailler beaucoup, car, le génie n’y étant pas, il ne fera passablement qu’à force d’étude. » Et là-dessus, tout haut on l’encouragerait fort, et tout bas on n’en espérerait rien.

1733. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre premier. De l’amour de la gloire »

La plupart de ces considérations ne peuvent s’appliquer aux succès militaires, la guerre ne laisse à l’homme, de sa nature, que ses facultés physiques ; pendant que cet état dure, il se soumet à la valeur, à l’audace, au talent qui fait vaincre, comme les corps les plus faibles suivent l’impulsion des plus forts. […] Pour les républiques populaires, il faut distinguer deux époques tout à fait différentes, celle qui a précédé l’imprimerie, et celle qui est contemporaine du plus grand développement possible de la liberté de la presse ; celle qui a précédé l’imprimerie devait être favorable à l’ascendant d’un homme sur les autres hommes, les lumières n’étant point disséminées ; celui qui avait reçu des talents supérieurs, une raison forte, avait de grands moyens d’agir sur la multitude ; le secret des causes n’était pas connu, l’analyse n’avait pas changé en science positive la magie de tous les effets. […] Cette passion ne connaît que l’avenir, ne possède que l’espérance ; et si on l’a souvent présentée comme l’une des plus fortes preuves de l’immortalité de l’âme, c’est parce qu’elle semble vouloir régner sur l’infini de l’espace, et l’éternité des temps.

1734. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Conclusion. »

Enfin, si, dans ces différentes situations, on se sent assez fort pour ne vouloir que ce qui dépend de soi seul, pour ne compter que sur ce qu’on éprouve, on n’a pas besoin de se consacrer à des ressources purement solitaires. […] L’esprit observateur et assez fort pour se juger, découvre dans lui-même la source de toutes les erreurs. […] Une belle cause finale dans l’ordre moral, c’est la prodigieuse influence de la pitié sur les cœurs ; il semble que l’organisation physique elle-même soit destinée à en recevoir l’impression ; une voix qui se brise, un visage altéré, agissent sur l’âme directement comme les sensations ; la pensée ne se met point entre deux, c’est un choc, c’est une blessure, cela n’est point intellectuel, et ce qu’il y a de plus sublime encore dans cette disposition de l’homme, c’est qu’elle est consacrée particulièrement à la faiblesse ; et lorsque tout concourt aux avantages de la force, ce sentiment lui seul rétablit la balance, en faisant naître la générosité ; ce sentiment ne s’émeut que pour un objet sans défense, qu’à l’aspect de l’abandon, qu’au cri de la douleur ; lui seul défend les vaincus après la victoire, lui seul arrête les effets de ce vil penchant des hommes à livrer leur attachement, leurs facultés, leur raison même à la décision du succès ; mais cette sympathie pour le malheur est une affection si puissante, réunit tellement ce qu’il y a de plus fort dans les impressions physiques et morales, qu’y résister suppose un degré de dépravation dont on ne peut éprouver trop d’horreur.

1735. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre IV. L’heure présente (1874) — Chapitre unique. La littérature qui se fait »

Il a appliqué à l’étude de la littérature un fort tempérament de polémiste et d’orateur, une rare puissance d’abstraction, de logique et de synthèse, une grande richesse d’information bibliographique et chronologique ; et tout cela a valu beaucoup, parce que des impressions fines et originales, de vives intuitions déterminées au contact des œuvres, un goût enfin sûr et délicat lui ont fourni la base de ses constructions. […] Autour d’eux ont apparu quelques talents966, rien d’assez fort ou définitif pour prendre place ici. […] Une forte, fine psychologie, vécue et sentie, non livresque et scénique, d’où l’émotion sortait d’elle-même sans violences et sans ficelles, voilà le mérite éminent des trois œuvres principales976 qu’il a écrites, où par surcroît il a mis toutes les grâces de son esprit et sa forme exquise de style : Révoltée, d’abord, où des parties supérieures semblaient réaliser soudain le théâtre qu’on cherchait, expression intense et simple de la vie intérieure : le Député Leveau (1891), étude vraie encore, peut-être plus facile et plus grosse ; le Mariage blanc (1891), hypothèse psychologique d’une infinie délicatesse et d’une profondeur morale qui ont été méconnues.

