/ 1830
721. (1896) Hokousaï. L’art japonais au XVIIIe siècle pp. 5-298

Et une planche vous montre le roi de ces rats, le rat monstre du prêtre Raïgô, un rat qui, comparé à l’homme monté sur lui, est de la grandeur d’un éléphant. […] Et la grandeur et la puissance du dessin du maître, conservées dans des riens, comme une tige d’iris. […] Non, rien ne peut donner une idée de la grandeur, du pittoresque, de la couleur à la fois réelle et poétique des paysages en hauteur où se passent ces scènes lyriques. […] Même signature et même grandeur que le premier. […] Une étude de toute beauté, où se voit la cruelle courbe de ce bec déchireur de chairs palpitantes, et la grandeur morne de cette prunelle qui peut fixer le soleil.

722. (1884) L’art de la mise en scène. Essai d’esthétique théâtrale

Le vaste espace est de tous les milieux celui qui convient le mieux à la grandeur tragique. […] L’aspect du décor a de la grandeur et convient à l’action héroïque du drame. […] Comme grandeur elle est, il est vrai, la principale ; malheureusement elle est mal placée, reléguée qu’elle est au fond à droite, sur un plan reculé. […] Il y a certaines façons exquises de dire, certains gestes empreints d’une éloquente grandeur, qui sont tout ce qui nous reste des grands artistes du passé. […] Un obstacle qu’il lui faudra tourner est précisément la grandeur de la scène.

723. (1891) Esquisses contemporaines

Chacun de nos actes est une création renouvelée et le signe indubitable de notre grandeur. […] Issues d’un même besoin, de ce besoin suprême qui fit la chute de l’homme et qui lui laisse dans sa chute les marques de sa grandeur première, ce sont là pourtant deux compréhensions opposées de la vie. […] À le lire, on dirait au contraire qu’il n’a jamais souri tant il est grave et presque religieux, et ce qui paraît surtout dans ses livres c’est le sentiment de la grandeur tragique et de la souveraine importance des destinées humaines. […] Bourget paraît aussi peu capable de s’abaisser au niveau des classes populaires que de s’élever à celui de la vraie noblesse et de la grandeur véritable. […] Elle rend à notre époque, si médiocre à d’autres égards, un reste de grandeur que signaleront les historiens à venir.

724. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Lamartine »

Mais, de ces deux imaginations souveraines, l’une nous ravit par sa spontanéité et sa grandeur, l’autre nous étonne par son énormité et sa violence. […] La grandeur de la terre est d’être ainsi chérie : Le Scythe a des déserts, le Grec une patrie. […] Il la domine et la simplifie, de manière à produire, à l’ordinaire, une impression de grandeur, de sérénité et d’allègement spirituel. […] Et l’on a confessé que les peintures de Lamartine avaient, ici, de la grandeur et de la poésie et étaient, en outre, suffisamment plausibles. […] L’Océan a sa masse et l’astre sa splendeur ; L’homme est l’être qui prie, et c’est là sa grandeur.

725. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre II. Le Roman (suite). Thackeray. »

À ses yeux, ce sont des forces ayant des directions et des grandeurs différentes. […] Un vrai romancier jouit par contemplation de la grandeur d’un sentiment nuisible ou du mécanisme ordonné d’un caractère pernicieux. […] Tout son effort est de les rendre visibles, de dégager les types obscurcis et altérés par les accidents et les imperfections de la vie réelle, de mettre en relief les larges passions humaines, d’être ébranlé par la grandeur des êtres qu’il ranime, de nous soulever hors de nous-mêmes par la force de ses créations. […] Le style et les actions s’élèvent jusqu’à la grandeur de l’épopée. « Au mot Hulot et deux cent mille francs, Valérie eut un regard qui passa, comme la lueur du canon dans sa fumée, entre ses deux longues paupières. » Un peu plus loin, surprise en flagrant délit par un de ses amants, Brésilien et capable de la tuer, elle fléchit un instant ; redressée dans la même seconde, ses larmes sèchent. « Elle vint à lui, et le regarda si fièrement que ses yeux étincelèrent comme des armes. » Le danger la relève et l’inspire, et ses nerfs tendus envoient à flots le génie et le courage dans son cerveau. […] Notre véritable essence consiste dans les causes de nos qualités bonnes ou mauvaises, et ces causes se trouvent dans le tempérament, dans l’espèce et le degré d’imagination, dans la quantité et la vélocité de l’attention, dans la grandeur et la direction des passions primitives.

726. (1920) Action, n° 2, mars 1920

La beauté seule et la grandeur sont tragiques, La misère des humbles, comme on les appelle, l’asile de nuit et les salons bourgeois ne sont pas des lieux à tragédie. […] Les amours et les haines de ces gens-là n’ont pas de réalité, parce que la grandeur manque. En quelque sorte, faute de grandeur, il n’est pas de passion réelle. […] Le génie moral d’Ibsen nous fait accepter le tragique de ses petites gens : la mort et les catastrophe terribles ne sont pas disproportionnées à la grandeur de la conscience. […] C’est l’époque d’une humanité que les labeurs minutieux, tiennent renfermée et qui ne sort de ses maisons qu’afin d’étaler parmi la pompe rare des féeries son exubérance frondeuse longtemps contenue ou qu’afin d’entreprendre des œuvres qui dépassent superbement la grandeur de l’homme.

727. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Chapitre II. Vérification de la loi par l’examen de la littérature française » pp. 34-154

L’Église s’est accommodée à la réalité, mettant son autorité au service de la royauté, moyennant quoi elle règne dans l’enseignement, dans la vie intellectuelle, où elle crée par saint Thomas d’Aquin un système qu’il est permis aujourd’hui de combattre à outrance sans en méconnaître la grandeur géniale. […] De là, la guerre de cent ans ; et Jeanne d’Arc sauvant la patrie prend une grandeur symbolique : c’est le peuple français à la rescousse. […] à être vu sous l’angle où je le présente ici, il ne perd rien de sa grandeur morale, de sa mâle beauté ; au contraire il y gagne en vérité humaine, et ses défauts même éveillent la sympathie, étant le conflit d’un génie épique avec une formule dramatique. […] Quelle que soit donc, en France, l’inconnue celtique, voici quelques éléments plus sûrs : une colonisation romaine intense, d’où une vie intellectuelle qui égalait celle de la métropole et qui dura d’une façon plus constante à travers tout le moyen âge ; une résistance matérielle moins prolongée à l’invasion des barbares, d’où une assimilation réciproque plus rapide et plus harmonieuse ; à la différence de l’Italie, aucun passé de gloire qui pesât sur l’avenir, attirât sans cesse de nouveaux conquérants et prolongeât l’anarchie ; un pays tout à l’ouest du continent, adossé à la mer en bonne partie, qui n’était point une route à passer, une plaine à traverser, mais qui, une fois conquis, put travailler à un nouvel équilibre ; un pays de grandeur moyenne, non point plat comme l’Allemagne ou démesurément allongé comme l’Italie, mais compact, admirablement varié par ses fleuves et ses montagnes, où les provinces semblaient se faire d’elles-mêmes, éléments futurs d’une plus grande unité ; non point isolé comme l’Espagne et l’Angleterre, mais de contact facile ; un sol fertile ; un climat tempéré, ni la grisaille des longs brouillards, ni la voluptueuse lassitude des cieux ardents. […] Ce qui lui manque en grandeurs isolées, la France le retrouve dans l’infinie variété de sa richesse.

728. (1859) Critique. Portraits et caractères contemporains

Vous voyez que vous avez tort de me plaindre, puisque je préfère le présent à l’avenir, la province à Paris, la liberté à vos grandeurs de passage et le bonheur à la gloire. […] Avec quelle grâce infinie il raconte ces dernières grandeurs ! […] Eh bien (toute grandeur a ses peines), ce conseiller du roi se vit forcé d’intenter un procès à MM. les conseillers au présidial, qui l’empêchaient de s’asseoir sur le banc réservé aux magistrats de la cité. […] Eh bien, voyez la misère des grandeurs humaines, l’humble dot de la jeune madame Amand-Alexis Monteil portait sur une ancienne constitution de rente qui provenait de cette Rivié-Lusignan ou Lusignan-Rivié, et jamais le petit ménage n’en put rien tirer. […] Monteil de faire bon marché des grandeurs de sa femme ; M. de Chateaubriand, de ses propres grandeurs.

729. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre II. Le théâtre. » pp. 2-96

Quarante poëtes, parmi eux dix hommes supérieurs, et le plus grand de tous les artistes qui avec des mots ont représenté des âmes ; plusieurs centaines de pièces et près de cinquante chefs-d’œuvre ; le drame promené à travers toutes les provinces de l’histoire, de l’imagination et de la fantaisie, élargi jusqu’à embrasser la comédie, la tragédie, la pastorale et le rêve ; jusqu’à représenter tous les degrés de la condition humaine et tous les caprices de l’invention humaine ; jusqu’à exprimer toutes les minuties sensibles de la vérité présente et toutes les grandeurs philosophiques de la réflexion générale ; la scène dégagée de tout précepte, affranchie de toute imitation, livrée et appropriée jusque dans ses moindres parties au goût régnant et à l’intelligence publique : il y avait là une œuvre énorme et multiple, capable par sa flexibilité, sa grandeur et sa forme, de recevoir et de garder l’empreinte exacte du siècle et de la nation1. […] Rappelez-vous ce que vous avez senti vous-même au moment où d’enfant vous êtes devenu homme, quels souhaits de bonheur, quelle grandeur d’espérances, quelle intempérance de cœur vous poussaient vers toutes les joies ; avec quel élan vos mains, d’elles-mêmes, se portaient à la fois vers chaque branche de l’arbre, et refusaient d’en laisser échapper un seul fruit. […] —  Nous courons après la grandeur, comme les enfants après les bulles soufflées dans l’air. —  Le plaisir, qu’est-ce ? […] Les rois y reviennent, du haut de leurs grandeurs fardées, comme des brouillards qui tombent. […] … Une servante à gages à la campagne étanche sa soif, avec ses chevreaux et ses agneaux, dans une source fraîche, et moi je n’ai que mes larmes pour apaiser la chaleur de ma poitrine… » Avec une grandeur tragique, du haut de son deuil incurable, elle jette les yeux sur la vie97 : « Nous nous travaillons en vain pour allonger notre pauvre voyage, ou nous implorons un répit afin de respirer ; notre patrie est dans le tombeau… Ah !

730. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Le cardinal de Bernis. (Fin.) » pp. 44-66

Cependant il continuait de représenter la France à Rome avec grandeur, avec grâce et magnificence. […] On l’appelait le Roi de Rome, et il l’était, en effet, par sa magnificence et la considération dont il jouissait. » Le cardinal de Bernis parlait de lui-même avec moins d’emphase ; et quand il voulait excuser cette grandeur de représentation : « Je tiens, disait-il, l’auberge de France dans un carrefour de l’Europe. » — Il avait son palais du Corso, pour y tenir sa cour, et sa maison d’Albano pour la villégiature.

731. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « [Chapitre 5] — III » pp. 132-153

Ce n’est pas qu’il n’ait par moments des velléités remarquables de grandeur et d’immortalité : Il est vrai que nous nous sentons une âme gigantesque et bien plus grande que notre corps. […] Il y avait dans Montesquieu une partie d’art à laquelle d’Argenson était peu sensible : il était fort choqué au contraire des conjectures hasardées et trop générales, des raisonnements incomplets et qui n’allaient pas jusqu’au bout ; il ne tenait pas assez compte de l’élément historique que Montesquieu respectait en toute rencontre et mettait en relief avec tant d’éclat ; ce qui l’a conduit à dire, après une seconde lecture du livre des Considérations sur la grandeur et la décadence des Romains : Septembre 1754. — Lu pour la seconde fois.

732. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La marquise de Créqui — II » pp. 454-475

Examinant la nature des différents gouvernements et le dédain que professent les républicains pour celui d’Angleterre, le président de Longueil remarque que le gouvernement romain et celui des Anglais sont les seuls qui aient dû leurs succès et leur grandeur à leur constitution, tandis que les autres ont dû leur plus grande prospérité à ceux qui en ont tenu les rênes : Mais l’art d’attacher les hommes au régime qui les gouverne, et de le renforcer par leurs efforts, quoique souvent en sens contraire en apparence, n’a été le partage que de ces deux peuples. […] Toutes les idées politiques répandues et dans L’Esprit des lois, et dans l’ouvrage si bien fait, si sagement ordonné, sur la grandeur et la décadence des Romains, sont contenues en germe dans les Lettres Persanes, et le sujet y permet certaines idées qui déparent la dignité d’un ouvrage aussi grave que L’Esprit des lois.

733. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. J. J. AMPÈRE. » pp. 358-386

Les monuments humains ne s’élèvent jamais que moyennant de certaines perspectives où la grandeur et l’ordre l’emportent, et où l’esprit de l’architecte s’impose sur bien des points. […] D’ordinaire, en effet, il se pose le christianisme comme une limite absolue, comme un horizon au delà duquel il ne remonte pas, pénétré surtout qu’il est, avec raison, de sa haute grandeur, de son caractère sans pareil dans l’ensemble, de son opposition essentielle au paganisme enfin, plutôt que de quelques rapports secondaires.

734. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Le comte de Ségur »

La politique extérieure de la France avait subi un changement décisif de système lors du traité de Versailles (1756), au début de la guerre de Sept Ans : de la rivalité jusqu’alors constante avec l’Autriche, on avait passé à une étroite alliance en haine du roi de Prusse et de sa grandeur nouvelle. […] Successivement nommé au Corps législatif, à l’Institut, au Conseil d’État et au Sénat, grand maître des cérémonies sous l’Empire, nous le perdons de vue à cette époque au milieu des grandeurs qui le ravissent aux lettres, mais non pas à leur amour ni à leur reconnaissance : une élégie de madame Dufrenoy a consacré le souvenir d’un bienfait, comme il dut en répandre beaucoup et avec une délicatesse de procédés qui n’était qu’à lui.

735. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre V. Le roman »

La leçon, grave et profonde, c’est le danger du romantisme : nous voyons ce que les grandes aspirations lyriques, les vagues exaltations, transportées dans la vie pratique par des âmes vulgaires, peuvent produire d’immoralité, de chutes et de misères sans grandeur. […] Plus navrante et plus grise est l’impression que laisse l’Éducation sentimentale (1869) : Madame Bovary prenait une grandeur tragique par les convulsions passionnées, et par la mort de l’héroïne.

736. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre douzième. »

La grandeur de la royauté, sous Louis XIV, et la grandeur personnelle du roi, en abaissant tout le monde, mirent chacun dans sa vérité.

737. (1911) La valeur de la science « Première partie : Les sciences mathématiques — Chapitre III. La notion d’espace. »

Le continu mathématique à une dimension comportait une échelle unique dont les échelons en nombre infini correspondaient aux diverses valeurs commensurables ou non d’une même grandeur. Pour avoir le continu mathématique à n dimensions, il suffira de prendre n pareilles échelles dont les échelons correspondront aux diverses valeurs de n grandeurs indépendantes appelées coordonnées.

738. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre IX. La littérature et le droit » pp. 231-249

Plus tard, Alfred de Vigny, dans le meilleur de ses ouvrages en prose : Servitude et grandeur militaires appela l’attention sur les périls et les tristesses de l’obéissance passive. […] L’adultère devient sous leur plume quelque chose de poétique ou tout au moins de sympathique  ; car il a l’excuse d’une quasi-nécessité en certains cas de tyrannie masculine et d’impossible union ; il prend une certaine grandeur par le danger bravé ; il émeut par le malheur presque inévitable où il mène.

739. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXVII et dernier » pp. 442-475

« Après la paix de Nimègue, conclue en 1678, Louis, dit Voltaire, fut au comble de la grandeur. […] Parmi ces débris s’élèvent de toute leur grandeur Bossuet, âgé de 53 ans ; Fléchier et Bourdaloue, l’un et l’autre âgés de 48 ; Bayle, âgé de 37.

740. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Huet, évêque d’Avranches, par M. Christian Bartholmèss. (1850.) » pp. 163-186

Voici un gracieux portrait qui lui rend témoignage, et qui nous le montre tel qu’il paraissait aux dames avant les grandeurs de l’épiscopat et dans sa jeunesse. […] La grandeur de vos traits et de votre visage fait que vous avez quelque chose de ces médailles qui représentent les hommes illustres (vous vous doutez bien que j’entends plutôt parler de ces grands philosophes que des conquérants).

741. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres de Goethe et de Bettina, traduites de l’allemand par Sébastien Albin. (2 vol. in-8º — 1843.) » pp. 330-352

Elle sent si bien en lui la dignité qui vient de la grandeur de l’esprit : « Quand je te vis pour la première fois, ce qui me parut remarquable en toi et m’inspira tout à la fois une vénération profonde et un amour décidé, c’est que toute ta personne exprime ce que le roi David dit de l’homme : Chacun doit être le roi de soi-même. […] Ce sont deux rois, deux rois mages qui se saluent de loin par ce petit page lutin qui fait si bien les messages, et qui les fait cette fois avec grandeur.

742. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Monsieur de Broglie. » pp. 376-398

Dans les diverses occasions qu’il eut d’approcher du maître d’alors et de l’entendre, soit au Conseil d’État, soit ailleurs, il fut frappé des défauts plus que des qualités ; il vit et nota surtout, de cette grandeur déclinante, les éclats, les écarts, les brusqueries, sans apercevoir assez les éclairs de génie et de haut bon sens qui jaillissaient et se faisaient jour : c’était là de sa part une prévention que lui-même reconnaît aujourd’hui. […] Les plus beaux souvenirs de la race humaine se rattachent à ces époques glorieuses où les peuples qui ont civilisé le monde, et qui n’ont point consenti de passer sur cette terre en s’ignorant eux-mêmes, et comme des instruments inertes entre les mains de la Providence, ont brisé leurs fers, attesté leur grandeur morale, et laissé à la postérité de magnifiques exemples de liberté et de vertu.

743. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « La duchesse du Maine. » pp. 206-228

Elle rêvait dans l’avenir gloire, grandeur politique, puissance, et, en attendant, elle voulut vivre le plus à son gré et le plus en souveraine qu’elle pût, rendre le moins possible aux autres et se passer tous ses caprices, avoir sa cour à elle, où ne brillât nul astre rival du sien. […] Elle nageait, dit Saint-Simon, dans la joie de sa future grandeur.

744. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Madame de La Vallière. » pp. 451-473

Parlant un jour de Mme   Fontanges, cette maîtresse un peu sotte et glorieuse, Mme de Sévigné écrivait, en l’opposant à Mme de La Vallière : « Elle est toujours languissante, mais si touchée de la grandeur, qu’il faut l’imaginer précisément le contraire de cette petite violette qui se cachait sous l’herbe, et qui était honteuse d’être maîtresse, d’être mère, d’être duchesse : jamais il n’y en aura sur ce moule. » Dès les premiers temps de sa liaison avec le roi, Mme de La Vallière avait déjà songé au cloître ; elle s’y réfugia jusqu’à deux fois avant la troisième retraite, qui fut la définitive et la suprême. […] Mme de La Vallière, toute confuse et désespérée qu’elle était de sa grandeur nouvelle, mais entraînée par son amour, arriva sans être mandée par la reine, et presque malgré elle.

745. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Correspondance entre Mirabeau et le comte de La Marck (1789-1791), recueillie, mise en ordre et publiée par M. Ad. de Bacourt, ancien ambassadeur. » pp. 97-120

Il portait un habit de ville dont les boutons, en pierre de couleur, étaient d’une grandeur démesurée, des boucles de souliers également très grandes. […] En le lisant, on éprouve à tout instant le sentiment vif de la beauté et de la grandeur de l’idée politique, cette beauté sévère, judicieuse, vivante pourtant, et qui aspire à se réaliser en pratique et en action.

746. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mademoiselle de Scudéry. » pp. 121-143

Or, il y est dit : « Quant aux romans, Cassandre fut estimé pour la délicatesse de la conversation ; Cyrus et Clélie, pour la magnificence de l’expression et la grandeur des événements. » Ce qui nous avertit qu’il ne faut pas, après deux siècles, venir tout d’un coup magnifier l’importance et célébrer la grandeur des événements, tels qu’on les trouve rapportés dans ces romans de société et de ruelle : l’Ombre de Chapelle en sourirait.

747. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « L’abbé Maury. Essai sur l’éloquence de la chaire. (Collection Lefèvre.) » pp. 263-286

Cet excès de grandeur fut son écueil, et ses défauts, disons le mot, ses vices, s’éclairèrent plus visiblement dans la pourpre. […] Le plan qu’il trace d’une oraison funèbre de Turenne, par opposition à celle de Fléchier, a de la beauté et de la grandeur, et on sent qu’il l’aurait su exécuter.

748. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Volney. Étude sur sa vie et sur ses œuvres, par M. Eugène Berger. 1852. — I. » pp. 389-410

Volney n’est pas un peintre, c’est un grand dessinateur ; dans ses descriptions de l’Égypte à laquelle il se montre sévère, il lui refuse absolument d’être pittoresque ; après l’avoir tant étudiée, il l’aime peu ; il l’exprime dans tous ses contours et dans sa réalité visible, sans en embrasser la grandeur profonde et sans en pénétrer peut-être le génie ; il n’a pas l’amour de son sujet. […] De même, quand il considère la nature, il ne se desserre point le cœur, il ne s’ouvre jamais avec plénitude à l’impression tranquille et sereine de ses grandeurs et de ses beautés.

749. (1888) Préfaces et manifestes littéraires « Histoire » pp. 179-240

Quelle immortalité des grandeurs et des misères de notre nature ! […] Elle ressuscitera un monde disparu, avec ses misères et ses grandeurs, ses abaissements et ses grâces.

750. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1881 » pp. 132-169

Un cabinet de travail ayant la hauteur et la grandeur, où se lit sur la cheminée, la devise : Nulla dies sine linea , et où l’on aperçoit dans un coin un orgue mélodium avec voix d’anges, dont l’auteur naturaliste tire des accords à la tombée de la nuit. […] Lundi 31 octobre Des affiches de toutes les couleurs, de toutes les grandeurs, couvrant les murs de Paris, et partout étalant en colossales lettres : La Faustin.

751. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Vien » pp. 74-89

La tranquillité, la fermeté, l’immobilité, le repos, conduisent donc l’imagination à la grandeur de stature. La grandeur de stature doit donc aussi la ramener à la tranquillité, à l’immobilité, au repos.

752. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Le Prince » pp. 206-220

Entre tant de physionomies caractéristiques de la colère, de la fureur, de la tendresse, de l’innocence, de la frayeur, de la fermeté, de la grandeur, de la décence, des vices, des vertus, des passions, en un mot, de toutes les affections de l’âme, y en aurait-il quelques-unes qui les désigneraient d’une manière plus évidente et plus forte ? […] Comment leur donner la aindre noblesse, la moindre grandeur !

753. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Sainte-Beuve. Les Poésies de Joseph Delorme, Les Consolations, les Pensées d’août. »

C’est la science, les notions demandées à tout, l’encyclopédisme, cette rage des vieux siècles littéraires, qui a fait faiblir la poésie aussi dans Gœthe ; et je cite Gœthe, ce poète, qui n’a pas selon moi la grandeur qu’on lui donne, mais que je prends comme un exemple, parce qu’il est superstitieusement respecté ! […] Produit d’une société qui a ses misères à côté de ses grandeurs et ses vices intellectuels à côté de ses vertus sensibles.

754. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Deuxième partie — Chapitre I. La quantité des unités sociales : nombre, densité, mobilité »

La quantité des individus, telle est donc la condition la plus générale de l’existence des sociétés : et la première de leurs formes à prendre en considération sera leur grandeur ou leur petitesse, c’est-à-dire le nombre plus ou moins grand des hommes qu’elles mettent en relations. […] On a pu soutenir79 que la grandeur des Empires les prédestine au despotisme — soit que leur étendue fasse sentir, en même temps que le grand danger des divisions intestines, la nécessité d’un pouvoir central absolu, — soit qu’elle empêche les sujets, trop éloignés les uns des autres et trop nombreux, de se concerter aisément pour défendre leurs droits contre les empiètements de ce pouvoir unique.

755. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Études sur Blaise Pascal par M. A. Vinet. »

Il n’aurait point sans doute, comme le fit plus tard l’illustre auteur du Génie du Christianisme, porté ses principales couleurs sur le côté magnifique ou touchant du catholicisme, considéré surtout dans ses rapports avec la société ; il n’aurait pas cependant négligé les grandeurs et les beautés aimables de la religion.

756. (1874) Premiers lundis. Tome I « A. de Lamartine : Harmonies poétiques et religieuses — II »

Dans Milly, dans la Vie cachée, le poète s’est essayé à des peintures qui, pour avoir plus de calme et de familiarité, n’en ont pas moins leur grandeur.

757. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre VII. De la littérature latine, depuis la mort d’Auguste jusqu’au règne des Antonins » pp. 176-187

Le règne d’Auguste avait avili les âmes ; un repos sans dignité avait presque effacé jusqu’aux souvenirs des vertus courageuses auxquelles Rome devait sa grandeur.

758. (1897) La crise littéraire et le naturisme (article de La Plume) pp. 206-208

Selon lui, au lieu d’entraîner les naïves imaginations vers de fantastiques empyrées, des forêts féeriques et de légendaires paysages, ce qui contribue, en quelque sorte, à détacher de leur existence habituelle les hommes pour qui nous chantons, il s’agirait de les persuader, au contraire, de la beauté, de la grandeur même et de la pompe dont sont empreints leurs actes ordinaires et leurs occupations courantes.

759. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « Le lyrisme français au lendemain de la guerre de 1870 » pp. 1-13

Blémont cite, avec émotion, ces paroles prononcées par Swinburne à propos de l’Année terrible de Victor Hugo : « Non, maintenant, après tant de sombres jours, après tant de terreurs et tant d’angoisses, aucun ami de la France ne peut refuser à Paris la grandeur et la dignité que le premier de ses enfants a ainsi constatées au temps de ses misères.

760. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Bain — Chapitre V : Rapports du physique et du moral. »

Il y a là une incompatibilité dont on se rend mieux compte en se demandant si les hommes d’une extrême sociabilité sont des penseurs profonds ou originaux, s’ils font de grandes découvertes ; ou bien si leur grandeur ne se borne pas aux sphères où la sensibilité joue un rôle — la poésie, l’éloquence, l’influence sociale. » Voilà bien des questions posées et qu’aujourd’hui nul assurément ne peut tenter de résoudre.

761. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre premier. Prostitués »

Rêver de ta beauté, de ta grandeur, de la douceur affolante de tes baisers, cela suffit à remplir une vie.

762. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Tout ce que j’ai compris de ma vie du clair-obscur » pp. 26-33

La perspective rapproche les parties des corps ou les fait fuir, par la seule dégradation de leurs grandeurs, par la seule projection de leurs parties vues à travers un plan interposé entre l’œil et l’objet, et attachées ou sur ce plan même, ou sur un plan supposé au-delà de l’objet.

763. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 40, si le pouvoir de la peinture sur les hommes est plus grand que le pouvoir de la poësie » pp. 393-405

La grandeur d’ame, tous les sentimens élevez d’un beau naturel que le poëte peut prêter à Iphigenie, nous affectionnent bien plus à un personnage de tragédie, que les qualitez extérieures dont un peintre peut orner le personnage d’un tableau, ne nous affectionnent à ce personnage qui ne parle presque pas.

764. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Gabrille d’Estrées et Henri IV »

Voilà donc sa bonté réelle, et, comme roi, sa réelle grandeur.

765. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Μ. Jules Levallois » pp. 191-201

La liberté morale, comme il dit, et à laquelle il tient comme un monsieur de ces derniers temps, sa liberté morale prend la force des chênes au pied des chênes, et le rend plus apte à servir les hommes et à se dévouer à leur bien-être et à leur grandeur.

766. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Leopardi »

Mais, enfin, en tant qu’on maudit tout, la création et le créateur, en tant qu’on a des sentiments d’enragé, en tant qu’on s’en prend au Néron céleste, qu’on se révolte et qu’on blasphème, on peut avoir de la grandeur.

767. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Le Docteur Véron »

c’était la grandeur d’un conseil, c’était l’intuition claire de la situation présente avec son bilan dans la main, — de cette situation qui a ses charges, et dont plus qu’aucun autre Napoléon III connaît le poids, puisqu’il le porte !

768. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre premier. De la louange et de l’amour de la gloire. »

Ambitieux et faibles, mélanges d’imperfection et de grandeur, une estime étrangère peut seule justifier celle que nous tâchons d’avoir pour nous-mêmes.

769. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « M. de Fontanes »

Le théâtre de l’Italie est déjà trop étroit pour la grandeur de vos vues. […] » Ainsi au poète mélancolique, délicat, pur, élevé, noble, mais un peu désabusé, parlait l’ardent poète avec grandeur. […] ce furent moins ces rudes années de l’orage qui lui furent contraires, que les longs espaces du calme retrouvé et des grandeurs. […] A diverses reprises, avant ses grandeurs, il avait songé à recueillir et à publier ses œuvres éparses ; il s’en était occupé en 89, en 96, et de nouveau en 1800. […] Ce sont là de ces beautés primitives, abondantes, dignes d’Ascrée, comme Lucrèce les retrouvait dans ses plus beaux vers : l’image demi-nue conserve chasteté et grandeur.

770. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre IV. Que la critique doit être écrite avec zèle, et par des hommes de talent » pp. 136-215

non ; c’est la même fête qui se mène sous les ombrages touffus, au bruit de ces eaux jaillissantes, à la lueur de ces flambeaux, aux sons mélodieux de ces vingt-quatre violons et de ces quarante petits violons (tout un orchestre) conduits par Lully, dans cette foule de toutes les grandeurs de la noblesse, de la fortune, de l’amour et du génie. […] L’admirable avantage, cependant, qui a été donné au poète-comédien sur toutes les grandeurs dont il fut entouré dans sa vie ! […] — La présence même de la grandeur de Louis élève l’âme au-dessus d’une vile tentation. […] Il eût trouvé, dans les œuvres mêmes de Bossuet, parmi les lettres de ce père de l’Église, plusieurs passages qui lui eussent montré les combats, les obstacles, l’hésitation de madame de La Vallière avant de quitter, à tout jamais, ce monde où elle brillait de toutes les grandeurs de la beauté, de la jeunesse et de la passion. […] Certes le public anglais est trop versé dans les choses historiques et trop habitué à respecter la véritable grandeur, pour ne pas prendre en main la défense d’un roi pareil et d’une pareille époque.

771. (1894) La bataille littéraire. Septième série (1893) pp. -307

Unis de leur vivant au sommet des grandeurs humaines, unis devant Dieu et par des ressemblances de nature qu’on n’a pas assez remarquées et qu’il serait curieux, de faire saillir, Louis XIV et Mme de Maintenon seront encore unis dans l’injustice et dans l’injure. […] Ils l’ont trouvé dans ces Mémoires, que dans l’intérêt de la vérité il ne faut point appeler terribles, car on les croirait redoutables, comme ils le trouvent encore dans l’opinion d’un temps perdu de panthéisme et qui n’a plus la vraie notion de la grandeur individuelle. […] C’eût été montrer une vertu barbare et punir avec inhumanité M. de Séez des grandeurs de sa famille. […] Ce fut quelque chose comme le tohu-bohu de Versailles quand Louis XIV agonisait, à ceci près que chez nous c’était la grandeur de la royauté qui déclinait et qu’à Berlin c’était celle d’un peuple qui était à son aurore. […] Quoi qu’il en soit, l’aspect scientifique et la grandeur spirituelle de la résurrection n’apparaissent que si on la comprend dans le sens ésotérique.

772. (1886) Le roman russe pp. -351

Les questions d’art ont leur intérêt et leur grandeur ; mais il y a plus encore d’intérêt et de grandeur dans le secret qu’elles m’aident à poursuivre, le secret de cet être mystérieux, la Russie. […] L’homme a repris à pied d’œuvre l’explication de l’univers ; il s’est aperçu que l’existence, les grandeurs et les maux de cet univers provenaient du labeur incessant des infiniment petits. […] À l’heure où Flaubert entraînait chez nous la doctrine dans la chute de son intelligence, Eliot lui donnait une sérénité et une grandeur que nul n’a égalées. […] Le bénéfice du genre, c’est qu’il amène fréquemment à paraphraser les psaumes ; un habile ouvrier donne l’illusion de la grandeur, quand il est porté par cette poésie souveraine. […] Qu’on veuille bien réfléchir aux lois essentielles de l’art dramatique ; ce qui fait la puissance du drame, ce n’est pas la grandeur de l’objet en cause, c’est la violence avec laquelle une âme désire cet objet.

773. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Les Mémoires de Saint-Simon » pp. 423-461

Tout cela ensemble forme un air modeste· et de grandeur qui imprime du respect : elle a d’ailleurs toute la beauté d’âme qu’une personne de qualité doit avoir, et elle ira de pair en mérite avec M. le duc de Saint-Simon son époux, l’un des plus sages et des plus accomplis seigneurs de la Cour. […] L’inconvénient de ces publications tronquées, comme aussi des extraits mis au jour par Lemontey et portant sur les notes manuscrites annexées au Journal de Dangeau, c’était de ne donner idée que de ce qu’on appelait la causticité de Saint-Simon, en dérobant tout à fait un autre côté de sa manière qui est la grandeur. Cette grandeur qui, nonobstant tout accroc de détail, allait à revêtir d’une imposante majesté l’époque entière de Louis XIV, et qui était la première vérité du tableau, ne pouvait se dévoiler que par la considération des ensembles et dans la suite même de ce corps incomparable d’annales.

774. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLVIIIe Entretien. Montesquieu »

V De retour en France, Montesquieu se confina, pendant deux ans, dans son château de la Brède, où l’on montre encore, au coin de la cheminée, l’empreinte du pied de ce profond penseur ; il écrivit sesConsidérations sur les causes de la grandeur et de la décadence des Romains, qu’il publia en 1734. […] « Elles doivent être relatives au physique du pays, au climat, glacé, brûlant ou tempéré ; à la qualité du terrain, à sa situation, à sa grandeur ; au genre de vie des peuples, laboureurs, chasseurs ou pasteurs ; elles doivent se rapporter au degré de liberté que la constitution peut souffrir ; à la religion des habitants, à leurs inclinations, à leurs richesses, à leur nombre, à leur commerce, à leurs mœurs, à leurs manières. […] Il ne voit pas encore que cette géographie est fautive, que la distribution de ces natures de gouvernement tient à mille autres causes que la grandeur ou la petitesse des espaces, et que l’Amérique, par exemple, ou la Pologne, bien que très-mal constituées, sont des républiques malgré leurs vingt millions ou leurs quarante millions de sujets ; il ne voit pas davantage que la Chine, malgré ses trois cent soixante-cinq millions d’habitants, n’est nullement despotique, mais la monarchie la plus tempérée qui ait jamais existé.

775. (1856) Cours familier de littérature. I « Ier entretien » pp. 5-78

C’est là la littérature des événements, aussi réelle et aussi nécessaire à la grandeur des nations que celle de la parole. […] La grandeur, voilà la littérature du peuple ; soyez grand, et dites ce que vous voudrez ! […] Chaque entretien, d’inégale grandeur, contiendra tantôt 64 pages, tantôt 80 pages, tantôt 96 pages, selon l’étendue du sujet, mais de manière à former toujours 2 forts volumes à la fin de l’année.

776. (1856) Cours familier de littérature. I « VIe entretien. Suite du poème et du drame de Sacountala » pp. 401-474

Cet enfant fait briller à mes yeux le germe d’une grandeur héroïque, semblable à une vive étincelle qui doit bientôt s’étendre en un vaste incendie. […] Cette poésie ne reconnaît de véritable grandeur que dans la domination du héros sur ses propres passions. […] Sur leurs corps la nature a mis des signes de grandeur, pareils à ces rayons de lumière qui sont dans la pierre précieuse, ou bien à ces gouttes de nectar qui se trouvent dans le calice de l’aimable lotus.

777. (1855) Préface des Chants modernes pp. 1-39

quoi, nos grandeurs, nos misères, nos aspirations, nos désastres, nos conquêtes ; quoi, tout cela ne mérite pas qu’on le chante, et il faut mettre ses lunettes et feuilleter les historiettes oubliables pour trouver un motif à dithyrambe ou à bas-reliefs ! […] Aussi, nous l’avouons sans pâlir, nous les haïssons de toute la force de notre amour pour les lettres et de notre respect pour les grandeurs de l’esprit humain ! […] Les jours sont passés où l’on pouvait admirer cette devise qui a sa grandeur : Credo quia absurdum !

778. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre I. Le Roman. Dickens. »

Quand vous finissez Mauprat, votre émotion n’est pas la sympathie pure ; vous ressentez encore une admiration profonde pour la grandeur et la générosité de l’amour. […] Et lorsqu’enfin il faudra montrer la beauté de ces devoirs, la grandeur de cette amitié conjugale, la profondeur du sentiment qu’ont creusé dix années de confiance, de soins et de dévouement réciproques, vous trouverez dans votre sensibilité, si longtemps contenue, des discours aussi pathétiques que les plus fortes paroles de l’amour1342. […] « Entre celles-ci, la première est la grandeur. […] Ce sont des maladies ; si on se contente de les maudire, on ne les connaîtra pas ; si l’on n’est physiologiste, si l’on ne se prend pas d’amour pour elles, si l’on ne fait pas d’elles ses héros, si on ne tressaille pas de plaisir à la vue d’un beau trait d’avarice comme à la vue d’un symptôme précieux, on ne peut dérouler leur vaste système et étaler leur fatale grandeur.

779. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXIIIe entretien. Cicéron (2e partie) » pp. 161-256

C’est pour vous faire sentir que tous les moyens de l’éloquence, que toutes les richesses du style s’épuiseraient en vain, sans pouvoir, je ne dis pas embellir et relever par un magnifique langage, mais seulement énoncer et retracer par un récit fidèle la grandeur et la multitude des bienfaits que vous avez répandus sur moi, sur mon frère et sur nos enfants. […] En même temps que la grandeur de votre bienfait surpasse tout ce que je puis dire, votre affection et votre bienveillance se sont déclarées d’une manière si touchante, que vous me semblez avoir non seulement réparé mon infortune, mais ajouté un nouvel éclat à ma gloire. […] Il ne perd pas une ligne de sa taille en descendant de la tribune, ni un rayon de sa majesté en sortant du sénat ; nous nous aiderons pour vous faire mesurer cette grandeur, qui est dans l’homme et non dans la dignité, du beau travail de translation de M.  […] À ces trois vertus s’en joint une quatrième, qui a la même beauté et qui conspire avec elles pour la grandeur de l’homme : c’est l’amour de l’ordre.

780. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1875 » pp. 172-248

Au fond, cet art du xviiie  siècle est un peu le classicisme du joli, il lui manque l’originalité et la grandeur. […] Je lui dis qu’il faut bien se garder de les atténuer, qu’un des caractères de ce siècle, c’est la petitesse des hommes dans la grandeur et la tourmente des choses ; que s’il veut le faire absolument supérieur, il fera un Maxime de Trailles, un de Marsay, il construira enfin une abstraction. […] Il nous le peint avec des trous, des vides, des côtés bêtes, mais avec des grandeurs et des générosités d’un homme du passé, d’un homme antique. […] Dans la galerie, machinée pour faire disparaître l’Empereur par une trappe, dans le temps où une autre était la propriétaire de l’hôtel, on a pris le café, tout le monde, couché sur un divan de la largeur et de la grandeur de quatre ou cinq lits.

781. (1880) Goethe et Diderot « Gœthe »

La dernière scène de son drame, la scène de la cathédrale (par parenthèse, la plus belle de toutes), est empruntée aussi à cet ordre de faits qui grandit Gœthe et, en lui communiquant de sa grandeur, montre combien naturellement il est petit par lui-même, ce caméléon littéraire qui se teint de la couleur de toutes les zones qu’il traverse. […] Ces personnages même n’y ont pas tous leur grandeur naturelle. […] Enfin Stella, — où, pour la première et l’unique fois, le muscle qui est le cœur de Gœthe semble avoir tressailli, — Stella, la passion gâtée par la métaphysique et par la quintessence, l’épicuréisme du sentiment, qui est toujours de l’épicuréisme encore, c’est-à-dire un point de vue inférieur, une inspiration sans transcendance et sans grandeur, Stella, pillerie de Werther, qui finit comme Werther par un suicide, idée retournée de Werther où l’amant se tue, non parce qu’il n’est pas aimé d’une femme, mais parce qu’il est aimé de deux ; Stella, Torquato Tasso, Iphigénie, ont été composés — et c’est bien le mot — à l’aide de ces procédés de mémoire, d’investigation, de retouche, de pointillé, de tortillé, qui sont les procédés de Gœthe, lesquels ont leur genre de valeur, sans doute, mais ne sont point la grande manière du génie. […] Aussi ne furent-ils tous les deux que des génies relatifs, fragmentaires, sans équilibre, sans solidité et sans harmonieuse grandeur.

782. (1901) Figures et caractères

Son beau livre de Servitude et Grandeur est né de cette méditation. […] De là naquirent Servitude et Grandeur militaires et Stello. […] ce désir secret de paix et de bonheur est la rançon de toute grandeur. […] La seule grandeur du lieu est un accueil. […] On ne trouva pas l’emploi de sa grandeur.

783. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre VI. De la littérature latine sous le règne d’Auguste » pp. 164-175

., nous charment par la grandeur et la simplicité des récits, par l’éloquence des harangues qu’ils prêtent à leurs grands hommes, par l’intérêt dramatique qu’ils savent donner à leurs tableaux.

784. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre VIII. Du crime. »

La nature morale dans les esprits ardents tend toujours à quelque chose de complet, et l’on veut étonner par le crime, quand il n’y a plus de grandeur possible que dans son excès ; l’agrandissement de soi, ce désir qui, d’une manière quelconque, est toujours le principe de toute action au-dehors, l’agrandissement de soi se retrouve dans l’effroi qu’on fait naître.

785. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Mistral, Frédéric (1830-1914) »

Calendau est une légende sur l’histoire de Provence, qui, pour la conduite du récit, l’intérêt des épisodes, l’éclat des peintures, le relief et la grandeur des personnages mis en action, l’allure héroïque du style, mérite à juste titre le nom d’épopée.

786. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre XII. Lo Ipocrito et Le Tartuffe » pp. 209-224

Que diront les malveillants en me voyant dans les grandeurs ?

787. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — L — article » pp. 23-38

Ni l’or, ni la grandeur ne nous rendent heureux ; Ces deux Divinités n’accordent à nos vœux Que des biens peu certains, qu’un plaisir peu tranquille ; Des soucis dévorans c’est l’éternel asile ; Véritable Vautour, que le fils de Japhet Représente enchaîné sur son triste sommet.

788. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — M. de Voltaire, et l’abbé Desfontaines. » pp. 59-72

La stérile fécondité de son génie, la variété de ses connoissances, quoique superficielles, l’habitude du travail, cette promptitude avec laquelle il concevoit & exécutoit des plans d’ouvrages, & surtout son intelligence à tirer parti de ceux des autres, à partager le fruit de certaines productions auxquelles il n’avoit fait que présider & prêter quelquefois sa plume & son nom ; tous ces divers moyens l’empêcherent peut-être de sacrifier, comme tant d’autres à la bassesse & d’encenser les ridicules de la grandeur & de l’opulence.

789. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Mes pensées bizarres sur le dessin » pp. 11-18

Ce sont ces fonctions qui déterminent et la grandeur entière de la figure, et la vraie proportion de chaque membre et leur ensemble.

790. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Michel Van Loo » pp. 66-70

Son talent s’étend en raison de la grandeur de son cadre.

791. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XVI. Mme de Saman »

Le charme et la grandeur de celles qui ont été nos mères étaient d’envelopper encore plus leurs cœurs que leurs visages dans ces mystérieux voiles de la pudeur qui vont si bien à tous les deux.

792. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Philippe II »

Il n’a rien entendu à la grandeur divine de la Cause ; il n’a vu que l’indignité de ses serviteurs.

793. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Napoléon »

Elle n’a ni la grandeur ni le geste.

794. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Histoire des ducs de Normandie avant la conquête de l’Angleterre »

De l’une à l’autre de ces dates, ce qui passe à travers le temps ce sont des luttes, des événements et des personnages empreints de la grandeur sauvage de ces pirates, rois de la mer (sea kings), qui, blasés d’Océan et de neige, voulurent ajouter quelques miettes de terre à leur liquide empire, et s’abattirent sur la côte de France par la route des Cygnes, cygnes eux-mêmes, ou plutôt cormorans, pressés comme les vagues et inépuisables comme elles !

795. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Louis Wihl »

Sans doute, il y a entre les poésies de la Bible et les poésies des Hirondelles la différence de l’inspiration divine à l’inspiration humaine, — à l’inspiration chétive d’un homme seul ; mais celle-ci est si vraie qu’elle en contracte un sérieux réellement plein de grandeur.

796. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Paul Meurice » pp. 231-241

Césara donc, Césara, cet idéal de grandeur et de génie, dont le romancier n’entend pas nous faire voir la faiblesse, mais la force, n’est plus qu’un homme qui a vautré son cœur dans un concubinage vulgaire.

797. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XIII. Éloges donnés aux empereurs, depuis Auguste jusqu’à Trajan. »

Mais j’ajouterai, pour être juste, que ce même homme qui a paru si faible dans son exil, mourut avec le plus grand courage ; tant il est vrai qu’on peut unir la faiblesse avec la grandeur, et être tour à tour intrépide et lâche.

798. (1884) Propos d’un entrepreneur de démolitions pp. -294

L’Homme de douleurs, préfiguré par l’Homme de désir, est au sommet de leur Foi et toute vérité, toute vertu, toute beauté, toute grandeur aboutissent à lui et s’accomplissent en lui. […] Cette fière artiste m’a donné la sensation fort inespérée du tragique le plus angoissant et le plus formidable dans le milieu le plus répulsif à toute grandeur aussi bien qu’à toute esthétique supérieure. […] — me paraissent se rejoindre mystérieusement et former au-dessus du fleuve houleux et mugissant de ses poésies comme un pont idéal du haut duquel il doit être moins difficile d’en conjecturer la grandeur. […] les sublimes supplices de la grandeur humaine ! […] Ce monde immatériel est d’une grandeur à faire mourir l’imagination et à étonner même l’extravagance !

799. (1882) Hommes et dieux. Études d’histoire et de littérature

On les voit croître d’âge en âge en beauté, en vertu, en grandeur morale. […] Elle est là tout entière, dans sa force et dans sa grandeur. […] Sa conception des choses a la grandeur nue d’un temple sans symboles et sans ornements. […] Le marbre et l’homme, la végétation et la pensée expriment inégalement sa grandeur. […] Sa grandeur le condamne à l’isolement ; il est si haut qu’il est inaccessible.

800. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « DE LA MÉDÉE D’APOLLONIUS. » pp. 359-406

exécute bien vite ce que tu viens de nous promettre ; et ne t’irrite pas ainsi, ne te mets pas en colère contre ton enfant, car il changera par la suite. » La rivalité de Junon et de Vénus, au premier livre de l’Énéide, a certes plus de grandeur ou de gravité, et elle domine tout le poëme ; mais ici les scènes d’un ton moins élevé, qui interviennent comme ressort secondaire, ont beaucoup de grâce ; elles sont d’un jeu habile, ingénieux, et tout le sérieux de la passion va se retrouver dans les effets. […] Le troisième chant n’est pas fini ; il va se couronner, non sans grandeur, par une très-belle description de la lutte de Jason avec les taureaux qu’il attelle, et de son combat contre les géants, qu’il moissonne comme un laboureur terrible. […] Il y a longtemps que Pline le Jeune, dans une agréable lettre où il raconte plusieurs beaux traits de la célèbre Arria, femme de Pætus, a remarqué qu’ils sont tout aussi grands et aussi mémorables que le fameux mot d’elle, le seul qu’on cite (Pæte, non dolet) ; et il en conclut que la renommée est quelque peu capricieuse, et que, des actions ou des paroles entre lesquelles elle fait choix dans une vie pour la célébrer, les unes ont plus d’éclat et les autres plus de grandeur, alia esse clariora, alia majora.

801. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « M. Ampère »

Ampère qu’il est permis de nommer tout à côté d’eux, tant pour la portée de toutes les idées que pour la grandeur particulière d’un résultat. […] Ainsi mourut, avec résignation, avec grandeur, et s’exprimant presque comme Jean-Jacques eût pu faire, cet homme simple, ce négociant retiré, ce juge de paix de Lyon. […] On y peut prendre une idée de la manière de ce vaste et libre esprit : l’hypothèse antique retrouvée dans sa grandeur, l’hypothèse à la façon presque des Thalès et des Démocrite, mais portant sur des faits qui ont la rigueur moderne.

802. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXIVe entretien. Cicéron (3e partie) » pp. 257-336

« De tous les animaux il n’y a que l’homme qui ait observé le cours des astres, leur lever, leur coucher ; qui ait déterminé l’espace du jour, du mois, de l’année ; qui ait prévu les éclipses du soleil et celles de la lune ; qui les ait prédites à jamais, marquant leur grandeur, leur durée, leur temps précis. […] Des étoiles que l’on n’aperçoit point d’ici-bas parurent à mes regards, et la grandeur des corps célestes se dévoila à mes yeux. […] Les globes étoilés l’emportaient de beaucoup sur la terre en grandeur.

803. (1894) Journal des Goncourt. Tome VII (1885-1888) « Année 1886 » pp. 101-162

Rodin fait tourner sur les selles, les terres, grandeur nature, de ses six otages de Calais, modelés avec une puissante accusation réaliste, et les beaux trous dans la chair humaine, que Barye mettait dans les flancs de ses animaux. […] » Et Daudet ajoute : « Cet homme sans tenue, se livrant à ce débordement canaille, était superbe. » Puis un moment, absorbé dans le souvenir de la beauté du jour, de la grandeur du paysage, de la sérénité des choses, Daudet dit, qu’au milieu de cela, ces deux êtres, avec leurs mouvements désordonnés pour se tuer, lui semblaient tragiquement comiques. […] Il s’y trouve un faisan aquarellé, grandeur nature, qui est une pure merveille, et où de vraies plumes sont collées tout autour du faisan, pour servir de point de comparaison, avec les tons de l’aquarelle.

804. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Charles-Victor de Bonstetten. Étude biographique et littéraire, par M. Aimé Steinlen. — III » pp. 455-479

En ces années où Bonstetten prend décidément son parti et où, faisant une bonne fois son deuil de tous les regrets, le rajeunissement pour lui commence, Genève offrait la réunion la plus complète d’esprits éclairés et distingués : Mme de Staël encore, qui allait trop tôt disparaître ; Dumont, l’interprète de Bentham, l’ancien ami de Mirabeau ; le médecin Butini ; l’illustre naturaliste de Candolle, « l’homme parfait, qui avait un aussi bon esprit pour les affaires du monde que pour les végétaux, et le cœur comme s’il n’avait que cela » ; les savants Pictet ; l’érudit Favre ; bientôt Rossi, dont l’esprit fin et l’habile carrière devaient aboutir à la grandeur ; Sismondi, droit, loyal, instruit, mais qui se trompait à coup sûr quand il croyait voir en Bonstetten « un débris de la secte de Voltaire » ; bien d’autres que j’omets, et jusqu’à cet aimable Diodati, qui m’a entretenu d’eux autrefois, et qui, le dernier de tous, vient tout récemment de mourir. […] Les noms, les titres, les vieilles fortunes et les vieilles réputations, autrefois objets de tant de jalousies, demeurèrent ensevelis, et les grandeurs nouvelles que l’on vit s’élever, loin d’être des objets d’envie, ne furent plus que des objets d’espérance pour des hommes nouveaux.

805. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Chateaubriand — Chateaubriand, Vie de Rancé »

Il se formoit de tout cela un certain air de douceur et de grandeur qui prévenoit agréablement et qui le faisoit aimer et respecter tout ensemble. » Avec une complexion très-délicate, on comprenait à peine qu’il pût suffire à des exercices aussi divers : il portait dès lors dans son activité aux choses disparates ce quelque chose d’excessif et d’infatigable qu’il a depuis poussé dans un seul sillon ; on aurait dit qu’il avait hâte d’exterminer le jeune homme en lui. […] « Le roi de Prusse, l’impératrice de Russie, toutes les grandeurs, toutes les célébrités de la terre reçoivent à genoux, comme un brevet d’immortalité, quelques mots de l’écrivain qui vit mourir Louis XIV, tomber Louis XV et régner Louis XVI, et qui, placé entre le grand roi et le roi martyr, est à lui seul toute l’histoire de France de son temps.

806. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Ferdinand Fabre  »

VI Et voilà pourquoi il a su exposer et développer, avec lucidité et avec grandeur, le cas très original d’un prêtre qui n’a pas l’esprit ecclésiastique (Lucifer). […] Il y a dans ses histoires des longueurs, de la diffusion, des redites, des situations répétées, mais toujours de la grandeur et du mouvement.

807. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Victor Hugo, Toute la Lyre. »

On peut affirmer, je crois, que nul poète, ni dans les temps anciens, ni dans les temps modernes, n’a eu à ce degré, avec cette abondance, cette force, cette précision, cet éclat, cette grandeur, l’imagination de la forme. […] Enfin, la personne même de Victor Hugo avait-elle une séduction, et sa vie a-t-elle eu une noblesse et une grandeur à quoi rien ne résiste et qui, s’ajoutant à son génie, lui assurent sans conteste la place la plus élevée dans l’admiration de ses contemporains ?

808. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre neuvième »

Il en eut la pensée dans le temps où il aima la gloire avec candeur, alors qu’elle lui apparaissait sous les traits des jeunes Français de l’âge futur apprenant de lui à admirer, dans l’époque où régna Louis XIV, toutes les grandeurs de leur pays. […] Où trouver, sur les causes de la grandeur française au dix-septième siècle, plus de ces lumières qui sont en même temps des impulsions puissantes ?

809. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre X. La littérature et la vie de famille » pp. 251-271

Cette mort sans phrases a, d’ailleurs, sa grandeur et sa délicatesse. […] Il pourrait avoir entendu dire que le corps des laquais est « le séminaire de la noblesse98 » ; et, en attendant que la fortune le traite selon son mérite, il est plein d’égards pour sa grandeur future ; il ôterait volontiers son chapeau pour se parler.

810. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Monsieur de Malesherbes. » pp. 512-538

Défenseur de Louis XVI, qu’il suivit bientôt à son tour avec tous les siens sur l’échafaud, M. de Malesherbes a donné l’un des plus grands exemples de bonté et de grandeur morale : de telles victimes sont encore plus faites pour relever la nature humaine que leurs bourreaux pour la dégrader. […] Magistrat, il était un modèle ; ses paroles, ses actes, quand il le fallait, allaient à la grandeur.

811. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Chateaubriand homme d’État et politique. » pp. 539-564

il ne montrera point sur la fin de ses jours un front sillonné par les longs travaux, les graves pensées, et souvent par ces mâles douleurs qui ajoutent à la grandeur de l’homme ! […] Si M. de Chateaubriand n’avait pas écrit cette partie politique de ses Mémoires, et s’il eût laissé le souvenir public suppléer à ses récits, on lui eût trouvé sans doute des écarts bien brusques et des inconséquences ; mais la grandeur du talent, la chevalerie de certains actes, la beauté historique de certaines vues, auraient de loin recouvert bien des fautes ; je ne sais quel air de générosité aurait surnagé, et jamais on n’eût osé pénétrer à ce degré dans la petitesse des motifs et des intentions.

812. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « André Chénier, homme politique. » pp. 144-169

Il tâche d’élever les âmes, de les animer au bien par la grandeur des circonstances : « La France n’est point dans ce moment chargée de ses seuls intérêts ; la cause de l’Europe entière est déposée dans ses mains… On peut dire que la race humaine est maintenant occupée à faire sur nos têtes une grande expérience. » À côté de l’honneur insigne de la réussite, il déroule les suites incalculables d’un revers. […] On y voit, dans un rythme aussi neuf qu’harmonieux, le sentiment de la nature et de la solitude, d’une nature grande, cultivée et même pompeuse, toute peuplée de souvenirs de grandeur auguste et de deuil, et comme ennoblie ou attristée d’un majestueux abandon.

813. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre I. Le Bovarysme chez les personnages de Flaubert »

Mais on voit bien que, sous cet épisode de pathologie individuelle, l’ermite, par la nature des apparitions qui le hantent, symbolise un autre phénomène et d’une autre grandeur. […] Un comique supérieur se dégage du contraste manifeste entre la pauvreté intellectuelle du fantoche et la grandeur complexe de l’idéal qu’il a entrevu et qu’il voudrait atteindre.

814. (1913) La Fontaine « III. Éducation de son esprit. Sa philosophie  Sa morale. »

Vous avez encore le Berger et le Roi, où sont exposés les inconvénients de la grandeur, les misères attachées aux fonctions élevées, et où tout cela est exposé avec, non plus beaucoup de bonhomie, mais avec beaucoup d’éloquence, et d’éloquence presque lyrique. […] Très directement encore, comme dans les Souhaits, plus directement encore dans le prologue de Philémon et Baucis, il s’exprime ainsi : Ni l’or ni la grandeur ne nous rendent heureux : Ces deux divinités n’accordent à nos vœux Que des biens peu certains, qu’un plaisir peu tranquille ; Des soucis dévorants c’est l’éternel asile ; …………………………………………………     L’humble toit est exempt d’un tribut si funeste ; Le sage y vit en paix et méprise le reste : Content de ses douceurs, errant parmi les bois, Il regarde à ses pieds les favoris des rois ; Il lit au front de ceux qu’un vain luxe environne, Que la fortune vend ce qu’on croit qu’elle donne.

815. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre IX. Eugénie de Guérin »

Nous avons tous une beauté divine, la seule qu’on doive aimer, la seule qu’on doive conserver pure et fraîche pour Dieu qui nous aime. » Simple et profonde manière de se voir et de s’accepter qu’elle eut toute sa vie et qui aurait sauvé Mme de Staël, qu’on appelle une laide de génie, de ses tristesses sans grandeur ! […] « Quand les hommes de génie, a dit un poëte allemand contemporain, ne souffrent pas pour l’humanité, ils souffrent pour leur propre grandeur, pour leur horreur du vulgaire et leur grande manière d’être. » Il était donc tout simple que Guérin souffrit.

816. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre vi »

Et surtout je sens ce qu’il y a de grandeur morale dans le cas de ces antimilitaristes et pacifistes qui adaptent leur idéal aux nécessités de l’heure présente pour lui assurer l’avenir. […] Nous nous défendons premièrement contre des monstres, des monstres sensés qui vont au fond de tout, même du crime. » — « Cette race est basse, elle sera vaincue et déshonorée. »‌ Au 19 novembre 1914, il fait cette réflexion : « La plus grande grandeur de cette guerre, il me semble, je la vois dans ceci qu’elle rend immédiat, universel l’ordre de la mort, et possible l’ordre de la justice.

817. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Appendice. [Rapport sur les primes à donner aux ouvrages dramatiques.] » pp. 497-502

Le poète dramatique, s’il est vraiment tel qu’il s’en est vu aux glorieuses époques et qu’on a le droit d’en espérer toujours, ce poète, dans la liberté et le premier feu de ses conceptions, ne songe point à faire directement un ouvrage moral ; il pense à faire un ouvrage vrai puisé dans la nature, dans la vie ou dans l’histoire, et qui sache en exprimer avec puissance les grandeurs, les malheurs, les crimes, les catastrophes et les passions.

818. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « PENSÉES » pp. 456-468

Esprits immortels de Rome et surtout de la Grèce, Génies heureux qui avez prélevé comme en une première moisson toute heur humaine, toute grâce simple et toute naturelle grandeur, vous en qui la pensée fatiguée par la civilisation moderne et par notre vie compliquée retrouve jeunesse et force, santé et fraîcheur, et tous les trésors non falsifiés de maturité virile et d’héroïque adolescence, Grands Hommes pareils pour nous à des Dieux et que si peu abordent de près et contemplent, ne dédaignez pas ce cabinet où je vous reçois à mes heures de fête ; d’autres sans doute vous possèdent mieux et vous interprètent plus dignement ; vous êtes ailleurs mieux connus, mais vous ne serez nulle part plus aimés.

819. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. A. Thiers : Histoire de la Révolution française — II. La Convention après le 1er prairal. — Le commencement du Directoire. »

Français, qui avons vu depuis notre liberté étouffée, notre patrie envahie, nos héros fusillés ou infidèles à leur gloire, n’oublions jamais ces jours immortels de liberté, de grandeur et d’espérance ! 

820. (1874) Premiers lundis. Tome I « Diderot : Mémoires, correspondance et ouvrages inédits — I »

La vie, le sentiment de la réalité, y respirent ; de frais paysages, l’intelligence poétique symbolique de la nature, une conversation animée et sur tous les tons, l’existence sociale du xviiie  siècle dans toute sa délicatesse et sa liberté, des figures déjà connues et d’autres qui le sont du moment qu’il les peint, d’Holbach et le père Hoop, Grimm et Leroy, Galiani le cynique ; puis ces femmes qui entendent le mot pour rire et qui toutefois savent aimer plus et mieux qu’on ne prétend ; la tendre et voluptueuse madame d’Épinay, la poitrine à demi nue, des boucles éparses sur la gorge et sur ses épaules, les autres retenues avec un cordon bleu qui lui serre le front, la bouche entr’ouverte aux paroles de Grimm, et les yeux chargés de langueurs ; madame d’Houdetot, si charmante après boire, et qui s’enivrait si spirituellement à table avec le vin blanc que buvait son voisin ; madame d’Aine, gaie, grasse et rieuse, toujours aux prises avec le père Hoop, et madame d’Holbach, si fine et si belle, au teint vermeil, coiffée en cheveux, avec une espèce d’habit de marmotte, d’un taffetas rouge couvert partout d’une gaze à travers la blancheur de laquelle on voyait percer çà et là la couleur de rose ; et au milieu de tout ce monde une causerie si mélangée, parfois frivole, souvent souillée d’agréables ordures, et tout d’un coup redevenant si sublime ; des entretiens d’art, de poésie, de philosophie et d’amour ; la grandeur et la vanité de la gloire, le cœur humain et ses abîmes, les nations diverses et leurs mœurs, la nature et ce que peut être Dieu, l’espace et le temps, la mort et la vie ; puis, plus au fond encore et plus avant dans l’âme de notre philosophe, l’amitié de Grimm et l’amour de Sophie ; cet amour chez Diderot, aussi vrai, aussi pur, aussi idéal par moments que l’amour dans le sens éthéré de Dante, de Pétrarque ou de notre Lamartine ; cet amour dominant et effaçant tout le reste, se complaisant en lui-même et en ses fraîches images ; laissant là plus d’une fois la philosophie, les salons et tous ces raffinements de la pensée et du bien-être, pour des souvenirs bourgeois de la maison paternelle, de la famille, du coin du feu de province ou du toit champêtre d’un bon curé, à peu près comme fera plus tard Werther amoureux de Charlotte : voilà, et avec mille autres accidents encore, ce qu’on rencontre à chaque ligne dans ces lettres délicieuses, véritable trésor retrouvé ; voilà ce qui émeut, pénètre et attendrit ; ce qui nous initie à l’intérieur le plus secret de Diderot, et nous le fait comprendre, aimer, à la façon qu’il aurait voulu, comme s’il était vivant, comme si nous l’avions pratiqué.

821. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre III. Les tempéraments et les idées — Chapitre I. Un retardataire : Saint-Simon »

Tout l’univers se subordonne pour lui à la grandeur des ducs et pairs.

822. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XV » pp. 175-187

Son règne n’autorisa pas à nommer le xviie  siècle le siècle de Louis XIV, car ce siècle était déjà illustre avant Louis XIV ; mais il en augmenta l’éclat et la grandeur.

823. (1767) Salon de 1767 « Sculpture — Pajou » pp. 325-330

Aux deux côtés du bas-relief la foi et l’humilité. grand morceau dont on a exposé le modèle sur la moitié de sa grandeur.

824. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 5, des études et des progrès des peintres et des poëtes » pp. 44-57

Mais Raphaël voit un moment le pere éternel peint par Michel-Ange : frappé par la noblesse de l’idée de ce puissant génie, que nous pouvons appeller le Corneille de la peinture ; il la saisit, et il se rend capable en un jour de mettre dans les figures qu’il fait pour représenter le pere éternel le caractere de grandeur, de fierté et de divinité qu’il venoit d’admirer dans l’ouvrage de son concurrent.

825. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Le marquis de Grignan »

Et c’est là ce qui donne tout à coup une importance et une grandeur à cette histoire : c’est que la vie du marquis de Grignan est la vie de tous ces anciens et puissants féodaux qui sont devenus des gentilshommes de cour, — de simples gentilshommes par amour du roi !

826. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Rome et la Judée »

Malgré l’extraordinaire grandeur des faits qui y sont retracés et dont l’intérêt vient d’eux-mêmes, il est, littérairement et de pensée, d’une pauvreté désolante, et les livres pauvres sont au-dessous des livres mauvais.

827. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Louis Nicolardot » pp. 217-228

Et pourtant Auguste et Périclès sont, à part leur grandeur historique et la poésie de l’éloignement, bien moins intéressants pour nous que Louis XVI, auquel nous touchons et dont nous sommes sortis, notre aïeul direct en histoire !

828. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Madame Sand »

Elle ne se sentait ni n’avait assez de talent pour mourir de faim avec grandeur dans une civilisation mortelle souvent au génie, mais elle en avait assez peu pour que cette civilisation lui fût généreuse… Dès son début comme depuis, Madame Sand n’eut de conception plus haute de la littérature et de sa destinée à elle-même que l’indépendance du bohème et le sac d’écus, l’objectif du bourgeois rangé, qu’il appelle son magot.

829. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Dante »

Quelle que soit la grandeur du maître en poésie qu’il a devant lui, le jeune homme obscur a dit avec une virilité prématurée ce qui lui semblait le vrai sur le Dante tout entier, auteur et homme, et bien loin de le mesurer avec le mètre enflammé de ceux qui en font un génie complexe et presque universel, et un double grand homme aussi auguste par la force du caractère que par la force de la pensée, le critique à ses premières armes a dédaigné ces exagérations, ces italianismes de l’enthousiasme, et il n’a vu dans l’auteur de la Divine Comédie qu’un poète à la manière des plus grands, mais, notez-le bien !

830. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Lefèvre-Deumier »

Singulier mélange de vérité et d’afféterie, de grandeur et de pincé, de beauté plus fine et plus étincelante que pure, et d’incroyable bizarrerie, Lefèvre-Deumier a eu les défauts des romantiques de la première heure ; mais il n’a pas eu ceux des romantiques de la dernière, qui no sont plus que des rimeurs mécaniciens.

831. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Victor de Laprade. Idylles héroïques. »

Voilà, en effet, une idée heureuse et qui a de la grandeur vraie.

832. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « M. Paul Bourget »

Il est justement de cette famille de poètes naturellement les plus antipathiques à l’esprit qui régnait alors, et qui ne concevait la poésie que comme il concevait la peinture et toutes choses, c’est-à-dire sans idéal, sans hauteur d’esthétique, sans spiritualité et sans grandeur.

833. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Ranc » pp. 243-254

la destinée des plus grands cœurs, je puis ne pas m’en soucier, — pas plus que je ne me soucie des grands hommes oubliés du cimetière de Gray, — mais je ne puis pas ne point me soucier de la grandeur ou de la profondeur de ce Goujet et de ce Rochereuil, qui, vrais ou faux, vous appartiennent, et que vous me donnez hardiment et voulez me faire prendre pour des grands hommes inconnus.

834. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Deltuf » pp. 203-214

Ce type de grandeur cachée, ce beau sujet à traiter pour un observateur profond, épouvante les écrivains en France, où le ridicule a tant d’empire : or, celui qu’on a jeté sur la position de la vieille fille est si grand et si officiel, qu’ils croiraient peut-être le voir rejaillir jusqu’à eux, s’ils considéraient seulement la vieille fille par les côtés touchants, élevés, héroïques, et voilà pourquoi ils se sont abstenus de la peindre dans la splendeur possible de son isolement désespéré ou courageux.

835. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre premier. Des principes — Chapitre IV. De la méthode » pp. 81-92

Ainsi la Science nouvelle procède précisément comme la géométrie, qui crée et contemple en même temps le monde idéal des grandeurs ; mais la Science nouvelle a d’autant plus de réalité que les lois qui régissent les affaires humaines en ont plus que les points, les lignes, les superficies et les figures.

836. (1864) Corneille, Shakespeare et Goethe : étude sur l’influence anglo-germanique en France au XIXe siècle pp. -311

Je suis de l’avis de ces critiques quand ils reprochent à l’auteur d’Horace et de Rodogune d’avoir mal compris la simplicité et la grandeur des anciens et de l’avoir fait dégénérer en raideur et en pauvreté d’invention. […] Le dix-septième siècle dont la calme et harmonieuse grandeur nous étonne, n’avait pas craint de consigner la pensée dans un cadre conventionnel ; mais il sut du moins le remplir. […] Son héroïne n’était autre qu’elle-même avec ses aspirations idéales, ses désillusions, sa grandeur d’âme, sa foi dans la perfectibilité humaine. […] Et encore ses souffrances poétiques se noient-elles dans une langueur extatique, dans l’antagonisme du néant de l’homme vis-à-vis de la grandeur de Dieu. […] Il aspira à élever la tragédie à la véritable grandeur en la ramenant au naturel et en rejetant la déclamation ampoulée des anciens comédiens.

837. (1927) Approximations. Deuxième série

La grandeur fondamentale de l’art de Degas, c’est qu’il soit capable de susciter des réactions de cet ordre. […] On ne montre pas sa grandeur pour être à une extrémité, mais bien en touchant les deux à la fois, et remplissant tout l’entre-deux. […] Humaine, — mais le mot même nous rappelle qu’il s’agit encore là d’une grandeur que le Pascal des Pensées eût réprouvée pour sa « superbe ». La grandeur dernière de Pascal, il faut la voir dans l’opération par laquelle le plus impatient des génies le cède au saint ; — le cède ? […] Les plus grands artistes eux-mêmes ne disposent que d’un nombre fort limité de registres ; et leur grandeur précisément se mesure à leur capacité d’avoir l’air de disposer de tous par le degré même dont des leurs ils disposent.

838. (1868) Rapport sur le progrès des lettres pp. 1-184

Ne faut-il pas plutôt relever la littérature à ses propres yeux en lui montrant la grandeur de sa mission nouvelle ? […] Le public ne s’en occupe guère et se contente de reconnaître dans la nuit trois ou quatre étoiles de première grandeur, ne se doutant pas que ces lueurs vagues qu’il néglige sont parfois des mondes considérables observés depuis longtemps. […] Il croyait avoir à jamais mêlé son nom à la grandeur des choses ou du moins à ce qui paraissait grand alors ; mais dans l’art les événements passent, et la beauté seule reste. […] Ces idées sont développées par le poëte avec une rare puissance de style et une grandeur tranquille, vraiment digne de l’antiquité. […] Dès à présent, André Lefèvre nous semble pouvoir être catalogué comme étoile de première grandeur parmi la pléiade poétique de l’époque actuelle.

839. (1814) Cours de littérature dramatique. Tome III

M. de Voltaire regarde l’empire de l’esprit, et l’honneur d’être le modèle des autres peuples, comme des marques infaillibles de grandeur. […] Il faut donner aux crimes tragiques un air de grandeur ; dès qu’on en montre toute la bassesse et la turpitude, ils sont indignes de la scène. […] L’éclat vous plaît ; vous mettez la grandeur Dans les blasons : je la veux dans le cœur. […] S’il ne faut pas chercher la grandeur dans les blasons, il faut encore moins la chercher dans les antichambres et dans les cuisines : cette grandeur de l’âme et du cœur, il y a toujours mille à parier qu’elle se trouvera dans une fille bien née, élevée au sein d’une famille honnête, plutôt que dans une servante. […] Le président est un bon père, un honnête homme et un homme du monde tout à la fois : son fils est un jeune misanthrope ; la gouvernante, un modèle de courage et de grandeur d’âme ; Angélique, un chef-d’œuvre d’ingénuité.

840. (1861) La Fontaine et ses fables « Deuxième partie — Chapitre I. Les personnages »

Il honore cette grandeur humiliée ; il s’incline devant cette majesté qu’on outrage. […] 56 D’autres fois il fait le grand seigneur « en dépit de ses dents » ; et quand le personnage de mendiant ne lui a pas réussi, il s’éloigne d’un air noble, dédaigne les raisins qu’il ne peut atteindre, les trouve « trop verts, et bons pour des goujats. » Telle est la grandeur de ce caractère ; il invente plus d’expédients que le hasard d’obstacles ; il espère encore quand il n’y a plus d’espérance. […] Saint-Simon prend à peu près le même ton quand il conte « avec quel enchantement Dangeau se pavanait en portant le deuil des parents de sa femme, et en débitait des grandeurs », ou comment, étant devenu grand maître d’un ordre ridicule, il en faisait les cérémonies avec une majesté postiche, parmi les moqueries de toute la cour. — D’autres, avec des prétentions moindres, n’ont pas de moindres ridicules. […] Nous le voyons porter toutes les misères et toutes les grandeurs du règne, et les bras roidis de fatigue, le front contracté par la douleur, se traîner vers son unique repos, la mort.

841. (1856) Cours familier de littérature. II « Xe entretien » pp. 217-327

Je parlerai seulement ici des hommes de mon temps que j’ai personnellement connus et qui me parurent marqués entre tous les autres d’un signe de haute intelligence, de grandeur d’esprit ou de supériorité de talent dont se compose l’élite d’un siècle. […] Grand, mince, grave et modeste de maintien, le profil maigre et aquilin comme un buste de Cicéron, le front élevé, les tempes creuses, les joues nerveuses dont on voyait trembler les fibres, la bouche fine, les lèvres modelées pour la réflexion comme pour la parole, le geste sobre et serré au corps comme celui d’un homme qui pense plus qu’il ne déclame, prodigieusement instruit dans tout ce qui éclaire et ennoblit l’esprit humain, n’estimant dans la vie que le vrai, le juste, l’honnête, sans ambition pour lui-même et n’aspirant en secret au sein des grandeurs qu’à l’ombre d’un des pins-liége de sa métairie, dans les landes de Bordeaux, où il aimait à s’ensevelir, un livre à la main, M.  […] Je trouvai en lui, comme toujours, la simplicité dans la vraie grandeur. […] XXVIII C’est pendant ce même voyage à Paris que je connus un de ces hommes qui, par leur puissante originalité, ne peuvent se grouper avec personne, mais qui forment à eux seuls un genre de grandeur morale et intellectuelle qu’on ne peut classer dans aucune catégorie.

842. (1888) Épidémie naturaliste ; suivi de : Émile Zola et la science : discours prononcé au profit d’une société pour l’enseignement en 1880 pp. 4-93

Car, pour le fond et pour la forme, elle semble être le fait d’une race épuisée, débilitée et corrompue sans inspiration, sans grandeur, réduite à ne pas lever les yeux au-dessus d’elle-même, à se prendre pour unique objectif, à se mirer dans ses bassesses, ses` platitudes, ses vices, ses folies, ses hontes, voire même ses crimes s’attachant à ne faire ressortir des sujets qu’elle traite que les côtés scandaleux, grossiers, repoussants, jusqu’à ceux qui comprennent les servitudes viles et secrètes de la vie organique, appelées par les latins postscenia, et que, jusqu’ici, nous nous efforcions de dissimuler avec soin à la vue du monde, lequel, du reste, n’a rien à gagner à les voir, les connaissant pour son propre compte et par son expérience quotidienne. […] Et les œuvres des Corneille et des Racine continuèrent à planer sans que la différence des époques ait enlevé quelque chose de leur grandeur. […] C’est une grande satisfaction pour nous d’assister à la représentation d’un acte de grandeur et de dévouement ; nous en sommes touchés, remués jusqu’au fond de l’âme. […] Il faut que nous cessions d’établir la réputation, la fortune, la gloire d’écrivains sans idées et sans grandeur.

843. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Histoire du Consulat et de l’Empire, par M. Thiers. Tome xviii » pp. 84-92

Le spectacle d’hommes remarquables par le caractère, l’intelligence, le talent, pensant différemment les uns des autres, se le disant vivement, rivaux sans doute, mais rivaux pas aussi implacables que ces généraux qui, en Espagne, immolaient des armées à leurs jalousies ; occupés sans cesse des plus graves intérêts des nations, et élevés souvent par la grandeur de ces intérêts à la plus haute éloquence ; groupés autour de quelques esprits supérieurs, jamais asservis à un seul ; offrant de la sorte mille physionomies, animées, vivantes, vraies comme l’est toujours la nature en liberté ; — ce spectacle intellectuel et moral commençait à saisir et à captiver fortement la France.

/ 1830