1736. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre V. Premiers aphorismes de Jésus. — Ses idées d’un Dieu Père et d’une religion pure  Premiers disciples. »

Leur persuasion que Dieu est en elles et s’occupe perpétuellement d’elles est si forte qu’elles ne craignent nullement de s’imposer aux autres ; notre réserve, notre respect de l’opinion d’autrui, qui est une partie de notre impuissance, ne saurait être leur fait. […] Schemaïa et Abtalion, plus d’une fois, se montrèrent aussi des casuistes fort libéraux 264. […] Des hommes d’une médiocre moralité ont écrit de fort bonnes maximes.

1737. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Qu’est-ce qu’un classique ? » pp. 38-55

Le premier Dictionnaire de l’Académie (1694) définissait simplement un auteur classique, « un auteur ancien fort approuvé, et qui fait autorité dans la matière qu’il traite ». […] L’exposition dans telle pièce de Lessing qu’on pourrait citer est fort belle : mais celle du Tartuffe n’est qu’une fois dans le monde. […] On a fort discuté au sujet des opinions de Byron sur Pope, et on a cherché à expliquer cette espèce de contradiction par laquelle le chantre de Don Juan et de Childe-Harold exaltait l’école purement classique et la déclarait la seule bonne, tout en procédant lui-même si différemment.

1738. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Madame, duchesse d’Orléans. (D’après les Mémoires de Cosnac.) » pp. 305-321

Lorsqu’il eut été exilé dans son diocèse, Madame ne cessa de lui écrire et de désirer, de demander son rappel ; cette instance même allait contre le but : Le roi, dit Cosnac, crut que Madame ne pouvait pas conserver un si violent et si continuel désir de mon retour, sans que nous eussions ensemble de grandes liaisons, et sans que je lui fusse fort nécessaire ; et ces liaisons, selon les idées qu’on lui en avait données, lui paraissaient une cabale formée, qu’on ne pouvait détruire avec trop de soin. […] L’autopsie officielle, en partie exigée par la politique, sembla le constater, et on insista fort sur les lésions profondes de constitution, que recouvrait cette enveloppe gracieuse. […] Elle le dit devant Monsieur, demandant qu’on regardât à cette eau qu’elle avait bue : J’étais dans la ruelle, auprès de Monsieur, dit Mme de La Fayette, et, quoique je le crusse fort incapable d’un pareil crime, un étonnement ordinaire à la malignité humaine me le fit observer avec attention.

1739. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Les regrets. » pp. 397-413

« Nous sommes les représentants du droit, de la justice, de la vérité et de la légitimité sociale ; vous, au contraire, enfants de la Révolution, vous êtes des usurpateurs et des hommes du fait. » Cela nous faisait sourire, car nous raisonnions sur ce grand fait révolutionnaire, nous montrions qu’il avait été provoqué, justifié en partie, qu’il avait ses raisons d’être ; et les plus fortes têtes d’entre nous poussaient cette logique des événements jusqu’à établir par maximes une sorte de loi et de fatalité historique inévitable. […] Les fortes colères vaudraient encore mieux. […] Du temps de la monarchie et de la Cour, elle se confondait avec la maladie du courtisan disgracié ou de la perte de la faveur ; depuis l’émancipation de la société et la participation plus ou moins directe d’un grand nombre à l’exercice du pouvoir, la maladie, dans sa forme simple, s’est fort répandue, et il y a des moments où elle a le caractère d’une épidémie.

1740. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « Observations générales, sur, l’art dramatique. » pp. 39-63

Si, dans le plan qu’on trace de son sujet, on commence par une situation forte, il faut que tout le reste soit de la même vigueur, ou il languira. […] Il faut commencer par le plus faible pour aller par degrés au plus fort. […] La fin de ces sortes de fables n’a rien de touchant ; mais elles ne laissent pas de donner lieu, dans le cours du spectacle, au plus grand pathétique et aux plus fortes émotions de l’âme, par les combats que doit éprouver celui qui a médité le crime.

1741. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Paragraphe sur la composition ou j’espère que j’en parlerai » pp. 54-69

Il faut qu’elles concourent toutes à un effet commun, d’une manière forte, simple et claire ; sans quoi je dirai comme Fontenelle à la Sonate : figure, que me veux-tu ? […] L’expression exige une imagination forte, une verve brûlante, l’art de susciter des fantômes, de les animer[,] de les agrandir ; l’ordonnance, en poésie ainsi qu’en peinture, suppose un certain tempérament de jugement et de verve, de chaleur et de sagesse, d’ivresse et de sens froid dont les exemples ne sont pas communs en nature. […] C’est qu’ils ne peuvent atteindre à aucune idée forte et grande.

1742. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « I »

La prétention était forte en effet ; mais le peut-on davantage en cent leçons et fallait-il faire une moyenne ? […] Albalat parut se soucier fort peu d’une pareille levée de boucliers et qu’à ce volume il fit bientôt succéder la Formation du style par l’assimilalion des auteurs. […] Ne leur dites pas surtout que la couleur existe ; que la forte description s’obtient rarement du premier coup ; qu’on réalise par le travail des surprises et des créations de mots ; qu’il y a enfin un art réfléchi de la perfection, un relief voulu des images, des chocs d’antithèses louables, une force, une cohésion, une structure, qui constituent toute une science du travail.

1743. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre VII : Théorie de la raison par M. Cousin »

C’est ce fort dont nous allons examiner la solidité. […] Mais remarquez que pour la tirer vous avez confondu sous le mot vérité deux choses fort distinctes, une connaissance et un rapport. […] II Nous allons chez le gros mathématicien qui fume ; nous le saluons et nous l’abordons ainsi : « Monsieur, nous sommes philosophes, c’est-à-dire fort embarrassés et à court.

1744. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. A. Thiers : Histoire de la Révolution française — II. La Convention après le 1er prairal. — Le commencement du Directoire. »

A peine remise des attentats et des vengeances de prairial, privée d’un grand nombre de ses membres condamnés ou compromis, et aussi mutilée qu’au plus fort de la Terreur, la Convention avait repris son rôle paisible d’Assemblée législative, et la Commission des Onze lui présentait cette belle et sage Constitution de l’an III, qui devait pacifier la France, si la France alors avait pu être pacifiée par une Constitution. […] Il sauva la Révolution ce jour-là, se réservant de la dévorer plus tard, quand il serait assez fort contre elle, et qu’elle serait assez mûre pour lui.

1745. (1874) Premiers lundis. Tome II « Thomas Jefferson. Mélanges politiques et philosophiques, extraits de ses Mémoires et de sa correspondance, avec une introduction par M. Conseil — II »

En 1823, octogénaire, écrivant au général La Fayette avec un poignet perclus, il lui exprime cette forte pensée : « Des alliances saintes ou infernales, dit-il, peuvent se former et retarder l’époque de la délivrance ; elles peuvent gonfler les ruisseaux de sang qui doivent encore couler ; mais leur chute doit terminer ce drame, et laisser au genre humain le droit de se gouverner lui-même. » Comme nous ne voulons rien céler de l’opinion de l’illustre vieillard, et que son autorité ne saurait jamais avoir d’effet accablant pour nous, nous transcrirons ce qu’il ajoute : « Je doutais, vous le savez, dans le temps où je vivais avec vous, si l’état de la société en Europe comportait un gouvernement républicain, et j’en doute encore. […] Une foule de pensées justes et d’observations frappantes ressortent de cette Correspondance et augmentent le trésor du lecteur : « Je ne crois pas avec les La Rochefoucauld et les Montaigne que les quatorze quinzièmes des hommes soient des fripons : je crois que cette proportion doit être singulièrement restreinte en faveur de l’honnêteté commune ; mais j’ai toujours reconnu que les fripons abondent à la surface, et je ne crois pas que la proportion soit trop forte pour les classes supérieures et pour ceux qui, s’élevant au-dessus d’une multitude ignorante et abrutie, trouvent toujours moyen de se nicher dans les positions où il y a du pouvoir et du profit à acquérir. » L’expression, en maint endroit, s’anime de bonhomie et de grâce : « Cela, dit-il, en parlant de l’incandescence politique, cela peut convenir aux jeunes gens, pour qui les passions sont des jouissances ; la tranquillité est le lait des vieillards. » Le portrait que Jefferson a tracé de Washington est digne de tous deux : la beauté morale reluit dans ces lignes calmes et précises, dans cette touche solide.

1746. (1875) Premiers lundis. Tome III « Profession de foi »

Nous étions loin de regarder les quatre grandes lois, municipale, électorale, de la garde nationale et du jury, comme la conception définitive qui allait désormais régler et clore les destinées de l’humanité ; mais nous pensions qu’en s’appuyant là-dessus conformément à l’opinion du grand nombre, un gouvernement intelligent et fort aurait pu noblement vaquer à la double tâche qui lui était imposée, d’émanciper graduellement les classes pauvres et laborieuses, de favoriser et de garantir l’affranchissement  des nations européennes. […] Le souci croissant qui nous irritait contre l’ordre présent, désormais manqué et mesquin, se convertit en une aspiration confiante vers un état organique que nous avions cru fort éloigné d’abord, mais dont les fautes des gouvernants dans cette crise avaient de beaucoup rapproché l’avènement.

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